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Hommage à Bansky / détail de la couverture de "Elections, piège à cons ?" Jean Salem - éd. Antidote/Flammarion |
- Et bien voilà.
C’est vous.
- Heu…
- Selon les
dispositions légales, vous entrez en fonction dans sept jours.
- Le truc, c’est que
j’avais pas spécialement demandé, moi…
- Ah mais personne
ne demande rien Monsieur. C’est le principe. Ca peut tomber sur n’importe qui.
- Et si je
refuse ?
- Disons que vous
garderez le titre et la fonction, et que vous laisserez faire l’Assemblée. C’est
arrivé, une fois. Un candidat avait décidé de ne rien faire. Ca n’a pas duré
bien longtemps… Vous verrez, ce sera pareil pour vous. Au début tout le monde
hésite, et puis ça vient très vite…
- C’est que ça fout
un peu la trouille quand même…
- C’est que je sais
pas faire du tout, hein, faut pas croire…
- Oh rassurez-vous,
les autres ne savaient pas faire non plus, vous savez. Même avant, quand on
votait encore, la plupart des candidats n’avaient pas vraiment d’idée précise
sur exactement quoi faire, dans les premiers temps… A part peut-être ceux à qui
c’était déjà arrivé.
- Pourquoi, on
pouvait être président deux fois ?
- Oui, c’était
possible. Et puis ça durait bien plus longtemps. Cinq ans !
- Cinq ans ! Déjà
deux, ça paraît énorme…
- Oh, les choses
vont plutôt vite parait-il.
- Et si je fais
n’importe quoi ? Je veux dire, si je foire complètement ?...
- C’est possible.
Mais il y a quand même une grande quantité de conseillers à votre disposition
pour vous aider ; après, rien ne vous oblige à les écouter.
- En gros, je fais
ce que je veux, quoi…
- C’est à peu près
ça. En substance, il faut rendre des comptes quand-même : il y a certaines
choses que vous ne pouvez pas totalement faire à votre seule idée...
- Comme quoi ?
- Les codes de
déclenchement nucléaires ; certaines lois.
- Ah, oui, je vois…
Et le reste ?
- Quel reste ?
- Ben je sais pas,
l’avion privé, le palais, les grands chefs pour les repas, les bagnoles de
luxe, tout ça…
- Les fastes de la
présidence ne sont plus exactement ce qu’ils étaient, Monsieur. Ceci étant, la
fonction autorise encore de nombreux avantages, c’est un fait.
- Et il faudra que
je rencontre d’autres présidents ? Je veux dire, des vrais ?
- Mais vous serez
vous-même un vrai président, Monsieur…
- Oui, d’accord,
mais bon, les autres, ceux qui ont été élus, faudra que je leur parle ?
- Il arrive que des
mandats entiers se déroulent sans grandes rencontres ; mais la plupart du
temps, il y a au moins un ou deux sommets par an, sans compter les visites
officielles, ou les réceptions.
- Merde… Je vais
passer pour un sacré con…
- Encore une
fois, ne vous inquiétez pas
Monsieur ; des conseillers vous assistent en permanence.
- Ouais, mais les
mots, tout ça… Il doit falloir faire gaffe à ce qu’on dit, éviter les gros
mots, les jurons, les fautes de français… Moi, j’en dis plein, des gros mots…
- Il faut
certainement imaginer qu’entre eux, dans l’intimité, les présidents restent des
hommes… Le protocole n’est pas un état permanent.
- Tiens, vous
voyez ?
- Pardon ?
- Cette phrase que
vous venez de dire : je n’ai rien compris ! Non, je ne suis vraiment
pas fait pour ça, croyez moi. Vous feriez mieux de trouver quelqu’un d’autre.
Je suis sûr qu’il y a pleins de types qui seraient ravis d’avoir le job, y’aura
pas besoin de chercher longtemps…
- Impossible,
Monsieur. Le principe de l’élection par tirage au sort implique de facto la
prise de pouvoir par le seul citoyen désigné. C’est comme ça. Encore une fois,
rien ne vous oblige à vous prêter à l’exercice du pouvoir : vous pouvez
parfaitement n’endosser qu’un rôle de façade. D’autres gouverneront pour vous.
Mais vous serez quand même président.
- Et si je
m’enfuis ?
- Comment ça ?
- Et bien, si je
pars, si je disparais ?
- Et bien, vous
serez un président en exil ; le pays dans lequel vous élirez domicile vous
considèrera lui-même en tant que président. Vous pourrez difficilement échapper
à votre statut…
- Pas si j’y vais
incognito.
- Incognito ?
- Ben oui, sous un
faux nom, un truc comme ça…
- Vous voulez dire
avec de faux papiers ?
- Heu…
- Cela ferait de
vous un criminel. Et un déserteur. Les gens n’aiment pas ça…
- …
- Et où Monsieur
compterait-il se rendre, de toute façon ? Enfin, si je peux me permettre…
- Je sais pas moi…
J’y ai pas encore vraiment pensé… Tout ça, c’était pas vraiment prévu si vous
voyez ce que je veux dire...
- Je conseille à
Monsieur l’Australie. C’est là que la plupart des candidats partent à l’annonce
du tirage de leur nom. Et nous avons d’excellentes relations diplomatiques avec
le gouvernement australien.
- Ah bon ?...
Les autres aussi, ils foutent le camp ?
- La plupart, oui.
- Et après, ils
reviennent ?
- Comme je vous le
dis.
- Pourquoi ?
- Ca dépend. Mais il
est un fait que c’est souvent à cause de leur femme. Ca prend plus ou moins de
temps, mais ça finit toujours par les agacer de la voir parler à la télé,
rencontrer d’autres chefs d’Etat, siéger à l’Assemblée…
- Comment ça ?
Ma femme va être obligée de faire tout ça ?
- Obligée, non. Mais
la plupart du temps, quand les candidats désertent, l’Assemblée se retourne
vers les épouses. Celles-ci, à l’inverse, se montrent généralement très
motivées…
- Le pays gouverné
par ma femme ? C’est une blague !
- C’est une
possibilité à ne pas négliger en cas d’exil, Monsieur…
- Bon sang… Oh et
puis merde, si ils partent du principe que ma femme peut faire le truc, alors
ça doit vraiment pas être si compliqué que ça à faire, pas vrai ?
- Je ne saurai me
prononcer sur cette question, Monsieur…
- Ma femme… Non mais
je rêve… Pourquoi pas mon épicier aussi, tant qu’on y est…
- Votre épicier est
tout aussi susceptible que vous d’être tiré au sort, Monsieur, je vous le
rappelle… C’est le principe.
- Et bien bonjour le
tableau ! Tu m’étonnes qu’on soit gouvernés par des cons !
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