Il
est rare que je me contente, dans les post de La Petite M, de reprendre pour
presque totalité les termes d’un article que je me suis trouvé à parcourir. C’est
pourtant ce que je vais faire ici, parce que ce faisant, je respecte malgré
tout un des fondamentaux de ce blog : donner envie, partager des émotions
et des enthousiasmes.
Je
n’ai pas encore lu l’ouvrage de Pierre Zaoui, que j’avoue humblement ne pas
connaître.
Mais
les mots qu’utilise Aliette Armel dans sa chronique du Nouvel Obs pour
encourager à partir à la découverte du –probablement - ardu « La Discrétion,
où l’Art de disparaître » ont trouvé un tel écho en moi-même que je trouvais
soudainement prétentieux et un peu ridicule de vouloir prolonger cette mise en
abîme littéraire ayant consisté à écrire sur quelqu’un qui a écrit, par une
troisième écriture que je me retrouverais à produire sur « celle qui a
écrit sur celui qui a écrit ».
Et puis, je ne vois aucune raison valable
de ne pas les retranscrire dans leur pleine saveur et ainsi, éviter de les
dénaturer, de les enlaidir ou de les tronquer par une sous- lecture personnelle.
Voilà
donc comment Aliette Armel vient de réussir à me faire promettre d’aller
acheter « La Discrétion, où l’Art de disparaître » de Pierre Zaoui,
et voici donc que j’espère amener tous les « discrets » qui liraient
mes propres lignes à la même conclusion.
Aliette
nous informe en introduction que « la quatrième de couverture (de cet
essai) annonce le programme, à rebours des idées préconçues : « Se faire discret, c’est
créer, c’est donner, c’est aimer » », avant de commenter l’essai de
la façon suivante :
« Pierre Zaoui conçoit la discrétion moderne non comme une valeur morale ou de civilité (la politesse) ni comme une
manière de cacher sa timidité ou sa honte, mais comme une expérience de mise en
disponibilité « pour tout ce qui peut advenir de bon et de mauvais autour
de soi ». Il revendique comme une de ses références le regard porté sur ce
qu’on n’appelait pas encore les Peuples premiers par un des grands
interrogateurs des mythes fondateurs de l’humanité, Claude Lévi-Strauss : « On nous a
habitués dès l’enfance à craindre l’impureté du dehors, écrit Claude
Lévi-Strauss dans le troisième volume des Mythologiques, Quand ils proclament,
au contraire, que "l’enfer, c’est nous-même », les peuples sauvages
donnent une leçon de modestie qu’on voudrait croire que nous sommes encore
capables d’entendre. En ce siècle où l’homme s’acharne à détruire
d’innombrables formes vivantes, après tant de sociétés dont la richesse et la
diversité constituaient de temps immémorial le plus clair de son patrimoine,
jamais, sans doute, il n’a été plus nécessaire de dire, comme font les mythes,
qu’un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde
avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant
l’amour-propre ; et que même un séjour d‘un ou deux millions d’années sur cette
terre, puisque de toute façon il connaîtra un terme, ne saurait servir d’excuse
à une espèce quelconque, fût-ce la notre, pour se l’approprier comme une chose
et s’y conduire sans pudeur ni discrétion ».
Pierre Zaoui convoque aussi les philosophes grecs, les
penseurs juifs et chrétiens, Nietzsche et Pascal, l’expérience de Kafka ou
celle de Baudelaire. Sa démonstration est parfois virtuose, toujours
argumentée, tendue vers une vision de la discrétion comme une expérience
politique, fondamentalement démocratique, radicalement égale, source d’une joie
profonde et non de l’écrasement et de la culpabilité trop souvent prêtée aux
invisibles. La discrétion moderne, cette mise en retrait rendue possible par
l’anonymat de la foule dans les grandes villes, est une expérience volontaire
et provisoire. Pierre Zaoui se souvient du sens que les mathématiques donnent
au mot discret : il s’applique à un champ n'impliquant pas la continuité,
et cette discontinuité préserve de l’angoisse de la disparition. « La
discrétion ne rend heureux que de manière cyclique, écrit Pierre Zaoui, comme
suspens, point d’arrêt et de relance, vide fécond, contraction en attente d’une
nouvelle expansion, déprise en attente d’une nouvelle prise. »
Ce bonheur provisoire se révèle néanmoins profondément
subversif en revendiquant une utilité
sociale pour les invisibles. A distance du monde et des autres, ils sont
à même de contribuer à « la tâche philosophique d’aujourd’hui, sans
nostalgie et dans la seule attention à la vie actuelle : saisir moins ce
qui est en train de percer que ce qui est en train de disparaître »,
porter leur attention sur « la beauté à bas bruit, celle de la vie en
commun dans la ville moderne » et non « la beauté spectaculaire qui
prétend d’avance subjuguer le monde » : « une beauté nue,
anonyme et offerte à tous à condition de savoir la voir ».
(…) En effet, déclare Pierre Zaoui, « un tel art
ne peut être d’abord enseigné que par des artistes et des écrivains :
c’est une affaire de vision, et non de théorie ni d’ascèse. »
« On doit défendre ardemment,
conclut Pierre Zaoui, que les âmes
discrètes sont les fondations du monde : sans elles plus rien n’existe
sinon des miroirs vides. […] Le jour où de telles âmes disparaîtront
pour de bon, non plus cycliquement comme elles l’aiment, mais définitivement,
écrasées par un système monstrueux d’omnivisibilité, le jour donc où il n’y
aura plus que de la lumière et des chambres d’échos, et plus d’yeux en retrait
et plus d’oreilles impersonnelles à l’écoute, il est à parier qu’il n’y aura
plus personne du tout et plus de monde du tout ». »
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