- Une boule de feu ?
- Exactement.
- Ca paraît dingue…
- Toute lisse. Enorme…
- Enorme comment ?
- Je sais pas vraiment… Plusieurs fois la taille de
la Terre en tout cas…
- Vous êtes sûr de ne pas exagérer un peu ?
- Non non, c’est une vraie merveille, une sorte de
déflagration permanente, ça compense sans interruption un seuil d’explosion avec
un point de réfraction : comme une lutte fratricide pour maintenir un
point d’équilibre !… C’est l’arrière-petit-fils d’un astronome qui me l’a
expliqué. Bref, c’est une étoile, quoi.
- Mince alors… Et vous dites que ça chauffe
jusqu’ici ?
- Un peu que ça chauffe ! S’il n’y a pas de
nuages, on le sent même dans le dos !
- … Je suis navré d’avoir à le dire, mais j’ai
peine à vous croire…
- Oh, j’ai l’habitude. La plupart des gens réagissent
comme vous.
- Ca fait tellement longtemps… L’arrière-grand-père de ma femme aurait certainement pu lui aussi en dire quelque chose : enfant, il paraît qu’il a connu les choses telles qu’elles étaient avant tout ça… Et vous dites que vous, là-bas, vous vivez dehors ?
- Oui.
- Tout le temps ?
- Oui, enfin : on a des maisons aussi, on ne
vit pas comme des primitifs!…
- Et la pollution ? Vous faites comment, vous
portez des sortes de masques, comme avant ?
- Non, même pas.
- Ca aussi, on a du mal à y croire…
- On a fait partie des toutes premières zones
touchées, vous savez. Les gens ont tous déserté ces terres-là et c’est vrai qu’à
l’époque, la vie s’est y arrêtée, littéralement : les bâtiments sont
tombés en ruines, la végétation a fini par tout recouvrir et personne ne s’est plus
aventuré à essayer d’y construire autre chose. Ca a duré plus de cent ans
d’après ce qu’on m’a dit : plus d’usines, plus de véhicules, plus d’avions.
Rien. Les sols étaient pourris. Mais vous voyez, malgré tout, la nature a
repris ses droits. Pendant qu’ailleurs les choses se sont accélérées, comme
ici, chez nous, là-bas, tout est resté terriblement calme. Comme oublié. Des
fleurs se sont remises à pousser, oh, pas des conventionnelles, ça c’est sûr,
les premières étaient même franchement bizarres, mais elles poussaient
quand-même… Puis ça a été au tour des fruits, et pour finir, les animaux sont
revenus.
- Mais ils ont dit que ça ne partirait jamais. Ils
ont même expliqué que ça s’était étendu…
- C’est vrai. Mais si aucune particule ne se rajoute
à ce qui est resté en suspens, les vents finissent par faire leur
ouvrage ; là-bas, chez nous, on est près des côtes et entourés de
montagnes : tout finit par se diluer, à chaque fois… Même les jours de
pluie.
- N’empêche, moi, ça me foutrait la trouille de
sortir…
- Ah ça, ici, moi aussi ! Je peux vous dire
que je ne mettrai le nez dehors pour rien au monde : regardez ça, le ciel
est épais comme de la laine sale !
- De la quoi ?
- De la laine : c’est du poil d’animal que
l’on tisse pour faire des vêtements, ou des couvertures ; des tapis, des
tentures, des rideaux, des choses comme ça…
- En poil de bête ?
- Oui ?
- Mince alors, là, vous y allez fort ! J’ai
l’air si crédule que ça ?
- Comment ça ?
- Je veux bien avaler l’histoire du soleil, la
sensation de chaleur sur les joues, la peau qui se colore, tout ça, mais les
vêtements en poils, là, vous me tournez en bourrique, avouez-le !
- Mais pas du tout ! Vous savez, les hommes
ont vécu toute leur existence aux côtés des animaux, en se nourrissant de leur
viande et buvant leur lait…
- Pouah !
- Hein ?
- Plutôt crever que de manger un animal !
Quant à boire de son lait...
- Et quoi ? Vous trouvez que vos
usines-cantines valent mieux, peut-être ?
- Plus personne ne mange des trucs issus d’animaux,
enfin ! Et puis, comment on ferait pour nourrir tout le monde ? Des
animaux, y’en a plus depuis belle lurette ! A part les chiens et les
chats, et encore, y’aurait pas grand-chose à bouffer ! Et puis sans même
parler du goût, ce qu’on mange a au moins le mérite d’être stérile!
- Mais votre corps a besoin de bactéries ! Le
monde tout entier a besoin de bactéries ! Regardez-vous : vos dents
montent si haut sur vos gencives qu’elles manquent se déchausser, et vos jambes
sont si maigres que vous ne marcheriez pas plus de deux kilomètres avant
d’avoir des crampes !
- Sans vous paraître désagréable, la couleur de
votre peau m’est tout aussi antipathique… Et maintenant que vous me dites
manger de la viande morte et du lait sorti de je-ne-sais quelle mamelle –
bouark, rien que d’y penser j’en frissonne !... Bref, j’ai bien peur
d’attraper une sorte de virus ou de mauvais microbe à rester là devant vous…
Les Contrôleurs devraient vous obliger à porter un masque lorsque vous rentrez
ici !
- Mais pourquoi donc ? J’ai passé tous les
tests avec succès ! Ils ont même été étonnés de mon état de santé, si vous
voulez savoir !
- Etonnés ? Etonnés dans quel sens ?
- Hé, mais ne reculez pas ! …
- Ecoutez, vous m’avez l’air d’un type bien mais je
crois que nous devrions observer une sorte de… distance de sécurité, vous et
moi. Vous comprenez, on vient de mondes tellement différents…
- Qu’est-ce que vous en savez, hein ? Vous
n’êtes jamais sorti de cette foutue ville, c’est vous qui l’avez dit !
- Pourquoi devrais-je en sortir ? Pour
m’exposer aux rayons et à la maladie ? Tous ceux qui ont essayé sont en
quarantaine à l’heure actuelle ! Je ne suis pas fou !
- Je viens de vous dire que les Contrôleurs m’ont
trouvé en parfaite santé !
- Ce n’est pas ce que vous avez dit. Vous avez dit
qu’ils avaient été « étonnés » par votre état de santé. Pas
« rassurés » : étonnés. Va savoir ce qui a pu les étonner,
hein ?
- Mais rien, bon sang ! Je suis parfaitement
sain ! Probablement bien plus que vous ! Enfin regardez-moi :
est-ce que j’ai l’air malade ?
- Malade, non. Mais bon, la maladie, ça se voit
jamais vraiment. Par contre, je vous trouve particulièrement sale,
permettez-moi de vous le dire…
- Ca s’appelle un hâle. Ce n’est pas de la saleté,
c’est juste l’effet du soleil sur la peau. J’aime rester au soleil, je vous
l’ai dit : c’est une sensation très agréable…
- Ce soleil qu’on ne voit jamais, c’est ça ?
Dans une zone abandonnée… en mangeant des animaux, et en portant des vêtements en
poils…
- Exactement.
- Et vous croyez vraiment que je vais avaler
ça ? Allez, j’ai compris va, vous êtes du Réseau Sanitaire, c’est
ça ? C’est un test ?
- Mais pas du tout !
- Allez, inutile de jouer la comédie, j’ai tout
deviné ! Bon sang, vous avez failli me foutre la trouille ! C’est
drôlement bien fait votre truc, comment vous avez dit déjà, ah oui, votre
« hâle » ! Ha ha ! Nom de dieu de merde ! Quelle
imagination !
- …
- Et j’ai bon ? Je veux dire, le test, j’ai
combien ?
- Je sais pas, je… heu…
- Vous pouvez pas le dire, c’est ça ?
- Heu… voilà, en quelque sorte. Bon, allez, il va
falloir que j’y aille…
- Oui, bien sûr, je comprends ! Vous retournez
chez vous, c’est ça ? Dans l’Est ! Ha ha ! Quel bon comédien
vous faites !
- Voilà, c’est ça, je retourne dans l’Est…
- Et bien, j’attendrai le courrier du Centre !
Hey !
- Quoi ?...
- Et gaffe au soleil !!! Ha ha..."
Découvrez tous les extraits exclusifs des Vacuodialogues, le volume 2 des Egodialogues (éditions Vanloo) en suivant le libellé "Vacuodialogues" sur le blog !
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