mercredi 16 mars 2011

Chronique d'un tournant de page annoncé - FIN.

Agop est beau comme une image. Il sait, d’un regard, noyer de charme l’attitude la plus mesquine, et en ça, sa capacité de séduction est sans limite. Ses racines arméniennes, aussi ténébreuses que veloutées, ostentatoires mais discrètes, le rendent à la fois macho et poète dans un cocktail imparable de romantisme slave et d’énigmatisme oriental. Une guitare autour du cou, l’ancien leader de Nacimiento n’a de cesse de se rêver adulé comme un demi-dieu aux dents blanches, tout en délaissant sans le moindre état d’âme les affres de la création. Agop ne veux pas souffrir, Agop veut sourire en se foutant de la gueule du monde, Agop veut du fric mais du fric aimant, du fric séduit, du fric classieux. Alors il réserve sa tristesse, la vraie, celle qui le fait certainement pleurer quand il est sûr d’être seul, se glisser timidement dans sa musique comme une chatte dans l’embrasure d’une fenêtre de chambre calme. Agop est un je-m’en-foutiste biscornu, un paradoxe gratuit, un doute filigrané. Et si briller lui suffit souvent, espérer l’illumine parfois.

Oh ! Tiger Mountain est grand comme un bouleau blanc que l’on aurait planté dans une forêt de hêtres. Parce qu’en lui quelque chose cloche les autres le regardent en biais, mi-figue mi-raisin, hésitant entre jalousie et enthousiasme, juste parce qu’il est cet extra-terrestre humanoïde longiligne et gentil des dessins animés après lequel les forces du mal aiment à s’acharner, et qui finira par périr pour laisser à un héros banal le panache de la vengeance. Une guitare autour du cou, l’ancien leader des Nation All Dust n’a de cesse de se rêver libéré de la faim ou de la nécessité de chier pour pouvoir définitivement se noyer dans des histoires d’amour aux accents de nouvelle vague, qu’il sabordera avec de longs silences ou de terribles déclarations avant d’en pleurer le souvenir à grands renforts d’apostrophes révoltées jetées à la face de dieux impavides. Oh ! Tiger Mountain voudrait être un sorcier sans éprouver la peur, mais voudrait aussi pouvoir trembler sans inspirer la crainte. Cela rend ses chansons si calmes qu’elles font froid dans le dos, comme la première gorgée d’un thé brûlant à l’odeur familière mais au goût inexplicablement étranger.

usthiax est fier comme un chef de village. Ses mains sont assez puissantes pour ouvrir en deux la terre juste avant que le soleil ne soit levé mais au bout, ses ongles sont ceux d’un horloger, nacrés et lisses. usthiax sait sourire comme un pot de miel mais son front est couvert d’une brume butée et menaçante ; il marche comme un félin noué de muscles durs mais son cœur est tout mou comme celui d’un passereau, et ainsi en va-t-il de son âme comme d’une valse prussienne, violente, martiale et farouchement indépendante sur un temps, lascive, fragile et délicate sur les deux autres, qui pensent mourir à chaque fin de mesure. Une guitare posée sur la cuisse, l’ex-enfant des collines fait pleuvoir depuis d’interminables assiduités musicales des nuées de promesses harmonieuses et légères, comme les pas de la ballerine s’envolent sur la scène depuis des rangées d’orteils en sang. Adossé aux murs d’une forge incandescente aux odeurs de résine, il sait manipuler les pinces aux pattes plates et les longues tiges d’acier, mais sort invariablement des flammes de son fourneau anachorète de doucereux objets de verre, fragiles mais tenaces, laborieux de grâce, mâtinés d’une peine iridescente ressurgie des plus anciennes fables, celles du temps où les hommes avaient encore peur des orages.

Agop, Oh ! Tiger Mountain, usthiax : ma trilogie trinitaire, mon écheveau sacristique, mon ascétique frustration de ne pas savoir quoi faire d’une guitare que je me passerai autour du cou ou poserai sur ma cuisse afin d’en faire jouer les cordes et errer enfin, moi aussi, dans des limbes célestes dépourvues de foi mais dévouées aux mystères. 2008, 2009, 2010, années de côtoiements délicieux, merci merci merci, merci trois fois.

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