Le supporter choisit un camp.
C’est son essence même : le choix. Pour lui, être, c’est appartenir. C’est
ainsi depuis l’aube de l’humanité, comme sur un plateau de baby-foot :
attachés mutuellement sur une tige, rigides, têtus, les rouges ne font qu’un
face aux bleus, qui ne font qu’un sur
une autre tige en face, pareillement rigides, et pareillement têtus.
Les militants choisissent un
candidat, et dessinent des moustaches ou des injures sur les affiches collées
par les militants qui militent pour un autre candidat. Sinon, ils les arrachent.
Et ils recollent les leurs par-dessus. Après, ils se tabassent. Ils pourraient
faire ça en catimini, dans des endroits qu’on leur réserverait pour qu’ils
s’amusent, mais non : ce qui caractérise le militant, c’est son besoin
vital d’envahir l’espace de son militantisme. Il enfonce des papiers glacés
criards contradictoires dans les boîtes aux lettres chaque jour, tandis que des panneaux mobiles spécialement
dédiés à son usage envahissent soudainement
le paysage, pour que nul ne puisse rater cette période de grande
élévation durant laquelle les arrachages, les injures et les graffitis vont se
succéder sans relâche.
Les supporters choisissent une
équipe, et fabriquent des banderoles gigantesques qu’ils cousent
scrupuleusement dans des locaux associatifs pour pouvoir déployer dans des
stades des injures en format géant mûrement réfléchies à l’encontre des
supporters de l’équipe adverse. Sinon, ils leur jettent des trucs dessus.
Après, ils se tabassent. Ils pourraient faire ça juste dans les stades, qui
sont des endroits qu’on leur réserve pour qu’ils s’amusent, mais non : ce
qui caractérise le supporter, c’est son besoin vital d’envahir l’espace de son
supporting. Des troupes accessoirisées envahissent le paysage du matin jusqu’au
soir, pour que nul ne puisse rater ces moments de grande élévation durant lesquels
les chants, les cris, les injures et les défilés vont se succéder sans relâche.
Les manifestants choisissent une
injustice, et dessinent des pancartes en carton avec des blagues et des fautes
d’orthographe qu’ils peignent scrupuleusement dans des locaux associatifs pour
pouvoir les brandir derrière un camion sur lequel un super-manifestant crie des
slogans pleins de colère à l’encontre des auteurs de l’injustice en question.
Sinon, ils lèvent le poing en l’air en ayant l’air très énervés. Après, ils se
tabassent (généralement contre la police). Ils pourraient faire ça dans un
endroit précis, l’endroit où généralement d’ailleurs, ils finissent par
atterrir, mais non : ce qui caractérise le manifestant, c’est son besoin
vital d’envahir l’espace avec sa manifestation. Il marche à la queue-leu-leu
très lentement avec plein d’autres manifestants en plein milieu de rues où
passent d’ordinaire beaucoup de voitures, et regarde très fièrement autour de
lui le dérangement qu’il cause en tapant très fort sur un bidon.
L’individu, lui, choisit de
douter. Il choisit parfois de militer,
parfois de supporter, parfois de manifester, mais en renforçant ses convictions
par leur mise en opposition avec d’autres convictions, quitte à se retrouver
déstabilisé ; il supportera ce qu’il y a de joyeux, de loyal et d’étonnant
dans le sport, sans conspuer le vaincu ni sanctifier le vainqueur, parce qu’au
fond, il lui semble exagéré d’aduler ce qui ne doit être qu’admiré ; il
manifestera ses idées en dénonçant l’arbitraire, mais n’éprouvera pas le besoin
prosélyte d’ériger sa cause en autocratie morale.
Il jouera au baby-foot mais lui, tiendra l’embout des tiges au lieu d’y être attaché. Et il supportera les insupportables, parce qu’en sa qualité d’individu, il conviendra que chacun doit rester libre, même de devenir la propriété d’une idée, d’une couleur ou d’une cause.
Il jouera au baby-foot mais lui, tiendra l’embout des tiges au lieu d’y être attaché. Et il supportera les insupportables, parce qu’en sa qualité d’individu, il conviendra que chacun doit rester libre, même de devenir la propriété d’une idée, d’une couleur ou d’une cause.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire