dimanche 25 décembre 2011

Aie... 40 années... écossaises ?

Que n'ai-je appris la luge
Que n'ai-je appris à skier
Sans me soucier du déluge
De la texture des glaciers
Que n'ai-je glissé
Que n'ai-je fondu
Sur ton balconnet
Que n'ai-je été torride
Que n'ai-je tombé la veste
Lâché du lest
Pris de l'altitude
Avant de piquer
Déchaîner les esprits
Parmi les êtres et les cèdres
Faire la tournée des grands ducs
La nuit de l'Epiphanie
Et puis les autres nuits
Tendre l'arquebuse
Jusqu'à me rompre

Que n'ai-je pris l'Everest
Pour une aspérité
Sommé l'amour et le reste
De s'entrelacer à jamais
Que n'ai-je visé
Que n'ai-je été stupide
Au point de succomber
En Ecosse des gosses écossent
Des chimères en chair et en os
D'accortes soubrettes les escortent
En Ecosse des gosses précoces
Chopent des crampes
A faire l'amour à tue-tête
A bâtons rompus

(A. Bashung / J. Fauque)

jeudi 22 décembre 2011

Trop court...

Neuf jours. La course a été si rapide que me voilà déjà parvenu, dernière page repliée, couverture carressée. Et il reste neuf jours. Et moi qui pensais tenir avec "L'épaisse fourrure des Quadricornes" mon dernier livre de 2011... Me voilà bredouille. En dehors de collecter quelques informations sur ce couple (?), J et D Le May, je n'ai plus qu'à goûter au souvenir déjà nostalgique de cette plongée fulgurante dans la Science-Fiction des 70's avec laquelle j'ai pensé tenir une fin d'année de lecture fantastique : "Un bohneur insoutenable" d'Ira Levin, et ce surprenant "L'épaisse fourrue des Quadricornes", avalés sans aucune pause l'un à la suite de l'autre. Ira Levin et sa fresque grandiose, épique, dont se sont inspirées tant de remarquables oeuvres d'anticipation ; les mystérieux J et D Le May et leur récit somptueux, au style radical et essentiel. Deux livres de poche aux couvertures ridées, aux pages brunes et odorantes, aux reliures en perdition, passés de mains en mains depuis quatre décennies au moins. Quel voyage ! Mais voilà qu'il est cruel de constater, après ces 370 + 218 pages d'anticipation, que je n'ai été moi même capable d'aucune anticipation sur la probabilité de venir à bout de ces deux ouvrages bien plus vite que prévu ! Car me voilà bel et bien orphelin d'un livre, et d'un ultime : celui qui finira cette année à laquelle je devrai mes quarante ans. Merde. Et si je tombe sur une bouse ? Me voilà soudainement contrarié. Non, bien plus que ça. Je me sens menacé. La médiocrité et la bêtise rôdent derrière d'innombrables couvertures, d'innombrables auteurs, d'innombrables rayonnages. Parmi eux, un livre, un seul. Et neuf jours. La nuit va être longue.

mardi 13 décembre 2011

Indie-niais

A la recherche désespérée d’une cause ou d’une idée qui parvienne encore, in extremis, à rassembler des hommes revenus de tout autour d’une émotion commune pour ne pas avouer que tout est foutu, l’ensemble des média, internet en tête, s’est rué sur le plus pathétique mouvement politique que les sociétés humaines aient jamais généré depuis l’agora grecque : les indignés. Une révolte désabusée brandissant l’étendard de sa propre déprime, une bouderie adulte terrassée par sa médiocrité, assise en place publique avec pour unique existentialisme la poignée de secondes durant laquelle elle sera délogée par une escouade de gendarmes, engloutie par sa revendication stérile : violés par leurs propres amants, baisés avec leurs propres capotes, souillés par leurs propres fluides, les citoyens des années deux mille se réveillent pâteux, et aigris, se mettent à grommeler quelque chose d’inaudible là où leurs aïeux hurlaient, criaient et se menaçaient de mort, haine et espoir mêlés dans la foi d’un lendemain autre. Parce que leur acte fondateur réside dans le seul fait d’avoir réussi à être écœuré de ce que leur délivre en masse leur télé, leur ordinateur ou leur portable, simplement parce qu’ils se sont surpris à vouloir arrêter le défilé de ce surréaliste mépris, de cet affront obséquieux, de ce permanent outrage à leur égard les voilà descendus sur un trottoir, moitié badaud moitié expérimentateur urbain, la remontrance dans les poches, la rebiffade dans la barbe, la contradiction dans le sittin, partageant une même lassitude, aussi ridicules que méprisables, un caprice laidement utopique en bandoulière, à la recherche de l’épanouissement personnel ultime déguisé sous un costume pseudo-altruiste mal raccommodé. Aucun d’entre eux n’est vraiment prêt à lâcher ce qu’il possède. Aucun d’entre eux n’est prêt à soutenir une idée au point de s’y sacrifier, d’ailleurs, quelle idée ? Ils partagent juste un grand écœurement de ce que le monde qu’ils conduisent à bout de bras est. Et comme cela ne sert strictement à rien, et qu’ils ne font peur à personne, et qu’ils ne font frémir personne, et qu’ils ne font rêver personne, et qu’ils ne donnent de l’espoir à personne, et qu’ils ne font rien briller, les gendarmes les délogent, et le reste des autres les regarde se faire déloger, sans parvenir à en penser quelque chose. Les Indignés, c’est le degré zéro de la révolte populaire, un programme politique de patron de bistrot mais sans le verre ni l’ivresse ni les potes, bref, la politique de tonton Jeannot mais sans le repas de Baptême arrosé au Bordeaux.
Et bien, voilà qu’arrivent aussi les indignés de la musique. Merde. Enfants difformes et débiles du mouvement Indie des 90’s, voilà les punk-voteurs : les Indie-niais. A l’image de leurs homologues qui s’indignent de la tournure de la politique sans avoir aucune idée politique à proposer, les Indie-niais de la musique se mettent en colère après le système de la musique sans chercher à en bâtir un autre : ils veulent la musique libre – à bas la Sacem – mais quand après d’innombrables péripéties ils finissent par signer sur un label, merde si personne la paye jamais cette musique, finalement c’est pas si cool parce que les artistes c’est aussi des travailleurs; ils abhorrent les mass media vendus aux major mais dès qu’un de leur titre a l’heur d’être joué par l’un d’eux – souvent à une heure creuse et confidentielle, dans une émission « indie quelque chose » (hé hé…)), ils inondent les réseaux sociaux pour prévenir la terre entière de ce succès d’estime ; ils assurent ne pas courir après le succès mais passent leur temps à payer de pseudo photographes branchés pour réaliser des clichés d’icônes fashion visibles sur internet – sur quoi d’autre ? – accompagnés de l’éternelle supplique : « faites tourner »… Comme leurs homologues pseudo-politiques, les indie-niais sont en train d’inventer un nouveau courant pour succéder à l’Indie révolutionnaire violent et propagandiste de leurs haineux aînés talentueux bienheureux dont tous se revendiquent car désormais, faire de la musique n’est plus une question d’éthique, plus même une question de choix mais bel et bien de fatalité : faire de la musique, c’est forcément être condamné à être Indie, n’est-ce pas ? Les maisons de disque sont partie intégrante de la société : en dehors des intégristes, les familles nombreuses disparaissent, on se contente tous d’un ou deux enfants, que l’on élève consciencieusement dans un confort et un soin constant, et on ne peut prendre en charge toute la misère du monde n’est-il pas ?

Allons, pour les groupes post 2010, l’Indie est devenu le Findie.

Finally Dependant.

Faire de la musique soit disant intellectuelle, incomprise, fragile, subtile, planante, captivante, remplie de références, un peu chiante, vaguement dépressive, un peu anonyme, un peu timide, un peu abstraite, un peu bancale, faire semblant que le fait qu’elle reste confidentielle est plus ou moins voulu pendant qu’on rame corps et trippes à la recherche désespérée de contacts professionnels viables, et qu’en attendant, on écume toutes les formes de mécénat possibles pour survivre avec cette épée de Damoclès pendue au-dessus de la trentaine - atroce perspective de devoir se résigner à aller travailler comme une merde -, à commencer par ces incontournables subventions publiques disséminées avec un raffinement sadique comme les miettes de pain du petit poucet tout au long d’un chemin sans fin qui ne mène nulle part dans l’immense périmètre d’une forêt domaniale sombre et incompréhensible abritant très régulièrement des cabanes de passeurs de toutes sortes qui ne savent plus eux-mêmes où se trouve la clairière...

Indignés comme leurs compères politiques (avec lesquels ils ont souvent des accointances d’ailleurs), nos indie-niais dénoncent ainsi, tout le long de leur ballade champêtre famélique et dénuée du talent viscéral qui fait les aventures, l’indifférence de ces châteaux surplombant les bois dans lesquels ils s’échinent, mignonnes créatures célestes ridicules et confiantes, et ils se sentent obligés de les vilipender d’autant plus violemment que du haut de leurs donjons ils les ignorent et les snobent, eux qui n’ont d’autre issue que de compter, depuis la fange des basses-fosses, les meurtrières qui les séparent de la chambrine princière.

Sort noblement « indie ». Enfin… atrocement Findie.

Moi je dis que soit l’on se lasse et l’on se désintéresse, on se détourne, on passe son chemin et on devient un inutile je-m’en-foutiste zombifiant heureux aux dents cariées, on fait des bubulles avec sa bouche, on mâche des brins d’herbe et on continue à fumer, ce qui est parfaitement dans l’air du temps, plus joyeux, plus nihiliste, plus égo-jouissif, con et proto-chaotique, soit on invente, surprend, créée, façonne, détourne, bâtit, prouve, innove, bataille, change, ahane, sue, érige, bourdonne, cloue, étaye, éveille, foisonne, dissémine, voyage, consolide, échange, visionne, sourit, rayonne.

Mais s’indigner, à part faire chier, je vois pas.

lundi 12 décembre 2011

Japoniaiseries

J’ai découvert Murakami avec « Le Passage de la Nuit » ; pas celui de ses romans le plus poussé mais il a eu, pour moi, le mérite d’introduire son œuvre avec beaucoup d’intelligence. Ce fût donc une sorte de chance, car connaissant mes goûts en matière de littérature les probabilités eurent été grandes que je me trouve réfractaire à ce Hit-writer se réclamant de Fante ; il s’en est donc fallu de peu pour que je rate l’embranchement de son autoroute génialement singulière. Pour autant, je ne me considère pas in fine comme un grand lecteur de Murakami. Son onirisme surréaliste persiste à m’incommoder d’une façon ou d’une autre, me renvoyant aux réticences que j’éprouve quasi-systématiquement au contact des formes artistiques issues de la culture nippone, à quelques exceptions près.
Il m’a fallu beaucoup plus de temps pour comprendre qu’il existait un autre Murakami ; en y réfléchissant, j’avais posé à plusieurs reprises un œil circonspect au hasard de critiques et d’allusions à l’auteur nippon m’ayant parues très décalées, voire totalement incongrues par rapport à ce que j’avais pu en goûter. Le voile s’est finalement levé grâce à Frédéric Beigbeder (encore lui !), à l’occasion d’un vibrant hommage rendu à un Murakami, mais non à celui qu’il qualifie lui-même de « grand auteur nobelisable » mais à « l’autre », le prénommé Ryû… comme le héros de Street Fighter.
Sans même avoir pris la peine d’en savoir plus je suis donc tombé amoureux de ce double, recollant enfin les morceaux tout en salivant à l’avance de ce Dark Vador murakamien, interface néfaste et graisseuse de l’autre, jumeau féroce à demi caché, car enfin, qui, en dehors d’une certaine élite et bien sûr des japonais eux-mêmes qui eux, l’adulent et le récompensent de prix, connaît ce Ryû ayant eu le désagréable destin de se vouloir non seulement écrivain, mais aussi homonyme ET compatriote d’un des auteurs contemporains les plus adulés de sa génération ? Avouons-le, ce qui m’excitait tenait dans la promesse d’un plaisir auquel je goûte tout particulièrement : devenir capable de minimiser un talent universel auquel j’avais dû rendre grâce à contrecœur, non pas par pur esprit de contradiction, mais au moyen d’un argument fondé, brillant et quasi-confidentiel m’extrayant soudainement d’une masse consensuelle inévitable – car enfin, il faudrait être con ou aveugle ou ignare ou les trois à la fois pour ne pas reconnaître à Haruki Murakami un véritable génie littéraire - au profit d’une identité distinguée - et distinguable - : à priori, j’en étais convaincu, il allait falloir être con, aveugle ou ignare pour ne pas reconnaître à Ryû Murakami un indéniable terrible talent.
Une fois « Thanatos » en main, la confrontation s’est donc présentée comme la finalisation purement protocolaire d’un contrat conclu par avance et à distance entre Ryû et moi. Il ne restait plus qu’à jouir de mes deux cent trente deux pages et rien que le titre me le disait : l’affaire était entendue. Et puis curieusement – devra-t-on dire, évidemment ? – une sensation s’est installée dès les premières pages : celle d’être plongé dans un bain déjà goûté, un bain que je qualifierai désormais de… tokyoïde. Certes, tout différenciait Ryû d’Haruki : sa crudité, sa narration métallique (qualificatif dont il use d’ailleurs à l’envi), ses personnages inversement maniérés, le décor totalement décalé, l’incongruité de la trame, la virulence des actes, la violence des dialogues, le fatalisme torturé, mais d’autre part, oui, d’autre part, je retrouvais sans l’ombre d’un doute une atmosphère que j’avais rencontrée pour la première fois dans… Le Passage De La Nuit. Creusement insectoïde de la solitude, délabrement affectif, errance nocturne, distanciation entre sexe et amour, délitement des racines et des références, peur primale et lassitude atavique, cruauté gratuite, la liste s’allongeait au fil des pages, inexorablement.
Existait-il donc un nouveau « Tokyo style » littéraire, un courant romanesque nippon en pleine ascension ? Autre hypothèse : j’étais moi-même la cible d’un auto-conditionnement ayant soudé d’une façon ou d’une autre les deux auteurs dans mon esprit au point de trouver de profondes similitudes entre les deux ouvrages, phénomène inconscient par lequel je refoulais une trop grande envie d’y trouver de profondes différences. Troisième hypothèse : je n’étais qu’un lecteur ouest-européen face à deux auteurs japonais, et n’étais capable d’appréhender leur expression respective qu’au moyen d’un cadre restreint dans le giron duquel les deux ouvrages devenaient inévitablement voisins ; les japonais appréhendaient-ils pareillement deux romans d’auteurs français traduits dans leur langue au point de trouver, par exemple, de nombreuses similitudes entre, disons, Maurice Dantec et Jean-Philippe Toussaint ?
Les livres c’est toujours de grandes quantités d’eau. J’en étais à me dire des choses inutiles comme celle-là tout en me rendant compte, mais très lentement, que mon esprit n’inventait rien. Il n’était pas question d’idée nouvelle ou d’une progression quelconque mais juste d’un vagabondage qui m’avait fait échouer sur un lieu commun. Lorsque j’en suis venu à matérialiser l’expression « se plonger dans un livre », j’ai réalisé à quel point mon cheminement venait d’être vain. J’en étais arrivé là tout en lisant ce Thanatos bizarre et obsédant qui venait de me ramener au souvenir d’une après-midi d’août bien réelle où je m’étais retrouvé à déjeuner dehors chez une famille de gitans sédentaires. Leur maison n’avait rien de particulier, elle était vaste et meublée sans aucun goût, il s’agissait de l’une de ces constructions modernes bon marché aux plans rabâchés à l’infini, perchée sur une colline entourée d’un bois humide. En dehors de deux chevaux décharnés paissant dans un pré à l’entrée de la propriété, rien ne ressemblait vraiment à l’idée que je m’étais faite d’une maison de gitan. Les gens eux-mêmes m’avaient semblé très éloignés de l’idée que je m’en étais faite, bien que nous ayons reçu quelques vagues recommandations sur la route concernant quelques élémentaires fautes de goût à éviter. Ils étaient nombreux mais je venais moi-même d’une famille nombreuse ; les femmes étaient brunes et buvaient comme des hommes mais ma femme était d’origine juive et aimait boire. Les hommes étaient petits et très musclés et seul quelque chose dans leur yeux faisaient légèrement vaciller, une sorte de férocité sous-jacente, quelque chose qui fouillait votre propre regard mais dont on pouvait finalement se détourner sans grande difficulté et c’était en fait une sorte de pique-nique élaboré, une grande tablée bancale installée à l’ombre de quelques arbres distordus, il faisait bon, je ne me rappelle pas de ce que nous avions mangé, quelque chose d’assez ordinaire, de la viande et de la salade et des chips par exemple. Après le repas, comme cela arrive souvent, une sorte de léthargie s’était emparée des convives et la tablée s’était flétrie sans réelle organisation ; nous avions fini par nous allonger à même l’herbe à quelques pas à peine des reliefs du repas et les hommes parlèrent de leur voisin qui tirait parfois à la carabine dans la direction de leur maison quand ils faisaient trop de bruit. Les heures ont passé, des conversations décousues et calmes bruissaient sans longueur, des échanges paresseux dénués de fond prononcés à voix basse, tantôt autour de chaises longues tantôt debout, une assiette ou un verre à la main, un bout de gâteau à moitié mangé à débarrasser, avant qu’un mouvement de réveil ne se produise sur les coups de seize heures. Il s’agissait « d’aller se baigner », idée toujours à moitié plaisante mais porteuse de l’espoir de venir à bout de derniers restes de torpeur. En fait nous n’avons fait que quelques pas pour tomber sur une sorte d’étang rectangulaire sans berges, large d’une bonne trentaine de mètres, entouré de buissons d’herbes hautes jaunies. L’eau était verte et quelques canards gisaient au hasard d’ajoncs émergeant par touffes depuis le fond. Une odeur rance remplie d’humidité et de moustique voletait dans l’air avec une certaine gentillesse, rien ne donnait vraiment envie de se plonger là-dedans pas même une véritable chaleur, pourtant ils sont descendus sur les fesses jusqu’à la surface immobile épaisse, s’y sont plongés lentement puis ont effectué quelques brasses grimaçantes à l’affût de remontées de vases ou de nuages de coléoptères, ca a fait des remous marrons, des cris ont fusé, quelqu’un a amené du café puis ils sont remontés sur un bord moins boueux grâce à une main tendue. L’impression générale qui m’en était restée était celle d’un bain putride et une sorte de dégout m’avait saisi à l’idée de plonger des corps dans cette matière pourtant nappée d’une lumière étincelante presque divine dispensée par un soleil à mi-hauteur. En fait, le plaisir doucereux du dîner en fut assombri. Le livre de Ryû Murakami était en train de me faire penser à cet étang, je me baignais dedans à reculons tout en éprouvant un plaisir incompréhensible à cette onde poisseuse et odorante. C’était un instant étrange, je me suis dit aussi que je n’arriverai plus jamais à travailler tout en sachant que ce n’était pas vrai, que je n’avais pas pu arriver à ce stade ou j’aurai pu oublier mon éducation laboriste pour affronter une oisiveté complexe et dépressive telle que je la vivais pour l’heure. Je me suis dit que j’aimerai qu’écrire devienne mon travail, que j’en retire un moyen de subsistance. Je ne suis pas arrivé à m’astreindre à aller me laver et j’ai traîné une grande partie de la matinée dans de vieux vêtements poussiéreux en fumant des cigarettes, les yeux rougis par la nuit mauvaise et inutile que j’avais passée. Je savais que j’avais encore trois livres en réserve et ce sentiment était rassurant, je pouvais tenir encore un certain temps entre lire et écrire, je me disais aussi que lire n’est finalement pas une activité oisive mais plutôt éprouvante où il faut donner de sa personne et subir d’étranges déambulations le corps couvert d’eaux putrides d’étangs inattendus, je me suis dit qu’en fait, la plupart des gens trouveraient ça contraignant de passer des journées entières à lire des choses qui interfèrent l’esprit et maculent le corps, sans autre but, je me suis dit que cela pourrait s’apparenter à une sorte de travail puis j’ai trouvé que cette idée était aussi fausse qu’il était possible d’avoir une idée fausse et il a fallu que je range ma cuisine car l’heure du repas s’avançait, très timide, mais obtuse.

lundi 5 décembre 2011

Ailleurs, peut-être...

Continuer à boire, c’est tout ce qu’ils cherchent. Tous les trois, comme l’éternelle formule du vivant, un plus un plus un, triangle équilatéral de toutes les aventures. Au tournant du virage, les deux premiers s’engouffrent face au vent glacial, ils serrent les coudes à l’intérieur de leur veste d’hiver, soudainement pris par un froid terrible à la sortie de l’antre cocoonique dans laquelle ils s’étaient liquéfiés jusqu’à l’instant d’avant, œuf chaleureux de paroles ébrouées et de néons vitrifiants. Le troisième, car le troisième est toujours la pointe maîtresse, a pris un peu de retard, parce qu’il boite. Cheveux longs catogan à l’indienne sur casquette Motul, cheveux blancs moustache, tout de jean vêtu, ne craint pas le froid. Il craint la marche, pas le froid. Le poison court déjà dans ses veines à la vitesse du diésel, lent et effroyable, brûlant comme un sexe de femme trop visité, la morsure du froid, la claque du vent n’y peuvent rien faire, il est passé dans le corps du serpent, peu importe le froid, c’est la pente qui fait mal, mal à son dos, à ses jambes, à sa boiterie. Le plus frileux, veste en mauvais cuir trop grande sur pantalon de toile noir aux plis marqués, se réfugie derrière ses lunettes en fourrant ses mains osseuses au fond de ses poches gigantesques. Quant au troisième, il part de l’avant comme un boxeur. Continuer à boire. Continuer à boire. Le premier bar vient de fermer et il est à peine neuf heures, on a beau être en hiver quand le feu brûle les tempes c’est à peine l’aube, mais l’homme au catogan fait déjà peser l’ombre sur cette expédition suicide au milieu de l’hiver du crépuscule, il vitupère il est fermé les gars il est fermé mais les deux autres ne l’écoutent pas, il fait froid ils veulent marcher ils veulent boire il faut marcher vers l’avant vers là-haut vers la lumière bon sang qu’il fait froid merde, tous veulent continuer à boire parce que boire c’est chaud c’est fort c’est bruyant c’est lumineux c’est bon, c’est salé de cacahuètes de monde refait de colères bouffonnes, c’est chaud de filles rêvées de filles faciles de filles qu’on insulte, alors certainement que peut-être en haut de la côte, après le carrefour l’autre est encore ouvert il est moins chaud il est moins matriciel il est moins copains mais y’aura de la musique ou le tiercé sur l’écran du fond, de la liqueur jaune qui rend beau qui rend fou qui rend fier qui rend fort, alors marchons le long de la côte même si l’homme au catogan dit qu’il sera fermé, d’ailleurs il les a rattrapés parce qu’il force davantage, il boîte mieux car faut dire qu’il était là depuis le milieu de l’après-midi peut-être même avant et que lorsque les deux autres sont arrivés il était déjà à l’affût, déjà familier, il voulait déjà que les néons s’éclairent et arrosent de leur crachat pourri la galerie de gueules d’anges qui arpentent sur place d’éternels kilomètres de rancœur, alors il boîte et il n’a pas froid malgré sa veste en jean qui laisse s’engouffrer le vent de la côte comme un pont d’autoroute, même si l’autre serre ses mains dans ses poches stupides au point que son manteau de cuir s’en resserre ridiculement autour de sa taille en lui dessinant une jupe d’hébétude, même si le premier fonce toujours vers la promesse mitigée dans ses épaules carrées de docker brisé aux cheveux ras poivre et sel, mâchoire au vent, parce que peut-être là-haut, après la côte, après le carrefour, la porte sera encore ouverte et la lumière allumée, là-haut, à l’autre bar qui pue le cigare.
Mais arrivé au carrefour, l’homme à la casquette et au catogan l’avait dit, ils le voient bien que c’est fermé, alors le froid devient soudainement plus mordant, la vie retrouve immédiatement sa laideur en pire, la nuit est vraiment tombée et neuf heures merde en fait c’est déjà neuf heures, alors le trio éclate comme sous l’effet d’un gaz lacrymogène et s’étoile en trois branches distinctes, l’homme au catogan blanc qui luit sous le réverbère s’attarde en plein milieu de la route déserte en gesticulant sur le passage clouté, prêt à haranguer une voiture insistante, le second s’enroule dans sa veste de cuir comme dans une couverture et comme c’est le moins chanceux il ne lui reste qu’à faire demi-tour et redescendre de là d’’où ils étaient venus, gaillards et bruyants, au pas de course comme un fantôme coupable hésitant et frigorifié, et le troisième, le docker, s’engouffre dans la rue adjacente pour profiler sa silhouette massive et renfrognée à l’angle mort d’un trottoir tangent. Continuer à boire. Mais chacun chez soi, cette fois, avec ses emmerdes, sa femme ulcérée, sa solitude affreuse, sa cuisine carrelée, une bouteille émergeant d’un placard à bouton de cuivre et un verre qui se boira sans plus d’ivresse, juste parce qu’il faut continuer de boire. Demain, nous serons tous morts, de toutes façons.

jeudi 1 décembre 2011

Comment tu chausses ?

D’une part, les Converse deviennent définitivement l’attribut « lol » des bourgeoises quinquagénaires tandis que les sneakers du Bronx bourgeonnent aux pieds d’emo-gothiques white-trash ; puis voilà que Joey Starr arbore toutes dents dehors de rutilantes paires de Doc Martens, et que Rihanna prend la pose chaussée de Creepers. Ce multi-mix désinvolte, accumulation de crimes fashion, est bien l’apanage de cette méta-culture mondialisée en plein nihilisme identitaire : fi des tribus, clans et familles proto-urbaines appliquées à instaurer des codes millimétrés et initiatiques, l’ère est au fourre-tout, et dans ce capharnaüm contemporain les chaussures, qui n’ont jamais rien fait d’autre que de refléter avec une précision chirurgicale le pouls du cœur inexorablement renouvelé de la mode, son éternelle soif adolescente d’une place à se faire dans une société qui s’interdit de s’installer plus d’une génération dans un même univers, noient inexorablement leur puissance iconographique dans de savants mésusages sans plus de message, si creux soit il.
Car, si l’on y réfléchit, contre qui ou quoi les générations futures pourront-elles s’élever, se distinguer, se révolter, se distancier ou se soustraire si tout n’est plus que bouillie redondante et colorée et que plus aucun clan, mouvement ni modèle n’émerge de ce magma faussement jouissif et virtuellement ignorant ? Sommes-nous inexorablement condamnés par ce mécanisme anthropophage à regarder en arrière pour revisiter à contre-coeur les temps glorieux des singularités culturelles urbaines ? Nos enfants devront-ils se contenter de remâcher de façon compulsive la très courte histoire de phénomènes culturels passés, toujours usurpateurs et systématiquement dictatoriaux, ayant superbement émaillé le demi-siècle précédent ?
Heureusement, les pires d’entre tous continuent de préserver jalousement une distinction que personne ne songe à leur envier : le port de la Derby ou du mocassin de cuir carré, rejoint depuis peu sur ce podium de la chaussure infecte par l’apparition du modèle Todd’s dont la semelle picotée remonte légèrement derrière le talon, à porter de préférence pieds nus.
Une fois de plus, si les riches n’étaient pas là, le monde courrait à sa perte. Que les pauvres soient maudits, eux et leur manie de tout vouloir tout de suite et en même temps.

mardi 29 novembre 2011

Le matin canadien

Nous sommes les compagnons du nouveau monde, nous portons les cheveux longs et la barbe claire, nos vêtements n’ont plus de sens mais nous les choisissons avec le même soin, nous regardons nos mains se fragiliser mais nous maîtrisons de nouvelles technologies avec dextérité et assurance puis marchons des heures entières même dans des entrelacs de ville, nous sommes filiformes et nos os sont sevrés du lait nourricier, nous inventons notre nature au milieu de machines, nous sommes capables d’oublier la folie de nos bruits au point d’aimer en produire d’autres plus dissonants, nous nous aimons malgré tout, nos yeux brillent comme aux premiers jours, nous continuons de caresser le bois et l’eau, nous guettons le ciel avec inquiétude, nous fourmillons avec moins d’insouciance car tout est devenu menace, nous marchons sur des œufs de ciment, nous avons foi en l’avenir de vingt-quatre heures, nous voulons faire du troc et remplacer nos cartes magnétiques, nous savons traverser des montagnes et avoir peur, nous voulons construire de nos mains des objets encore inutiles mais un temps viendra, nous essayons de franchir le seuil de nos maisons sans affaires ni clés, nous sommes capables d’attendre sans but, nous nous prenons en photo et tentons de nous arrêter sur nos images pour recommencer à chercher ce qu’elles renferment de nous et nous sommes plus beaux que jamais, nous avons peur d’avoir froid mais nous voulons que l’automne et le printemps subsistent, nous continuons d’aller regarder la mer depuis un rivage, nous entendons nos femmes parler de leur voix de rivière, nous nous asseyons à côté de nos enfants qui racontent un monde enfoui en caressant des jouets dangereux et nous tâtons nos muscles mutants, nous nous lavons debout, nous déterrons la parole énigmatique de nos pères pour l’ensevelir mieux parce que nous savons que nos morts débordent mais que leur souvenir s’enfuit, nous nous cherchons une histoire neuve, nous nous remettons à nous raconter le monde les uns aux autres et forçons démesurément pour rapetisser la taille de nos écrans-ogre, nous voulons enfiler davantage de bagues à nos doigts pour laisser notre peau vierge en attendant de meilleurs messages, nous avons nos diplômes de messie mais la terre reste à construire et nous n’élèverons plus d’église jusqu’à ce que le sol des forêts bruisse comme en Terre Adélie et changerons nos armes pour ne plus en avoir peur ni envie, nous pourrons être audacieux quand cela aura un sens car nous choisissons désormais nos livres au milieu de ceux que nous avons accumulés, un jour nous nous remettrons à fumer des pipes quand nos chiens seront plus grands et plus forts et le soir tombera sur nos volets de lumière.

mardi 22 novembre 2011

un phallus de pierre, une toile d'araignée et un fer à cheval.













Et cette quarantième année qui se fait toujours attendre...

Et tout sera toujours comme ça, après avoir vu la sublime Anna Mouglalis dans le terriblement italien Romanzo Criminale j’ai fini ce roman à moitié raté de Dan Fante sur la couverture duquel une très jeune afro américaine exhibe des seins juvéniles un peu foireux à l’aide d’un sourire déformé par la bouteille qu’elle tient à la main dans une chambre sale, navigué dans ses chapitres coincés entre poésies magnifiquement ratées et autofiction brillamment cliché, en réfléchissant sans aboutir sur la destinée des deux fils d’un des plus grands écrivains du siècle mort bouffi d’alcool et de dettes, l’aîné mort d’alcoolisme, le cadet tout aussi alcoolisé mais sauvé par sa recherche désespérée et horriblement vouée à l’échec d’une gloire littéraire contemporaine qu’il voudrait léguer à rebours sans avoir l’once d’une chance d’y parvenir, je me suis aussi retrouvé à discuter avec beaucoup d'empathie de quel genre d'oeuvre pourrait venir transformer mon salon avec un galeriste chevronné à l'occasion d'un souper très arrosé de vins blancs, survolé le troisième tome de Servitudes tout juste paru en me disant que je le relirai plus tard à tête reposée sans pour autant réussir à le bâcler vraiment mais sans prendre le temps de me vautrer devant donc je l’ai très mal lu, lu sur son propre site une très longue biographie de Maurice Dantec plutôt réussie bien que terriblement trop dithyrambique, vu trois films la même nuit en finissant par l’incroyable chef d’œuvre de Wes Anderson, A Bord du Darjeeling Limited sur la fin duquel je me suis ignoblement endormi après avoir ingurgité un piteux sandwich au pain de mie en plein milieu de la nuit, réjoui comme on peut l’être d’avoir reçu ce cadeau inattendu mais écœuré de ne pas parvenir à retenir davantage un sommeil s’annonçant vaseux, nul et mou sans un rêve qui en vaille la peine, tombant en grâce devant le génie lymphatique de Jason Schwartzman (et découvrir ce matin qu’il est dans la vraie vie le fils d’Adrienne la femme de Rocky, et plus inutilement batteur d’un groupe de rock inconnu et cousin de Sofia Coppola), et tout en même temps tombant follement amoureux d’Amara Karan, entamé intrigué un tout petit roman d’Anne Marie Garat que j’avais acheté pour ma femme au Bleuet, la librairie génialement bobo implantée dans le village de Banon, édité sur un papier vélin dans un format oblong surprenant, et l’ai fini d’une traite très amoureux de tous ces mots compliqués et de ce style délicieusement obséquieux mais il n’aurait pas fallu qu’il soit plus long, vaincu une dizaine de sudoku de niveau très avancé comme une mécanique en laissant mon cerveau ergoter sur l’omniprésence des mécaniques et des objectifs de leurs constructeurs respectifs en crispant ces rides obliques sur mon front sous l’assaut des décibels de merveilleux moteurs de machines génialement complexes volontairement grondants, puissant et rauques dans la rue qui plonge sous mes fenêtres, le chuintement métallique feutré de scooters de dernière génération, m’agaçant sans répit de ce grincement de freins caractéristique qui annonce systématiquement le virage en criant l’usure des disques de plus de la moitié des véhicules en service dans cette partie de la ville, et enfin, écouté deux différents bruits de talons dévaler terriblement lentement cette même rue la nuit venue en me retenant avec succès de passer la tête par la fenêtre pour identifier les silhouettes dont le pas résonnait si mystérieusement dans un silence soudain regroupé pour attendre une pluie qui ne viendrait pas.

vendredi 18 novembre 2011

Gaffe... (Warning)

Avant de venir m'exciter dans la ville, je n'étais qu'un mec isolé dans un coin.
Rock City, cité lumière, nos croix de fer reluisent.
Rock City, tours de cristal, heavy metal énergie ! Cité des Monts, qui donc est ton leader ?
Rock entrepôts, containers-sex, le pourpre est là réclamant les caresses et l'homme au vitriol sort à la nuit blanche, rien ne résiste à ses manigances : Criminel... Crève !
Un avant-goût amer, skins en velours clair : cité du blues, hey fuck ! Punky Lézard...
Rock City, cité lumière aux stations futuristes, Rock City, tours de cristal, heavy metal graffitis ! Cité des Monts, qui donc est ton leader ? Et la fille en limousine fait des performances, rien ne résiste à ses attirances : Criminelle... Crève ! Un avant-goût amer après la crise de nerfs : cité du blues, CITE DU BLUES, hey fuck ! Punky Lézard...
Cité du blues, qui donc est ton leader ?

mercredi 16 novembre 2011

Va te faire Fante !

Ces derniers temps, je suis capable de boire un litre de vin blanc plusieurs fois dans la journée. Je n'arrive pas vraiment à me lever comme un Imperator, mais je me lève. Je n'arrive pas vraiment à me coucher comme un gladiateur, mais je me couche. Et il se trouve que John Fante a un fils qui s'appelle Dan, et qu'il écrit des romans. Ca n'arrange définitivement pas mes affaires.
C'est le genre de famille qui te fout irrémédiablement dans la merde en ce qui concerne la consommation de vin.

mardi 15 novembre 2011

Too old to die

Chez lui il y avait cette odeur terriblement âcre qui avait finie par s’emparer de sa personne pour la définir, ce qui avait pour résultat qu’il mangeait immédiatement tout l’oxygène en suspension sitôt qu’il entrait dans une pièce, même à l’avant d’un bus. Cela n’avait rien à voir avec de la saleté ou de la négligence, il ne s’agissait pas de puanteur, c’était plutôt un mélange écrasant de tabac brun froid, de relent de cendres de ces cigares vendus à l’unité dans de petites vitrines horizontales, de tiédeurs persistantes de plats longuement cuisinés aux fonds de sauces tiédies de vins de table et de féculents dont on a renoncé à l’usage dans nos cuisines robotiques, et plus piquant, plus acerbe, de ce chuintement de fers et de fontes ménagers chauffés régulièrement à blanc… C’était aussi, enveloppant le tout comme un plaid aux patchworks marrons, un étouffement de tissus laineux solennellement pliés dans des angles de commodes clouées aux sols linoleum, feutres, serges, lycras et velours spongieux retenant eux-mêmes prisonnières d’innombrables mémoires olfactives à demi effacées les unes dans les autres, le tout constituant cette exhalaison du passé propre à ces appartements tenus écartés de la lumière aérée du dehors par des persiennes éternellement croisées ou des tentures aux rouges devenus ocres ; il sentait l’œuf dur de bistrot et le papier journal, le yaourt et le fer à repasser, la télé allumée et le rotin rapiécé, le napperon gris et le bibelot de cuivre, le verre de bière et placard à chaussures ; il sentait le secrétaire et le coussin graisseux, le bol ébréché, l’encyclopédie du tour de France et la réserve de sacs plastiques et ce mélange animal, repoussant mais terriblement familier, ce n’était que l’odeur de la vieillesse, accompagnant de son opiniâtreté l’inéluctable décrépitude des espoirs, de la vigueur et de l’envie de plaire, assignant à chaque infortuné dépossédé de sa jeunesse puis de sa maturité sans pour autant avoir reçu la visite de la mort, une unicité fauve à la fois identique et terriblement personnelle, une rudesse odorante poussiéreuse forçant tout à la fois le respect, et le dégoût. Et il n’était pas sale ; ses joues avaient beau être rongées d’une barbe réduite à une couperose de touffes rocailleuses mal équarries, ses cheveux luire d’une brillantine étalée par strates successives s’auto-chassant les unes les autres en abandonnant de petites squames grises, sa tenue était soignée. Costume épais sur chemise autrefois claire, cravate tressée coulissant d’un nœud auguste, plat, laid et imposant, ceinturon de cuir patiné à la langue pendante tenu haut sur les hanches, et chaussures de faux cuir sempiternellement carrées, montées sur des semelles de crêpe croûteuses, émergeant d’un manteau de laine marine évidement trop grand. Que dire, après tout, de cette dentition inexorablement battue ayant finie par rejoindre en goût, en teinte et en odeur celle des chevaux ou des chèvres de nos campagnes, de cette canne en noyer devenue compagne, de ce souvenir de chien ému et opaque, du pas lent et laborieux empesé de douleurs et de réticences, de cette vitrification de l’œil finissant par rappeler les plus laides des agates qui remplissaient les trousses de billes de nos enfances, ébréchées et dépolies, et de tous ces surplus de peau flétrissant chaque jointure ? Il puait sa vieillesse comme le sportif pue sa soif de gloire ou l’ingénue le désir de séduire, voilà tout. Je me serai retroussé les naseaux de la même façon avec ces deux là, peut-être même avec plus de recul.

trois fois bon







jeudi 10 novembre 2011

Un jour des morts Place de la Fontaine

J’avais beau être attablé comme le rescapé d’un attentat silencieux sur cette placette longiligne, les jambes raides tendues devant moi, je savais que je disposais de toute ma tête. J’étais abasourdi par quelques kilomètres d’autoroute, mais rien qui n’ait suffit à générer un mind-lag (mot que j’ai inventé définissant ce décalage vis-à-vis de soi-même intervenant à l’issue d’une quantité de bitume avalée en temps réel les mains rivées à un volant, lorsqu’on descend de l’habitacle de son véhicule en tôle et que l’on s’assoit quelque part ailleurs, la sensation de la distance encore bourdonnante dans les muscles des tibias et du cou, totalement contradictoire d’avec le jet-lag, sensation frauduleuse ressentie à l’idée d’avoir parcourue une distance abstraite en trop peu de temps sans avoir eu la capacité de la comprendre physiquement). Donc, pendant que je me disais que la fumée de la cigarette de ce type aux chaussures maculées de traces blanchâtres montait étrangement très lentement dans l’air, je me disais aussi que ce n’était ni la fatigue ni l’hébétude qui distordait agréablement ma perception des choses, et je me disais ces deux choses en même temps en ressentant une acuité totalement inutile, mais terriblement précise. Or, sa fumée montait bel et bien comme à reculons dans l’atmosphère en refusant de s’étirer, tandis que la mienne filait comme un oisillon échappé d’un calumet, et il y avait aussi cette humidité vivante qui gagnait la rue et les arbres et les tables et les chaises malgré un après-midi à peine ébauché. Il était gros et menaçant et regardait vers l’Est et j’étais tourné vers le Sud, quand il s’est assis je me suis dit que c’était une drôle de façon de s’asseoir à une terrasse où ne siégeait personne en dehors de nous et de le faire de cette façon, à l’autre bout mais quasiment face à face, je me suis dit que sa fumée et la mienne ne montaient pas dans le ciel de la même façon, je me suis dit que l’air était si calme que ça ressemblait à quelque chose que je ne connaissais pas, je l’ai regardé plusieurs fois jusqu’à ce qu’à chaque fois il se mette à me regarder, je me suis demandé si tout avait l’air étrange autour de moi et tout avait l’air étrange, et je n’arrivais pas à boire cette bière qui voulait rester dans son verre très long et j’en venais à me dire que je n’étais pas là quand il a fallu se lever et partir. Puis tout est redevenu normal et je me suis mis à marcher et j’ai esquissé une sorte de sourire.

jeudi 3 novembre 2011

C’est le commencement qui est le pire, puis le milieu puis la fin ; à la fin, c’est la fin qui est le pire. (S. Beckett) :::: 20/20

Finir une liste de poèmes avec Charles Baudelaire peut ressembler à du laxisme.


Après s’être efforcé de poster des vers qui n’aient pas déjà été infiniment ressassés, et de le faire sans forfanterie, se retrouver à clôturer l’exercice avec probablement le plus connu d’entre tous les poètes semble ridicule. En même temps, l’hésitation qui m’a parcourue d’en finir avec cette liste par le biais d’un de mes propres poèmes l’était tout autant, si ce n’est plus et pareillement, choisir comme ultime poète un confidentiel aurait ruiné le soin que j’avais pris à ne pas donner dans une forme d’élitisme orgueilleux malgré des recherches précises de vers dont les résonnances pouvaient sembler nouvelles.
C’est qu’en fait, la lecture de « Poèmes Interdits », ouvrage – délicieusement préfacé par Sollers - paru aux éditions Complexe et embelli des illustrations de Gabriel Lefebvre vient de m’apporter quelques faits historiques impressionnants pour tout passionné de lettres, et qu’au fil de cette (re)lecture, je me suis fait surprendre, puis inévitablement happer par le romanesque qui n’a de cesse d’entourer Baudelaire. Le roi des poètes est ainsi : indétrônable.


Le 30 août 1857, Victor Hugo écrit ainsi à Baudelaire : « J’ai reçu, Monsieur, votre lettre et votre beau livre. L’art est comme l’azur, c’est le champ infini : vous venez de le prouver. Vos Fleurs Du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Continuez. Je crie bravo ! de toutes mes forces, à votre vigoureux esprit. Permettez-moi de finir ces quelques lignes par une félicitation. Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. Ce qu’il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu’il appelle sa morale ; c’est là une couronne de plus. Je vous serre la main, poète. »
Deux mois auparavant, Charles Baudelaire vient de livrer 1300 exemplaires de son recueil, fruit de seize années de labeur. Il en a déjà, de lui-même, retranché un tiers depuis 55, confiant à sa mère être « épouvanté par l’horreur qu’il allait inspirer ». Le Figaro, en disant de l’ouvrage « Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur » mettra le feu aux poudres, jusqu’à occasionner la saisie des exemplaires à peine deux mois plus tard. Le poète et ses eux éditeurs sont convoqués par la justice.
C’est au tour de Flaubert, lui-même inquiété par ce même Ernest Pinard, Procureur Impérial en charge du réquisitoire contre Les Fleurs du Mal, six mois auparavant au sujet de son « Madame Bovary », de s’étonner : « Ceci est du nouveau : poursuivre un livre de vers ! Jusqu’à présent la magistrature laissait la poésie fort tranquille. Je suis grandement indigné. Donnez-moi des détails sur votre affaire, si cela ne vous embête pas trop et recevez mille poignées de main des plus cordiales. ».
Le jugement, rendu après quelques heures, ordonne la suppression de six pièces (Les Bijoux, Lesbos, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Femmes damnées et Les Métamorphoses du vampire) et condamne le poète à 300 francs d’amende. « L’amende, grossie de frais inintelligibles pour moi, dépasse les facultés de la pauvreté proverbiale des poètes ! » s’exclamera Baudelaire en faisant appel à l’Impératrice, qui consent finalement à la réduire à 50 francs.
Une nouvelle édition des Fleurs du Mal sera donc imprimée en 1861 sans les six poèmes incriminés, qui paraîtront, isolés, sous le titre « Les Epaves » en 66, en Belgique. La justice française attaquera à nouveau l’éditeur, mais se heurtera à sa domiciliation belge et ne pourra faire valoir sa requête.


Il faudra attendre 1949, soit près d’un siècle, pour qu’un arrêté de la Cour de Cassation annule enfin le jugement de 1857.
Ironie de l’histoire, cette annulation interviendra moins d’un an après l’interdiction du « J’irai cracher sur vos tombes » de Vian.

Voici l’un de ces six poèmes interdits ; ce sera le dernier de cette série de vingt.
Poulet-Malassis, l’éditeur des Fleurs du Mal lui aussi condamné, en dira : « Les juges ont cru découvrir un sens à la fois sanguinaire et obscène dans les deux dernières stances. La gravité du Recueil excluait de pareilles plaisanteries. Mais venin signifiant spleen ou mélancolie, était une idée trop simple pour des criminalistes. Que leur interprétation syphilitique leur reste sur la conscience. »

Et que l’on me dispense de partager de la poésie pour un temps : l’exercice est par trop difficile.



A celle qui est trop gaie

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l’esprit des poètes
L’image d’un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l’emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J’ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon cœur,
Que j’ai puni sur une fleur
L’insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma sœur !

mercredi 2 novembre 2011

Dans les accidents de chemin de fer, c’est toujours le dernier wagon le plus dangereux. C’est pour cela qu’on l’a supprimé (Pierre Dac) (19/20).

Le 19 septembre 2011, j’ai fait le pari de poster vingt poèmes en vingt jours. Le 8 octobre, arrivé au treizième et alors que l’échéance de ces vingt jours tombe déjà comme un couperet sur mon projet désormais étêté, je connais un instant de renoncement. Peu importe, je persiste. A l’aube de finir, cela m’en aura finalement pris quarante cinq pour arriver là, à ce dix-neuvième et avant dernier.

Charles Le Quintrec, comme son nom l’indique, est breton. Fervent catholique, qui plus est. Et vivant, de surcroît. Personne n’est parfait. Pour autant, sa parole rugueuse est empreinte de sacré et peuplée de paysages. Bref, Charles Le Quintrec est un beau poète.

(…)
Soufflez sur une pierre
D’une route ordinaire
Il en sort un cheval interdit de séjour
L’ogive de mon âme
Et sa légende autour.

Extrait de « Les Pierres »

vendredi 21 octobre 2011

Le corniaud, c'est l'plus beau. (18/20)

Ca, c'est le 18ème. Et puis voilà.

Joli, joli, joli mois de mai,celle que j'aimaism'abandonnne.Elle est partie pour longtemps,chercher ailleurs son printemps.Joli, joli, joli mois de mai,je n'ai désormaisplus personne.Il faut que tu me pardonnes,si je n'ai pas le coeur gai.A la ville on criait,ach'tez du muguet,ça porte bonheur.J'en ai pris un bouquetmais ça n'a rien fait,c'est tous des farceurs.Joli, joli, joli mois de mai,avec mon bouquet j'ai l'air dôle.Y a même des gens qui rigolentJoli, joli mois de mai.Joli, joli, joli mois de mai,même si ça me faitquelque chose,il faut que je soie content,c'est la fête du printemps.Joli, joli, joli mois de mai,c'est ton premier jour,ça s'arrose.Je veux voir la vie en rose,joli, joli mois de mai.Arrosons le muguet,je veux être gaiet vaille que vaille.J'ai l'droit d'être pompette,si c'est pas ma fête,c'est celle du travail.Joli, joli, joli mois de mai,ô toi qui connaittant de chose,toi qui fait naître les roses,fais qu'elle revienne vers moijoli, joli, joli moisjoli, joli, mois de mai,joli, joli, joli mai.Une de perdue, dix de retrouvéesheureusement que vient l'étéavec ses plages ensoleilléeset toutes ces formes dénudéesDouces courbures, belles cambrures,la femme en joue sans un' rature.


(bon et là si tu ouvres pas le lien en dessous ça veut pas dire grand'chose, tout ça.)
http://www.ina.fr/divertissement/humour/video/I05181523/bourvil-joli-mois-de-mai.fr.html

mercredi 19 octobre 2011

"Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des nœuds." (17/20)

Nous voilà au dix-septième poème de cette série de 20.


René Char ? Un colosse impulsif d’1m92, ami d’Eluard, d’Aragon et d'André Breton avec lequel il aime faire le coup de poing (lors du saccage ayant suivi l'inauguration du bar "Maldoror" en 1930, Char recevra un vilain coup de couteau à l'aine), surréaliste passionné, collaborateur de Dali et de Bunuel, il devient le « Capitaine Alexandre » durant la guerre en prenant le commandement de grandes actions de résistance, puis s’éloigne très rapidement des mouvements résistants d’après-guerre tout en nouant une amitié indéfectible avec Albert Camus. Après avoir donné naissance, avec Christian Zervos, au Festival d’Avignon en 1947, il accouche encore de nombreux recueils avant de finir sa vie de façon résolument solitaire.
Allégeance est issu de son dernier recueil, édité l’année de sa mort (1988) à 81 ans.

Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards.
L'espace qu'il parcourt est ma fidélité.
Il dessine l'espoir et léger l'éconduit.
Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.
A son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

mardi 18 octobre 2011

Rentrée littéraire

"Un soir de 1985, j'ai trouvé Alain Pacadis adossé aux colonnes de la cité Bergère, en larmes. Il pleurait tout seul car il venait de se voir refuser l'entrée du Palace. Son perfecto couvert de badges fluo puait le vomi. Il avait probablement déjà chié dans son froc. Il reniflait avec son gros pif plein de morve un caillou de speed ramassé par terre. Lui qui aujourd'hui incarne ce que François Buot (dans un essai consacré en grande partie à lui) baptisa l'Esprit des seventies, s'était fait jeter comme un clodo par le service d'ordre du Palace. Fabrice Emaer était mort, des jeunes gens pas chic avaient récupéré l'endroit, et Paca n'était plus le bienvenu. Edenté, il titubait devant l'entrée, réclamant des verres gratuits alors qu'il risquait à tout moment de sombrer dans le coma. Je n'étais à l'époque pas assez connu pour le faire pénétrer dans cette discothèque dont il incarne aujourd'hui la splendeur. Tu parles! Splendeur, mon cul !, eût dit la Zazie de Queneau. C'est à coups de pompes qu'on virait la loque humaine! Il y a une telle distorsion entre les légendes et la réalité. Scott Fitzgerald à la fin de sa vie: les jeunes le croyaient mort. Kerouac, Blondin, Bukowski, Thompson: parodies d'eux-mêmes. La meilleure chose à faire avec ces génies cabossés, c'est de les lire. Parce que les côtoyer n'était pas un cadeau. Ils se laissaient écraser par leur personnage, se croyaient sans cesse obligés de parader pour rester à la hauteur de la légende. Leur existence devenait un fardeau; c'est tout de même con d'être assassiné par un masque. Je me suis contenté de raccompagner Alain Pacadis en taxi."


Extrait de "Premier bilan après l'apocalypse" de Frédéric Beigbeder.

L’Autoroute A16 part de l’Isle-Adam pour rejoindre Bray-Dunes. (16/20)

Seizième poème de cette série de 20.
William Wordsworth est LE poète anglais de référence, né en 1770 frère de la poétesse Dorothy Wordsworth. Après un bref séjour en France en 1790 en plein cœur de la Révolution durant laquelle il soutient les Républicains et fait un enfant, il retournera seul en Angleterre, ruiné et exilé de sa femme et de sa fille après avoir finalement été accusé d’être un Girondin.
Il y rencontre Samuel Coleridge en 1795 dont il devient l’ami, et avec lequel il publie « Lyrical Ballads », œuvre d'importance capitale pour le mouvement romantique en Grande-Bretagne. En 1802, Wordsworth retournera en France avec sa sœur Dorothy pour revoir son ex-femme et sa fille ; pour autant, lorsque Napoléon sera sacré Empereur deux ans plus tard, ses derniers rêves de libéralisme s’écrouleront. Il passera le reste de sa vie à Ambleside, au milieu de moutons et de chèvres.


Les vers de ce poème, « Splendour Of Grass », sont tirés du recueil « Ode: Intimations of Immortality (1803-1806) ».


Ils ont pour particularité de constituer la scène finale du film du même nom d’Elia Kazan réalisé en 1961, qui se clôture sur le visage somptueux de Natalie Wood dont la voix les récite en « off » après qu’il lui ait été demandé : « Hey Honey ? Do you think he still loves you? » et qu’elle ne réponde rien… (cf video, à 7 :10).


(Ils posent aussi, comme partout en poésie, le terrible problème de la traduction, dont je m’amuse un peu ci-dessous… )

Though nothing can bring back the hour
Of splendour in the grass, of glory in the flower;
We will grieve not, rather find Strength in what remains behind...






Traduction de Emile Legouis, 1928 :
« Et s’il doit manquer désormais
Une gloire à la fleur, une splendeur à l’herbe !
Je veux sans m’affliger, jouir
Des dons que je possède encore »

Traduction de Wikipedia (source non mentionnée) :
« Bien que rien ne puisse ramener le temps
De l'éclat de l'herbe, de la splendeur des fleurs;
Nous ne nous lamenterons pas, mais puiserons des forces dans ce qui en subsiste. »

Traduction par le biais du site Reverso :
« Quoique rien ne puisse rendre l'heure
De splendeur dans l'herbe, de gloire dans la fleur;
Nous peinerons pas, trouverons plutôt la Force dans quels restes derrière. »

vendredi 14 octobre 2011

Why can't i be you

Sur scène, une des meilleures formations de Bowie initialement réunie pour l'enregistrement de Earthling, album (encore !) terriblement précurseur dans son exploration hybride des patterns jungle et drum'n bass déferlant sur l'Angleterre de la fin des 90's, autoproduit très rapidement; au micro, deux des plus grandes icônes de la scène pop anglaises réunies pour les 50 ans du Thin White Duke.
Bowie allume des clopes pendant que Smith sourit en face de Reeves Gabrels en plaquant d'énormes riffs de rock, l'incroyable Zacharie Alford tout juste emprunté à Springsteen relève haut la main le défi de la cohabitation acoustique/électronique à la batterie, le légendaire Mark Plati est aux arrangements, la sublime Gail Ann Dorsey aux claviers (une fois n'est pas coutume), et nous voilà face à un moment de musique totalement jouissif.

jeudi 13 octobre 2011

Ash nazg thrakatulûk agh burzum-ishi krimpatul. (15/20)

Voici le quinzième poème de cette série de 20.
Il s’agit de l’un des 449 dizains décasyllabiques de « Délie, objet de la plus haute vertu », œuvre secrète et sophistiquée du poète lyonnais Maurice Scève écrite en 1544, entièrement dédiée à Pernette du Guillet, jeunesse poétesse de 16 ans dont il est tombé follement amoureux, et qui mourra dix ans après leur rencontre. Tout au long de ce travail monumental se confrontent thèses et antithèses qui n’ont de cesse de développer les rouages d’une aventure intérieure qui dit les contradictions du sentiment amoureux, avant de se clôturer sur ce vers en capitales : « SOUFFRIR NON SOUFFRIR ».
Voici le sublime dizain intitulé/numéroté CCCXLVII (soit le 347ème, si mes souvenirs de numérotation romaine sont exacts…), qui traite de la symbolique de l’alliance.

Heureux joyau, tu as autrefois ceint
Le doigt sacré par si gente manière,
Que cette main, de qui le pouvoir saint
Ma liberté me détient prisonnière,
Se feignant ore être large aumonière,
Te donne à moi, mais pour plus sien me rendre.
Car, comme puis en te tournant comprendre,
Ta rondeur n’a aucun commencement,
Ni fin aussi, qui me donne à entendre,
Que captif suis sans élargissement.

lundi 10 octobre 2011

Au bout de quatorze ans de mariage, on fête des noces de plomb. Pas très encourageant. (14/20)

Voici le quatorzième poème de cette série de 20. Je l’emprunte à Jules Supervielle né dans les grands espaces d’Amérique du Sud à la fin du XIXème. Je le trouve parfait pour un lundi.

Extrait de « Le chaos et la création »

Maintenant que j’ai mis partout de la lumière
Il me faudra pousser le ciel loin de la terre,
Et pour être bien sûr d’avoir tout mon espace
Je ferai que le vent et les nuages passent
Ainsi que les oiseaux qui viennent et qui vont
Vérifiant les airs, la surface, le fond.
Tout me supplie et veut une forme précise,
Tout a hâte de respirer dans sa franchise
Et voudrait se former dès que je le prévois,
Et ma tête foisonne, et mon être bourdonne
De milliers de silences, tous différents,
Ce sont les voix de ceux qui n’en ont pas encore
Et quémandent un nom pour aller de l’avant.
Chacun son tour, le temps viendra pour tous d’éclore.

Lundi, c'est aussi un "demain" ?


Rita Mitsouko Fatigué d'être fatigué par candyraton

samedi 8 octobre 2011

Je ne savais pas qu’il existait de très sérieux « nombres premiers sexy ». Treize est l’un d’entre eux, et ce n’est pas une blague. (13/20)

Voici le treizième poème venant marquer cette série de 20.
A ce stade, il est clair qu’occuper/alimenter un blog d’autant de poésie, pendant autant de temps, est une forme de suicide public.

Les gens, dans leur grande majorité, ne rechignent pas à un peu de poésie mais en tout état de cause, se détournent bien vite d’un assaut quotidien de versification ou de prose, tout éloignés des éthers par une vie tenue écartée de la mystique par une frénésie rythmique idoine, l’empilement de possessions plastiques et l’accumulation de courbatures psychologiques inavouables. Peu restent enclins à l’exercice tel que j’ai eu l’envie de le soumettre, et loin de rechercher une forme d’élitisme snobinard et prétentieux, j’ai pensé, un temps, partager une passion trop personnelle que je réalise peu compatible d’avec le besoin légitime de tout homme de notre siècle à se détendre et à se divertir par la lecture, ne serait-ce que d’un blog à l’affluence confidentielle.


Mais il serait encore plus cynique de renoncer, même si j’ai déjà acquis la certitude d’avoir, à la suite de cette série, à regagner durement le peu de lecteurs que je m’étais acquis. Après tout, cela n’a pas plus d’importance qu’autre chose qui ait à s’inscrire dans ce combat que nous menons tous pour exister au milieu de nos semblables.


J’aime Hugo un peu de la même façon que Jose Maria de Heredia, d’un amour capricieux. Tantôt cette idolâtrie de la langue et de sa puissance intrinsèque m’impressionne et m’écrase comme le ferait un défilé militaire, tantôt je la trouve abjecte, surannée et prétentieuse, comme un défilé militaire. Mais force est de constater, parfois, que la beauté émanant de cette science du langage, mise au service d’un sentiment humain véritable – surdimensionné, mais véritable - fait émerger une noblesse qui transporte, émeut, et fait écho au goût de l’infini que la vie nous met en partage universel.
Il serait vain de tenter un résumé de la biographie de ce personnage titanesque qu’est Victor Hugo. Le poème ci-dessous étant tiré des Contemplations, laissons nous juste aller à ces quelques lignes pour en restituer le contexte : Hugo déclare, à propos de ce recueil paraissant en 1856 : « Qu'est-ce que les Contemplations ? - Les mémoires d'une âme ». Apothéose lyrique, marquée par l'exil à Guernesey et la mort de sa fille ; exil affectif, exil politique : Hugo part à la découverte solitaire du moi et de l'univers. Le poète finit même par se faire prophète, voix de l'au-delà, voyant des secrets de la vie après la mort et qui tente de percer les secrets des desseins divins.

Aujourd’hui, j’ai envie de célébrer la vie. Et pour ce faire, je ne vois, en dehors d’Eluard, qu’Hugo. Voici « Éclaircie »



L'océan resplendit sous sa vaste nuée.

L'onde, de son combat sans fin exténuée,

S'assoupit, et, laissant l'écueil se reposer,

Fait de toute la rive un immense baiser.

On dirait qu'en tous lieux, en même temps, la vie

Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit, l'envie,

Et que le mort couché dit au vivant debout:

Aime! et qu'une âme obscure, épanouie en tout,

Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.

L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,

Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses coeurs épars,

Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts

La pénétration de la sève sacrée.

La grande paix d'en haut vient comme une marée.

Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé ;

Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé.

L'infini semble plein d'un frisson de feuillée.

On croit être à cette heure où la terre éveillée

Entend le bruit que fait l'ouverture du jour,

Le premier pas du vent, du travail, de l'amour,

De l'homme, et le verrou de la porte sonore,

Et le hennissement du blanc cheval aurore.

Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit,

Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit;

L'air joue avec la mouche et l'écume avec l'aigle;

Le grave laboureur fait ses sillons et règle

La page où s'écrira le poème des blés;

Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés;

L'horizon semble un rêve éblouissant où nage

L'écaille de la mer, la plume du nuage,

Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau.

Une lueur, rayon vague, part du berceau

Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière,

Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière

En touchant un tombeau qui dort près du clocher.

Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher

L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde.

Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde.

mercredi 5 octobre 2011

J'ai six ans, je sais que c'est pas vrai, mais j'ai six ans... (12/20)

Voici le douzième poème d'une série de vingt postés pendant (presque à peu près) vingt jours...




Celui a une résonnance toute particulière : il a occupé tout mon mercredi après-midi : il est de Raymond Richard, je ne sais absolument pas qui c'est, et pour cette fois, je m'en fous. Pourquoi ? Parce qu'il est à apprendre par coeur pour demain, classe de CP.

Classe de CP.

Que vive à jamais la poésie orale, parlée, déclamée, comme le pli du front de l'enfant tout attelé à sa tâche mémorielle.

Prêts ?


Il s'intitule : "Le Bel Automne Est Revenu".

A pas menus, menus,
Le bel automne est revenu
Dans le brouillard, sans qu'on s'en doute,
Il est venu par la grand'route
Habillé d'or et de carmin.
Et tout le long de son chemin,
Le vent bondit, les pommes roulent,
Il pleut des noix, les feuilles croulent.
Ne l'avez-vous pas reconnu ?
Le bel automne est revenu.

mardi 4 octobre 2011

Onze est le premier nombre à dépasser la mesure de nos dix doigts... (11/20)

Voici le onzième poème de cette série de 20.

Celui-là sera tout en prose, et emprunté à Georges-Louis Godeau. Le brillant linguiste et sémiologue Georges Mounin dira de ce poète anobli par la rue aux côtés de Prévert ou d’Aragon dans sa capacité à parler du peuple tout en faisant en sorte que le peuple lui-même s’y reconnaisse et s’y apprécie : « Godeau fait tenir en 8 ou 10 lignes ineffables ce que les analystes chevronnés de "L'Express", de "L'Observateur" ou du "Monde" n'atteignent, et pas toujours, qu'en 3 ou 4 colonnes... S'il avait été grand Reporter, il serait mondialement connu... ».

Délectons-nous de « Les gens » :


Ils sont assis sur leur chaise, ils ont des jumelles puissantes pour voir à travers les murs et ils te suivent, ils protestent, ils disent que tu es Satan et que si ils te prennent ils te pendent. Et quand tu reviens, que tu entres en costume clair, ta mèche brune comme un cowboy, un artiste ou un chef d’Etat, ils se serrent, ils se taisent et si tu t’étonnes ils froufroutent, ils s’éloignent.

Ce sont des êtres inoffensifs qu’il convient sans plus de tenir en respect et même parfois, si le cœur t’en dit, quand la vie devient généreuse, tu sais bien, mon frère, les soirs de fête, d’aimer malgré eux, le temps de les surprendre.

lundi 3 octobre 2011

A Mathias de Banon (10/20)

Voici le dixième poème de cette série de 20. Il en est, en quelque sorte, le tournant. Nous le laisserons donc à un personnage ambigu, en la personne de François Maynard : l’homme est d’une part un avocat parisianiste doublé d’un homme d’Etat intégrant, dès son apparition, l’Académie Française inaugurée au XVII ème, et fervent disciple de Malherbe ; mais plus profondément, le poète est attaché à sa singularité comme à sa terre d’Aurillac, et les fausses promesses du pouvoir le poussent à cultiver une sincérité de sentiment et un sens de l’humain qui s’expriment tantôt dans un lyrisme exalté, tantôt dans un réalisme terrien pur et touchant. Ce poème retrace toute cette dualité, et évoque le choix final de l'Académicien, à la mort de Richelieu, de s’établir à Saint Céré, dans le Lot, où il reçoit la visite de nombreux jeunes poètes parmi lesquels un certain Jean de la Fontaine. Même le cynique Voltaire, peu enclin à l’éloge, dira de lui : « On peut le compter parmi ceux qui ont annoncé le siècle de Louis XIV ; il reste de lui un assez grand nombre de vers heureux. » Dont acte :

Adieu, Paris, adieu pour la dernière fois.
Je suis las d’encenser l’Autel de la fortune,
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois,
Où tout me satisfait, et rien ne m’importune.

Je n’y suis pas touché de l’amour des Trésors.
Je n’y demande pas d’augmenter mon partage.
Le bien qui m’est venu des Pères dont je sors,
Est petit pour la Cour, mais grand pour le Village.

Depuis que je connais que le siècle est gâté,
Et que le haut mérité est souvent maltraité,
Je ne trouve ma paix que dans ma solitude.

Les heures de ma vie y sont toutes à moi.
Qu’il est doux d’être libre, et que la servitude
Est honteuse à celui qui peut être son Roi !

dimanche 2 octobre 2011

Ratatoum ta ta...

Ils sont à peu près vingt et à eux tous, ils doivent cumuler plus d’un millénaire. Le meneur, un Robert Hue rougeaud, s’est époumoné en battant la mesure d’une seule main et le porte-drapeau, grand échalas penchant à la scoliose menaçante, a tenu à figurer en première ligne, raide et désespérément pompeux comme une justice surannée.

C’est la Fanfare.

Réunie pour la fête œcuménique du patron du quartier, elle a ressuscité une éternité d’après-guerre, par surprise, immuable dans sa boiterie grinçante à la porte de l’église dans un fracas de cuivres emboutis voilà une demi-heure.

Puis l’office a débuté et le silence a regagné la place, comme après un mauvais réveil ; en bas de la volée d’escalier les trois rangs approximatifs se sont disloqués. Cheveux blancs, cheveux gris, cheveux sales et crânes lisses se sont agrégés en bouquets de brocolis décatis empreints de moustaches aux arrondis goudronnés de tabac brun, dans des éclats de chemises blanches et de fanions mal repassés. Du bar d’en face, des regards méfiants s’échangent dans un parfum d’anisette qui flotte dans le virage ; le dimanche prend définitivement son envol dans un éclat de soleil italien et d’odeur de pain. Même le bruit des voitures qui s’engouffrent dans le vallon est devenu familier depuis qu’ils se sont emparés de la placette, en amont de la procession tristounette levant haut une icône de Saint François d’Assise entourée de ses notables pèlerins, et que leur vacarme pétaradant a déversé en quelques accords biaisés un cortège jovial de souvenirs dans l’azur de septembre, ouvrant comme un signal les volets des maisons silencieuses sur des sourires débonnaires, faisant sortir les marchands sur le perron de leur échoppe et accourir les retardataires. Des cigarettes se fument maintenant, solennelles et amidonnées, quand soudain les cloches retentissent à nouveau.

Dans une bouffée de fraîcheur humide qui exhale de l’édifice aux portes soudainement grand ouvertes des relents d’encensoir, une nuée de scouts microscopiques coiffés de bérets pétainistes s’étiole en avant-garde de la foule endimanchée qui plisse les yeux sous l’assaut du zénith. Comme réveillée en sursaut, la fanfare retrouve instinctivement son alignement improbable et dans un succès fracassant, fait de nouveau éclater la parade dans une déferlante de couacs cuivrés et de martèlement de grosse caisse.

Le décor bascule tout aussi promptement : des enfants gavés d’excitation remontent le boulevard au pas de course, rejoignant la foule maigrelette qui s’est pressée en arc de cercle dans le virage. En quelques minutes, on n’aperçoit quasiment plus personne mais le tonnerre pétaradant semble gagner en puissance, galvanisé par ce flux de curieux grossissant : des païens bigarrés surgis d’on ne sait où se pressent autour des fidèles, les scouts virevoltent, et dans un incroyable retour rougeaud vers le passé s’agglutinent vieillards ahuris, poussettes claudicantes, clochards édentés, idiots de village, rombières, costauds rougeauds en débardeur, maîtres d’école, petites filles en rubans pastels, garnements hurleurs jetant des cailloux à la dérobée, chiens errants, agents de police blasés, élus locaux ventripotents et tout ce petit monde, dans un élan de fraternité stérile, communie dans cette dissonance paillarde et débraillée. Et la fête s’installe, adoubée par un soleil claironnant. De grandes ovations se mettent à ponctuer les pauses, tandis que des kyrielles d’enfants ont installé une ronde frénétique au gré des marches d’escalier qui surplombent la scène et que les clients du bar se sont levés, une main en visière. Essoufflés, empourprés, suants, les instrumentistes se sont scindés en trois rangs : les septuagénaires d’en haut, qui tiennent les cors, menacent de s’effondrer sous l’effet des exhortations du meneur entre deux époumonements que l’on ne perçoit presque plus ; au milieu, fiers et gras, les cuivres sexagénaires emmenés par un soliste rutilant crachent à perdre haleine dans les embouchures de leurs trompettes; enfin, en bas, face à la foule, le premier rang à l’âge canonique tangue sous l’effet d’un rythme apoplexique maintenu par miracle par une triplette de tambours équipés de sonotones et d’un duo réjouissant composé d’un joueur de caisse très en retard mais très motivé, et d’un joueur de cymbales aux yeux exorbités dont la machine personnelle semble s’être emballée.

Immuable, défiant le temps comme un sphinx de naphtaline, le porteur de drapeau clôture le rang, le menton tremblant pointé vers le nord dans un salut indéfinissable. Dos à la foule, le meneur, trompette à la bouche, le cou épais roide de sueur, bat irréparablement la mesure de sa main gauche potelée en lançant des regards noirs à qui veut bien les prendre, et l’ensemble, dans une grâce éléphantesque, tambourine un corpus de rythmes martiaux dégénérés dans une liesse universelle et jouissivement stupide.

Le bus prend un virage serré dans l’indifférence générale tout en crachant un apocalyptique nuage de diésel, les scouts se mettent à vendre des calendriers, et comme de petites rivières, des flux de passants se font et se défont en travers de la foule dans la bousculade. Enfin, une sorcière paillarde à la teinture mourante se met à danser avec la grâce d’une ballerine hallucinée, sourire cabossé de chicots offert à une foule goguenarde.

Il est bientôt midi.

« Une nation s’éteint quand elle ne réagit plus aux fanfares ; la décadence est la mort de la trompette. »

Michel Cioran.

« Number nine… number nine… number nine… » (Revolution 9 / John Lennon) (9/20)

Voici le neuvième poème de cette série de 20 poèmes.
Le belge Henri Michaux, né en 1899, contemporain des surréalistes mais si solitaire qu’il ne les côtoiera quasiment pas, est pour autant, comme la plupart d’entre eux, un chantre du voyage ; qu’ils soient réels ou imaginaires, les siens se déroulent le long d’une écriture unique qui explore les domaines inconnus où le mènent les drogues. Pour cet amoureux de Lautréamont, passionné par Tolstoï et Dostoïevski, cette exploration restera cependant lucide, précise, presque scientifique : sous la surveillance d’un médecin, il s’adonne à la mescaline à l’âge de 55 ans, avant d’approfondir sa curiosité en matière de psychotropes avec le LSD, puis la psilocybine, toujours dans le cadre d’expériences annotées visant à déclencher de nouvelles formes de créations artistiques. Très attiré par les arts graphiques qu’il pratiquera quasiment sans interruption, parfois au détriment de l’écrit, féru de psychiatrie, cet artiste prolifique s’éteint à Paris en 1984.
Ci-dessous « Paix égale », poème extrêmement moderne, que l’on imagine entrer sans grande difficulté dans un répertoire de Bashung aux côtés de textes de Jean Fauque…

Paix des nerfs au cœur malade.
Paix égale mûrir sa loi,
sucée à la vie,
A la vie nébuleuse, à la vie…
Mais lourd le char, lourd, lourd.

Les apaiser,
Leur envoyer du vent,
Le vent chaud des bouches suaves,
Le vent chaud du désert souverain.

« Et maintenant… FERMEZ vos corolles d’angoisse ! »

samedi 1 octobre 2011

La danse est une excellente parenthèse à la poésie...

Nouvelles attributions obligent, me voilà à tenter de rattraper un considérable retard dans la connaissance dont je dispose concernant l'univers de la danse. Plongée dans un ouvrage pharaonique mais littéralement somptueux, assez bêtement intitulé "Histoire de la danse en Occident", écrit par un certain Paul Bourcier (éminent personnage enseignant à Paris VII).
Au-delà de venir échaffauder avec une terrible exactitude mes futures connaissances dans le domaine de la danse, cet ouvrage a la particularité géniale de dresser cette "histoire" par le biais d'une "invitation à réfléchir sur l'évolution des sociétés humaines, dont la danse, que les historiens commencent tout juste à prendre en compte, est l'un des indicateurs les plus précis et les plus subtils."

Sachons-le, la première représentation d'un être humain en train de danser remonte à 14.000 ans avant notre ère. (On peut la voir sur la page FaceBook de "Cabriole Centre de Danse")...

Voilà donc un premier partage de cet ouvrage fabuleux, concernant "La Ronde d'Addaura":

"Datée de -8.000 ans, donc du Mésolithique, où les représentations de groupe commencent à être fréquentes, cette scène gravée dans la grotte d'Addaura présente sept personnages dansant une ronde autour de deux personnages centraux. Ceux-ci se livrent, à terre, à des contorsions - l'un semble faire le pont. Ils sont ithyphalliques*, alors que les autres ne le sont pas. Tous sont nus; mais ils portent un masque au museau pointu qu'on trouve couramment dans les figures pariétales - même celles qui n'indiquent pas de mouvement - et qui n'est pas celui d'un animal nettement déterminé.
Le mouvement va de la droite vers la gauche, soit celui de la marche apprente des grands astres, le soleil et la lune. Faut-il y voir une danse cosmique? La réponse n'est pas du domaine de la constatation. Sans se lancer dans des hypothèses gratuites, on se contentera de remarquer que toutes les rondes spontanées, même celles des enfants, de nos jours, tournent dans ce même sens."
* adjectif qui désigne "celui qui a un phallus en érection"

Avis à tous les parents : faites-en l'expérience troublante...
(Je sens que je vais me régaler.)

Huit est bel et bien le deuxième nombre magique (mais en physique nucléaire)… (8/20)

Voici le huitième de cette série de 20 poèmes.


Que dire sur Paul Verlaine ? Consacré à la Vierge Marie par sa mère, il restera habillé tout en bleu jusqu’à l’âge de sept ans, et que bien que cela ne suffise évidemment pas à expliquer son goût vertigineux et précoce pour l’alcool ni les désastres occasionnés par ce que l’on appellera alors ses « amitiés particulières », force est de reconnaître qu’en terme de départ dans la vie, celui-ci ne fût pas très bénéfique… De son mariage bienséant avec Mathilde, ruiné par cette rencontre funeste avec Rimbaud, il ne lui restera pas même le droit de voir son fils : échoué auprès de sa propre mère devant laquelle il jure puis abjure cent fois sa terrible consécration, c’est à ses amis et admirateurs qui se cotisent qu’il doit un semblant de vie misérable, passée d’hôpitaux en cabarets. Le Prince des Poètes n’aura finalement été qu’un clochard rongé par l’absinthe, dont la misérable vie s’achèvera dans un taudis un soir de 1896.
Malgré ce tableau affreux, voilà par exemple comment le « pauvre Lélian » n'aura eu de cesse, de quelques vers, se rapprocher de ces dieux qui l’ont si tristement ignoré : place à « Les Ingénus », poème tout « Sophia Coppolien » empreint d’un délicieux libertinage sophistiqué tout en alexandrins pleins d’élégance et de légèreté, tout entier dédié à la confusion de cette recherche de la femme idéale qu’il ne trouvera jamais.

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.


Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.


Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.

jeudi 29 septembre 2011

Sept est le nombre des pétales de la rose; c’est aussi celui des pêchés capitaux. (7/20)

Voici le septième de cette série de 20 poèmes, et on le doit à Emile Verhaeren ; né dans les Flandres en 1855, ce poète atypique restera à tout jamais marqué par l’éducation qu’il reçut chez les Jésuites de Gand : frappé de crises mystiques suicidaires, il ne devra son salut qu’à la femme qu’il épousera, et avec laquelle il trouvera refuge dans une vieille maison du Hainaut.
Sa vision épique de la révolution industrielle et son amour du prolétariat le rapprochent inexorablement de Hugo, mais aussi de Walt Whitman.
Il quittera ce bas-monde en 1916 de façon tragiquement romanesque, écrasé par un train près de Rouen.
Voici le sublime « Pauvres vieilles cités » :




Pauvres vieilles cités par les plaines perdues.
Dites de quel grand plan de gloire,
Vers la vie humble et dérisoire,
Toutes, vous voilà descendues


Vous ne comprenez plus vos hauts beffrois en deuil
Ni ce que disent aux nuées
Tant de pierres destituées
De leur ancien et bel orgueil


Vos carrefours, vos grand'places et votre port,
Tout est muet et léthargique;
Tout semble aller à pas logiques
Vers l'horizon, où luit la mort.


Seule, quand le marché aligne au jour levé,
Sur le trottoir, ses éventaires,
Un peu de vie hebdomadaire
Se cabre aux joints de vos pavés.


Ou bien, quand la kermesse et ses cortèges d'or
Mènent leur ronde autour des rues,
L'émoi des foules accourues
Vous fait revivre une heure encor.


Vos moeurs sont pareilles à vos petits jardins;
Buissons corrects, calmes verdures,
Mais une odeur de moisissure
Séjourne en leurs recoins malsains.


Vos gestes sont prudents, mesquins et routiniers,
Vous ne penchez sur vos négoces
Que des yeux mornes ou féroces,
Qui ne comptent que par deniers.


Vos cerveaux sans révolte et vos coeurs sans fierté
Se complaisent aux moindres choses,
Et de pauvres apothéoses
Font tressaillir vos vanités.


Vous ne produisez plus ni communiers ni gueux
Et vivez à la dérobée
Des miettes d'ombre et d'or tombées
Du festin rouge des aïeux.


Pourtant, si triste et long que soit votre déclin,
Notre rêve ne veut pas croire
Que plus jamais la belle gloire
Ne bondira de vos tremplins.

Vous vous armez encore de trop d'entêtement,
Damme, Courtrai, Ypres, Termonde,
Pour n'être plus au vent du monde
Que des tombeaux d'orgueil flamand


Et n'avoir plus aucun remords, aucun sursaut
En ces heures de somnolence
Où le visage du silence
Se mire seul dans vos canaux.

mardi 27 septembre 2011

Six est la profondeur, en pieds, à laquelle un cercueil est traditionnellement placé. (6/20)

Voici le sixième d’une série de 20 poèmes, qui (devraient, théoriquement, mais des fois, je n'ai pas le temps) seront postés durant 20 jours.

Comment la Reine Margot échoit-elle dans une liste de poèmes ? Et bien assez naturellement finalement, car il se trouve que Marguerite de Valois, septième fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, est un personnage saisissant, sorte de Mme de Sévigné avant l’heure…
Mais observons tout d’abord, -il serait bien difficile de ne pas céder à la tentation-, un léger détour du côté de son père : nous sommes en 1559 et l’histoire rapporte ce fait à la fois romantique, cruel et terrifiant à propos de ce fils du légendaire François 1er. A 40 ans, Henri II est, à l’image de son auguste père, un véritable homme de la Renaissance sachant tout aussi bien s’adonner aux Arts qu’à l’épée ; c’est ainsi qu’il se retrouve à disputer un tournoi organisé en l’honneur du mariage d’une de ses filles, au cours duquel il affronte le capitaine de sa propre garde écossaise : son destin bascule quand cet adversaire lui plante sa lance dans l’œil. C’est à Ambroise Paré, alors à la tête des meilleurs chirurgiens de la cour, qu’est confié le sort du monarque. C’est ici que l’Histoire rapporte alors un fait coutumier de l’époque : Ambroise Paré demande l’autorisation de « reproduire la blessure sur des condamnés pour mieux la soigner ». Laissons donc ici vagabonder notre imagination quelques secondes et planter un décor de la Renaissance, longue période transitoire aux contours plutôt mal définis, traversée de révolutions culturelles, géographiques, scientifiques, intellectuelles et artistiques, mais néanmoins marquée de façon très vivace par le sceau d’un Moyen-âge brutal et féroce… Henri ne survivra pas, et comme ce nombre inconnu d’infortunés qui se seront fait sciemment, mais en vain, planter une lance dans l’œil par les assistants d’Ambroise, il mourra dans d’atroces souffrances.

Quant à Marguerite de Valois, dont l’existence démarre dans un siècle où les rumeurs, les ragots et les outrages sont monnaie courante tant les tensions sont vivaces, on lui prête très tôt des relations incestueuses non pas avec un, mais avec ses trois frères ; sa légendaire beauté, que Brantôme, l’abbé soldat du Périgord figurant parmi les plus illustres chroniqueurs de son époque, décrira en ces termes : « S’il y en eust jamais une au monde parfaicte en beauté, c’est la royne de Navarre ! » fera qu’on lui prêtera aussi un grand nombre d’amants plus ou moins fantasmés. Mariée à Henri de Navarre dans le but de mettre un terme à une troisième guerre de religion - le général des jésuites qualifiera le mariage « d’union exécrable »- , le mythe d’une « femme lubrique née dans une famille maudite » la poursuivra longtemps, avant que le souvenir de cette femme exceptionnelle, remarquable latiniste très cultivée possédant à la fois beauté, santé, intelligence et énergie, soit réhabilité. Il reste néanmoins que si le nombre d’amants qu’on lui a prêté reste démesuré, le couple royal a affiché sans grand mystère ses infidélités mutuelles, tout en accomplissant un devoir conjugal minutieux et protocolaire.
Ce poème délicieux de romantisme, d’éperdu et de passion, adressé par Marguerite à son amant Champvallon, traduit remarquablement le goût de la reine pour les formes poétiques anciennes. Il s’intitule : « Nos deux corps sont en toi… »

Nos deux corps sont en toi,
Je le sais plus que d’ombre.
Nos amis sont à toi
Je ne sais que de nombre.
Et puisque tu es tout
Et que je ne suis rien,
Je n’ai rien ne t’ayant
Ou j’ai tout, au contraire,
Avoir et tout et tien,
Comment se peut-il faire ?...
C’est que j’ai tous les maux
Et je n’ai point de biens.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Le soleil de mes yeux,
Si je n’ai ta lumière,
Une aveugle nuée
Ennuie ma paupière.
Comme une pluie de pleurs
Découle de mes yeux,
Les éclairs de l’amour,
Les éclats de la foudre
Entrefendent mes nuits
Et m’écrasent en poudre.
Quand j’entonne les cris,
Lors, j’étonne les cieux.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Nous n’aurons qu’une vie
Et n’aurons qu’un trépas.
Je ne veux pas ta mort
Je désire la mienne.
Mais ma mort est ta mort
Et ma vie est la tienne.
Ainsi, je veux mourir
Et je ne le veux pas.