mardi 27 septembre 2011

Six est la profondeur, en pieds, à laquelle un cercueil est traditionnellement placé. (6/20)

Voici le sixième d’une série de 20 poèmes, qui (devraient, théoriquement, mais des fois, je n'ai pas le temps) seront postés durant 20 jours.

Comment la Reine Margot échoit-elle dans une liste de poèmes ? Et bien assez naturellement finalement, car il se trouve que Marguerite de Valois, septième fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, est un personnage saisissant, sorte de Mme de Sévigné avant l’heure…
Mais observons tout d’abord, -il serait bien difficile de ne pas céder à la tentation-, un léger détour du côté de son père : nous sommes en 1559 et l’histoire rapporte ce fait à la fois romantique, cruel et terrifiant à propos de ce fils du légendaire François 1er. A 40 ans, Henri II est, à l’image de son auguste père, un véritable homme de la Renaissance sachant tout aussi bien s’adonner aux Arts qu’à l’épée ; c’est ainsi qu’il se retrouve à disputer un tournoi organisé en l’honneur du mariage d’une de ses filles, au cours duquel il affronte le capitaine de sa propre garde écossaise : son destin bascule quand cet adversaire lui plante sa lance dans l’œil. C’est à Ambroise Paré, alors à la tête des meilleurs chirurgiens de la cour, qu’est confié le sort du monarque. C’est ici que l’Histoire rapporte alors un fait coutumier de l’époque : Ambroise Paré demande l’autorisation de « reproduire la blessure sur des condamnés pour mieux la soigner ». Laissons donc ici vagabonder notre imagination quelques secondes et planter un décor de la Renaissance, longue période transitoire aux contours plutôt mal définis, traversée de révolutions culturelles, géographiques, scientifiques, intellectuelles et artistiques, mais néanmoins marquée de façon très vivace par le sceau d’un Moyen-âge brutal et féroce… Henri ne survivra pas, et comme ce nombre inconnu d’infortunés qui se seront fait sciemment, mais en vain, planter une lance dans l’œil par les assistants d’Ambroise, il mourra dans d’atroces souffrances.

Quant à Marguerite de Valois, dont l’existence démarre dans un siècle où les rumeurs, les ragots et les outrages sont monnaie courante tant les tensions sont vivaces, on lui prête très tôt des relations incestueuses non pas avec un, mais avec ses trois frères ; sa légendaire beauté, que Brantôme, l’abbé soldat du Périgord figurant parmi les plus illustres chroniqueurs de son époque, décrira en ces termes : « S’il y en eust jamais une au monde parfaicte en beauté, c’est la royne de Navarre ! » fera qu’on lui prêtera aussi un grand nombre d’amants plus ou moins fantasmés. Mariée à Henri de Navarre dans le but de mettre un terme à une troisième guerre de religion - le général des jésuites qualifiera le mariage « d’union exécrable »- , le mythe d’une « femme lubrique née dans une famille maudite » la poursuivra longtemps, avant que le souvenir de cette femme exceptionnelle, remarquable latiniste très cultivée possédant à la fois beauté, santé, intelligence et énergie, soit réhabilité. Il reste néanmoins que si le nombre d’amants qu’on lui a prêté reste démesuré, le couple royal a affiché sans grand mystère ses infidélités mutuelles, tout en accomplissant un devoir conjugal minutieux et protocolaire.
Ce poème délicieux de romantisme, d’éperdu et de passion, adressé par Marguerite à son amant Champvallon, traduit remarquablement le goût de la reine pour les formes poétiques anciennes. Il s’intitule : « Nos deux corps sont en toi… »

Nos deux corps sont en toi,
Je le sais plus que d’ombre.
Nos amis sont à toi
Je ne sais que de nombre.
Et puisque tu es tout
Et que je ne suis rien,
Je n’ai rien ne t’ayant
Ou j’ai tout, au contraire,
Avoir et tout et tien,
Comment se peut-il faire ?...
C’est que j’ai tous les maux
Et je n’ai point de biens.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Le soleil de mes yeux,
Si je n’ai ta lumière,
Une aveugle nuée
Ennuie ma paupière.
Comme une pluie de pleurs
Découle de mes yeux,
Les éclairs de l’amour,
Les éclats de la foudre
Entrefendent mes nuits
Et m’écrasent en poudre.
Quand j’entonne les cris,
Lors, j’étonne les cieux.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Nous n’aurons qu’une vie
Et n’aurons qu’un trépas.
Je ne veux pas ta mort
Je désire la mienne.
Mais ma mort est ta mort
Et ma vie est la tienne.
Ainsi, je veux mourir
Et je ne le veux pas.

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