mardi 29 décembre 2009

Alors là, Frank, je dis bravo...

Quand j’eus dix-sept ans
Ce fût une très belle année pour les filles des provinces
Et les douces nuits d’été :
Nous nous cachions loin des lumières
Sur les pelouses de village

Quand j’avais dix-sept ans...

Quand j’eus vingt-et-un ans
Ce fût une très belle année :
Ce fût une très bonne année pour les filles des villes
Qui vivent en haut des escaliers
Avec tous ces parfums dans la chevelure
Qui s’évaporaient

Quand j’avais vingt et un ans...

Quand j’eus trente-cinq ans
Ce fût une très belle année :
Ce fût une très belle année pour les filles au sang bleu
Emancipées
Nous roulions à bord de limousines;
Leurs chauffeurs conduiraient

Quand j’avais trente-cinq ans...

Mais désormais les jours racourcissent :
Je suis dans l’automne de l’année
Et je pense maintenant ma vie comme un bon vin
Issu de vieux tonnelets fins
De la coupe à la lie
Qui aurait coulé sereinement...
Ce fût une très belle année.

Ca aura été un sacré paquet de belles années...

dimanche 27 décembre 2009

Le grand père d'Heïdi n'a pas de nom

Dans le vent de décembre il fait froid. Tout le temps. On se tient chaud. On se serre et on se tourne autour au hasard des appartements. On s'asseoit à même le sol en chaussettes en plein après-midi. On rit de pas grand chose. Des couvertures, des châles, on en met et on en enlève et tout traîne un peu comme ça, à mi-chemin d'une chaleur fugace qui s'enfuit des pièces au fur et à mesure qu'on les traverse. On fume aux fenêtres assis, le cou dans les épaules. On fume dans le froid. La télé, partout et tout le temps; images sans bande-son, programmes oubliés, émissions-sourdines en plans larges, dessins animés. Les douches sont longues et fumantes, les parfums plus plastiques, les cheveux plus froids quand ils sèchent. On campe souvent dans la cuisine, on y passe du temps. Le four chôme pas. Des fois, on va se peler les couilles dans un début d'après-midi d'hiver, un de ceux qui commencent à l'heure de l'apéro pour finir à l'heure du café; on se fourre sous trois rais de soleil blanc l'estomac vide, on aspire du vent gelé à la fois par la bouche et le nez et on en rigole pour de faux, et on rentre les doigts gourds. On fait du cacao dans des casseroles. On le finit jamais, parce que c'est dégueulasse. C'est juste tenir la tasse avec le truc dedans qui sent bon, pour se chauffer les mains. On fait des trucs dans des micro-coins, comme de petits satellites indépendants, on se sourit quand on se croise puis on retourne à son micro-univers ouvert. On pourrait tailler des pipes dans des bouts de bois, si on voulait. Avec un couteau. Un Opinel, ou un Laguiole. De sacrés belles pipes.

dimanche 13 décembre 2009

Where are you, Pagans ?....

Il fût un temps où le début de l’année commençait le 25 décembre, au solstice d’hiver, parce que c’était la nuit des Mères et celle de la naissance de Mithra et du Sol Invictus : la nuit du Tournant du Soleil, la plus significative, celle de Jöl, la fête de la naissance du soleil dont le symbole est la roue (en vieux norois*: « Hiol », ou « Yule »), qui commençait la nuit du 25 décembre pour 12 jours jusqu’au Jour Principal. « Les Douze Nuits » désignaient alors les jours du 25 décembre au 6 janvier (jour de noël pour l'église apostolique arménienne, et date de l'Epiphanie...), une période sacrée car les Dieux allaient y tenir leur cortège festif.
* première langue scandinave médiévale

Pendant 12 jours, une ambiance de fête totale régnait dans les maisons et les rues. Dans le foyer brûlait la bûche de Hiol que chacun pouvait aller chercher dans la forêt sans être puni comme un voleur de bois, et dans la salle décorée en vert résonnaient les chants glorifiant le soleil-enfant. On s’amusait à se défier à coups de jeux et de devinettes, et on cuisait du porc comme met de fête, les Dieux devant quitter leur demeure dans la nuit pour descendre sur terre…

Lors, l’influence divine se manifestait dans toute la nature. Chaque créature fêtait avec gratitude le train des Dieux ; toute eau était sacrée, ou bien changée en vin (hum hum...). On puisait l’eau aux saintes sources au milieu de cette nuit («Wy ») afin de la conserver pour un usage consacré et en asperger les habitations (hum hum...) ; on sortait au dehors le fourrage afin de le bénir. On ramassait des plantes rendues sacrées par le passage des Dieux pour les donner au bétail. On secouait les arbres pour les sortir de leur sommeil et, ainsi éveillés afin qu’ils ne restent pas secs et stériles, ils étaient prêts à accueillir la Fructification. On cherchait ainsi à s’allier les Dieux par des dons et apaiser leur colère par des feux brûlant en leur honneur, tout en tenant de grands repas sacrificiels.

« Les Mères arrivent chez nous la veille de Yule et se réunissent en une joyeuse fête : un Pertho* mené avec les femmes sages du lieu qu’elles visitent. Le lendemain, elles sont rejointes par leurs conjoints et commencent les douze jours de Yule, les douze jours d’ivresse mystique et de tempête physique pendant lesquels vie et mort se confondent. »

*(nom de la rune germanique désignant la lette « P », et correspondant à la divinité et/ou au hasard)

Cette tradition proto-celte a tout simplement été pillée (comme beaucoup d’autres !) par l’Occident latin en 354 dans un récurent souci de prosélytisme…

Un petit retour aux sources ?
Voici la recette du Wassail aux pommes cuites traduite du livre de Laurie Cabot « Celebrate the Earth: A Year of Holidays in the Pagan Tradition »

Pommes cuites:
1 douzaine de pommes à cuire
1 tasse de sucre roux
3 cuillères à soupe de cannelle
du beurre ou de la margarine
3/4 de tasse d’eau bouillante
2 cuillères à soupe de sucre
Enlevez les trognons des pommes et placez les dans un moule de 20 /20 cm. Mélangez le sucre et la cannelle, remplissez les pommes de ce mélange, déposez une noisette de beurre (ou de margarine) sur le dessus. Ajoutez l’eau bouillante et le sucre dans le moule et faites cuire à 190°C pendant 40 à 60 minutes.
Wassail :
1 tasse d’eau
4 tasses de sucre
1 cuillère à soupe de noix de muscade (râpée)
1/2 cuillère à café de macis
2 cuillères à café de gingembre
6 clous de girofle entiers
1 bâton de cannelle
6 toutes-épices entières
1 douzaine d’oeufs
4 bouteilles de xérès
2 tasses de cognac
Mélangez les huit premiers ingrédients dans une casserole et faites bouillir 5 minutes. Battez les blancs d’oeufs en neige.
Dans un bol séparé, battez les jaunes d’oeufs. Ajoutez délicatement les blancs en neige dans les jaunes. les épices dans le mélange aux oeufs et remuer.
Mélangez le xérès et le cognac et portez presque à ébullition. Ajoutez progressivement l’alcool au mélange oeufs-épices, en mélangeant rapidement. Avant de servir, ajoutez les pommes cuites au mélange mousseux. Servez dans un large récipient (un petit chaudron, par exemple).

JOYEUX YULE !!!

Je veux prendre ta douleur...

L'Incrédulié de Saint Thomas - Le Caravage.

mardi 8 décembre 2009

Chess boxing

Essayer de lire en parallèle deux romans bâtis comme deux frères ennemis alimente cette attirance récurrente - à priori malsaine - que j'ai pour le basculement de la perception des choses vers un flux cotoneux s'éloignant petit à petit, mais inexorablement, de ce qui a trait à la réalité.
Si l'effet est moins brutal, moins incisif que l'atteinte du système neuronal par la drogue ou de la pulsation de l'alcool se mettant à battre dans mon corps ébouillanté, cette plongée bicéphale écharpe pareillement les rigidités de mon quotidien : stations de métro, canapé de salon, livres ouverts, livres fermés, toilettes, lit, sommeil, insomnies, repas, mon esprit est terriblement touché et pour peu qu'on aime, comme moi, se laisser aller aux luxures des livres comme d'autres se prêtent complaisemment - et donc avec succès -aux délices de l'hypnose, j'aspire de tous mes sens à ce vagabondage diffus entre deux mondes au bord desquels je patauge, un pied dans la fange, l'autre sur le sol craquelé d'une terre de mirages, mes couilles seules surplombant le réel comme deux déesses crevassées survivantes d'un temps méconnu; cette errance obnubilante finit par rattraper ce qui, en moi, supplie de laisser sur place la lente imbécilité de mon existence pour gagner à la nage, dans une mer de caractères dactylographiés, la splendide laideur d'autres existences, trop proches des notres et pourtant merveilleusement différentes parce que passées au filtre saisissant de prosodies d'êtres touchés par une grâce leur permettant ce dont je reste incapable : se libérer de nos vies en les extirpant de nous-mêmes avant de les confier, par un subtil agencement, à d'autres êtres plus ignobles encore, plus faibles, plus vils, plus beaux, plus purs, plus cons, plus braves, plus laids, plus primitifs, plus virils, plus sensibles, plus désintéressés, plus cupides, plus passionnés, plus réfléchis, plus fous, plus sages, ou plus normaux.
Ces mots sont pourtant - à priori - laissés à la portée de tous; mais qui d'entre nous les manie vraiment de façon telle que leur assemblage finit par toucher ce qu'il y a au-delà de nous ?
La bataille est ainsi omniprésente : laquelle des deux oeuvres prendra le dessus, et au-delà, qui, de la réalité ou de cette bataille-même, l'emportera dans mon pauvre cerveau malmené ?
Enki Bilal inventait le "chess-boxing" dans un volume de la trilogie Nikopol: une sorte de divertissement futuriste où deux athlètes enchaînaient, sous les hourras de la foule, rounds d'échecs à rounds de boxe.
Mon oeil est tuméfié et mon esprit aiguisé.
Mes côtes me brûlent et mon cortex grésille.
"The Road" de Mc Carthy me frappe répétitivement au foie, me coupant le souffle.
"Sanctuaire" de Faulkner me taraude chaque neurone, menaçant ma raison.
Au milieu, ma vie me fait peur.
Je n'ai jamais été aussi vivant.