lundi 5 février 2018

Coup de pied au Q.

La première nait blonde en 1989 en Pennsylvanie d’un père conseiller financier héritier de trois générations de présidents de banque et d’une directrice de marketing de fonds mutuels. Elle  passe son enfance dans une ferme de onze hectares, ses vacances d'été dans une maison secondaire du New Jersey, et se passionne pour l’équitation (papa possède plusieurs chevaux) et les comédies musicales (maman lui paie des cours de chant et de comédie à Broadway).
Le second naît noir en 1933 à Chicago, d’une maman qui va pas tarder à être internée pour maladie mentale. Y’a pas l’ombre d’un dollar dans le foyer : Papa le ballade de ville en ville à la recherche de petits jobs puis finit par s’installer dans la banlieue de Seattle.
New York l’ingrate se refusant au talent de la petite blonde, elle se rabat sur la musique Country : à 11 ans, forte d’un prix à une compétition locale, maman la fait déménager à Nashville, ce qui ne lui réussit pas plus : elle est rejetée par les labels. A 12 ans, elle se dit qu’apprendre à jouer de la guitare pourrait aider : elle apprend 3 accords avec un réparateur informatique pseudo-guitariste et s’en sert illico pour écrire sa première chanson, avant que papa et maman, ébahis par tant de ténacité, ne déménagent eux aussi pour Nashville (papa change de banque) en faisant un « sacrifice incroyable » dont elle dit elle-même, je cite : « Mes parents ont été jetés là-dedans (la musique country) : nous n'avions aucune idée de ce que nous faisions. Mes parents m'ont acheté un livre sur l'industrie de la musique ». Un livre magique. Par lui, tout arrive.
Pour oublier qu’il a des habits troués et une maman dingo, le petit noir s’installe souvent au piano de l’école dont il apprend les rudiments tout seul, puis décide de se mettre plus sérieusement à la trompette. Comme il est particulièrement doué, il arrive, du haut de ses 13 ans, à convaincre le grand Clark Terry, de passage à Seattle avec l’orchestre de Count Basie, de lui donner quelques leçons, et surtout de précieux tuyaux (ce qui, lorsqu’on pratique la trompette, est toujours utile) : en attendant de se faire un nom, il cire les chaussures.
Tout en prenant les cours à domicile d’une école privée chrétienne, la petite blonde y apprend comment maîtriser les rouages de l’industrie (ceux de la musique, nettement moins) et grâce aux relations de papa, RCA Records se charge de son « développement artistique » en la faisant participer à des séances d'écriture aux côtés d'auteurs expérimentés. A 15 ans, elle quitte RCA qui voulait attendre qu’elle soit majeure pour sortir un album (non mais ?) et confie ses futures (?) éditions à Sony tout en signant avec un obscur transfuge de DreamWorks Records (la branche « disque » de Spielberg) dans la boîte duquel papa investit pour faciliter l’affaire. Ce producteur auto-proclamé lui trouve un stage au Country Music Association’s Festival, puis produit un premier disque (c’est la première fois pour lui aussi) en forme de « journal intime, mélange entre country traditionnelle et guitares rock.» On est en 2006, elle a 17 ans. Pop Matters, le New Yorker, Country Weekly et Rolling Stone s’émeuvent avec des constations aussi élogieuses que « elle a les yeux brillants mais (elle est) remarquablement expérimentée ».
Le truc avec le petit noir, c’est qu’il traîne de plus en plus souvent avec un nouveau pote un peu plus âgé qu’il vient de se faire, qui vient d’arriver en ville. Il est aveugle mais il a un swing d’enfer, il a pas mal bourlingué et surtout, il vient d’enregistrer un premier disque sous son nom. Ray, qu’il s’appelle. Ray trouve qu’il joue terriblement bien de la trompette alors à eux deux, ils écument les clubs de la ville. Notre petit gars finit par obtenir une bourse pour le Berklee College of Music de Boston.
La maman de la petite blonde s’improvise Agent et envoie des maquettes à toutes les radios du pays pendant qu’elle, la petite blonde, cuisine des cookies et peint des toiles (?) pour tous ceux qui s'occupent avec Maman de sa « tournée radio ». Pendant ce temps, après avoir très bien lu son livre sur l’industrie de la musique, elle applique les « recettes numériques » à la country, passant des heures sur internet. Ses singles se vendent mieux, alors elle sort un album de Noël, décroche des 1ère parties et c’est parti : nommée « Artiste de l'année » aux Nashville Songwriters Association International, « Meilleure nouvelle artiste » aux  Country Music Association Awards, « Nouvelle artiste féminine » aux Academy of Country Music Awards et « artiste féminine préférée de la country » lors des American Music Awards… et nommée aux Grammy’s de 2008 dans la catégorie « Meilleur nouvel artiste » (mais là c’est raté, y’a une certaine Amy Winehouse qui lui rafle le titre). Un 2ème album sort, et comme elle a vraiment bien lu son livre sur l’industrie de la musique, elle prend du large avec la Country : l'album est décrit, je cite, comme « bruyant avec des guitares et des refrains peu entraînants », avec « un peu de violon et de banjo cachés dans le mélange. » The New York Times la décrit comme « l'une des meilleures auteures de musique pop, pragmatique avant tout… », tandis que Rolling Stone souligne son « professionnalisme presque impersonnel ».
Du côté du petit noir, le destin le rattrape : il arrive à intégrer l’orchestre de Lionel Hampton comme trompettiste…et arrangeur. Bon, le salaire est miteux, mais l’aventure est super : elle dure 4 ans et lui assure une solide réputation, ce qui lui permet de s’installer à New York où petit à petit, il joue de moins en moins de trompette pour revendiquer une casquette de « arrangeur free lance » : il a à peine 20 ans mais une oreille d’enfer, et surtout, un sens des arrangements inné qui en fait la coqueluche des jazzmen. La liste des artistes qui font appel à lui ne cesse de s’allonger : Gene Krupa, Sarah Vaughan, Count Basie, et bien sûr, son vieux pote Ray, qui est désormais le grand Ray Charles.
Avec une telle passion pour le business (heu, pardon, pour l’Art et la musique), la petite blonde ne tarde pas à décrocher tous les pompons de la profession (après avoir lancé une ligne de robes d’été, une série de cartes de vœux et un modèle de poupée) :  le premier single de l'album devient le deuxième single le plus vendu de tous les temps, l’album reste 11 semaines en tête du Billboard 2009 et elle effectue enfin (?) sa première tournée en tête d'affiche : la mise en scène comprend un château de conte de fées et un kiosque d'école secondaire. La tournée rapporte 63 millions $ (il était drôlement bien, ce livre) et du coup, l'album est le plus récompensé dans toute l'histoire de la musique country (puisque ce n’est déjà plus un album de country). En septembre 2009, un délicat personnage répondant au doux prénom de Kanye lui assure un buzz hors du commun en montant sur la scène des MTV Video Music Awards pour lui jeter à la face que le clip de sa copine Beyonce est bien mieux que le sien, fait un doigt d’honneur à tout le monde et lui rend le micro, ce qui la fera beaucoup pleurer. Du coup elle remportera 4 Grammy’s en 2010. Na. (Bon, pendant la cérémonie, elle joue ses chansons et sa voix est décrite comme étant « fortement fausse », « étonnamment mauvaise » et « incroyablement pitoyable » même si la vieille chanteuse de Fleetwood Mac, elle, pense que « ce sont des femmes comme elle qui vont sauver l'industrie musicale. » Elle a peut-être lu le livre sur l’industrie, elle aussi.
A 23 ans, pour le petit noir, c’est la consécration : il est engagé par Dizzy Gillespie comme trompettiste et directeur musical de son big band : le voilà à enregistrer son premier disque comme chef d’orchestre pour « ABC Paramount Records ». En 1957, à 24 ans, il s’installe à Paris pour étudier auprès de l’immense Nadia Boulanger : en parallèle, il met ses talents au service du plus gros label français du moment : celui d’Eddie Barclay. Il y signera de sublimes arrangements pour Henri Salvador, Charles Aznavour et même pour Jacques Brel. Sur sa lancée,  il forme un big band de 18 musiciens et part en tournée : et là, patatras, c’est la banqueroute. Dépressif, à moitié ruiné, il quitte le rêve français non sans avoir noué une relation privilégiée avec ce pays (que Jacques Chirac illustrera en le faisant Commandant de la Légion d’Honneur en 2001).
La petite blonde sort un troisième album en  2010 dont elle a écrit les douze chansons toute seule, qui « s'étend au-delà de la country-pop pour border à la fois le rock alternatif et la Bubblegum pop ». Rolling Stone dit : « Taylor est peut-être une pro habile de Nashville qui connait toutes les astuces pour faire d'une chanson un hit, mais elle est aussi très nerveuse et hyper-romantique (...) ». Elle devient porte-parole pour la marque CoverGirl et lance son propre parfum. L’album est un succès commercial majeur, il se vend à 5,7 millions d'exemplaires dans le monde entier. La tournée mondiale rapporte plus de 123 millions de dollars. Octobre 2012, quatrième album. Elle expérimente le heartland rock, le dubstep et la dance-pop. Le Guardian décrit l'album comme « un autre chapitre d'un des plus beaux fantasmes que la musique pop ait jamais construit. » Elle est la première artiste féminine à avoir vendu près de 2 millions d'albums, une semaine seulement après sa sortie. A ce stade, depuis ses débuts, elle a  vendu plus de 26 millions d'albums et enregistré 75 millions de téléchargements de ses chansons.
Pour le petit noir, c’est back to USA pour redevenir arrangeur puis directeur musical de Mercury Records : le retour aux sources est heureux, il le propulse définitivement dans la cour des grands aux côtés de  Frank Sinatra, de Barbra Streisand ou encore de Tony Bennett, dont il signe tous les arrangements. A 31 ans, il est nommé vice-président du label : on est en 1964. Au-delà de « s’amuser » à composer des musiques de film et de séries (on lui doit une liste titanesque de chefs d’œuvre), il milite activement aux côtés de Martin Luther King et de Jesse Jackson, et continue à enregistrer des disques sous son nom qui s’écartent significativement du jazz pour pencher vers le rhythm and blues, le funk et la pop.
 4ème album pour la petite blonde, octobre 2014. Elle devient la seule artiste de l'histoire à vendre consécutivement trois albums à plus d'un million de copies aux États-Unis, la semaine de leur sortie. En février 2015, elle est couronnée par la Fédération Internationale de l'Industrie Phonographique, certainement parce qu’elle a très bien lu le livre qui parle d’elle (la fédération).
C’est pendant que le petit noir assure la direction musicale du film The Wiz pour la Motown qu’il croise la route du jeune Michael, qui cherche à entamer une carrière solo après le succès fracassant qu’il a rencontré avec ses 4 frères : l’alchimie est immédiate. Ensemble, ils sortent 3 albums qui marqueront définitivement l’histoire de la pop music : Off The Wall en 1979 - sur lequel figurent, entre autres, des compositions de Paul Mc Cartney et de Stevie Wonder -, Thriller, à ce jour l'album le plus vendu de tous les temps, et pour finir, Bad (plus de 30 millions d’ex vendus).
5ème album, octobre 2017 : la petite blonde devient la première chanteuse à avoir passé quatre fois le cap du million de ventes en une semaine. La tournée cumule 180 millions de dollars en sept jours. La petite blonde a 28 ans et l'amérique friande de diminutifs débiles la surnomme TayTay. My Taylor is rich.
On garde en tête l’incroyable liste des hits arrangés par le petit noir, Quincy, dit « Q » : de Louis Armstrong à George Benson, de Sammy Davis Jr à Aretha Franklin, de Little Richard à Nana Mouskouri, de Chaka Khan à Donna Summer, ou encore de Barry White à Amy Winehouse, les morceaux qui ont fait danser la planète sont légion, sans compter des pans entiers de la discographie de Frank Sinatra, de Count Basie, de Ray Charles, de Billy Eckstine, d’Ella Fitzgerald, de Dizzy Gillespie et de Sarah Vaughan.
Quincy Jones et Frank Sinatra
 Nous sommes en 2018. Taylor Swift a 29 ans, c’est l’une des artistes pop les plus rentables de l’époque. Quincy Jones, lui, a 84 ans. Il est toujours un producteur actif, très à l’écoute des sons du moment : « J’aime Kendrick Lamar, Bruno Mars, Drake, Luda­cris, Common, Mary J.Blige et Jenni­fer Hudson… ». Concernant l'ex petite blonde, il change de musique : « On a besoin de plus de chan­sons, mec. Des putains de chan­sons. Pas des appâts. » 
Taylor Swift et Kanye West
Quincy Jones  n’a pas dû lire le livre sur l'Industrie musicale. A vrai dire, on ne peut pas faire l’histoire et lire comment la faire en même temps. 
Blame it on the boogie. 

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