jeudi 16 septembre 2010

Le trône de Dieu (épisode 1)


Si le petit Nicholas Edward Cave passe son enfance dans l’Australie rurale des années 60, c’est dans un environnement littéraire : en plus des bestiaux, de la poussière et des culottes courtes, son père prof d'anglais et sa mère bibliothécaire, tous deux anglicans, font régner dans la maison une éducation religieuse imposante. Enrôlé dans le chœur de garçons de la cathédrale de sa bourgade, Nicholas développe donc assez rapidement des penchants contestataires qui ne vont pas tarder à circonscrire sa treizième année aux dortoirs d’une pension de Melbourne (la ville, enfin!), avant que ses parents et frères ne déménagent eux-mêmes jusqu’en banlieue et qu’il puisse rejoindre le foyer familial le soir pour y jouer du piano, la chorale de son école le comptant toujours dans ses rangs.

A 15 ans, "Nick" (on a en désormais fini avec le petit Nicholas) est inscrit au lycée, comme un certain Michael John Harvey, un certain Tracy Pew et un certain Phill Calvert. Les quatre joyeux drilles, après les présentations d’usage, se décident à jouer du rock le dimanche, sous le nom particulièrement approprié de « The Boys Next Door ». Ils sont rapidement rejoints par Rowland Stuart Howard, le gars du lycée qui sait incontestablement bien jouer de la guitare. A eux cinq, ils enchaînent les répétitions, les bières australiennes et les joints de cette herbe qui fait un malheur chez les aborigènes, et au final, au bout de quelques années et parce qu'ils ont fini par durcir le ton, ils deviennent le groupe le plus cool du lycée.

A la fin du lycée, au lieu de partir en fac pour assouvir un penchant avéré pour la littérature romantique, Nick entame des études de peinture qu’il ne suit quasiment pas : faut dire que les "Boys Next Door" jouissent maintenant du statut de "tête de proue post-punk" locale. Grâce à ça, ils se balladent dans toute l'Australie, et ça marche plutôt bien pour eux. Alors nos cinq compères, qui arborent maintenant des looks de revenants ambivalents, prennent une grande décision : changer de nom, et gagner l’Europe. On est en 1980, et « The Birthday Party » s’envole donc vers Londres, puis gagne Berlin-Ouest, la Mecque d’un nouveau rock expressionniste arty et violent.

La petite amie de Nick, Anita, les a suivis et bien lui en a pris : le groupe y devient rapidement célèbre, cumulant à la fougue rudoyante de concerts très noisy le charme chamanique et underground de cette Australie lointaine où ils consolident parallèlement une aura grandissante.

En 4 ans, la notoriété du groupe se transforme d'ailleurs en véritable culte.
4 ans, c’est aussi le temps qu’il faut au groupe pour asseoir une consciencieuse consommation de drogues en tous genres assortie à de grandes lampées d’alcools tout aussi divers. Ce régime a tout d’abord raison de Tracy, qui ne repart pas d’une tournée australienne pour entamer dès 1982 une tournée plus personnelle, celle des camps de travails et des établissements pénitentiaires. Le bassiste des Moodists le remplace pour les autres dates australiennes, quant aux tournées londoniennes, c’est parfois le propre frère de Rowland, Howard, qui s’y colle.
Entre Nick et Rowland, ça ne va d’ailleurs plus du tout, au point que le groupe éclate en 1984, non sans avoir ouvert une brèche à une kyrielle de courants post-punks comme le psychobilly, le deathrock ou encore le rock gothique.

Nick forme alors avec Mick « Nick Cave and the Bad Seeds » : libéré de sa pesante identité australienne, le groupe, totalement transfiguré par l'atmosphère berlinoise des 80's, se compose alors de Christian Emmerich, plus connu sous son pseudonyme Blixa Bargeld avec lequel il mène l’expérience industriello-anarchiste berlinoise «Einstürzende Neubauten», Barry Adamson, transfuge de « Magazine », combo post-punk ayant abrité M. Devoto des Buzzcoks et M. McGeoch qui officiera successivement dans les "Banshees" de Siouxsie puis dans le "Public Image Ltd" de John Lydon, et pour finir, d’un autre expatrié du pays des Kangourous, Hugo Race. Anita, toujours là malgré les dérives alcoolisées et hallucinées de Nick, y tient non seulement la basse mais écrit quelques titres.
Un premier album sort l’année même de la séparation du Birthday Party, en 84. Dans « from Her To Eternity», le nouveau ton est immédiatement donné : outre le clin d’œil du titre qui fait directement référence à « Tant qu’il y aura des hommes », (chef d’œuvre cinématographique de noirceur qui transfigure Frank Sinatra aux côté de Burt Lancaster et de Montgomery Clift au coeur des turpitudes d'une garnison de GI’s coincés à Peal Harbor à quelques jours de l’attaque japonaise), on y trouve un savant agencement de noirceurs faites de revisitations de Leonard Cohen, d’Elvis Presley, et de chants traditionnels.

Nick s’installe définitivement à Berlin qu’il affectionne, après s’être séparé d'avec Anita. Il y entame l’écriture d’un premier roman lui-même très sombre sur fond de thèmes bibliques, "And the Ass Saw the Angel".

De 1985 à 1988, les Bads Seeds enregistrent 4 albums : « The First Born is Dead », en 1985, est une plongée dans le blues sudiste américain, dans lequel les australiens se reconnaissent. Le groupe, réduit à 4 depuis le départ d’Hugo et d’Anita, explore, autour de l’évocation quasi-permanente d’Elvis Presley, le répertoire de John Lee Hooker comme celui de Johnny Cash, sans se départir de références systématiques à l’univers biblique si cher à Nick.
« Kicking Against the Pricks » et “Your Funeral... My Trial » sortent tous deux en 1986 : le premier, dont le titre fait une fois de plus référence à un extrait de l’Acte des Apôtres, est un album de reprises qui revisite aussi bien Roy Orbison que le Velvet Underground ; Thomas Wydler y intègre les Bad Seeds à la batterie. Le second, qui sort tout d’abord sous la forme de deux 45 tours « longue version », est particulièrement sombre, probablement empreint de l’impressionnante consommation d’héroïne de Nick. Le côté mystique du groupe y atteint un sommet, qui lui vaut probablement sa participation aux« Ailes du Désir » de Wim Wenders qui sort sur les écrans l’année suivante.
« Tender Prey », qui sort en 1988, est souvent considéré comme le chef-d’œuvre du groupe : Mercy Seat occupera désormais une place systématique dans les concerts de Nick Cave, devenant une sorte d'hymne désespéré et mystique pour une génération écoeurée par le règne massif du consumérisme. Cette même année, Leonard Cohen sort « I’m Your Man », My Bloody Valentine « Isn’t Anything », Jane’s Addiction « Nothing’s Shocking » et Sonic Youth, “Draydream Nation”.

Quelque part vers la Barbade, d’heureux parents accueillent une petite Rihanna.

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