Le rapport de l’homme à ses propres objets est souvent fragile. Et précieux. Le rythme des saisons permet à cette relation unique de se bâtir un sens, au travers de retrouvailles stupides mais inévitablement émouvantes. Les gestes d’un quotidien pesant reprennent ainsi un nouvel atour à chaque cycle, concordant d’avec la pulsation millénaire des vies terrestres et de l’écoulement du temps. La paire de chaussures ressortie d’une boîte dont on se surprend du poids ou de la rugosité rassurante, le vieux pull aux manches molles que l’on renfile avec un frisson d’étonnement complice, le maillot de bain raidi de lavages que l’on replie sans grand ménagement bien qu’il va devoir, comme tous les ans, nous servir au mieux de nos atouts sitôt qu’un été nouveau pointera son museau capricieux. Ainsi en est-il aussi des auteurs que l’on suit au gré des nos vieillesses programmées, adolescences après premiers jobs, déceptions amoureuses après cuites irréversibles, jours de pluie sous une lampe jaune après siestes caniculaires sous les feuilles bruissantes. Ouvrir un autre des romans de Philippe Djian, à la fois débarrassé du stress irritant de la découverte mais déjà sous le coup de ce titillement délicieux d’une surprise aux délices promis. La suavité d’une couette d’automne légère et ouatée que l’on déplie de sa housse et dont l’odeur pourra surprendre, Oh, juste l’espace d’un instant, avant que le moelleux, la forme, le toucher, la texture ne vienne prendre place comme un automatisme entre nos cuisses fragiles ou au-dessus de nos épaules frissonantes. Ouvrir « OH… » rien qu’en se délectant du titre, décapsuler les premières lignes pour recueillir, comme le présent d’un grand-père malicieux enrubanné d’une petite ficelle, la particularité gracieuse et fondante d’une étonnante rédaction au féminin, en sourire, en jouir, et plonger sans une éclaboussure dans ce liquide utérin totalement neuf et pourtant cerné de complicité. Lire, lire, lire sans le moindre effort, sans la moindre accroche, refermer les pages plus lourdes de la couverture lorsqu’un mot, une phrase, une circonstance, un rebondissement font inévitablement chavirer le cœur avec la même verve, le même don, la même délicieuse empathie, puis repartir le long de la rivière de lettres imprimées tout attentif aux bruissements, gargouillis, chuchotements ou vacarmes, chutes, éclaboussures et suffocations, le tout dans une descente prodigieuse et coulée vers les abysses d'un plaisir nutritif. Nous sommes septembre à peine et « OH… » enterre d’une pelletée de plumes de paon un été que l’on arrive enfin à ne plus à regretter. Que Philippe Djian reste pour toujours notre Amérique, plus féroce, plus lumineuse, plus belle et plus subtile encore qu’elle n’a d’autre voyage à proposer que notre propre terre, notre propre langue, nos propres pères, voisins, maîtresses, compagnes, filles, fils, patrons, copains, connards obséquieux ou imbéciles luminescents : errer entre ses personnages reste, dès lors, un exercice de ressourcement inégalable.
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