lundi 29 août 2011
Le train sifflera trois fois
lundi 15 août 2011
Liste d'août.
- Sylvia a tricoté son bikini d’après un patron paru dans Cosmopolitan et ils en avaient les yeux qui leur sortaient de la tête !
Sylvia rougit à nouveau, et je commençai à me sentir très mal à l’aise. Le feu couvait sous la cendre.
C’était le genre de configuration émotive qu’on appelle « une faiblesse » et, au bout d’une heure, j’avais commencé à en ressentir tout le poids. Le sang me montait au visage et le bacon de Rosie me donnait la nausée.
- Je sors faire un tour.
Je faillis trébucher dans mon élan en direction de la porte. J’allai à la voiture et farfouillai à la recherche de ma brosse à dents et de médicaments. Pas de Valium, tant que les vapeurs de whisky ne s’étaient pas dissipées. Je n’avais pas oublié. Je vis des flacons de vitamines – B, E et C 250 mg – et cela me déprima. Argh. Plus rien n’est donc naturel ? Dans les îles Tristan de Cunha, ils se nourrissent de poisson, et ils sont heureux. Du lait de bœuf musqué et de la graisse de phoque pour les Aléoutiens. Ils nagent avec les loutres de mer et apprennent leurs ruses. Un besoin convulsif de vitamines. Une semaine sans en prendre et mon corps s’évaporerait en molécules détachées. Tim m’avait dit, après une douche dans ma chambre :
- Pourquoi prends-tu toutes ces saloperies de vitamines ?
Je ne sais pas. J’allume une cigarette et je regarde passer les voitures, rares, et les ménagères qui vont chez l’épicier du coin pendant que les maris dorment encore. C’est une ville plutôt agréable. Je pourrais peut-être me cacher ici. Mais qui donc s’inquiète de me trouver ? »

A Good Day To Die - Jim Harrison – 1973
- George va revenir, dit Lennie d’une voix effrayée, pour se rassurer. Peut-être bien que George est déjà revenu. Je ferais peut-être mieux d’aller voir.
Crooks dit :
- J’voulais pas te faire peur. Il reviendra. C’est de moi que je parlais. Imagine un type ici, tout seul, la nuit, à lire des livres peut-être bien, ou à penser, ou quelque chose comme ça. Des fois il se met à penser et il n’a personne pour lui dire si c’est comme ça ou si c’est pas comme ça. Peut-être que si il voit quelque chose, il n’sait pas si c’est vrai ou non. Il ne peut pas se tourner vers un autre pour lui demander s’il le voit aussi. Il n’peut pas savoir. Il a rien pour mesurer. J’ai vu des choses ici. J’étais pas soûl. J’sais pas si je dormais. Si j’avais eu quelqu’un avec moi, il aurait pu me dire si je dormais, et alors je n’y penserais plus. Mais j’sais pas.
Crooks regardait maintenant à l’autre bout de la chambre, vers la fenêtre.
Lennie dit, lamentablement :
- George ne s’en ira pas, il ne me laissera pas seul. J’sais bien que George n’ferait pas une chose pareille.
Le palefrenier continua rêveusement :
- Je m’rappelle quand j’étais gosse, dans la ferme à volailles de mon père. J’avais deux frères. Ils étaient toujours avec moi, toujours là. On dormait dans la même chambre, dans le même lit… tous les trois. On avait un carré de fraisiers, un coin de luzerne. Quand il y avait du soleil, le matin, on lâchait les poulets dans la luzerne. Mes frères plantaient un grillage autour et les regardaient… blancs qu’ils étaient, les poulets. »
- Regarde dessus, me chuchota-t-elle.
Je suivis son regard. Il y avait un petit vase rouge dans lequel on avait fourgué des marguerites. A côté du vase, sur le napperon, un moulage de dents, les dents les plus tordues et irrégulières que j’aie jamais vues de ma vie. Il n’y avait pas de lèvres à ce truc affreux, pas de mâchoires, juste des dents en plâtre plantées dans quelque chose qui ressemblait à d’épaisses gencives jaunâtres.
A ce moment-là, Olla revint avec une soucoupe de cacahuètes et une boîte de 7 Up. Elle avait enlevé son tablier. Elle posa la soucoupe sur la table basse à côté du cygne.
- Servez-vous, dit-elle. Bud vous apporte à boire.
Sur quoi, elle se remit à rougir. Elle s’assit dans un vieux rocking-chair en rotin et se mit à se balancer en buvant son 7 Up devant la télé. Bud revint avec un petit plateau sur lequel il y avait le whisky de Fran et ma bouteille de bière. Il y avait aussi une canette pour lui.
- Tu veux un verre ?
Je secouai la tête. Il me tapota le genou et se tourna vers Fan. Elle prit le verre que Bud lui tendait et dit :
- Merci.
Puis elle se remit à regarder le dentier. Bud suivit son regard. Les voitures vrombissaient sur la piste. Je pris ma bière et me concentrai sur l’écran. Les dents, c’était pas mes oignons.
- Ca, c’est les dents d’Olla avant qu’on lui mette des appareils, dit Bud à Fran. Moi, je m’y suis fait. »
Lorsque l’humeur est vagabonde, l’esprit cesse d’être confiné dans le présent. Le corps se détend et l’esprit voyage. Notre sensibilité n’est plus bridée. Je peux ouvrir une anthologie poétique, évoquer toute une succession d’émotions et entrer dans chaque poème avec toute ma sensibilité. C’est comme si l’on m’avait donné la clé d’un monde qui se trouve en moi-même. Comme si l’on m’avait accordé un type de liberté presque inconnu des être humains. Voilà l’idéal réel des romantiques, cette curieuse liberté.
Mais est-il bien exact de la décrire comme la liberté de plonger en nous-mêmes ? Si je lis un volume de poèmes, je vogue dans le monde des poèmes ; je n’explore pas l’univers extérieur, mais mon propre univers intérieur non plus. Ce monde de poèmes – ou d’idées – représente un troisième univers. Le philosophe Karl Popper a été le premier à souligner que celui-ci a sa propre existence. Si une catastrophe atomique détruisait toutes nos bibliothèques et n’épargnait qu’une poignée d’êtres humains ayant perdu la mémoire, l’humanité mettrait des milliers d’années à retrouver son niveau culturel actuel. Mais si les bibliothèques demeuraient intactes, il ne faudrait alors que quelques générations. Ce monde qui se trouve dans les livres possède sa propre existence indépendante.
Mais ce « troisième monde » est aussi la porte d’accès à notre univers personnel. Je peux poser mon livre, regarder par la fenêtre et me laisser aller à la rêverie pendant des heures. Peut-être même serai-je alors envahi d’une paix intérieure si profonde que je ressentirai une sorte de révélation mystique, comme le héros de The Hill Of Dreams*. »
*roman de Machen que Lovecraft préférait.
dimanche 7 août 2011
My own private Idaho (Last part)
En passant devant je sors l’antédiluvien étendage en plastique blanc de dessous le porche pour l’installer dans un rai ardent, en plein milieu des herbes. Le linge balance immédiatement, fuchsia heureux dans le vert des champs. Je réussis le café puis je décide de reconstituer la petite ceinture de pierre qui entoure le bosquet, en ramassant des galets que la pluie a fait rouler plus loin et qui gisent là sur le flanc et en complétant le travail avec d’autres que je glane aux alentours. Lorsque je les remets en place, suivant soigneusement l’arrondi naturel du talus, ceux qui avaient chuté semblent me remercier à leur façon. Je bataille pour trouver une place aux autres, les nouveaux, que je retourne plusieurs fois sur eux-mêmes jusqu’à trouver la bonne arête. Je finis en recalant la deuxième pierre du petit escalier qui monte à la terrasse, la large plate qui branlait obstinément depuis notre arrivée, puis je me redresse, mon mal de dos menaçant de refaire surface. Je rentre me laver la tête en sentant que j’ai probablement l’air hirsute. Au village, nous achetons des fruits et du lait, et pour une pièce, la petite remonte avec un gros morceau de quartz flavescent qu’elle tient serré dans ses mains comme un cœur d’oiseau. Je fais griller d’épais morceau d’agneau et nous déjeunons comme ça, dehors, d’une salade grosse comme un ballon de foot et de galets de chèvre à la pièce étalés sur des tranches de pain de campagne. Peut-être que cet après-midi, nous ne prendrons pas la voiture. Qu’elle restera là, posée sur son socle de gravier comme une ferraille luisante et incongrue, pendant que nous partirons à pied dans un chemin, à la rencontre d’une rivière ou d’un sous-bois. Je ne finirai probablement pas de tailler ce grand bâton sur lequel j’ai passé mon ennui pluvieux, assis sur une chaise. Mon vieux couteau m’a creusé trois belles ampoules dans la main, et j’ai envie de ramasser des poignées de pommes de pin pour le barbecue de ce soir. Les petites sombres, celles qui font crépiter des escarbilles dans le crépuscule comme de petites étoiles filantes bruyantes.
vendredi 5 août 2011
My own private Idaho (part 4)
Lunettes noires sur le nez, nous nous retrouvons au milieu de quatre guêpes opiniâtres à arroser un repas-parasol de grandes quantités de ce vin blanc dont nous sommes tombés amoureux et au moment de régler, l’enfant se renverse une bonne moitié de glace fondue parfum cola sur le t-shirt et le pantalon.
Pourtant, que la montagne est belle... mais nous, nous avons besoin d’amour (c’est comme ça).
jeudi 4 août 2011
My own private Idaho (part 3)
Quand nous atteignons enfin la terrasse du bungalow, un petit cadavre d’oiseau raide trône devant la porte d’entrée. Après un rapide sentiment de dégoût suivi d’un stress bizarrement violent sur le moyen qu’il allait me falloir employer pour l’enlever, je me suis rappelé que nous étions en pleine montagne. J’ai regardé ma fille que la curiosité et l’innocence poussaient à étudier le petit corps rigide sans le moindre rejet, ai chassé l’image de pigeon mort qui me venait de la ville et sans parvenir à le toucher, j’ai récupéré l’oiseau dans une petite pelle en plastique. Nous avons traversé le champ de chardon qui borde la rivière jusqu’à un taillis, et je l’ai déposé là, couché sur le flanc. Nous avons répété une dizaine de fois « pauvre petit oiseau » puis nous sommes remontés au bungalow.
mercredi 3 août 2011
My own private Idaho ( Part 2 )
Nous choisissons de manger dehors, ce qui s’avère être une demi-mauvaise idée. Au milieu d’un repas composé de saucisses, de poivrons grillés, de tomates persillées et du reste de pâtes froides d’hier nappées d’huile d’olive, nous rentrons les uns après les autres récupérer un pull à l’intérieur. Je n’ai toujours pas réussi à chier depuis que je suis arrivé. Ca n’arrange pas mon caractère.
Au milieu de l’après-midi, j’encourage les filles à monter au hameau. La route grimpe sans discontinuité, de petits lacets très raides qui s’enchaînent sur un bitume gris délavé bosselé et creusé d’ornières. Au fur et à mesure qu’on monte vers le col les montagnes se resserrent autour de nous comme un étau ; la route se transforme en goulet étroit parsemé de tunnels creusés à même la roche. Ma femme avoue ne pas se sentir très à l’aise, la petite, elle, hésite entre être blasée et partager mon affection pour cette montée sinueuse au cœur du minéral. L’air s’est raréfié au point que j’en ai vaguement mal à la tête, si bien que j’ai un instant peur d’être assailli par une migraine, mais je m’efforce de ne pas y penser.
Arrivés au hameau, l’ambiance est lourde. Les nuages sont descendus très bas, et le temps reste indécis. Dans un silence gênant, des cris d’animaux retentissent d’un bout à l’autre des maisons qui s’entassent à flanc de montagne. Des hennissements, pour la plupart. Nous nous dirigeons à pied vers le grand enclos boueux qui marque l’entrée du village, où plusieurs chevaux sont attachés à un tronc d’arbre à quelques pas d’un préau. Autour, un gourbi fait de grandes mares odorantes, de fûts de tôle découpés et d’antiques pièces de charrue rouillées fait face à un ancien colombier retapé. Il y a là trois enfants, qui zigzaguent entre les bêtes aux naseaux fumeux.
Une fillette d’une dizaine d’année au visage farouche, vêtue de cette immonde tenue des lads – hautes bottes noires, pantalon d’écuyer sombre maculé de boue et gilet de cuir sans manches – nous accueille assez timidement mais le plus petit, qui doit avoir dans les sept ans, traverse la route pour prendre les choses en main, l’avant-bras droit dans un plâtre rapiécé. Trapu, les cheveux coupés ras, les jambes nues et les pieds enfoncés dans des bottes en plastique à la couleur indéfinissable, il s’avance vers nous d’un pas décidé. Le troisième le suit à quelques pas de distance. Ma fille n’en mène pas large. Le plus grand, celui qui clôture la marche, a l’air le moins dégourdi avec sa tignasse brune et ses grosses joues. Tous les trois pataugent dans la fange puante comme si de rien n’était, et s’égalent en crasse. Après une courte négociation qui nous déleste de cinq euros, nous nous en tirons avec Flamme, une ponette grassouillette aux sabots très écornés et au caractère acariâtre, puis nous partons sur une route de goudron. Nous sommes ici si loin de tout qu’on se croirait à l’étranger, ou au moyen-âge. Les sols fument, des animaux nous toisent l’œil morne, chèvres à la longue barbichette, porcs maigrelets souillés du poitrail à la truffe, coqs et pou
Quand nous reprenons la voiture pour amorcer la descente, un grand vrai rayon de soleil darde enfin sur le bitume. J’ai un peu la sensation de sortir d’un rêve grumeleux peuplé d’animaux et de purin tandis que nous traversons les tunnels de pierre tous feux allumés, et quand enfin nous débouchons sur la départementale, « You Shoot Me All Night Long » d’AC/DC arrive dans l’auto-radio. Alors que j’augmente le volume, ma femme se met curieusement à secouer la tête de façon très détendue, puis ma fille me demande si c’est ça du rock. Merde. Ca doit ressembler à ça, les vacances. Quelque chose comme ça.
mardi 2 août 2011
My own private Idaho... (part 1)
Un peu plus tôt, avant que l’orage ne se déchaîne, un vent féroce s’est abattu sur la vallée en couchant les forêts de pins qui tapissent la montagne qui nous fait face. Le spectacle est impressionnant : voir un flanc de montagne entier se coucher d’un seul élan sous les rafales, et courber à de multiples reprises d’une même marée sous les assauts répétés d’un souffle chargé de pluie épaisse, alors que nous sommes isolés de tout dans ce bungalow incongru, procure un sentiment instinctif plus ou moins
Il y a moins d’insectes que prévu, ce qui est plutôt une bonne surprise. Par contre, nous éprouvons une irrésistible envie de fumer ; nous sommes avides de tabac, comme si nous en avions été privés. Il fait froid. Nous avons sorti tout ce dont nous disposions comme vêtements chauds, et le compte est maigre. Faire chauffer des pates sur la mini plaque de cuisson électrique nous prendra presque une heure, et nous mangerons tous ensemble, serrés les uns contre les autres sur la table étroite dont un pied reste obstinément bancal.
En fumant une ultime cigarette sur la petite terrasse de planches, j’éprouverai un sentiment bizarre. Le fait d’avoir récemment déménagé, là bas, chez nous, à la ville, puis d’être soudainement ici au milieu d’un champ d’altitude, cerné d’une nature potentiellement hostile dans le noir le plus profond me plonge dans une nostalgie imbécile d’un « chez moi » que je ne parviens pas à définir. Je lance un regard hasardeux au barbecue rouillé planté sous la gouttière, sur lequel se déverse toujours un filet d’eau de pluie luisante suintant du toit de bois repeint en vert. En bas, à quelques mètres, la rivière gronde plus profondément qu’en journée, comme en sourdine, pleine de basses et de résonnances inconnues.
Nous fermerons quasiment tous les volets du bungalow, identiquement faits d’un panneau de bois plein. Je n’aime pas dormir dans le noir complet, mais pour ce soir, ça ira.
Dard d'été
Cachée dans l’épaisseur d’un pré
Sentir le dard comme une aiguille
Sursauter
Comme une petite fille se tenir la paume dans la main
En grimaçant avec toutes les dents
Appuyer d’un doigt menaçant
Le pourtour du petit point sensible
Se sentir soudain irascible
Balayer l’horizon radieux
Murmurer des insultes
Se demander à quel endroit l’on range
La petite pince à épiler
Craindre
N’importe quoi, mourir, enfler, manquer d’air
Creuser des rides au coin des yeux en regardant les nuages en haut très haut
Tout ira bien ma fleur
Tout ira bien