Le premier souvenir de 2004 qui me vient à l’esprit part de 2006. Oui, je sais, c’est très con.
Pendant deux ans, je m’étais attelé de façon compulsive à trouver des premières parties. C’était devenu mon leitmotiv ; quand je posais les écouteurs dans lesquels je faisais défiler une vingtaine de CD par semaine, c’était pour aller traîner dans les « hôtels de la musique » à la recherche de nouveaux sons. Entre 2002 et 2004, j’ai comme ça succombé à Nacimiento, Militan Band, les Fire Warriors, General Electrics, Quaisoir, Dagoba, Nefesh, Lo, Layne ou encore Dub Akom…
On dit dans les salons de coiffure et les bistrots que les septennats marquent des cycles : force est de constater que 2004 nous ramène bien à 7 ans en arrière. Si je n’avais pas autant aimé les bistrots, peut-être aurais-je passé une autre moitié de ma vie dans les salons de coiffure, qui sait. En tout cas, en 2006 (faut suivre), c’était dans le couloir d’un bâtiment industriel de quatre ou cinq étages massifs, entièrement dressé dans de la brique rouge. Les fenêtres étaient longilignes et froides, les marches d’escalier larges et claires. Dehors, une tempête de neige comme je n’en avais jamais vue s’abattait placidement sur une nuit épaisse et étrangère, et je regardais en bas comme dans un rêve cette cour couverte d’un demi mètre de neige au milieu de laquelle arrivaient des gens à vélo, engoncés dans des vêtements d’alpinistes. On était en mars, je venais d’être papa d’une petite fille et j’étais là, à la fenêtre de cet immeuble dans la banlieue de Turku en plein hiver. Derrière la porte en fer verte à laquelle je tournais le dos, les quatre musiciens français à qui j’avais fait traverser la Baltique grimaçaient en s’efforçant de suivre les instructions de cette chorégraphe finno-hollandaise inclassable qui avait absolument tenu à les faire danser. Nous étions là pour jouer un album fixé à Aix en Provence deux années auparavant, le tout premier que je produisais (un barnum de 17 musiciens répartis dans des salles de classe blanches sans fenêtres éclairées aux néons, qui avaient fini par accoucher d’une sorte d’ethno pop tribale étonnante dont je m’étais retrouvé très fier sans m’y être vraiment attendu). Nous y voilà. C’était AixInki, en 2004 et ce projet était entièrement à moi, je veux dire j’avais été vraiment seul à produire sur ce coup-là, sans l’aide de personne. Je me rappelle donc avec une certaine émotion bizarre ces heures de complicité complexe avec Jean-Philippe, l’ex-batteur d’Opossum et maître d’orchestre attiré, de Nicola l’italien inclassable, de Denis l’afrikaner, de Six le médiateur, d’Eric l’agitateur, et bien sûr de David Lillkivst le surprenant show-man, probablement l’un des musiciens les plus débonnaires qu’il m’ait été donné de croiser, et le plus délicieux des hommes.
Cette même année, quelques mois plus tard, j’étais à la porte des loges du Moulin, la petite rouge à moitié dégondée tout en haut de l’allée. Cette voiture a monté la pente défoncée assez lentement, dans mon souvenir c’était cahoteux et poussiéreux. Les quatre portes se sont ouvertes quasi simultanément, et ils sont descendus. Les Nation All Dust. C’est bizarre mais je crois que c’est ce jour là que j’ai réalisé que les musiciens que j’avais passé ma jeunesse à aduler comme des demi-dieux étaient aussi les voisins de quelqu’un, que des types normaux les croisaient au quotidien, qu’ils étaient là, qu’il pouvait y en avoir partout, jusque sous mes propres fenêtres et que tout ça n’était pas une affaire de distance ou d’univers parallèle. Ces quatre gars là, c’étaient des stars. A l’instant où ils sont descendus de cette Suzuki Swift à la peinture écaillée, ils sont devenus mes stars à moi, comme ça, instantanément. Je ne les avais même pas vu jouer ; après, ça a été pire. Je me suis pris pour Phil Spector et j’ai voulu être directeur de label. Je voulais me droguer et ne plus porter rien d’autre que ces Sonora mexicaines à talons biseautés que je venais de m’acheter.
Pendant deux ans, je m’étais attelé de façon compulsive à trouver des premières parties. C’était devenu mon leitmotiv ; quand je posais les écouteurs dans lesquels je faisais défiler une vingtaine de CD par semaine, c’était pour aller traîner dans les « hôtels de la musique » à la recherche de nouveaux sons. Entre 2002 et 2004, j’ai comme ça succombé à Nacimiento, Militan Band, les Fire Warriors, General Electrics, Quaisoir, Dagoba, Nefesh, Lo, Layne ou encore Dub Akom…
On dit dans les salons de coiffure et les bistrots que les septennats marquent des cycles : force est de constater que 2004 nous ramène bien à 7 ans en arrière. Si je n’avais pas autant aimé les bistrots, peut-être aurais-je passé une autre moitié de ma vie dans les salons de coiffure, qui sait. En tout cas, en 2006 (faut suivre), c’était dans le couloir d’un bâtiment industriel de quatre ou cinq étages massifs, entièrement dressé dans de la brique rouge. Les fenêtres étaient longilignes et froides, les marches d’escalier larges et claires. Dehors, une tempête de neige comme je n’en avais jamais vue s’abattait placidement sur une nuit épaisse et étrangère, et je regardais en bas comme dans un rêve cette cour couverte d’un demi mètre de neige au milieu de laquelle arrivaient des gens à vélo, engoncés dans des vêtements d’alpinistes. On était en mars, je venais d’être papa d’une petite fille et j’étais là, à la fenêtre de cet immeuble dans la banlieue de Turku en plein hiver. Derrière la porte en fer verte à laquelle je tournais le dos, les quatre musiciens français à qui j’avais fait traverser la Baltique grimaçaient en s’efforçant de suivre les instructions de cette chorégraphe finno-hollandaise inclassable qui avait absolument tenu à les faire danser. Nous étions là pour jouer un album fixé à Aix en Provence deux années auparavant, le tout premier que je produisais (un barnum de 17 musiciens répartis dans des salles de classe blanches sans fenêtres éclairées aux néons, qui avaient fini par accoucher d’une sorte d’ethno pop tribale étonnante dont je m’étais retrouvé très fier sans m’y être vraiment attendu). Nous y voilà. C’était AixInki, en 2004 et ce projet était entièrement à moi, je veux dire j’avais été vraiment seul à produire sur ce coup-là, sans l’aide de personne. Je me rappelle donc avec une certaine émotion bizarre ces heures de complicité complexe avec Jean-Philippe, l’ex-batteur d’Opossum et maître d’orchestre attiré, de Nicola l’italien inclassable, de Denis l’afrikaner, de Six le médiateur, d’Eric l’agitateur, et bien sûr de David Lillkivst le surprenant show-man, probablement l’un des musiciens les plus débonnaires qu’il m’ait été donné de croiser, et le plus délicieux des hommes.
Cette même année, quelques mois plus tard, j’étais à la porte des loges du Moulin, la petite rouge à moitié dégondée tout en haut de l’allée. Cette voiture a monté la pente défoncée assez lentement, dans mon souvenir c’était cahoteux et poussiéreux. Les quatre portes se sont ouvertes quasi simultanément, et ils sont descendus. Les Nation All Dust. C’est bizarre mais je crois que c’est ce jour là que j’ai réalisé que les musiciens que j’avais passé ma jeunesse à aduler comme des demi-dieux étaient aussi les voisins de quelqu’un, que des types normaux les croisaient au quotidien, qu’ils étaient là, qu’il pouvait y en avoir partout, jusque sous mes propres fenêtres et que tout ça n’était pas une affaire de distance ou d’univers parallèle. Ces quatre gars là, c’étaient des stars. A l’instant où ils sont descendus de cette Suzuki Swift à la peinture écaillée, ils sont devenus mes stars à moi, comme ça, instantanément. Je ne les avais même pas vu jouer ; après, ça a été pire. Je me suis pris pour Phil Spector et j’ai voulu être directeur de label. Je voulais me droguer et ne plus porter rien d’autre que ces Sonora mexicaines à talons biseautés que je venais de m’acheter.
Je fumais mes trente-trois ans avec une férocité maladive, et je savais plus que jamais que j’étais né en 71, la veille de Noël.
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