Il a 72 ans et après une première victoire
sur un cancer du larynx, un AVC a fini par avoir raison de sa carrière au sein
du plus emblématique des groupes de survivants de la New Wave Of British Heavy
Metal, dans lequel il aura officié durant 42 ans : en regardant les adieux
passablement orchestrés de Nicko McBrain sur la scène d’un énième stadium (à
Sao Paulo en l’occurrence), je me demande combien de temps ce véritable personnage
du rock anglais aurait décidé de continuer à marteler sa théâtrale construction
de fûts et de cymbales moulé dans une combinaison vinyle ou un ensemble maillot/short
de sport si sa santé ne s’était pas autant dégradée, et je réalise soudain que ce
que j’ai assez tendance à reprocher aux politiques s’illustre finalement tout
aussi brutalement chez les stars du rock, et par extension, parmi les grands artistes
en général.
Le cabotin Pierre Arditi qui foule encore
désespérément les planches à en faire un malaise en direct, les Monsieur-muscle
Schwarzenegger et Stallone qui endurent obstinément la souffrance de la fonte en
espérant continuer à jouer des gros bras (devenus flasques), le triste panorama
de téléfilms minables de Bruce Willis qui ne pouvait plus prétendre à retenir
ses textes, la mutation mutante de Madonna en Donatella Versace de la pop ou
le come-back défiguré de Debbie Harry : qu’il est long et triste le film des
stars en panique, documentaire infini d’ego dynamités refusant leur crépuscule…
Et il semble bien, soudain, que c’est à l’argent, à la mise en lumière, à la
starification, à l’idolâtrie et au Culte de la personnalité que l’on doive cet
acharnement à vouloir rester, à vouloir poursuivre, à vouloir jouir encore et
toujours de l’ivresse des foules acclamantes et des ors de la notoriété, et non
à la seule addiction au pouvoir.
Il y a donc bien une pulsion irrépressible
commune à tous ces faux demi-dieux à vouloir durer coûte que coûte dans cet
aveuglement entretenant une flamme à l’oxygène gâté dans un pacte faustien voué
à l’échec : cette quête impossible n’est donc pas l’apanage des cercles de
pouvoir, où d’aucuns tiennent le destin de peuples entre leurs mains manucurées :
elle dévore chaque être humain ayant goûté un tant soit peu à l’adulation, sous
quelque forme que ce soit…
Nicko McBrain (indépendamment du fait
qu’on a pu lui reprocher de cacher un manque d’inventivité, voire même de
technique, vis-à-vis de son prédécesseur Clive Burr*par une débauche clinquante
d’effets de style pompiers mais diablement efficaces) semblait pourtant initialement
assez protégé des affres de la starisation : se rendant (volontairement ?)
quasiment invisible sur scène derrière une forêt de fûts et de cymbales masquant
totalement sa silhouette, jouant pieds nus par confort, un sourire super débonnaire
toujours accroché aux lèvres, tout dans ce batteur aux faux airs de quarterback
américain extirpé par hasard d’un obscur groupe français en vogue en 1982 semblait
contredire une appétence ininterrompue pour « le pouvoir et la gloire ».
* le
plus affreux switch de l’histoire du heavy-metal : chassé d’Iron Maiden après
3 premiers albums sur lesquels sa créativité, sa technique et son avant-gardisme
sautaient aux oreilles, Clive Burr se retrouvera à jouer dans le groupe franchouillard
dans lequel officiait Nicko McBrain avant lui sitôt à la fin d’une tournée où
nos héros nationaux de Trust ouvraient le bal pour la Vierge de Fer : débauché,
Nicko Mc Brain passe alors de « Marche ou Crève » à Iron Maiden tandis
que le pauvre Clive Burr, tout juste sorti du splendide « The Number Of
The Beast », atterrit sur l’affligeant « IV » des déjà demi-pitres
de la bande à Bernie Bonvoisin…
Et pourtant. D’humeur totalement
cyclothymique malgré cette image faussement positive, le nouveau batteur d’Iron
Maiden deviendra très vite une véritable icône dans les milieux spécialisés, non
seulement pour avoir été adoubé par le « boss » réputé exigeant d’un
des groupes les plus adulés de la planète (le bassiste Steve Harris) grâce à sa
capacité à suivre et jouer quasiment toutes les notes de ses compositions
virevoltantes, mais aussi pour son renoncement à utiliser une double
grosse-caisse comme la quasi-totalité de ses alter-egos, et quelques « signatures »
rythmiques clinquantes bardées de syncopes : le galavard continuera donc
les tournées marathon et les successions d’albums dans ce groupe ressemblant
chaque année davantage à une entreprise menée de main de maître aux codes, au
style, au design et aux opérations de marketing impeccablement calibrées, et ce,
durant 42 ans.
Partie prenante d’une starification
mondiale, Nicko McBrain se retrouvera englué dans l’addiction à la notoriété,
aux frasques du rock’n roll, aux royalties en cascade et aux séances de dédicaces :
il y ira de ses méthodes, de ses tutos, de ses solo-sessions multi-angles, et c’est
la mort dans l’âme, 42 années plus tard, qu’il lui faudra renoncer à ce grand
bazar de collants fluos, de slims en cuir, de ceintures à clous, de crop-tops
zèbre et de brushing californiens orchestrés sous les caricatures de moins en
moins drôles de la mascotte « Eddie », devenue au fil des ans une
sorte de grand-guignol tout juste bon à finir sur des t-shirt vintage de top-models
et de lycéennes bourgeoises.
72 ans. Même si l’iconographie (et les
albums) des seniors d’Iron Maiden sont de moins en moins digestes, Nicko Mc
Brain s’est accroché à son statut de star comme un Gérard Larcher de la
caisse-claire, un Jacques Attali de la cymbale, un Alain Duhamel du rimshot ou
un…François Bayrou du tom-bass. Hélas, il n’arrivait plus à suivre le rythme, au
sens propre du terme. Faut dire que la batterie Heavy-Metal, c’est autre chose que
la buvette du Sénat ou les salons privés de France 2…
Son remplaçant a immédiatement été
nommé : Iron Maiden, c’est pas le gouvernement français, et Steve Harris n’est
pas aussi imbu de lui-même qu’Emmanuel Macron, il a un business à faire tourner ;
le super-groupe du Heavy-Metal mondial ne connaîtra ni tergiversation, ni pause,
y compris commémorative. Le successeur de Nicko McBrain s’appelle Simon Dawson
et il a 66 ans. Un Gabriel Attal du rock, quoi.