jeudi 1 septembre 2011

Des truites qui en savent long...

Je n’ai pas eu à attendre, finalement. Ou si peu.

Richard Brautigan est plutôt grand, relativement filiforme, avec un ventre mou. Il n’a rien de l’athlète, mais on sent cependant l’homme habitué, à une certaine époque de sa vie, à parcourir les bois et à courir les routes avec son sac à la manière des hippies. Il semble avoir eu moins de succès avec le camion-stop que Jack Kerouac. C’est que Kerouac était visiblement le fils à sa maman. Brautigan, jusqu’à ce que par pure bonté d’âme il se colle sur le dos femme et enfant, c’est plutôt le chat qui s’en va tout seul. Il porte le cheveu long et clairsemé, une moustache gauloise et de petites lunettes à monture de fer, qui font penser à celles des musiciens allemands du XIXe siècle. Celles de Schubert, par exemple. Ils ont un autre point commun : la passion des truites.
Pour ce qui est du costume, Brautigan se vêt d’une chemise sans cravate et souvent sans col, le genre de chemise de travail comme en portent les gens de la campagne, dans les westerns de John Ford, et également dans le Massif Central, un gilet assez vieillot, avec une chaîne de montre, un Levi’s qui n’a jamais dû connaître de jours meilleurs, confortablement poché aux genoux, et des bottes d’officier sudiste. Quand le temps est mauvais, il ajoute à sa panoplie un caban et un chapeau informe mais dont, si l’on en juge par son état, l’utilité est manifeste.
Il est souvent accompagné d’une dame, sans doute parce qu’il plaît aux dames, par son indépendance d’esprit et ses bonnes manières, et une malice certaine dans le regard.
C’est finalement un modéré. Il ne parle pas de la bombe atomique, ni de la guerre au Vietnam, ni des pauvres ni des riches, il se fout de la couleur des gens, il laisse tout le monde tranquille, même les femmes – encore qu’elles semblent tout de même chargées de la plupart des travaux domestiques. Elles les font d’ailleurs avec un certain plaisir. Il pratique une contraception fort bourgeoise, ce qui évite à ses compagnes les ennuis qu’entraînent l’avortement et les grossesses non souhaitées. Ce n’est pas non plus tellement le genre à fumer des trucs vraiment dangereux.
Il ne bâtit pas de cabane au fond des bois, il a plutôt tendance à s’installer dans celles qu’il trouve toutes faites, en dur sous le nom de résidences secondaires, abandonnées par leur propriétaire, ce qui est très américain.
Le personnage n’a rien de remarquable. Gentil. Il faudra donc le lire, pas moyen de faire autrement, pour découvrir ce qu’il a d’assez unique. S’occuper de ce que les professeurs appellent noblement « le style ». Celui de Brautigan fait tout son charme.
Il procède par anecdotes, historiettes, notes que l’on imagine prises sur de petits bouts de papiers retrouvés au fond des poches, et qui finissent par faire un livre, un livre avec beaucoup de blancs, des blancs qui donnent de l’air et relient ces chapitres entre eux, livre à lire en marchant, ou même en voiture aux feux rouges.
Plus, un sens très précis du cocasse, qui serait chez lui, davantage que simple humour verbal à découvrir au fil des pages, métaphysique. La vertu de ces rapprochements inattendus sera de tout rendre possible.


Préface de « In Water Melon Sugar » par Michel Doury, traducteur français / 1973

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