lundi 21 avril 2014

Hoooo hiiiisssse : Enculé !

Au début ça a généré des émeutes, surtout dans les villes dont l’économie reposait grandement dessus, c'est-à-dire les villes les plus pauvres, en gros. Les villes riches avaient aussi toutes un club, mais elles se remirent plus facilement de la perte financière publique. Dans les autres, les échauffourées ont duré parfois jusqu’à plusieurs mois. Globalement, ce sont, pour la plupart, des financements politiques qui se sont retrouvés amputés. Mais ils ont tenu bon parce que ce sont les joueurs qui ont le plus souffert, finalement, et qu’ils ne représentaient pas un poids politique suffisant pour infléchir le processus. La plupart d’entre eux a décidé de s’expatrier vers les rares états n’ayant pas encore ratifié la Convention, mais ces paradis-là étaient si peu nombreux que le gros de ce flot d’immigrés exceptionnels n’a pas retrouvé de poste sur les terrains ; finalement, les derniers championnats traditionnels, faute d’équipes, ont fini par se jouer en circuit fermé avant que le manque d’infrastructures, de joueurs et d’enjeux ne finisse par lasser un public saigné à blanc par des tarifs exorbitants.
Partout ailleurs, les premières poules de Rencontres Internationales non rémunérées, non payantes et non sponsorisées ont attiré des foules énormes. La violence connut un pic dans les stades, comme une réaction épidermique : les supporters, comme ivres, se jetèrent dans des pugilats gigantesques et la plupart des rencontres ne purent être menées à terme, les pelouses étant envahies par d’identiques scènes de chaos. Certains joueurs essayèrent bien de se mettre en grève, mais le résultat escompté ne vint pas : ils furent conspués et pour certains d’entre eux, cette décision fut même lourde de conséquences, leur intégrité physique s’en retrouvant menacée à chacune de leur sortie, leur appartement finissant par être saccagés et leur véhicules vandalisés, comme le seraient d’anciens dictateurs déchus livrés à la plèbe sans autre forme de procès. Les plus grandes stars jouèrent ainsi encore quelque temps dans des stades toujours plus livrés à l’hystérie populaire, ne sachant trop que faire d’autre dans l’immédiat. Mais l’absence d’argent fit rapidement son œuvre et une fois qu’ils eurent définitivement déserté les stades en tentant des reconversions dans les sports encore autorisés à spéculer, le football tel qu’on l’avait connu disparut définitivement. Cela prit encore une petite décennie avant que le phénomène ne se propage au reste des disciplines sportives. Le sport automobile résista le plus longtemps : la boxe et le MMA plièrent assez vite, le cyclisme aussi, la plupart des sports olympiques, à l’image du rugby, n’ayant pas eu le temps d’être entièrement assujetti  à l’argent se livrant de plus ou moins mauvaise grâce à ce nouveau régime entièrement privé de subsides. Les athlètes changèrent de branche comme de chemise pendant un temps, ce qui rendit la plupart des rencontres assez médiocres. Puis les choses se mirent lentement à retrouver un semblant d’équilibre et le sport, dans sa grande globalité, redevint un divertissement populaire en cessant d’être le spectacle savamment organisé qu’il était devenu. Les média délaissèrent la plupart des rencontres, et peu à peu, il n’y eut plus d’autres stars sportives que de brillants amateurs du dimanche communément occupés, le reste de la semaine, à d’honorables métiers ennuyeux et sous-payés. D’impressionnants effondrements économiques eurent lieu, quelques empires financiers s’abattant avec fracas, entraînant avec eux des consortiums entiers. Certains pays n’y survécurent pas et s’effondrèrent dans un marasme économique inexorable qui généra de nouveaux flux migratoires insoupçonnés. Les bourses mutèrent pour accentuer la spéculation sur les matières premières, ce qui accrût les inégalités, tandis que les rencontres clandestines se multiplièrent un peu partout. Les paris frauduleux se multiplièrent mais l’étau de l’administration fiscale et policière internationale ne se desserra jamais suffisamment pour que les bookmakers ne puissent se re-transformer en agents et promoteurs. C’est à peu près ce moment-là que de premiers joueurs supplantèrent les hommes des grandes écoles à la tête des plus hautes instances politiques. Les campagnes électorales se mirent à suivre étrangement des stratégies footballistiques, tandis que les programmes électoraux se simplifièrent jusqu’à tenir en quelques lignes. En réaction, une vague spectaculaire de politiciens encore jeunes, issus des nouvelles générations d’élites, se mirent à fréquenter les terrains amateurs en tentant de battre campagne au plus près des foules et de fil en aiguille, ils se mirent à s’y illustrer crampons aux pieds. Les ex-athlètes devinrent bedonnants, et les ex-politiciens sveltes et noueux. On se mit à demander aux premiers de poser dans les gradins lors des rencontres dominicales, où ils se mirent à afficher leur soutien à d’anciens ministres ou économistes arpentant, eux, des terrains mal entretenus en craignant une blessure. La presse se remit à s’intéresser sporadiquement à ces micro-évènements, jouant sur les deux tableaux en diffusant des images d’archives des uns ou des autres en commentant leurs étonnants changements respectifs, et leurs prouesses potentielles dans leur nouveau domaine. Ainsi, si les matches avaient inexorablement perdu en qualité, ils regagnèrent un certain intérêt aux yeux des foules; de leur côté, les anciens athlètes-stars, adulées par le grand public, s’avérèrent hélas de piètres chefs d’états.
Cela ne manqua pas : la guerre éclata partout, les chefs d'états de cette nouvelle génération soldant la plupart de leurs entretiens diplomatiques par des coups de boule, des crachats et des machettes ou des balayettes.
Cependant, il faut ici rendre hommage à un étonnant particularisme politique inhérent à ces nouveaux leaders internationaux : cette fois-ci, il fut acté que les conflits se joueraient sur les terrains de sport. Finies les guerres navales, aériennes et terrestres meurtrières : à leur tout, les militaires furent chargés d’investir les terrains, les gymnases et les stades, et les nations jouèrent leur destin lors de rencontres de basket, de football ou d’athlétisme suscitant des ferveurs nouvelles et démesurées. 
Certes, les matches étaient devenus prétexte à de sanglantes guérillas au cœur desquelles les anciens hooligans avaient troqué les poings américains et les chaises de café contre des mitrailleuses lourdes et des grenades, mais globalement, cette guerre-là, au regard de sa dimension mondiale, fut la moins meurtrière que les hommes connurent. Les généraux et leurs armées, débarrassés de leurs armes usuelles, s’y affrontèrent sur tout le globe, en uniforme, jusqu'à ce que les quarts de finale, puis les demi-finales, n’aboutissent à mettre en opposition deux dernières nations s’étant particulièrement illustrées dans les arènes.
Le pays finaliste fut porté en triomphe aux quatre coins de la planète, et tous voulurent porter ses couleurs pour célébrer la paix revenue. Il fallut donc produire énormément de vêtements, de fanions et de tenues à son effigie. Puis les places du premier match d’exhibition amicale post-guerre opposant vainqueurs et vaincus furent mises aux enchères. Elles atteignirent des records de vente jusqu'ici méconnus. Les chaînes de TV renforcèrent leurs dispositifs de couverture pour que l'évènement soit relayé simultanément dans tous les foyers en sollicitant de nombreux sponsors et en augmentant de façon colossale leurs recettes publicitaires.
Et tout recommença. 

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