jeudi 24 septembre 2009

De la Liste de lecture, Vol.3


Etrange sensation que de subir partout les coulées de plomb d'un début d'été à Marseille dans ces dernières horribles semaines qui tiennent en laisse les Grandes Vacances, dans des wagons de métro pleins comme des étuves, étouffé sous la furie des voitures et de la ville sous asphyxie, avec, entre les mains, un livre écrit par un guinéen.
Un livre qui traite de l'épopée coloniale véridique d'un marseillais parti à l'assaut de l'Afrique de l'Ouest dans les dernières années d'un 19ème siècle implosif, un livre qui traite d'une épopée elle-même dévorée de chaleurs, de fièvres et de dysenteries...
Puant et suant à côté d'autres qui suaient et puaient sur les banquettes plastiques marrons du métro marseillais, j'ai embarqué dans ce récit apparemment bon enfant, mais voilà : Tierno Monénembo écrit son pays comme un blanc.
De façon diaboliquement équivoque, sa verve se délecte de la vision orgueilleusement raciste du progrès tel qu'on a pu le concevoir dans un passé pas si lointain, et il est fascinant de devoir régulièrement se rappeler, tout au long de ce livre, que c'est bien un noir, lui-même natif de cette Guinée dont il raconte l'asservissement et le jeu de convoîtises, qui tient la plume, tant certains de ses passages sont effrayants de justesse et de cynisme.
Il y est question de la prodigieuse aventure d’Aimé Victor Olivier, devenu Olivier de Sanderval, qui voulut se tailler un royaume au nez et à la barbe des autorités coloniales françaises… et des anglais. Au début des années 1880, ce fils de négociant marseillais fonde en effet le projet de conquérir à titre privé le Fouta Djalon, et d’y faire passer une ligne de chemin de fer.
On a presque tout oublié de lui : il fut pourtant un précurseur de la colonisation, ses aventures faisant le régal des gazettes parisiennes de l’époque. Au cours de ses cinq voyages successifs, il parviendra à l'exploit spectaculaire de gagner la confiance de l’Almâmi, ce chef suprême du royaume du Fouta Djalon, qui lui donnera le plateau de Kahel, et l’autorisera même à battre monnaie à son effigie.
Mais Sanderval échouera ; il finira par revenir à Marseille pour y sombrer, malade, dans un mysticisme halluciné avant de mourir dans le dénuement.
Coincé entre "Aguirre ou la colère de Dieu" et le snob délicieusement décalé d'un Jules Verne, "Le Roi de Kahel" m'a fait passer et repasser la Ligne 1 de la RTM dans un chaos contradictoire de jubilation, de fascination et de scepticisme.
"Alors, depuis ses palais de Kahel, lentement, de la même manière que la lèpre gagne le corps, sa puissance et sa gloire s'étendraient, paillotte par paillotte, tribu par tribu, savane par savane, forêt par forêt, sur le continent tout entier. D'abord les Peuls, puis les Bambaras, les Songhaïs, les Mossis, les Haoussas, les Béribéris, les Bantous, tous les Nègres de la terre avec ou sans balafres, avec ou sans turban, avec ou sans un os en travers du nez. Arrachés à leur jungle et à leurs ténébreuses pensées, ces sauvages auraient suffisamment goûté à l'algèbre et aux mets délicats, à l'architecture et aux théories de Platon, avant que sous la poussée inéluctable de l'évolution les climats ne se dérèglent, que les glaciers de la Laponie n'envahissent le Languedoc et que les pauvres petits Blancs affolés ne courrent se réchauffer près de l'Equateur. L'Afrique serait alors le centre du monde, le coeur de la civilsation, la nouvelle Thèbes, la nouvelle Athènes, la nouvelle Rome et la nouvelle Florence tout à la fois. et ce serait ce nouvel âge de l'Humanité qu'il avait pressenti bien avant les autres et dont les bases auraient été jetées par son génie à lui."

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