Nous choisissons de manger dehors, ce qui s’avère être une demi-mauvaise idée. Au milieu d’un repas composé de saucisses, de poivrons grillés, de tomates persillées et du reste de pâtes froides d’hier nappées d’huile d’olive, nous rentrons les uns après les autres récupérer un pull à l’intérieur. Je n’ai toujours pas réussi à chier depuis que je suis arrivé. Ca n’arrange pas mon caractère.
Au milieu de l’après-midi, j’encourage les filles à monter au hameau. La route grimpe sans discontinuité, de petits lacets très raides qui s’enchaînent sur un bitume gris délavé bosselé et creusé d’ornières. Au fur et à mesure qu’on monte vers le col les montagnes se resserrent autour de nous comme un étau ; la route se transforme en goulet étroit parsemé de tunnels creusés à même la roche. Ma femme avoue ne pas se sentir très à l’aise, la petite, elle, hésite entre être blasée et partager mon affection pour cette montée sinueuse au cœur du minéral. L’air s’est raréfié au point que j’en ai vaguement mal à la tête, si bien que j’ai un instant peur d’être assailli par une migraine, mais je m’efforce de ne pas y penser.
Arrivés au hameau, l’ambiance est lourde. Les nuages sont descendus très bas, et le temps reste indécis. Dans un silence gênant, des cris d’animaux retentissent d’un bout à l’autre des maisons qui s’entassent à flanc de montagne. Des hennissements, pour la plupart. Nous nous dirigeons à pied vers le grand enclos boueux qui marque l’entrée du village, où plusieurs chevaux sont attachés à un tronc d’arbre à quelques pas d’un préau. Autour, un gourbi fait de grandes mares odorantes, de fûts de tôle découpés et d’antiques pièces de charrue rouillées fait face à un ancien colombier retapé. Il y a là trois enfants, qui zigzaguent entre les bêtes aux naseaux fumeux.
Une fillette d’une dizaine d’année au visage farouche, vêtue de cette immonde tenue des lads – hautes bottes noires, pantalon d’écuyer sombre maculé de boue et gilet de cuir sans manches – nous accueille assez timidement mais le plus petit, qui doit avoir dans les sept ans, traverse la route pour prendre les choses en main, l’avant-bras droit dans un plâtre rapiécé. Trapu, les cheveux coupés ras, les jambes nues et les pieds enfoncés dans des bottes en plastique à la couleur indéfinissable, il s’avance vers nous d’un pas décidé. Le troisième le suit à quelques pas de distance. Ma fille n’en mène pas large. Le plus grand, celui qui clôture la marche, a l’air le moins dégourdi avec sa tignasse brune et ses grosses joues. Tous les trois pataugent dans la fange puante comme si de rien n’était, et s’égalent en crasse. Après une courte négociation qui nous déleste de cinq euros, nous nous en tirons avec Flamme, une ponette grassouillette aux sabots très écornés et au caractère acariâtre, puis nous partons sur une route de goudron. Nous sommes ici si loin de tout qu’on se croirait à l’étranger, ou au moyen-âge. Les sols fument, des animaux nous toisent l’œil morne, chèvres à la longue barbichette, porcs maigrelets souillés du poitrail à la truffe, coqs et pou
Quand nous reprenons la voiture pour amorcer la descente, un grand vrai rayon de soleil darde enfin sur le bitume. J’ai un peu la sensation de sortir d’un rêve grumeleux peuplé d’animaux et de purin tandis que nous traversons les tunnels de pierre tous feux allumés, et quand enfin nous débouchons sur la départementale, « You Shoot Me All Night Long » d’AC/DC arrive dans l’auto-radio. Alors que j’augmente le volume, ma femme se met curieusement à secouer la tête de façon très détendue, puis ma fille me demande si c’est ça du rock. Merde. Ca doit ressembler à ça, les vacances. Quelque chose comme ça.
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