- Ben oui, ça m’arrive. Comme tout le monde.
- Bon sang qu’est-ce que c’est fatiguant !
- Fatiguant ?
- Ah ouais, quand t’as fini, t’es claqué ! Et si tu y réfléchis bien, personne le dit. On le dit pas assez, en fait.
- Que faire le ménage, c’est fatiguant ?
- Ouais !
- En même temps, tout le monde le sait, non ?
- Ben tout ceux qui font le ménage, oui. Mais les autres ?
- Ceux qui font jamais le ménage ?
- Ouais. Eux, ils croient que c’est rien, que tu fais ton petit truc et puis voilà…
- Ben, en même temps, si ils le font jamais, ils s’en foutent de savoir que c’est fatiguant.
- Ben non, justement !
- Au contraire mec, déjà qu’ils le font pas, si en plus tu leur dit que tu finis sur les rotules, tu penses un peu qu’ils vont s’y mettre !
- Ouais, mais comme ça, ils comprendraient à quel point c’est fatiguant, et ils compatiraient.
- Ils compatiraient ?
- Exactement.
- Et qu’est-ce que ça peut te foutre que les mecs qui font pas le ménage compatissent avec toi quand toi tu le fais ?
- Ben, je trouverai ça bien. J’aurais l’impression qu’ils reconnaîtraient que c’est un truc pas marrant, qui demande des efforts. Voire même un certain courage, j’ai pas peur de le dire.
- En même temps, quand tu fais le ménage chez toi, c’est juste pour vivre dans un endroit propre. Je veux dire, c’est pour toi que tu le fais, quoi. Personne t’oblige, si ? Si tu veux vivre dans la merde, la poussière, les poubelles et tout le tralala, rien t’en empêche…
- Ouais, il paraît qu’il y en a, des comme ça. Des types qui s’en foutent, qui restent au milieu d’un capharnaüm pourri sans que ça leur fasse ni chaud ni froid. Même des filles, mec. Ouais. Il paraît qu’il y a des filles qui s’en tapent du ménage. Non mais tu le crois toi ça ? Des filles à qui ça pose pas de problème de laisser de la vaisselle sale dans l’évier, des pots de yaourt vides sur les tables de chevet, des cendriers pleins sur le bord de la fenêtre, et des vieux rouleaux de papier-cul dans les toilettes…
- J’ai une théorie là-dessus…
- Ha ouais ? Sur les porcs qui restent dans leur crasse ?
- Ouais. Enfin, non. Pas sur ceux-là, sur les autres. Sur les comme nous quoi, ceux qui nettoient. Y’a plusieurs façons de faire le ménage, mais on peut les regrouper entre elles, comme des sortes de catégories, tu vois ? Au début, quand moi je m’y suis mis, j’ai commencé …
- Au début de quoi ?
- Ben, quand je me suis mis à faire le ménage …
- Pourquoi, avant tu le faisais pas ?
- Non.
- Tu vivais dans ta merde ???
- Mais non corniaud, moi je le faisais pas, mais c’était ma mère ou ma femme qui le faisait, une femme de ménage, enfin, quelqu’un quoi. Tu m’as pris pour un crasseux ou quoi ?
- Et qu’est-ce qui a fait que tu t’y es mis ? Je veux dire, si toutes ces femmes dont tu parles le faisait déjà, pourquoi tu t’y es mis ? T’avais pas compris que c’était chiant ?
- Si, si, ça j’avais vu…
- Non parce que c’est ça que moi, je voulais te dire tu vois, en fait je suis sûr que tu savais pas vraiment à quel point c’était fatiguant de faire le ménage, sinon, tu t’y serai pas mis, logique… Personne te l’avait dit. Tu croyais, comme les crasseux, que c’était un truc à la con, chiant, mais pas fatiguant quoi…
- Non, c’est pas ça. On va dire qu’au bout d’un moment, t’as plus vraiment le choix…
- C’est ta femme, c’est ça ? Elle t’a obligé…
- En quelque sorte… Mais bon, c’est pas la question ; ce que je veux dire c’est que chacun a sa propre façon de faire le ménage : donc j’ai commencé par croire que c’était pour cette raison que ça foutait toujours la merde, dans la mesure où pour l’autre, ton ménage à toi est jamais fait correctement, et pareil pour toi quand ça en est d’autres qui s’y collent chez toi.
- Ha ouais ? Ta femme, non seulement elle t’a obligé à faire le ménage, mais en plus elle t’as dis que tu le faisais comme de la merde, c’est ça ?
- Mais non, enfin si, mais moi aussi en fait, bref, à force d’y réfléchir… Tiens, t’as remarqué que tu réfléchis à plein de trucs pendant que tu fais le ménage ?
- Ha bon ? Non… Mois je réfléchis à rien quand je fais le ménage... Je fais le ménage, point barre. Je trouve ça chiant, et fatiguant, mais c’est tout.
- Ha bon… Moi ça me fait vachement réfléchir, le ménage. C’est drôle, tu vois. En fait, j’en suis arrivé à cette conclusion qu’il n’y a que quatre ou cinq grandes catégories de faiseurs de ménage.
- Tu m’étonnes que le tien soit mal fait…
- De quoi ?
- Je dis, si tu réfléchis à ce genre de conneries pendant que tu passes l’aspirateur, ça m’étonne pas que tu le fasses de travers. Faut rester concentré quand tu frottes, sinon, tu fais du sale boulot !
- Hey mec, je pense pouvoir passer l’aspirateur correctement et réfléchir en même temps à autre chose sans saloper le travail, tu vois… Mais sinon, par exemple, si tu regardes bien, y’a beaucoup de femmes qui ont besoin de taper dans des trucs quand elles font le ménage, tu vois, elles balancent l’embout de l’aspirateur contre les bas de porte, elles frappent avec le balais contre le bas des plinthes, elles bousculent les meubles, tout plein de bruit ; je trouve ça super chiant, ça. Moi, par exemple, pour éviter ça, je fais partie de ceux qui relèvent tout en l’air : je prends tous les trucs qui sont par terre et qui peuvent être relevés, et je les mets en hauteur sur d’autres trucs, une table, un bord de fenêtre… Comme ça quand je me lance, y’a plus rien qui me gêne, tu vois le truc ?
- Mouais… Moi je dis que soit t’es concentré à ce que tu fais, soit le résultat sera pas terrible, n’importe comment que tu t’y prennes. Tu m’enlèveras pas cette idée…
- Ben voilà !
- Voilà quoi ?
- Tu viens de me dire à quelle catégorie de faiseurs de ménage tu appartiens !
- De quoi ?
- Ouais. Tu es un obsessionnel.
- Un obsessionnel, moi ? Non mais tu te fous de ma gueule ? Et toi, t’es pas un peu obsessionnel de ton cul aussi, non ?
- Mais mec, écoute : tu viens de dire que pour faire le ménage comme il faut, de ton point de vue, il faut rester suffisamment concentré dessus : genre, tu réfléchis aux coins que tu risques d’oublier, tu calcules le sens de passage du balais ou de la tête de l’aspirateur, tu soulèves plutôt tel truc que tel autre, tu guettes l’endroit improbable où personne n’a envie d’aller puis toi, tu y vas, genre derrière un meuble, bref, t’arrives à être satisfait de la technique et de l’adresse avec lesquelles tu fais le ménage, tu crées une sorte de méthode. Je suis sûr que t’en es même fier, de ta méthode, tel que je te connais.
- Ouais… Plus ou moins. Mais bon, ça veut tien dire ton truc : ça, c’est juste faire le ménage. Sinon, ça s’appelle je-sais-pas-comment, de l’esbroufe, du propre sur du sale, mais c’est pas vraiment faire le ménage.
- Et bien tu vois, là où c’est curieux, c’est que chaque catégorie de faiseur de ménage est intimement convaincue que sa méthode de ménage est la seule valable pour obtenir un résultat digne de ce nom : c’est de là que vient cette impression que le ménage, fait par un autre – et en l’occurrence, un membre d’une autre catégorie de faiseurs de ménage, qui applique une autre méthode - est mal fait. Tu piges ?
- Mouais… Moi, je trouve qu’il y a que deux catégories si on joue à ton petit jeu : ceux qui font le ménage correctement, où c’est propre, et les tire-au-flanc qui font vaguement semblant de passer un ballet puis de mouiller par terre avec du sent-bon, et qui font de la merde. Et voilà tout.
- Correctement, ça veut dire comme toi.
- Quoi ..?
- Je dis, quand tu dis que y’a que deux catégories, ceux qui font de la merde et ceux qui font le ménage correctement : correctement, ça veut dire comme toi !
- Ben ouais mec, le ménage, moi, je le fais correctement, tu peux y aller ! Putain, mais t’es vraiment lourd en même temps, t’as pas autre chose à foutre que de te croquer la cervelle à penser à ce genre de trucs, tes catégories de je-sais-pas-quoi, là ?
- Ben, quand je fais le ménage, en fait, j’ai que ça à foutre…
- Hé ben, il doit pas être terrible-terrible, ton ménage…
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