La demie de dix heures venait de sonner, alors il sortit le six-coups Smith & Wesson de l’étui dans lequel il le tenait rangé le reste du temps et entreprit de remplir lentement une après l’autre les alvéoles parfaitement huilées du barillet au moyen de cartouches brunes et oblongues qu’il trouva soigneusement alignées les unes à côté des autres dans le petit fourreau cartonné jouxtant l’étui principal ; lorsqu’il eut réenclenché le barillet dans le corps de l’arme, sans se presser il arma le chien en direction de la foultitude bruyante assise en désordre dans le dénivelé de la colline d’ordinaire si calme, un peu plus haut. Il cala son coude sur le cadre de la fenêtre, balaya du bout du canon l’horizon bleuté sur lequel la nuit tombait sans plus de retenue puis se contenta d’aligner une tête au hasard dans la mire (probablement un homme, qui portait une sorte de chapeau, un bob peut-être) et dès lors, respirant avec le flegme d’un touriste, attendit la première salve. Quand une première auréole verte scintillante explosa dans le ciel avec un fracas de tonnerre, il pressa sur la détente. Loin devant, la tête disparût. Ensuite, il ne s’appliqua plus autant, se contentant d’actionner la gâchette à chaque fois qu’une nouvelle explosion lumineuse venait emplir le ciel de sa forme majestueusement ridicule, et répéta le même geste ainsi jusqu’à ce que le chargeur soit vide. Dans la pénombre, quelques deux cent mètres plus loin, des ombres s’agitaient désormais d’une façon qui contrastait avec les reste de la foule noyée dans un fracas de détonations festives tandis qu’il s’efforçait de détacher des silhouettes de cette frénésie à peine perceptible au travers des capricieux éclats lumineux qui trouaient le soir par intermittences. Ce n’est que lorsque le son d’une sirène stridente se fraya un chemin dans la nuit tombée jusqu’à la fenêtre qu’il se recula d’un pas, pour se mettre à l’abri de l’ombre qui avait envahi sa cuisine, l’arme toujours à la main.
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