mardi 13 décembre 2011

Indie-niais

A la recherche désespérée d’une cause ou d’une idée qui parvienne encore, in extremis, à rassembler des hommes revenus de tout autour d’une émotion commune pour ne pas avouer que tout est foutu, l’ensemble des média, internet en tête, s’est rué sur le plus pathétique mouvement politique que les sociétés humaines aient jamais généré depuis l’agora grecque : les indignés. Une révolte désabusée brandissant l’étendard de sa propre déprime, une bouderie adulte terrassée par sa médiocrité, assise en place publique avec pour unique existentialisme la poignée de secondes durant laquelle elle sera délogée par une escouade de gendarmes, engloutie par sa revendication stérile : violés par leurs propres amants, baisés avec leurs propres capotes, souillés par leurs propres fluides, les citoyens des années deux mille se réveillent pâteux, et aigris, se mettent à grommeler quelque chose d’inaudible là où leurs aïeux hurlaient, criaient et se menaçaient de mort, haine et espoir mêlés dans la foi d’un lendemain autre. Parce que leur acte fondateur réside dans le seul fait d’avoir réussi à être écœuré de ce que leur délivre en masse leur télé, leur ordinateur ou leur portable, simplement parce qu’ils se sont surpris à vouloir arrêter le défilé de ce surréaliste mépris, de cet affront obséquieux, de ce permanent outrage à leur égard les voilà descendus sur un trottoir, moitié badaud moitié expérimentateur urbain, la remontrance dans les poches, la rebiffade dans la barbe, la contradiction dans le sittin, partageant une même lassitude, aussi ridicules que méprisables, un caprice laidement utopique en bandoulière, à la recherche de l’épanouissement personnel ultime déguisé sous un costume pseudo-altruiste mal raccommodé. Aucun d’entre eux n’est vraiment prêt à lâcher ce qu’il possède. Aucun d’entre eux n’est prêt à soutenir une idée au point de s’y sacrifier, d’ailleurs, quelle idée ? Ils partagent juste un grand écœurement de ce que le monde qu’ils conduisent à bout de bras est. Et comme cela ne sert strictement à rien, et qu’ils ne font peur à personne, et qu’ils ne font frémir personne, et qu’ils ne font rêver personne, et qu’ils ne donnent de l’espoir à personne, et qu’ils ne font rien briller, les gendarmes les délogent, et le reste des autres les regarde se faire déloger, sans parvenir à en penser quelque chose. Les Indignés, c’est le degré zéro de la révolte populaire, un programme politique de patron de bistrot mais sans le verre ni l’ivresse ni les potes, bref, la politique de tonton Jeannot mais sans le repas de Baptême arrosé au Bordeaux.
Et bien, voilà qu’arrivent aussi les indignés de la musique. Merde. Enfants difformes et débiles du mouvement Indie des 90’s, voilà les punk-voteurs : les Indie-niais. A l’image de leurs homologues qui s’indignent de la tournure de la politique sans avoir aucune idée politique à proposer, les Indie-niais de la musique se mettent en colère après le système de la musique sans chercher à en bâtir un autre : ils veulent la musique libre – à bas la Sacem – mais quand après d’innombrables péripéties ils finissent par signer sur un label, merde si personne la paye jamais cette musique, finalement c’est pas si cool parce que les artistes c’est aussi des travailleurs; ils abhorrent les mass media vendus aux major mais dès qu’un de leur titre a l’heur d’être joué par l’un d’eux – souvent à une heure creuse et confidentielle, dans une émission « indie quelque chose » (hé hé…)), ils inondent les réseaux sociaux pour prévenir la terre entière de ce succès d’estime ; ils assurent ne pas courir après le succès mais passent leur temps à payer de pseudo photographes branchés pour réaliser des clichés d’icônes fashion visibles sur internet – sur quoi d’autre ? – accompagnés de l’éternelle supplique : « faites tourner »… Comme leurs homologues pseudo-politiques, les indie-niais sont en train d’inventer un nouveau courant pour succéder à l’Indie révolutionnaire violent et propagandiste de leurs haineux aînés talentueux bienheureux dont tous se revendiquent car désormais, faire de la musique n’est plus une question d’éthique, plus même une question de choix mais bel et bien de fatalité : faire de la musique, c’est forcément être condamné à être Indie, n’est-ce pas ? Les maisons de disque sont partie intégrante de la société : en dehors des intégristes, les familles nombreuses disparaissent, on se contente tous d’un ou deux enfants, que l’on élève consciencieusement dans un confort et un soin constant, et on ne peut prendre en charge toute la misère du monde n’est-il pas ?

Allons, pour les groupes post 2010, l’Indie est devenu le Findie.

Finally Dependant.

Faire de la musique soit disant intellectuelle, incomprise, fragile, subtile, planante, captivante, remplie de références, un peu chiante, vaguement dépressive, un peu anonyme, un peu timide, un peu abstraite, un peu bancale, faire semblant que le fait qu’elle reste confidentielle est plus ou moins voulu pendant qu’on rame corps et trippes à la recherche désespérée de contacts professionnels viables, et qu’en attendant, on écume toutes les formes de mécénat possibles pour survivre avec cette épée de Damoclès pendue au-dessus de la trentaine - atroce perspective de devoir se résigner à aller travailler comme une merde -, à commencer par ces incontournables subventions publiques disséminées avec un raffinement sadique comme les miettes de pain du petit poucet tout au long d’un chemin sans fin qui ne mène nulle part dans l’immense périmètre d’une forêt domaniale sombre et incompréhensible abritant très régulièrement des cabanes de passeurs de toutes sortes qui ne savent plus eux-mêmes où se trouve la clairière...

Indignés comme leurs compères politiques (avec lesquels ils ont souvent des accointances d’ailleurs), nos indie-niais dénoncent ainsi, tout le long de leur ballade champêtre famélique et dénuée du talent viscéral qui fait les aventures, l’indifférence de ces châteaux surplombant les bois dans lesquels ils s’échinent, mignonnes créatures célestes ridicules et confiantes, et ils se sentent obligés de les vilipender d’autant plus violemment que du haut de leurs donjons ils les ignorent et les snobent, eux qui n’ont d’autre issue que de compter, depuis la fange des basses-fosses, les meurtrières qui les séparent de la chambrine princière.

Sort noblement « indie ». Enfin… atrocement Findie.

Moi je dis que soit l’on se lasse et l’on se désintéresse, on se détourne, on passe son chemin et on devient un inutile je-m’en-foutiste zombifiant heureux aux dents cariées, on fait des bubulles avec sa bouche, on mâche des brins d’herbe et on continue à fumer, ce qui est parfaitement dans l’air du temps, plus joyeux, plus nihiliste, plus égo-jouissif, con et proto-chaotique, soit on invente, surprend, créée, façonne, détourne, bâtit, prouve, innove, bataille, change, ahane, sue, érige, bourdonne, cloue, étaye, éveille, foisonne, dissémine, voyage, consolide, échange, visionne, sourit, rayonne.

Mais s’indigner, à part faire chier, je vois pas.

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