- Mais moi je m’en tape, de ce qu’ils pensent !
- Bien sûr, on est tous comme ça, mais quand même y’a certaines situations où on peut pas tout se permettre, tu vois…
- Je vois quoi ? Hein, je vois quoi, dis-moi ? Tu crois réellement qu’il se fait chier des journées entières à bosser jusqu’à pas d’heure, à me laisser comme ça avec les gosses jusqu’à ce que je me retrouve à parler aux meubles tellement je sui seule, tout ça pour que le fric qu’il ramène me permette même pas de faire ce que je veux, où bon me semble ? Mais tu plaisantes ? Tu veux que je te les compte, ces après-midi pourries ou je me traîne entre quatre murs avant de descendre dans le centre arpenter ces magasins odieux remplis de vendeuses condescendantes en guettant l’heure de la sortie des classes, à monter et descendre des niveaux de parking en sous sol à la recherche d’une place où pouvoir garer ce machin énorme qu’il a acheté, aussi gros qu’un camion ? Tu crois que quoi, que je me régale ? Hein ? Que je passe ma vie à organiser des réunion Tupperware avec des Comtesses, c’est ç a ?
- Bah, en même temps, tu peux pas vraiment dire que t’as une vie disons… difficile.
- Ha, ben nous y voilà ! Il faudrait qu’on fasse du marteau-piqueur au mois d’août en plein soleil c’est ça, avec la trouille d’un contrôle de permis de travail, pour avoir ne serait-ce que le droit de prétendre à trouver certains jours pathétiques, hein ? Moi, j’ai pas le droit de me plaindre ? Faut faire pleurer dans les chaumières, comparer le prix des Pépito dans les rayonnages ? Et quoi encore ? Hein ? Ma vie, ma belle, y’a des tas de jours crois-moi elle est à chier, et le fait que j’aie une employée de maison à temps complet n’y change rien ! Je vais même te dire mieux : elle est plutôt tranquille, ma femme de ménage, si on y réfléchit bien : elle vient chez moi, elle passe l’aspirateur, elle sort un repas traiteur du frigo où y’a presque plus rien à faire, elle fout tout ça dans des casseroles neuves sur un piano gigantesque où tout cuit tout seul, elle refout tout ça au lave-vaisselle ça lui prend quoi, cinq minutes, elle plie deux ou trois draps, tout ça loin de sa marmaille insupportable qui doit gueuler ou vendre de la drogue je ne sais où, et elle se rentre peinard avec son petit bus qui te la ramène direct en bas de son immeuble, et la journée est finie…
- Attends, tu pousses un peu là quand même…
- Moi, mon mari, si je le vois deux soirs dans la semaine c’est Noël, et encore, ces soirs-là, à peine rentré il se vautre dans le canapé du salon en chemise avec une assiette toute prête laissée dans le frigo, et en général, il caresse plus le chien que moi… Et moi, pendant ce temps, je me fais chier comme la pluie dans cette baraque immense, à passer mon temps au téléphone avec des artisans biaiseux qui cherchent à me soutirer un max de fric, y’a des pièces à n’en plus finir où les gosses déversent leur bordel sans aucune interruption, si je leur demande de ranger faut voir comment ils me répondent, ils foutent rien à l’école, toujours là à demander du fric pour un oui pour un non, mais faut réaliser ma vieille, tout ça, c’est épuisant, ça te lamine le cerveau, je suis obligée de prendre des cachets si tu savais, y’a des jours, je t’assure que je t’enverrai chier tout ça et je me tirerai à Biarritz par le premier vol qui passe en te le plantant avec les gosses deux bonnes semaines comme un con, ça lui ferait les pieds…
- Ouais. Bon… Tétais quand même aux Maldives le mois dernier justement, il me semble.
- Et alors ? Si t’as la possibilité de le faire, tu fais quoi toi, tu pars quand même en Ardèche dans un gîte rural, c’est ça ? Juste histoire de pas faire jaser ? Parce que ce serait immoral pour ceux qui partent pas, hein ? Non mais si on raisonne comme ça ma vieille, on fait plus rien, hein ! C’est le minimum ça, ma belle, au moins ça, merde !
- En même temps, à coup sûr, telle que je te connais t’as quand même réussi à te faire un peu chier là-bas aussi, non ?
- Oh non, ça non, tu sais, les Maldives, c’est vraiment, vraiment cool… Y’a des types partout qui s’occupent de tout tout le temps, tu fous plus rien, t’as plus qu’à rester là dans un transat à moitié bourrée à attendre qu’ils viennent te chercher pour passer à table, lui, il disparaît tout la journée faire l’adolescent avec un masque et un tuba, les gosses font du jet-ski, et il finit même par me baiser, et plutôt pas mal si tu veux savoir… Tu peux pas t’imaginer la détente…
- Ouais, bref, t’es toute seule là-bas au lieu d’être toute seule ici, finalement.
- Ha non mais ça n’a rien à voir, là-bas… C’est pas pareil ! comment t’expliquer…
- Non non mais je comprends va, je comprends, t’inquiètes….
- … c’est qu’en fait, là bas, comment dire….
- Ben dis pas alors, dis pas…
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