jeudi 19 janvier 2012

Trois petites pièces...

Dans la poche avant-droite de mon pantalon, je fouille. Je veux remonter la totalité des pièces de monnaie que j'y ai accumulé au fur et à mesure de l'avancée de la semaine; au poids, il doit y en avoir un petit paquet à avoir finalement remplacé les billets que je me suis fourré dans les poches arrière lundi matin. Elle est marrante, cette mécanique de poches de pantalon ; les billets, avec les bouts de papiers, les notes griffonnées, les pense-bête, les prospectus, les flyers et les tickets de métro, occupent mes deux poches arrière.
Les briquets, élastiques à cheveux, pièces de monnaie et petits objets usinés de tout genre (boutons de rechange, pièces de jouet non identifiées, trombones, paquets de chewing-gum à l'agonie, etc...) occupent de façon anarchique les poches de devant, parfois provisoirement rejoints par un objet de plus grosse importance de type téléphone portable, paquet de cigarette ou trousseau de clés.
Quand je suis "en fonds", je pousse cette organisation jusqu'à réserver une poche arrière aux seuls billets -généralement la droite -, attribuant à l'autre la fonction de réceptacle automatique au cumul de ces bouts de journée censés être auscultés au moment de se défroquer; pour autant, il est rare que ce tri soit effectué de façon rigoureuse si bien qu'à l'issue de quelques jours, je cumule de petits ouvrages compressés sans queue ni tête gorgés d'informations pour la plupart inutiles, au milieu desquelles meurt une donnée essentielle, un rendez-vous incontournable, un numéro de téléphone ou une adresse mail précieuse. Souvent, d'ailleurs, le fait de changer de pantalon n'y change rien, le petit pavé plein de pelures atterit tel quel dans le pantalon suivant, dans la même poche arrière, à la différence près qu'il est gênant pendant les premières heures, la poche propre ne s'étant pas encore tout à fait adaptée à cette ancienne moulure cmulée dont l'empreinte force placidement la rigidité du tissu.
Pour l'heure, alors qu'à demi allongé dans un sofa ma main est entièrement plongée dans cette poche avant-droite moyennant un tortillement caractéristique du bassin entraînant un arc-boutement du dos et la création d'un angle audacieux entre la tête et le cou, je me surprends à ne pas tomber sur le tas ferrailleux auquel je m'attendais; certain pourtant de détenir un "magot de pauvre" sous la forme d'une bonne poignée peut-être même composée de quelques heureuses surprises, je transforme ma main en araignée bancaire tout en soulevant davantage mon bassin. Finalement, je tombe sur une colonne de pièces parfaitement alignées à la verticale, lovées dans le sillon de mon aine comme une petite phalange romaine endormie. Ca me laisse perplexe. Oui, le fait d'avoir changé de vie et de rythme me laisse désormais face à ce type de situation où les plus petites choses du quotidien, les détails les plus stupides voire les plus maussades prêtent à réflexion. Ainsi, cet ordonnancement de pièces auto-généré au fond d'une poche de pantalon à l'issue d'une journée agitée qui aurait du, au contraire, engendrer une sorte de scorie d'acier hérissante et désordonnée, me divertit. Je m'efforce de l'extraire de ma poche en l'état, sans troubler le phénomène. Puis je les compte. Il y a là vingt-trois pièces, de toutes tailles, de toutes teintes et de tous calibres parmi celles qui composent les "cents" de la monnaie européenne en vigueur. Un vrai petit pactole. Rien à voir avec ces minables reliquats de monnaie qui n'autorisent qu'une lamentation muette. Je les soupèse un peu, pendant quelques secondes, puis je les renfourne dans ma poche cette fois sans plus de précautions.
Une boule familière et lourde prend possession de ma poche, comme un hérisson sous une souche.
On est jeudi.
Cool.

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