D’un côté, l’Oxfam –mais ça pourrait être n’importe quelle autre
Agence, organisme ou média : qui ose encore faire croire qu’il se soucie des
sources ? - fait tomber une nouvelle série de chiffres exposant une fois de
plus le chaos préprogrammé vers lequel nous fonçons en ordre de bataille :
82% des richesses du monde de 2016 n’auraient bénéficié qu’à 1% de la population,
tandis que la moitié la pus pauvre de la planète (3,7 milliards de gens) n’aurait
pas bénéficié du moindre dollar issu de cette manne.
De l’autre, la démultiplication des postulats « philosophico-sociologiques »
encourageant – ou constatant – les tendances à la décroissance ou au refus de
la compétition consumériste : du « Désobéir » de Frédéric Gros (qui
pointe le syndrome de « l’enfant sage » à travers ce qui serait un
désir inconscient de « sur-obéissance » pour faire rempart au vertige
existentiel, citant Thoreau, La Boétie et Epicure pour encourager à une
désobéissance sociale qui passerait par « l’amitié » et à « désobéir
par soi-même, pas à travers quelqu’un d’autre ») au carton Netflix du
documentaire « Less Is Now Tour » (deux prosélytes américains donnant
des conférences à travers leur pays pour prêcher le minimalisme), du « Project
333 » (un « challenge mode » invitant à ne s’habiller qu’avec 33
vêtements pendant 3 mois) aux articles de « Elle » intitulés « Fuck
Ambition ! », de la démultiplication des expressions kleenex
désignant le désintérêt pour le travail et la vie en général (partant du
vieillot « burn-out » pour transiter à travers le récent mais déjà
démodé « bore-out » pour en arriver au très chic « brown-out »
(le manque de motivation pour son travail)), de la démultiplication des
tendances à l’ultra-cocooning (au choix, exportées de l’Europe du Nord ou du Japon)
à la démultiplication des tendances à plaquer un job anciennement auréolé du
marqueur de la réussite pour revenir à l’authentique d’un « artisanat de
proximité » (aux produits ultra-scénarisés et aux tarifs prohibitifs), la
liste est interminable.
Au milieu, des hommes, des femmes et des enfants de 2018 coincés par un
monde tournant définitivement sans eux autour de guerres qu’ils ne comprennent
plus, d’hommes politiques dont ils ont agréé qu’il est dans la nature des
choses qu’ils soient méprisants, fraudeurs et opportunistes, d’inondations et
de tempêtes qu’ils ne comprennent plus, de religions qu’on leur réinvente plus
bêtement encore, de réfugiés qu’ils ne plaignent plus, d’injonctions contradictoires
qu’ils n’arrivent plus à suivre, d’idées qu’ils n’arrivent plus à avoir, d’objets
qui les surpassent dont on n’accepte pas qu’ils les maîtrisent, de plaisirs
dont ils ne trouvent pas le goût, et d’un déferlement ininterrompu d’une « culture »
parmi les plus crasses que la société humaine ait jamais connue.
Comme dans le glacial « When the waker sleeps »
de Richard Matheson (une des toutes premières Nouvelles de l’homme ayant
inspiré, en vrac, « L’homme qui rétrécit » de J. Arnold, « Je
suis une légende » de F. Lawrence, « Les seins de glace » de G.
Lautner, « The box » de R. Kelly, « Duel » de S. Spielberg
(etc, etc…) et dont le jeu de mots du titre prend jouissivement le contrepoint
du (pas terrible) roman de Wells), finirons-nous donc comme le faux Capitaine
Rackley : mous, épuisés, ensommeillés, réveillés une fois par mois pour effectuer
de stupides travaux manuels permettant de maintenir un monde mécanisé en état
de marche, subtilement drogués pour se vivre lors de ces missions minables en
héros méritoires, toujours gagnants, au caractère noble et à la séduction
évidente, alors même que nous serons en train d’accomplir des tâches désespérément
débilisantes pour le compte d’une poignée d’élites, atrophiés par l’inaction au
point qu’un mois de repos soit nécessaire à nos organismes pour se remettre entre
deux d’entre elles ?
Servons-nous encore collectivement à quelque chose
dans cette absurdité internationale que l’on ne prend déjà plus la peine de
nous travestir, dans cette macabre destruction de notre environnement que l’on
ne prend déjà plus la peine de nous dissimuler, dans ce cynique irrespect de ces
valeurs universelles que l’on croyait fondatrices, et que l’on ne prend déjà
plus la peine de se cacher pour les piétiner sans le moindre état d’âme?
Faire des « tendances » à partir d’une urgence déjà morte :
les drogues qu’on nous administre sont déjà subtiles, ciselées, terriblement
efficaces et diablement bien distillées, ingénieuses et flatteuses. Nous sommes
nos propres héros de pacotille, avec notre recyclage, nos légumes responsables,
la raréfaction de nos visites chez le boucher, nos séances de sport
hebdomadaires, notre peur-panique de la mort et l’allongement ridicule de notre durée de
vie que plus personne ne peut payer.
Je suis un graisseur de boulons qui se pense un tireur d’élite.
Et toi ?
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