lundi 29 avril 2019

Le long ennui des assassins attendant d'être pris (épisode 1)

      
Ce dernier coup était inutile, la lame s’est enfoncée sans générer la moindre réaction mais elle frappa encore deux fois au même endroit, avec un peu moins de conviction peut-être. Le cœur n’y était plus. Elle dérapa en se relevant, manquant s’étaler dans la flaque qui gagnait du terrain.
- On aurait bien besoin d’une fille comme toi, à l’Agence.
L’idée de dizaines de types comme lui à l’intérieur du bâtiment de briques de l’autre côté de la route lui parut maussade. Elle avait envie de se laver les mains mais le lavabo étant situé dans l’autre pièce, elle s’essuya vaguement sur le devant de son t-shirt.
- Tu vas l’emmener où ? Elle n’était pas sûre d’être intéressée par la réponse. Le soleil entrait à grands flots à travers la vitre, tout étincelait, plus ou moins.
- Rebecca ?  L’autre dut insister avant qu’elle ne réponde. Prudente, okay. Elle sortirait de chez elle si ça lui disait de toute façon, de quoi se mêlait-il après tout. Elle ne ressemblait plus à grand-chose maintenant, une sorte de corps un peu gros avec des vêtements dessus d’où coulaient des liquides. L’élastique de son slip sortait au-dessus de la couture du jean, un truc en dentelles jaune un peu dégueulasse. L’envie de fumer devint presque douloureuse. Ces patches n’y changeaient absolument rien. Finalement, ce fut le besoin de prendre l’air qui l’emporta. En bas, des types se disputaient à cause d’une voiture en double file. Quel besoin les gens ont-ils de parler si fort, tu peux me dire ? Elle gardait les mains croisées sur le ventre pour cacher la tâche sur le t-shirt, ces vestes qu’ils faisaient maintenant étaient jolies mais va savoir pourquoi, la mode était à l’absence de fermeture sur le devant, ni boutons ni fermeture-éclair. Le vent trimballait des effluves d’essence brûlée mais après avoir quitté l’ascenseur, c’était agréable quand-même. Le type marchait sacrément loin mais l’odeur de sa cigarette lui taquina les narines comme s’il était juste à côté. Elle marchait vite, il avait du mal à suivre. Ralentis un peu bon sang. Pourquoi est-ce qu’elle ralentirait, autant mettre le plus de distance possible maintenant que c’était fait, quelqu’un allait bien finir par la trouver et elle avait dû laisser des empreintes partout, elle ne s’était pas vraiment soucié de ça et c’était certainement la faim qui lui donnait si mal au cœur, elle n’avait rien avalé depuis, depuis quand au fait. Elle se fit immédiatement des œufs sans se soucier de l’autre qui déambulait comme un agent immobilier entre les pièces, ou plutôt un flic. Des gouttes d’huiles commencèrent à gicler qu’elle essaya d’éponger au fur et à mesure avec une feuille de papier absorbant. Quand ce fut cuit, elle n’en avait plus envie.
- Tu les manges pas ?
En soutien-gorge, elle se mit en quête d’un paquet de cigarettes qu’elle aurait pu oublier même si depuis qu’ils l’avaient obligée à arrêter, elle avait déjà retourné l’appartement une bonne centaine de fois. Il la reluqua en avalant les œufs à même la poêle, un bout de fesse enfoncé dans le canapé. Je vais prendre une douche. Tu veux que je vienne te frotter le dos. Va te faire foutre. A son retour, il était parti en laissant la poêle sur la table basse, la cuillère en bois à l’intérieur. Pauvre con. La clope, c’était sympa quand même.  Elle la fuma la serviette enroulée autour de la tête, nue comme un ver, après avoir allumé la radio. Le goût l’écœura. Elle s’acharna sur le mégot qui refusait de s’éteindre, une chemise récupérée sur le haut du panier à linge à moitié enfilée. Elle sonna vers neuf heures, neuf heures et quart. Elles le firent sans vraiment d’envie, sur le lit encore défait. Je vais avoir mes règles s’excusa-t-elle. Ils me font chier comme pas possible, au boulot. Ses seins penchaient de chaque côté de son torse, allongée comme elle était. Elle aurait aimé en avoir de pareils. Un peu moins gros peut-être. Quoi que. Boire un verre ne lui disait pas grand-chose mais l’idée de rester devant la télé lui flanquait le cafard. Un rayon de soleil bas accrochait encore les palmiers décharnés sensés donner un air de riviera au boulevard deux fois trois voies qui longeait le littoral, sur lequel un flot de voitures s’entassait. A travers ses lunettes de soleil elle détaillait les visages crispés, répondant par à-coups à son babillage en enchaînant les gorgées de bière.
- T’as pas une clope ?   
- Tu te fous pas mal de ce que je te raconte, hein.
- Mais non. Mais non.
Elle tapota sur le revêtement en faux marbre sur lequel une vieille auréole avait laissé un rond presque parfait et repéra une tâche de sang séché sur l’ongle de son pouce. On y va ?
Elle prit par le bord de mer comme si elle avait lu dans ses pensées et roula longtemps, jusqu’à ce que la nuit tombe presque. Tout aurait pu s’arrêter comme ça, le temps, les gens, les vagues, cette route sans fin étirée à l’infini, le moteur vibrant entre ses jambes et son corps la protégeant du vent. Lorsqu’elle descendit elle chancela un peu. Tu veux monter un moment ? Elle refusa. L’air froid du soir s’empara vite de la chambre mais elle laissa la fenêtre ouverte et passa dans le salon. Elle nettoya la poêle, essuya l’eau qui avait coulé sur le couvercle de la poubelle avec le torchon élimé qui pendait au crochet depuis près de trois semaines et se déshabilla. Quand elle rouvrit la porte de la chambre, la température était polaire.   

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