lundi 15 août 2011

Liste d'août.

« Rosie se mit à rire, avec une intonation délibérément masculine et son cou et sa poitrine tremblèrent comme de la gélatine.
- Sylvia a tricoté son bikini d’après un patron paru dans Cosmopolitan et ils en avaient les yeux qui leur sortaient de la tête !
Sylvia rougit à nouveau, et je commençai à me sentir très mal à l’aise. Le feu couvait sous la cendre.
C’était le genre de configuration émotive qu’on appelle « une faiblesse » et, au bout d’une heure, j’avais commencé à en ressentir tout le poids. Le sang me montait au visage et le bacon de Rosie me donnait la nausée.
- Je sors faire un tour.
Je faillis trébucher dans mon élan en direction de la porte. J’allai à la voiture et farfouillai à la recherche de ma brosse à dents et de médicaments. Pas de Valium, tant que les vapeurs de whisky ne s’étaient pas dissipées. Je n’avais pas oublié. Je vis des flacons de vitamines – B, E et C 250 mg – et cela me déprima. Argh. Plus rien n’est donc naturel ? Dans les îles Tristan de Cunha, ils se nourrissent de poisson, et ils sont heureux. Du lait de bœuf musqué et de la graisse de phoque pour les Aléoutiens. Ils nagent avec les loutres de mer et apprennent leurs ruses. Un besoin convulsif de vitamines. Une semaine sans en prendre et mon corps s’évaporerait en molécules détachées. Tim m’avait dit, après une douche dans ma chambre :
- Pourquoi prends-tu toutes ces saloperies de vitamines ?
Je ne sais pas. J’allume une cigarette et je regarde passer les voitures, rares, et les ménagères qui vont chez l’épicier du coin pendant que les maris dorment encore. C’est une ville plutôt agréable. Je pourrais peut-être me cacher ici. Mais qui donc s’inquiète de me trouver ? »





A Good Day To Die - Jim Harrison – 1973






- « Maintenant, tu comprendras peut-être. Toi, t’as George. Tu sais qu’il va revenir. Suppose que t’aies personne. Suppose que tu n’puisses pas aller dans une chambre jouer aux cartes parce que t’es un nègre ? Suppose que tu sois obligé de rester assis ici, à lire des livres. Bien sûr, tu pourrais jouer avec des fers à cheval jusqu’à la nuit, mais après, faudrait que tu rentres lire tes livres. Les livres, c’est bon à rien. Ce qu’il faut à un homme, c’est quelqu’un… quelqu’un près de lui.
- George va revenir, dit Lennie d’une voix effrayée, pour se rassurer. Peut-être bien que George est déjà revenu. Je ferais peut-être mieux d’aller voir.
Crooks dit :
- J’voulais pas te faire peur. Il reviendra. C’est de moi que je parlais. Imagine un type ici, tout seul, la nuit, à lire des livres peut-être bien, ou à penser, ou quelque chose comme ça. Des fois il se met à penser et il n’a personne pour lui dire si c’est comme ça ou si c’est pas comme ça. Peut-être que si il voit quelque chose, il n’sait pas si c’est vrai ou non. Il ne peut pas se tourner vers un autre pour lui demander s’il le voit aussi. Il n’peut pas savoir. Il a rien pour mesurer. J’ai vu des choses ici. J’étais pas soûl. J’sais pas si je dormais. Si j’avais eu quelqu’un avec moi, il aurait pu me dire si je dormais, et alors je n’y penserais plus. Mais j’sais pas.
Crooks regardait maintenant à l’autre bout de la chambre, vers la fenêtre.
Lennie dit, lamentablement :
- George ne s’en ira pas, il ne me laissera pas seul. J’sais bien que George n’ferait pas une chose pareille.
Le palefrenier continua rêveusement :
- Je m’rappelle quand j’étais gosse, dans la ferme à volailles de mon père. J’avais deux frères. Ils étaient toujours avec moi, toujours là. On dormait dans la même chambre, dans le même lit… tous les trois. On avait un carré de fraisiers, un coin de luzerne. Quand il y avait du soleil, le matin, on lâchait les poulets dans la luzerne. Mes frères plantaient un grillage autour et les regardaient… blancs qu’ils étaient, les poulets. »





Of Mice and Men – John Steinbeck – 1937









« Fran me poussa du coude et me montra la télé de la tête.
- Regarde dessus, me chuchota-t-elle.
Je suivis son regard. Il y avait un petit vase rouge dans lequel on avait fourgué des marguerites. A côté du vase, sur le napperon, un moulage de dents, les dents les plus tordues et irrégulières que j’aie jamais vues de ma vie. Il n’y avait pas de lèvres à ce truc affreux, pas de mâchoires, juste des dents en plâtre plantées dans quelque chose qui ressemblait à d’épaisses gencives jaunâtres.
A ce moment-là, Olla revint avec une soucoupe de cacahuètes et une boîte de 7 Up. Elle avait enlevé son tablier. Elle posa la soucoupe sur la table basse à côté du cygne.
- Servez-vous, dit-elle. Bud vous apporte à boire.
Sur quoi, elle se remit à rougir. Elle s’assit dans un vieux rocking-chair en rotin et se mit à se balancer en buvant son 7 Up devant la télé. Bud revint avec un petit plateau sur lequel il y avait le whisky de Fran et ma bouteille de bière. Il y avait aussi une canette pour lui.
- Tu veux un verre ?
Je secouai la tête. Il me tapota le genou et se tourna vers Fan. Elle prit le verre que Bud lui tendait et dit :
- Merci.
Puis elle se remit à regarder le dentier. Bud suivit son regard. Les voitures vrombissaient sur la piste. Je pris ma bière et me concentrai sur l’écran. Les dents, c’était pas mes oignons.
- Ca, c’est les dents d’Olla avant qu’on lui mette des appareils, dit Bud à Fran. Moi, je m’y suis fait. »




Cathedral – Raymond Carver – 1980








« L’essence du romantisme est un sentiment de libération qui semble déboucher sur un monde intérieur. Nous vivons dans le monde réel comme un cheval sous le harnais que son cavalier maintient en éveil en l’effleurant de son fouet. Ainsi, nous sommes relégués dans le monde physique, piégés dans la réalité immédiate.
Lorsque l’humeur est vagabonde, l’esprit cesse d’être confiné dans le présent. Le corps se détend et l’esprit voyage. Notre sensibilité n’est plus bridée. Je peux ouvrir une anthologie poétique, évoquer toute une succession d’émotions et entrer dans chaque poème avec toute ma sensibilité. C’est comme si l’on m’avait donné la clé d’un monde qui se trouve en moi-même. Comme si l’on m’avait accordé un type de liberté presque inconnu des être humains. Voilà l’idéal réel des romantiques, cette curieuse liberté.
Mais est-il bien exact de la décrire comme la liberté de plonger en nous-mêmes ? Si je lis un volume de poèmes, je vogue dans le monde des poèmes ; je n’explore pas l’univers extérieur, mais mon propre univers intérieur non plus. Ce monde de poèmes – ou d’idées – représente un troisième univers. Le philosophe Karl Popper a été le premier à souligner que celui-ci a sa propre existence. Si une catastrophe atomique détruisait toutes nos bibliothèques et n’épargnait qu’une poignée d’êtres humains ayant perdu la mémoire, l’humanité mettrait des milliers d’années à retrouver son niveau culturel actuel. Mais si les bibliothèques demeuraient intactes, il ne faudrait alors que quelques générations. Ce monde qui se trouve dans les livres possède sa propre existence indépendante.
Mais ce « troisième monde » est aussi la porte d’accès à notre univers personnel. Je peux poser mon livre, regarder par la fenêtre et me laisser aller à la rêverie pendant des heures. Peut-être même serai-je alors envahi d’une paix intérieure si profonde que je ressentirai une sorte de révélation mystique, comme le héros de The Hill Of Dreams*. »
*roman de Machen que Lovecraft préférait.






Introduction au Necronomicon par Colin Wilson - 1975


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