mardi 8 décembre 2009

Chess boxing

Essayer de lire en parallèle deux romans bâtis comme deux frères ennemis alimente cette attirance récurrente - à priori malsaine - que j'ai pour le basculement de la perception des choses vers un flux cotoneux s'éloignant petit à petit, mais inexorablement, de ce qui a trait à la réalité.
Si l'effet est moins brutal, moins incisif que l'atteinte du système neuronal par la drogue ou de la pulsation de l'alcool se mettant à battre dans mon corps ébouillanté, cette plongée bicéphale écharpe pareillement les rigidités de mon quotidien : stations de métro, canapé de salon, livres ouverts, livres fermés, toilettes, lit, sommeil, insomnies, repas, mon esprit est terriblement touché et pour peu qu'on aime, comme moi, se laisser aller aux luxures des livres comme d'autres se prêtent complaisemment - et donc avec succès -aux délices de l'hypnose, j'aspire de tous mes sens à ce vagabondage diffus entre deux mondes au bord desquels je patauge, un pied dans la fange, l'autre sur le sol craquelé d'une terre de mirages, mes couilles seules surplombant le réel comme deux déesses crevassées survivantes d'un temps méconnu; cette errance obnubilante finit par rattraper ce qui, en moi, supplie de laisser sur place la lente imbécilité de mon existence pour gagner à la nage, dans une mer de caractères dactylographiés, la splendide laideur d'autres existences, trop proches des notres et pourtant merveilleusement différentes parce que passées au filtre saisissant de prosodies d'êtres touchés par une grâce leur permettant ce dont je reste incapable : se libérer de nos vies en les extirpant de nous-mêmes avant de les confier, par un subtil agencement, à d'autres êtres plus ignobles encore, plus faibles, plus vils, plus beaux, plus purs, plus cons, plus braves, plus laids, plus primitifs, plus virils, plus sensibles, plus désintéressés, plus cupides, plus passionnés, plus réfléchis, plus fous, plus sages, ou plus normaux.
Ces mots sont pourtant - à priori - laissés à la portée de tous; mais qui d'entre nous les manie vraiment de façon telle que leur assemblage finit par toucher ce qu'il y a au-delà de nous ?
La bataille est ainsi omniprésente : laquelle des deux oeuvres prendra le dessus, et au-delà, qui, de la réalité ou de cette bataille-même, l'emportera dans mon pauvre cerveau malmené ?
Enki Bilal inventait le "chess-boxing" dans un volume de la trilogie Nikopol: une sorte de divertissement futuriste où deux athlètes enchaînaient, sous les hourras de la foule, rounds d'échecs à rounds de boxe.
Mon oeil est tuméfié et mon esprit aiguisé.
Mes côtes me brûlent et mon cortex grésille.
"The Road" de Mc Carthy me frappe répétitivement au foie, me coupant le souffle.
"Sanctuaire" de Faulkner me taraude chaque neurone, menaçant ma raison.
Au milieu, ma vie me fait peur.
Je n'ai jamais été aussi vivant.

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