jeudi 10 novembre 2011

Un jour des morts Place de la Fontaine

J’avais beau être attablé comme le rescapé d’un attentat silencieux sur cette placette longiligne, les jambes raides tendues devant moi, je savais que je disposais de toute ma tête. J’étais abasourdi par quelques kilomètres d’autoroute, mais rien qui n’ait suffit à générer un mind-lag (mot que j’ai inventé définissant ce décalage vis-à-vis de soi-même intervenant à l’issue d’une quantité de bitume avalée en temps réel les mains rivées à un volant, lorsqu’on descend de l’habitacle de son véhicule en tôle et que l’on s’assoit quelque part ailleurs, la sensation de la distance encore bourdonnante dans les muscles des tibias et du cou, totalement contradictoire d’avec le jet-lag, sensation frauduleuse ressentie à l’idée d’avoir parcourue une distance abstraite en trop peu de temps sans avoir eu la capacité de la comprendre physiquement). Donc, pendant que je me disais que la fumée de la cigarette de ce type aux chaussures maculées de traces blanchâtres montait étrangement très lentement dans l’air, je me disais aussi que ce n’était ni la fatigue ni l’hébétude qui distordait agréablement ma perception des choses, et je me disais ces deux choses en même temps en ressentant une acuité totalement inutile, mais terriblement précise. Or, sa fumée montait bel et bien comme à reculons dans l’atmosphère en refusant de s’étirer, tandis que la mienne filait comme un oisillon échappé d’un calumet, et il y avait aussi cette humidité vivante qui gagnait la rue et les arbres et les tables et les chaises malgré un après-midi à peine ébauché. Il était gros et menaçant et regardait vers l’Est et j’étais tourné vers le Sud, quand il s’est assis je me suis dit que c’était une drôle de façon de s’asseoir à une terrasse où ne siégeait personne en dehors de nous et de le faire de cette façon, à l’autre bout mais quasiment face à face, je me suis dit que sa fumée et la mienne ne montaient pas dans le ciel de la même façon, je me suis dit que l’air était si calme que ça ressemblait à quelque chose que je ne connaissais pas, je l’ai regardé plusieurs fois jusqu’à ce qu’à chaque fois il se mette à me regarder, je me suis demandé si tout avait l’air étrange autour de moi et tout avait l’air étrange, et je n’arrivais pas à boire cette bière qui voulait rester dans son verre très long et j’en venais à me dire que je n’étais pas là quand il a fallu se lever et partir. Puis tout est redevenu normal et je me suis mis à marcher et j’ai esquissé une sorte de sourire.

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