Est-ce le simple fait de vieillir et de devoir, année après année, se séparer de tellement de choses propres à l’enfance qui oblitère la plupart de nos peurs primitives pour les cristalliser en une vague poignée de bribes incertaines ? Il en est de même pour la plupart de nos souvenirs doucereux, qui finissent par fondre eux-aussi en un nuage de ouate chaud et odorant mais malgré tout, s’agissant des bons souvenirs, il continue de se dégager de leur abstraction une sorte de scintillement, de plénitude astrale qui se rapporte à la beauté des choses éternelles ; inversement, la terreur infantile, si fébrile, si pantelante, à la fois mystique, viscérale, pulsative et peuplée de créatures ensorcelées, finit bêtement par laisser place à cette angoisse parvenue à maturité, sourde et latente, laide, difforme et sans plus de contour, quotidienne au lieu d’exceptionnelle, morne au lieu de fantastique, oppressante mais si banale qu’elle en est définitivement honteuse.
Nos belles peurs terribles finissent ainsi généralement par s’automutiler les unes les autres à mesure que nous pensons gagner en sagesse et en raison, puis se nient entre elles dans nos Moi malades de certitudes silencieusement bancales jusqu’à fusionner en un cauchemar muet, fataliste, borné et rabougri ; disparue, cette trilogie fantastico-christique de peurs infantiles : celle du père, de sa colère titanesque, de sa toute puissance, de son autorité, et peut-être plus que tout, de sa déception. La peur du Feu. Celle du fils, ensuite ; le fils-monstre de Jérôme Bosch aux mille visages éternellement rivaux, aux mille humiliations, aux mille menaces, aux mille hontes, ratages, timidités, échecs : fratricide, voisine, elle est la peur cumulée de la créature tentaculaire forgée dans les sous-sols du monde dans le seul but de nous engloutir vivants entre deux rangées de crocs acérées, gavée de férocité, dispensatrice de douleurs et de craintes, à jamais inassouvie, et celle du camarade de classe ou de régiment, éternel rival harceleur, plus retorse, traître, infâme, et couarde ; la peur de l’Eau, et de la Terre. Celle enfin de l’esprit, des esprits, au panthéon de divinités toutes-puissantes et orageuses, d’esprits malfaisants aux intentions tourmenteuses et vengeresses, de créatures impalpables et invisibles nichées dans les ombres, les vents, les torrents, les ondes, les bruits suspects et les craquements nocturnes, somme de manifestations inconnues et terrifiantes aux intentions incompréhensibles… La peur de l’Air.
De l’ensemble de ces peurs magnifiques, compagnes équilibrantes de la vie dans ce qu’elle a de plus substantifique, de plus magique et de plus inexplicable, il ne peut plus guère être retenu qu’un étouffement : telle Blanche-Neige retenue dans sa fuite éperdue à travers les bois par d’immondes entrelacs de ronces, de lianes et de branches crochues, nous avons, bien plus jeunes, pénétré d’obscures forêts personnelles dont l’issue était sans cesse repoussée et dont nous pensions ne jamais parvenir à nous échapper, retenus par ce bestiaire superbement imagé, coloré, criard, violent et organique que nous étions capables de générer dans un rapport au monde fait d’égal à égal cosmogonique.
Hélas, en dehors de deux ou trois souvenirs affreux qui n’auront pu cicatriser au milieu du lent processus de la vieillesse et qui s’accrochent inévitablement aux angles de nos mémoires comme de laides araignées faussement endormies, nos plus belles « premières peurs » nous ont échappé, telle l’eau ne pouvant être retenue au creux de la main. Et c’est peut-être tant mieux : de quoi serait fait notre triptyque, si d’aventure, adultes, nous étions encore capables de créer nos propres peurs à la hauteur de nos cœurs et de nos corps renforcés ? Mais il en est ainsi ; nous ne valons rien en dehors de nos années flétries, car ce que nous perdons en devenant plus âgés est sans pareil : notre imagination.
Nos belles peurs terribles finissent ainsi généralement par s’automutiler les unes les autres à mesure que nous pensons gagner en sagesse et en raison, puis se nient entre elles dans nos Moi malades de certitudes silencieusement bancales jusqu’à fusionner en un cauchemar muet, fataliste, borné et rabougri ; disparue, cette trilogie fantastico-christique de peurs infantiles : celle du père, de sa colère titanesque, de sa toute puissance, de son autorité, et peut-être plus que tout, de sa déception. La peur du Feu. Celle du fils, ensuite ; le fils-monstre de Jérôme Bosch aux mille visages éternellement rivaux, aux mille humiliations, aux mille menaces, aux mille hontes, ratages, timidités, échecs : fratricide, voisine, elle est la peur cumulée de la créature tentaculaire forgée dans les sous-sols du monde dans le seul but de nous engloutir vivants entre deux rangées de crocs acérées, gavée de férocité, dispensatrice de douleurs et de craintes, à jamais inassouvie, et celle du camarade de classe ou de régiment, éternel rival harceleur, plus retorse, traître, infâme, et couarde ; la peur de l’Eau, et de la Terre. Celle enfin de l’esprit, des esprits, au panthéon de divinités toutes-puissantes et orageuses, d’esprits malfaisants aux intentions tourmenteuses et vengeresses, de créatures impalpables et invisibles nichées dans les ombres, les vents, les torrents, les ondes, les bruits suspects et les craquements nocturnes, somme de manifestations inconnues et terrifiantes aux intentions incompréhensibles… La peur de l’Air.
De l’ensemble de ces peurs magnifiques, compagnes équilibrantes de la vie dans ce qu’elle a de plus substantifique, de plus magique et de plus inexplicable, il ne peut plus guère être retenu qu’un étouffement : telle Blanche-Neige retenue dans sa fuite éperdue à travers les bois par d’immondes entrelacs de ronces, de lianes et de branches crochues, nous avons, bien plus jeunes, pénétré d’obscures forêts personnelles dont l’issue était sans cesse repoussée et dont nous pensions ne jamais parvenir à nous échapper, retenus par ce bestiaire superbement imagé, coloré, criard, violent et organique que nous étions capables de générer dans un rapport au monde fait d’égal à égal cosmogonique.
Hélas, en dehors de deux ou trois souvenirs affreux qui n’auront pu cicatriser au milieu du lent processus de la vieillesse et qui s’accrochent inévitablement aux angles de nos mémoires comme de laides araignées faussement endormies, nos plus belles « premières peurs » nous ont échappé, telle l’eau ne pouvant être retenue au creux de la main. Et c’est peut-être tant mieux : de quoi serait fait notre triptyque, si d’aventure, adultes, nous étions encore capables de créer nos propres peurs à la hauteur de nos cœurs et de nos corps renforcés ? Mais il en est ainsi ; nous ne valons rien en dehors de nos années flétries, car ce que nous perdons en devenant plus âgés est sans pareil : notre imagination.
Posté dans le cadre de "STOP ou Tout est bruit pour qui a peur", nouvelle création théâtrale de la Cie Diphtong / Hubert Colas.
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