mercredi 18 octobre 2017

L'échelle de Jacob

A quelques rares exceptions près, la plupart d’entre nous avaient arrêté de travailler comme des bêtes de somme. Oh bien sûr on voyait encore rôder en ville de sacrées quantités d’ordures juchés sur ces scooters surpuissants en pantalons ajustés, comme à l’époque les roitelets sur leur palefroi (il est d’ailleurs intéressant d’observer ce « retour sur symbole » chez ce chanteur en vogue ayant décidé d’incruster dans son clip un plan le représentant sur le dos d’un grand étalon blanc sous le néon d’un parking souterrain, chaussé - comble du dandysme - de baskets à semelles lumineuses), aussi sûrs d’eux-mêmes que la suffisance pouvait le permettre. Des filles faisant claquer des escarpins bien trop couture pour leur permettre de marcher autrement qu’en imitant un de ces échassiers hantant les allées de parcs animaliers, un sac griffé aux allures d’outre en peau pendu au coude. Des quinquas ventripotents en chemise saumon, cheveux mi-longs et bas de jeans retournés, fumant négligemment debout devant des vitrines d’agences ; des femmes aux décolorations clonées de présentatrice TV garant en double file soit des SUV king size, soit des Fiat 500 Nouvelle Génération, devant des pâtisseries de luxe ou des enseignes de surgelés gastronomiques ; ces à-peine adultes aussi, cintrés dans des complets Zara grisâtres, les cheveux gominés, bardés de tablettes, de smartphones et d’oreillettes, zigzaguant entre les files au volant de ces épouvantables Smart. Des qui s’en foutaient pas mal que le monde s’écroule. Des tarés obnubilés incapables de lever le nez vers un nuage ou d’envisager dix jours de vacances ailleurs que sur une île post-coloniale hérissée de murs terracotta séparant leur plage privée de décharges à ciel ouvert ou de bidonvilles moyenâgeux. D’autres n’avaient tout simplement pas compris que tout avait commencé à se fissurer, et continuaient de marcher tête baissée vers le royaume des ombres entre deux consultations de compte bancaire sur internet. Mais globalement, de plus en plus d’entre nous laissaient tomber. Chaque jour, un nouveau décidait d’en finir, un soir, une fois débarrassé de ses godasses. Face à l’armée soigneusement rangée des supplices quotidiens, quand il ou elle pensait rentrer chez soi et pouvoir enfin se détendre : dans l’ordre, une maison un peu trop poussiéreuse, un lave-vaisselle à ranger à l’intérieur duquel au moins une assiette ou un bol allait déverser une flaque d’eau de rinçage sur ses chaussettes ou sur le carrelage qu’il faudrait éponger, un amas de linge sale dans la salle de bain ou une boule de draps froissés dans le tambour d’un sèche-linge, cette horripilante absence d’idée sur quoi faire à manger aboutissant à la nécessité de devoir repartir jusqu’à une supérette jonchée de produits infects allant invariablement faire se sentir coupable au moment de les réchauffer puis