Tous les mardis j’écris une chronique dans un célèbre magazine.
Généralement je m’y attèle le lundi matin, au moment où le fleuve de voitures redémarrées
après le week-end se déverse par à-coups dans la rue d’en bas, au rythme du feu
de circulation et du nombre de camionnettes garées en double file : si je
veux saisir une chance de rendre quelque chose d’à peu près viable pour la fin
de journée (dernier délai : 16h00) je dois m’y mettre tôt, j’ai rarement
quelque chose d’intelligent à dire sur commande. Au mieux, je rebondis sur un
sujet quelconque (j’ai quasi carte blanche), au pire, je m’en tire avec une moue et quelques tours de
passe-passe littéraires.
Aujourd’hui, ma femme est partie avec tous les briquets de la maison.
C’est un classique chez les fumeurs, j’allume mes cigarettes à l’aide d’une
boîte d’allumettes ménagères.
Les lundis ça klaxonne : tout le monde a les dents serrées. S’il
pleut, c’est pire. Pendant que je cherche un angle d’attaque, les écoliers
remontent le trottoir avec leur cartable qui tressaute dans le dos. Après c’est
au tour des chauffeurs-livreurs, des artisans et des commerciaux de saturer le
virage jusqu’à à peu près 10h30, puis les choses se calment. C’est l’heure où
j’ouvre toutes les fenêtres et où je fais les lits, à part si une idée me tient
collé au clavier avec la possibilité d’en finir avant midi et d’avoir le reste
de la journée pour moi.
Ca fait presque deux ans que j’ai arrêté d’être en bas, dehors, avec
tous les autres. Des jours ça va, d’autres moins. Soit on s’agglomère à cette coulée
de boue qui s’en va faire tourner le monde chaque matin, soit on la contemple
depuis une fenêtre ou une terrasse de café. Dans les deux cas, on ne comprend
pas ce que l’on fait.
Quand je n’écris pas, je dessine. Je ne suis pas extrêmement doué,
mais suffisamment pour qu’on me sollicite de temps à autre. Là où j’excelle,
c’est pour chier. Un défécateur de première. Malheureusement, personne n’a
encore décrété d’utilité commerciale à cette qualité, même à l’heure où la
moindre possibilité de générer un centime de profit est prise au sérieux. La
merde est donc, semble-t-il, le dernier rempart à l’appétit consumériste :
là où même le cancer a fini par truster le Top 10 du business, depuis le coup
d’éclat de Piero Manzoni (artiste ready-made ayant fait exploser le marché de
l’art avec 90 boîtes de conserve de 30 grammes de sa propre merde) le cours de
l’étron est resté invariablement nul. Dommage. Des milliers de seniors m’envient
la qualité de mes intestins, et je n’en tirerai aucun profit.
Nous sommes extrêmement nombreux à vivre de billets d’humeur. C’est agaçant,
cette compétition de placeur de bons mots : on spolie le penchant
endémique des piliers de bistrot et des oncles rigolos à tourner le monde en
ridicule pour le confier à des intellectuels cyniques, puis on compare leur férocité.
J’ai essayé de donner dans l’amour pour ne pas grossir les rangs fût un temps,
mais je n’aime pas les chats. Dans le People ensuite, mais je n’avais jamais
les bonnes vedettes. Pour finir j’ai choisi le vide. C’est encore ce que je
connais le mieux.
Du coup, il est fort probable que je perde cette chronique.
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