jeudi 16 janvier 2014

D'anà, d'anà, vei lou pitchoun ques nat !

Quand j’étais petit, je ne ratais aucune Pastorale ; mon père nous emmenait la voir à la paroisse du Lacydon au sein de laquelle on l’avait envoyé passer toute une enfance sous la houlette d’un abbé à la carrure de lutteur antique dont les pieds monstrueux étaient chaussés de ces terribles sandales sacerdotales. Devant les portes d’une salle des fêtes délabrée mais de belle dimension, après m’avoir repéré dans la mêlée de l’incontournable partie de foot qui se jouait avant l’ouverture du rideau - et à laquelle il prenait part par brefs surgissements couronnés de formidables boulets tirés à bout de sandale-, l’abbé me donnait de très grandes tapes dans le dos en me fouillant de ses yeux vitreux déformés derrière des verres de lunettes incroyablement épais, comme pour y chercher un pêché qui n’était pas encore de mon âge, comme un vol de mobylette ou une session de crevage de pneus de voiture. Puis dès que le soir tombait, nous rentrions nous asseoir sur une même rangée de sièges à la feutrine bordeaux sale dans l’atmosphère bon enfant d’une salle bondée, et je me préparais à un grand moment : le spectacle, sorte d’opérette marseillaise brillamment costumée réunissant quelques ténors amateurs locaux, m’époustouflait : les yeux écarquillés, je vibrais sur mon siège à l’écoute de ces voix de stentor louant la période des fêtes dans un fracas de vocalises catéchèses, tremblais aux éclats des pétards qui rythmaient les apparitions d’un diable terriblement effrayant à la voix de basson, riais aux apparitions burlesques du Chichourlé et versais une larme enfantine lors de la procession finale qui saluait la naissance du petit Jésus. Je repartais le cœur gonflé de mélodies époumonées par les bergers et les Rois mages, la promesse d’une figurine géante de Goldorak ou d’une planche de skate noire striée aux roues orange planant au-dessus de ma tête comme une auréole. Cette année, soudainement assailli d’un relent mélancolique à la vue d’une affichette scotchée sur un réverbère, je me décidais donc à emmener à mon tour ma fille voir une Pastorale, tout ému à l’avance de retrouver la beauté dramatico-naïve du spectacle qui m’avait tant marqué dans ma prime jeunesse. Donnant le bras à ma femme, j’ai donc passé les portes de l’Eglise St François qui darde son clocher à deux pas de mes fenêtres le cœur léger, ayant promis à ma fille à la fois un spectacle d’une curiosité émouvante (« c’est comme la Crèche, mais en vrai »)et une occasion de pénétrer dans cette église si mystérieuse que l’on voyait s’emplir et se vider de « ceux qui croient en dieu, pas comme nous » chaque samedi. L’abbé qui attendait sur le parvis, frêle et osseux comme une vieille assiette de porcelaine jaunie qui se serait laissée pousser une barbe sale, nous scruta à la dérobée de façon vaguement réprobatoire mais cela n’entama pas ma bonne humeur. Hélas, le spectacle auquel nous assistâmes le cul martyrisé sur les deux planches arides d’un banc en bois y ressemblât dès les premières mesures à une veillée de colonie de vacances illustrée de costumes bricolés à l’aide de vieux draps, pantomimée sur un enregistrement play-back faisant résonner des dialogue ridicules et atones dans des haut-parleurs agonisants, tandis qu’un chœur, plutôt harmonieux au demeurant, mais situé en hauteur et dans notre dos, se contenta de ponctuer une succession morose et interminable de saynètes cacochymes interprétées par les fidèles de la paroisse avec la grâce de poteaux EDF de chants liturgiques bravement ennuyeux.

Le soir même, je me suis cassé un gros bout d’incisive sur un sujet en forme de Saint Joseph bien caché dans la frangipane tiède d’une galette des rois, tandis que ma fille résuma notre sortie par un laconique : « c’était nul à chier » lancé à l’adresse de ma belle-mère.

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