mardi 18 octobre 2011

Rentrée littéraire

"Un soir de 1985, j'ai trouvé Alain Pacadis adossé aux colonnes de la cité Bergère, en larmes. Il pleurait tout seul car il venait de se voir refuser l'entrée du Palace. Son perfecto couvert de badges fluo puait le vomi. Il avait probablement déjà chié dans son froc. Il reniflait avec son gros pif plein de morve un caillou de speed ramassé par terre. Lui qui aujourd'hui incarne ce que François Buot (dans un essai consacré en grande partie à lui) baptisa l'Esprit des seventies, s'était fait jeter comme un clodo par le service d'ordre du Palace. Fabrice Emaer était mort, des jeunes gens pas chic avaient récupéré l'endroit, et Paca n'était plus le bienvenu. Edenté, il titubait devant l'entrée, réclamant des verres gratuits alors qu'il risquait à tout moment de sombrer dans le coma. Je n'étais à l'époque pas assez connu pour le faire pénétrer dans cette discothèque dont il incarne aujourd'hui la splendeur. Tu parles! Splendeur, mon cul !, eût dit la Zazie de Queneau. C'est à coups de pompes qu'on virait la loque humaine! Il y a une telle distorsion entre les légendes et la réalité. Scott Fitzgerald à la fin de sa vie: les jeunes le croyaient mort. Kerouac, Blondin, Bukowski, Thompson: parodies d'eux-mêmes. La meilleure chose à faire avec ces génies cabossés, c'est de les lire. Parce que les côtoyer n'était pas un cadeau. Ils se laissaient écraser par leur personnage, se croyaient sans cesse obligés de parader pour rester à la hauteur de la légende. Leur existence devenait un fardeau; c'est tout de même con d'être assassiné par un masque. Je me suis contenté de raccompagner Alain Pacadis en taxi."


Extrait de "Premier bilan après l'apocalypse" de Frédéric Beigbeder.

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