mardi 1 mars 2011

Chronique d'un tournant de page annoncé (Part 1)

1992 : à partir d’une pochette d’album acheté au pas de course dans un megastore culturel, il va me falloir répondre à une commande d’illustration urgente. Délai ? Quelques heures. En une nuit, je dresse donc un portrait violent et biscornu de Pablo Moses à l’encre de Chine, avant de le rendre à mon commanditaire quelques maigres heures de sommeil plus tard, devant les marches de l’Hôtel des Impôts de la rue Borde dans lequel j’exerce la journée, à l’époque, une activité rémunérée aux contours pas très définis pour boucler des fins de mois difficiles. Le lendemain, mon épure s’étale sur les murs de la ville en 80x120, placardée sur un fond noir brillant et agressif. On dirait une affiche de propagande anarchiste du début du siècle, j’ai 20 ans et je suis fier comme Artaban mais ce sentiment glorieux est laminé par un terrible coup du sort : dans quelques semaines, je pars pour la Lorraine effectuer mon service militaire. Alors que pour la première fois depuis des mois je me dis qu’un avenir fait d’autre chose qu’une succession de renoncements à mes velléités juvéniles – alors alimentées tout à la fois par l’explosion du mouvement « rock fusion », la pratique de la batterie en gaucher, une passion pour la beuverie, l’histoire de l’Art et les ordinateurs Mc Intosh, le tout mâtiné de rêves bling-bling opaques – est possible, cette société que j’exècre tant cloue au pilori ce clin d’œil de la chance. Pablo Moses en personne entérine cette torture psychologique le soir même de ce concert à Marseille qu’il m’a été demandé de promouvoir, en exprimant le souhait de récupérer pour lui-même une dizaine de « mes » affiches, tout en prenant le soin de me féliciter pour mon travail sans le moindre sourire ni la moindre empathie mais en me dévisageant avec un mélange d’étonnement et de dédain, ce qui rend son éloge purement orgasmique.
Je ne travaillerai jamais vraiment en tant qu’illustrateur. Toutes mes tentatives dans le domaine se solderont par de pseudo échecs, à mettre probablement sur le compte de mon atavique absence d’ambition comme du caractère laborieux de ce petit talent que je m’étais découvert pour le dessin, mais qui n’a finalement jamais réussi à atteindre l’exubérance nécessaire au succès. Pour autant, je n’ai pas renoncé à mes rêves : 6 ans plus tard, à l’aube de mes 27 ans et face aux promesses moroses d’une carrière dans un fonctionnariat assimilé joyeusement émaillée de vacances scolaires et de treizièmes mois, je me vautre dans une délicieuse prolongation de ma révolte teen-ager en signant un contrat à durée indéterminée au Moulin, salle de concert sulfureuse implantée à la frontière des quartiers virilement populaires de Marseille, loin, très loin des cités banlieusardes endormies dans lesquelles s’était sagement déroulée mon enfance.
Après 5 ans d’apprentissage d’un « métier » dont à l’époque tout le monde ignore plus ou moins les contours et qu’il me fût par conséquent impossible à expliquer à mes parents résignés, tout commence vraiment en 2002 avec ces deux jours de festival que nous avions organisés, « On connaît la chanson ». La fine fleur de la « nouvelle chanson française » d’alors, celle du coin, c’était Oshen, HomoSuperior, Opossum, c’était Rit et puis l’incroyable David Lafore et aussi Pagaille, dont j’ai aujourd’hui définitivement perdu la trace… Ce fût une sorte de déclic.
Après ça, je me suis mis à courir comme Forrest Gump.

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