mercredi 21 novembre 2018

Le petit coin (de page)

Tous les mardis j’écris une chronique dans un célèbre magazine. Généralement je m’y attèle le lundi matin, au moment où le fleuve de voitures redémarrées après le week-end se déverse par à-coups dans la rue d’en bas, au rythme du feu de circulation et du nombre de camionnettes garées en double file : si je veux saisir une chance de rendre quelque chose d’à peu près viable pour la fin de journée (dernier délai : 16h00) je dois m’y mettre tôt, j’ai rarement quelque chose d’intelligent à dire sur commande. Au mieux, je rebondis sur un sujet quelconque (j’ai quasi carte blanche), au pire, je  m’en tire avec une moue et quelques tours de passe-passe littéraires.
Aujourd’hui, ma femme est partie avec tous les briquets de la maison. C’est un classique chez les fumeurs, j’allume mes cigarettes à l’aide d’une boîte d’allumettes ménagères.
Les lundis ça klaxonne : tout le monde a les dents serrées. S’il pleut, c’est pire. Pendant que je cherche un angle d’attaque, les écoliers remontent le trottoir avec leur cartable qui tressaute dans le dos. Après c’est au tour des chauffeurs-livreurs, des artisans et des commerciaux de saturer le virage jusqu’à à peu près 10h30, puis les choses se calment. C’est l’heure où j’ouvre toutes les fenêtres et où je fais les lits, à part si une idée me tient collé au clavier avec la possibilité d’en finir avant midi et d’avoir le reste de la journée pour moi.
Ca fait presque deux ans que j’ai arrêté d’être en bas, dehors, avec tous les autres. Des jours ça va, d’autres moins. Soit on s’agglomère à cette coulée de boue qui s’en va faire tourner le monde chaque matin, soit on la contemple depuis une fenêtre ou une terrasse de café. Dans les deux cas, on ne comprend pas ce que l’on fait.  
Quand je n’écris pas, je dessine. Je ne suis pas extrêmement doué, mais suffisamment pour qu’on me sollicite de temps à autre. Là où j’excelle, c’est pour chier. Un défécateur de première. Malheureusement, personne n’a encore décrété d’utilité commerciale à cette qualité, même à l’heure où la moindre possibilité de générer un centime de profit est prise au sérieux. La merde est donc, semble-t-il, le dernier rempart à l’appétit consumériste : là où même le cancer a fini par truster le Top 10 du business, depuis le coup d’éclat de Piero Manzoni (artiste ready-made ayant fait exploser le marché de l’art avec 90 boîtes de conserve de 30 grammes de sa propre merde) le cours de l’étron est resté invariablement nul. Dommage. Des milliers de seniors m’envient la qualité de mes intestins, et je n’en tirerai aucun profit.

Nous sommes extrêmement nombreux à vivre de billets d’humeur. C’est agaçant, cette compétition de placeur de bons mots : on spolie le penchant endémique des piliers de bistrot et des oncles rigolos à tourner le monde en ridicule pour le confier à des intellectuels cyniques, puis on compare leur férocité. J’ai essayé de donner dans l’amour pour ne pas grossir les rangs fût un temps, mais je n’aime pas les chats. Dans le People ensuite, mais je n’avais jamais les bonnes vedettes. Pour finir j’ai choisi le vide. C’est encore ce que je connais le mieux.

Du coup, il est fort probable que je perde cette chronique.

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