"Avoir un bon copain..."

- T’as des amis, toi ?

- Bof.

- Moi j’en ai eu. J’en ai même eu pas mal. En y réfléchissant, avant ces derniers temps y’a pas eu une période de ma vie où je n’ai pas eu d’amis, mais j’ai toujours foiré. Tu vois le truc ? J’ai toujours tout foiré.

- Des amies… tu veux dire des filles ?

- Non non. Je parle d’Amis là, d’amis-i, des gars, des potes, appelle ça comme tu veux… un ami quoi.

- Ha. Bon.

- Quoi ?

- Rien.

- Ben si, j’vois bien.

- C’est que t’es bizarre, comme type.

- De quoi ? Attends… Tu crois que c’est ça, que c’est à cause de ça, que je suis… bizarre ?

- Mais non… mais je suis là, on est là tous les deux, on discute et toi, tu me balances ça genre « j’ai pas d’amis », et moi ben, tout à coup, je me sens un peu comme un con tu vois ?

- Mais oui, mais non, je voulais dire, on parle juste d’avoir des amis tu vois ?

- Ben oui, je vois pas mal, en fait.

- Nan, tu vois pas. Je vois bien qu’tu vois pas.

- Ben, en même temps, deux types qui se parlent là, en plein après-midi, ils sont là ensemble, ils squattent quelque part, ils se parlent, et ils font ça plutôt souvent, même carrément tout le temps, on peut partir du principe qu’ils sont plutôt amis, non ?

- Mais oui, mais…

- Oui ou non ?

- Si, si si, bien sûr…

- Bon et donc toi, tu me lâches là, comme ça, que t’as pas d’amis. Et dis moi : moi, dans ta conversation à la mords-moi le nœud, je suis quoi alors, hein ? Une sorte de parloir, je veux dire, comment t’appelles ça déjà, le truc des curés d’avant ?...

- Un confessionnal ?

- Voilà, un confessionnal : j’suis pas ton confessionnal mec. Genre, tu déblatères des histoires toutes nazes et moi j’t’écoute, tu vois le truc ? Tu trouves pas ça bizarre, je veux dire, tu trouves pas que y’a de quoi serrer un peu, du genre t’es pas un peu en train de me chier à la gueule ?

- Un confessionnal, c’est vraiment pas la comparaison qui me viendrait à l’idée quand on te connaît… C’est même la comparaison la plus bizarre que j’ai entendue à propos de qui que ce soit d’ailleurs…

- Hey, joue pas à la pervenche avec moi, t’as bien compris ce que je voulais dire, le coup du confessionnal c’est peut-être pas la meilleure image mais excuse moi, on est là peinards, on discute, et toi d’un coup tu me sors ton truc comme quoi t’as pas d’amis je-sais-pas-quoi et moi, je me suis vu soudain comme une sorte de curé à la con en train d’écouter tous ces pauvres tarés et tous ces vieux qui vont mourir lui raconter je-ne-sais-quoi de dégueulasse, et lui, genre il est obligé d’écouter, il a beau vouloir leur dire d’aller se faire foutre ou d’aller rôtir en enfer, ou je sais pas moi, que leur vie à la con ça le fait vraiment gerber, ben il peut pas parce qu’il est curé, tu vois? Il peut pas faire autrement que d’écouter toutes ces conneries et de rester cool et de répéter ses trucs de curé à la con. Voilà ce que je voulais dire. Mec.

- Mais t’es pas curé. Et en même temps, je suis pas en train de me confesser mec, tu déconnes.

- Ha ouais, c’est moi qui déconne ? Tu me sors genre à moi que t’as pas d’amis et c’est moi qui déconne ?

- Mais merde, si c’est pas à toi que je dis que j’ai pas d’amis, à qui d’autre je vais le dire, hein, tu m’expliques ? On traîne tous les jours ensemble, tu connais ma meuf, je connais ta meuf, tu dors chez moi, je dors chez toi, je peux bien te dire un truc perso, non ?

- T’es en train de me dire que genre, je suis ton ami à qui tu peux dire que tu flippes de pas avoir d’ami, un truc comme ça ?

- Ouais… Un truc comme ça.

- Mouais.

- Quoi ?

- Rien. Moi non plus de toute façon, j’ai pas d’amis.

- Ha, tu vois ? Y’a rien de compliqué de dire à un pote qu’on flippe de pas avoir d’amis. Un pote, c’est même fait pour ça. Je voulais juste dire à mon pote que je dois merder quelque part, que les mecs, à chaque fois, les amis que j’ai eu, ben, je les ai plus : ils sont passés à autre chose, ils bougent sans moi maintenant. Y’a des mecs, des mecs que je connais, ils zonent avec les mêmes mecs pendant des années, des fois toute la vie. Je me disais juste que ça avait l’air chouette, c’est tout. Je me demandais juste si j’étais pas devenu une sorte de pauvre type, c’est tout.

- Mouais.

- Quoi, « Mouais »… ?
- C’est un truc de film, tes conneries. C’est comme les femmes, genre on s’aime toute la vie et tout ça, et puis après elles te prennent la tête, de vrais démons, tu pètes les plombs et puis ça merde. C’est comme ça, c’es tout.

- Putain, on peut pas dire que tu m’aides des masses là…

- Bah, la vie, c’est comme ça mec. Faut se serrer les coudes entre potes, voilà tout.

- C’est sûr.

- Voilà.

- Mais putain, des fois, c’est flippant d’être comme ça, de même pas avoir d’amis, tu trouves pas ?

- Si.

- Voilà. C’est flippant.

- Ouais.

- Quoi « ouais » ?...