vendredi 21 octobre 2011

Le corniaud, c'est l'plus beau. (18/20)

Ca, c'est le 18ème. Et puis voilà.

Joli, joli, joli mois de mai,celle que j'aimaism'abandonnne.Elle est partie pour longtemps,chercher ailleurs son printemps.Joli, joli, joli mois de mai,je n'ai désormaisplus personne.Il faut que tu me pardonnes,si je n'ai pas le coeur gai.A la ville on criait,ach'tez du muguet,ça porte bonheur.J'en ai pris un bouquetmais ça n'a rien fait,c'est tous des farceurs.Joli, joli, joli mois de mai,avec mon bouquet j'ai l'air dôle.Y a même des gens qui rigolentJoli, joli mois de mai.Joli, joli, joli mois de mai,même si ça me faitquelque chose,il faut que je soie content,c'est la fête du printemps.Joli, joli, joli mois de mai,c'est ton premier jour,ça s'arrose.Je veux voir la vie en rose,joli, joli mois de mai.Arrosons le muguet,je veux être gaiet vaille que vaille.J'ai l'droit d'être pompette,si c'est pas ma fête,c'est celle du travail.Joli, joli, joli mois de mai,ô toi qui connaittant de chose,toi qui fait naître les roses,fais qu'elle revienne vers moijoli, joli, joli moisjoli, joli, mois de mai,joli, joli, joli mai.Une de perdue, dix de retrouvéesheureusement que vient l'étéavec ses plages ensoleilléeset toutes ces formes dénudéesDouces courbures, belles cambrures,la femme en joue sans un' rature.


(bon et là si tu ouvres pas le lien en dessous ça veut pas dire grand'chose, tout ça.)
http://www.ina.fr/divertissement/humour/video/I05181523/bourvil-joli-mois-de-mai.fr.html

mercredi 19 octobre 2011

"Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des nœuds." (17/20)

Nous voilà au dix-septième poème de cette série de 20.


René Char ? Un colosse impulsif d’1m92, ami d’Eluard, d’Aragon et d'André Breton avec lequel il aime faire le coup de poing (lors du saccage ayant suivi l'inauguration du bar "Maldoror" en 1930, Char recevra un vilain coup de couteau à l'aine), surréaliste passionné, collaborateur de Dali et de Bunuel, il devient le « Capitaine Alexandre » durant la guerre en prenant le commandement de grandes actions de résistance, puis s’éloigne très rapidement des mouvements résistants d’après-guerre tout en nouant une amitié indéfectible avec Albert Camus. Après avoir donné naissance, avec Christian Zervos, au Festival d’Avignon en 1947, il accouche encore de nombreux recueils avant de finir sa vie de façon résolument solitaire.
Allégeance est issu de son dernier recueil, édité l’année de sa mort (1988) à 81 ans.

Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards.
L'espace qu'il parcourt est ma fidélité.
Il dessine l'espoir et léger l'éconduit.
Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.
A son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

mardi 18 octobre 2011

Rentrée littéraire

"Un soir de 1985, j'ai trouvé Alain Pacadis adossé aux colonnes de la cité Bergère, en larmes. Il pleurait tout seul car il venait de se voir refuser l'entrée du Palace. Son perfecto couvert de badges fluo puait le vomi. Il avait probablement déjà chié dans son froc. Il reniflait avec son gros pif plein de morve un caillou de speed ramassé par terre. Lui qui aujourd'hui incarne ce que François Buot (dans un essai consacré en grande partie à lui) baptisa l'Esprit des seventies, s'était fait jeter comme un clodo par le service d'ordre du Palace. Fabrice Emaer était mort, des jeunes gens pas chic avaient récupéré l'endroit, et Paca n'était plus le bienvenu. Edenté, il titubait devant l'entrée, réclamant des verres gratuits alors qu'il risquait à tout moment de sombrer dans le coma. Je n'étais à l'époque pas assez connu pour le faire pénétrer dans cette discothèque dont il incarne aujourd'hui la splendeur. Tu parles! Splendeur, mon cul !, eût dit la Zazie de Queneau. C'est à coups de pompes qu'on virait la loque humaine! Il y a une telle distorsion entre les légendes et la réalité. Scott Fitzgerald à la fin de sa vie: les jeunes le croyaient mort. Kerouac, Blondin, Bukowski, Thompson: parodies d'eux-mêmes. La meilleure chose à faire avec ces génies cabossés, c'est de les lire. Parce que les côtoyer n'était pas un cadeau. Ils se laissaient écraser par leur personnage, se croyaient sans cesse obligés de parader pour rester à la hauteur de la légende. Leur existence devenait un fardeau; c'est tout de même con d'être assassiné par un masque. Je me suis contenté de raccompagner Alain Pacadis en taxi."


Extrait de "Premier bilan après l'apocalypse" de Frédéric Beigbeder.

L’Autoroute A16 part de l’Isle-Adam pour rejoindre Bray-Dunes. (16/20)

Seizième poème de cette série de 20.
William Wordsworth est LE poète anglais de référence, né en 1770 frère de la poétesse Dorothy Wordsworth. Après un bref séjour en France en 1790 en plein cœur de la Révolution durant laquelle il soutient les Républicains et fait un enfant, il retournera seul en Angleterre, ruiné et exilé de sa femme et de sa fille après avoir finalement été accusé d’être un Girondin.
Il y rencontre Samuel Coleridge en 1795 dont il devient l’ami, et avec lequel il publie « Lyrical Ballads », œuvre d'importance capitale pour le mouvement romantique en Grande-Bretagne. En 1802, Wordsworth retournera en France avec sa sœur Dorothy pour revoir son ex-femme et sa fille ; pour autant, lorsque Napoléon sera sacré Empereur deux ans plus tard, ses derniers rêves de libéralisme s’écrouleront. Il passera le reste de sa vie à Ambleside, au milieu de moutons et de chèvres.


Les vers de ce poème, « Splendour Of Grass », sont tirés du recueil « Ode: Intimations of Immortality (1803-1806) ».


Ils ont pour particularité de constituer la scène finale du film du même nom d’Elia Kazan réalisé en 1961, qui se clôture sur le visage somptueux de Natalie Wood dont la voix les récite en « off » après qu’il lui ait été demandé : « Hey Honey ? Do you think he still loves you? » et qu’elle ne réponde rien… (cf video, à 7 :10).


(Ils posent aussi, comme partout en poésie, le terrible problème de la traduction, dont je m’amuse un peu ci-dessous… )

Though nothing can bring back the hour
Of splendour in the grass, of glory in the flower;
We will grieve not, rather find Strength in what remains behind...






Traduction de Emile Legouis, 1928 :
« Et s’il doit manquer désormais
Une gloire à la fleur, une splendeur à l’herbe !
Je veux sans m’affliger, jouir
Des dons que je possède encore »

Traduction de Wikipedia (source non mentionnée) :
« Bien que rien ne puisse ramener le temps
De l'éclat de l'herbe, de la splendeur des fleurs;
Nous ne nous lamenterons pas, mais puiserons des forces dans ce qui en subsiste. »

Traduction par le biais du site Reverso :
« Quoique rien ne puisse rendre l'heure
De splendeur dans l'herbe, de gloire dans la fleur;
Nous peinerons pas, trouverons plutôt la Force dans quels restes derrière. »

vendredi 14 octobre 2011

Why can't i be you

Sur scène, une des meilleures formations de Bowie initialement réunie pour l'enregistrement de Earthling, album (encore !) terriblement précurseur dans son exploration hybride des patterns jungle et drum'n bass déferlant sur l'Angleterre de la fin des 90's, autoproduit très rapidement; au micro, deux des plus grandes icônes de la scène pop anglaises réunies pour les 50 ans du Thin White Duke.
Bowie allume des clopes pendant que Smith sourit en face de Reeves Gabrels en plaquant d'énormes riffs de rock, l'incroyable Zacharie Alford tout juste emprunté à Springsteen relève haut la main le défi de la cohabitation acoustique/électronique à la batterie, le légendaire Mark Plati est aux arrangements, la sublime Gail Ann Dorsey aux claviers (une fois n'est pas coutume), et nous voilà face à un moment de musique totalement jouissif.

jeudi 13 octobre 2011

Ash nazg thrakatulûk agh burzum-ishi krimpatul. (15/20)

Voici le quinzième poème de cette série de 20.
Il s’agit de l’un des 449 dizains décasyllabiques de « Délie, objet de la plus haute vertu », œuvre secrète et sophistiquée du poète lyonnais Maurice Scève écrite en 1544, entièrement dédiée à Pernette du Guillet, jeunesse poétesse de 16 ans dont il est tombé follement amoureux, et qui mourra dix ans après leur rencontre. Tout au long de ce travail monumental se confrontent thèses et antithèses qui n’ont de cesse de développer les rouages d’une aventure intérieure qui dit les contradictions du sentiment amoureux, avant de se clôturer sur ce vers en capitales : « SOUFFRIR NON SOUFFRIR ».
Voici le sublime dizain intitulé/numéroté CCCXLVII (soit le 347ème, si mes souvenirs de numérotation romaine sont exacts…), qui traite de la symbolique de l’alliance.

Heureux joyau, tu as autrefois ceint
Le doigt sacré par si gente manière,
Que cette main, de qui le pouvoir saint
Ma liberté me détient prisonnière,
Se feignant ore être large aumonière,
Te donne à moi, mais pour plus sien me rendre.
Car, comme puis en te tournant comprendre,
Ta rondeur n’a aucun commencement,
Ni fin aussi, qui me donne à entendre,
Que captif suis sans élargissement.

lundi 10 octobre 2011

Au bout de quatorze ans de mariage, on fête des noces de plomb. Pas très encourageant. (14/20)

Voici le quatorzième poème de cette série de 20. Je l’emprunte à Jules Supervielle né dans les grands espaces d’Amérique du Sud à la fin du XIXème. Je le trouve parfait pour un lundi.

Extrait de « Le chaos et la création »

Maintenant que j’ai mis partout de la lumière
Il me faudra pousser le ciel loin de la terre,
Et pour être bien sûr d’avoir tout mon espace
Je ferai que le vent et les nuages passent
Ainsi que les oiseaux qui viennent et qui vont
Vérifiant les airs, la surface, le fond.
Tout me supplie et veut une forme précise,
Tout a hâte de respirer dans sa franchise
Et voudrait se former dès que je le prévois,
Et ma tête foisonne, et mon être bourdonne
De milliers de silences, tous différents,
Ce sont les voix de ceux qui n’en ont pas encore
Et quémandent un nom pour aller de l’avant.
Chacun son tour, le temps viendra pour tous d’éclore.

Lundi, c'est aussi un "demain" ?


Rita Mitsouko Fatigué d'être fatigué par candyraton

samedi 8 octobre 2011

Je ne savais pas qu’il existait de très sérieux « nombres premiers sexy ». Treize est l’un d’entre eux, et ce n’est pas une blague. (13/20)

Voici le treizième poème venant marquer cette série de 20.
A ce stade, il est clair qu’occuper/alimenter un blog d’autant de poésie, pendant autant de temps, est une forme de suicide public.

Les gens, dans leur grande majorité, ne rechignent pas à un peu de poésie mais en tout état de cause, se détournent bien vite d’un assaut quotidien de versification ou de prose, tout éloignés des éthers par une vie tenue écartée de la mystique par une frénésie rythmique idoine, l’empilement de possessions plastiques et l’accumulation de courbatures psychologiques inavouables. Peu restent enclins à l’exercice tel que j’ai eu l’envie de le soumettre, et loin de rechercher une forme d’élitisme snobinard et prétentieux, j’ai pensé, un temps, partager une passion trop personnelle que je réalise peu compatible d’avec le besoin légitime de tout homme de notre siècle à se détendre et à se divertir par la lecture, ne serait-ce que d’un blog à l’affluence confidentielle.


Mais il serait encore plus cynique de renoncer, même si j’ai déjà acquis la certitude d’avoir, à la suite de cette série, à regagner durement le peu de lecteurs que je m’étais acquis. Après tout, cela n’a pas plus d’importance qu’autre chose qui ait à s’inscrire dans ce combat que nous menons tous pour exister au milieu de nos semblables.


J’aime Hugo un peu de la même façon que Jose Maria de Heredia, d’un amour capricieux. Tantôt cette idolâtrie de la langue et de sa puissance intrinsèque m’impressionne et m’écrase comme le ferait un défilé militaire, tantôt je la trouve abjecte, surannée et prétentieuse, comme un défilé militaire. Mais force est de constater, parfois, que la beauté émanant de cette science du langage, mise au service d’un sentiment humain véritable – surdimensionné, mais véritable - fait émerger une noblesse qui transporte, émeut, et fait écho au goût de l’infini que la vie nous met en partage universel.
Il serait vain de tenter un résumé de la biographie de ce personnage titanesque qu’est Victor Hugo. Le poème ci-dessous étant tiré des Contemplations, laissons nous juste aller à ces quelques lignes pour en restituer le contexte : Hugo déclare, à propos de ce recueil paraissant en 1856 : « Qu'est-ce que les Contemplations ? - Les mémoires d'une âme ». Apothéose lyrique, marquée par l'exil à Guernesey et la mort de sa fille ; exil affectif, exil politique : Hugo part à la découverte solitaire du moi et de l'univers. Le poète finit même par se faire prophète, voix de l'au-delà, voyant des secrets de la vie après la mort et qui tente de percer les secrets des desseins divins.

Aujourd’hui, j’ai envie de célébrer la vie. Et pour ce faire, je ne vois, en dehors d’Eluard, qu’Hugo. Voici « Éclaircie »



L'océan resplendit sous sa vaste nuée.

L'onde, de son combat sans fin exténuée,

S'assoupit, et, laissant l'écueil se reposer,

Fait de toute la rive un immense baiser.

On dirait qu'en tous lieux, en même temps, la vie

Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit, l'envie,

Et que le mort couché dit au vivant debout:

Aime! et qu'une âme obscure, épanouie en tout,

Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.

L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,

Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses coeurs épars,

Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts

La pénétration de la sève sacrée.

La grande paix d'en haut vient comme une marée.

Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé ;

Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé.

L'infini semble plein d'un frisson de feuillée.

On croit être à cette heure où la terre éveillée

Entend le bruit que fait l'ouverture du jour,

Le premier pas du vent, du travail, de l'amour,

De l'homme, et le verrou de la porte sonore,

Et le hennissement du blanc cheval aurore.

Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit,

Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit;

L'air joue avec la mouche et l'écume avec l'aigle;

Le grave laboureur fait ses sillons et règle

La page où s'écrira le poème des blés;

Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés;

L'horizon semble un rêve éblouissant où nage

L'écaille de la mer, la plume du nuage,

Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau.

Une lueur, rayon vague, part du berceau

Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière,

Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière

En touchant un tombeau qui dort près du clocher.

Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher

L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde.

Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde.

mercredi 5 octobre 2011

J'ai six ans, je sais que c'est pas vrai, mais j'ai six ans... (12/20)

Voici le douzième poème d'une série de vingt postés pendant (presque à peu près) vingt jours...




Celui a une résonnance toute particulière : il a occupé tout mon mercredi après-midi : il est de Raymond Richard, je ne sais absolument pas qui c'est, et pour cette fois, je m'en fous. Pourquoi ? Parce qu'il est à apprendre par coeur pour demain, classe de CP.

Classe de CP.

Que vive à jamais la poésie orale, parlée, déclamée, comme le pli du front de l'enfant tout attelé à sa tâche mémorielle.

Prêts ?


Il s'intitule : "Le Bel Automne Est Revenu".

A pas menus, menus,
Le bel automne est revenu
Dans le brouillard, sans qu'on s'en doute,
Il est venu par la grand'route
Habillé d'or et de carmin.
Et tout le long de son chemin,
Le vent bondit, les pommes roulent,
Il pleut des noix, les feuilles croulent.
Ne l'avez-vous pas reconnu ?
Le bel automne est revenu.

mardi 4 octobre 2011

Onze est le premier nombre à dépasser la mesure de nos dix doigts... (11/20)

Voici le onzième poème de cette série de 20.

Celui-là sera tout en prose, et emprunté à Georges-Louis Godeau. Le brillant linguiste et sémiologue Georges Mounin dira de ce poète anobli par la rue aux côtés de Prévert ou d’Aragon dans sa capacité à parler du peuple tout en faisant en sorte que le peuple lui-même s’y reconnaisse et s’y apprécie : « Godeau fait tenir en 8 ou 10 lignes ineffables ce que les analystes chevronnés de "L'Express", de "L'Observateur" ou du "Monde" n'atteignent, et pas toujours, qu'en 3 ou 4 colonnes... S'il avait été grand Reporter, il serait mondialement connu... ».

Délectons-nous de « Les gens » :


Ils sont assis sur leur chaise, ils ont des jumelles puissantes pour voir à travers les murs et ils te suivent, ils protestent, ils disent que tu es Satan et que si ils te prennent ils te pendent. Et quand tu reviens, que tu entres en costume clair, ta mèche brune comme un cowboy, un artiste ou un chef d’Etat, ils se serrent, ils se taisent et si tu t’étonnes ils froufroutent, ils s’éloignent.

Ce sont des êtres inoffensifs qu’il convient sans plus de tenir en respect et même parfois, si le cœur t’en dit, quand la vie devient généreuse, tu sais bien, mon frère, les soirs de fête, d’aimer malgré eux, le temps de les surprendre.

lundi 3 octobre 2011

A Mathias de Banon (10/20)

Voici le dixième poème de cette série de 20. Il en est, en quelque sorte, le tournant. Nous le laisserons donc à un personnage ambigu, en la personne de François Maynard : l’homme est d’une part un avocat parisianiste doublé d’un homme d’Etat intégrant, dès son apparition, l’Académie Française inaugurée au XVII ème, et fervent disciple de Malherbe ; mais plus profondément, le poète est attaché à sa singularité comme à sa terre d’Aurillac, et les fausses promesses du pouvoir le poussent à cultiver une sincérité de sentiment et un sens de l’humain qui s’expriment tantôt dans un lyrisme exalté, tantôt dans un réalisme terrien pur et touchant. Ce poème retrace toute cette dualité, et évoque le choix final de l'Académicien, à la mort de Richelieu, de s’établir à Saint Céré, dans le Lot, où il reçoit la visite de nombreux jeunes poètes parmi lesquels un certain Jean de la Fontaine. Même le cynique Voltaire, peu enclin à l’éloge, dira de lui : « On peut le compter parmi ceux qui ont annoncé le siècle de Louis XIV ; il reste de lui un assez grand nombre de vers heureux. » Dont acte :

Adieu, Paris, adieu pour la dernière fois.
Je suis las d’encenser l’Autel de la fortune,
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois,
Où tout me satisfait, et rien ne m’importune.

Je n’y suis pas touché de l’amour des Trésors.
Je n’y demande pas d’augmenter mon partage.
Le bien qui m’est venu des Pères dont je sors,
Est petit pour la Cour, mais grand pour le Village.

Depuis que je connais que le siècle est gâté,
Et que le haut mérité est souvent maltraité,
Je ne trouve ma paix que dans ma solitude.

Les heures de ma vie y sont toutes à moi.
Qu’il est doux d’être libre, et que la servitude
Est honteuse à celui qui peut être son Roi !

dimanche 2 octobre 2011

Ratatoum ta ta...

Ils sont à peu près vingt et à eux tous, ils doivent cumuler plus d’un millénaire. Le meneur, un Robert Hue rougeaud, s’est époumoné en battant la mesure d’une seule main et le porte-drapeau, grand échalas penchant à la scoliose menaçante, a tenu à figurer en première ligne, raide et désespérément pompeux comme une justice surannée.

C’est la Fanfare.

Réunie pour la fête œcuménique du patron du quartier, elle a ressuscité une éternité d’après-guerre, par surprise, immuable dans sa boiterie grinçante à la porte de l’église dans un fracas de cuivres emboutis voilà une demi-heure.

Puis l’office a débuté et le silence a regagné la place, comme après un mauvais réveil ; en bas de la volée d’escalier les trois rangs approximatifs se sont disloqués. Cheveux blancs, cheveux gris, cheveux sales et crânes lisses se sont agrégés en bouquets de brocolis décatis empreints de moustaches aux arrondis goudronnés de tabac brun, dans des éclats de chemises blanches et de fanions mal repassés. Du bar d’en face, des regards méfiants s’échangent dans un parfum d’anisette qui flotte dans le virage ; le dimanche prend définitivement son envol dans un éclat de soleil italien et d’odeur de pain. Même le bruit des voitures qui s’engouffrent dans le vallon est devenu familier depuis qu’ils se sont emparés de la placette, en amont de la procession tristounette levant haut une icône de Saint François d’Assise entourée de ses notables pèlerins, et que leur vacarme pétaradant a déversé en quelques accords biaisés un cortège jovial de souvenirs dans l’azur de septembre, ouvrant comme un signal les volets des maisons silencieuses sur des sourires débonnaires, faisant sortir les marchands sur le perron de leur échoppe et accourir les retardataires. Des cigarettes se fument maintenant, solennelles et amidonnées, quand soudain les cloches retentissent à nouveau.

Dans une bouffée de fraîcheur humide qui exhale de l’édifice aux portes soudainement grand ouvertes des relents d’encensoir, une nuée de scouts microscopiques coiffés de bérets pétainistes s’étiole en avant-garde de la foule endimanchée qui plisse les yeux sous l’assaut du zénith. Comme réveillée en sursaut, la fanfare retrouve instinctivement son alignement improbable et dans un succès fracassant, fait de nouveau éclater la parade dans une déferlante de couacs cuivrés et de martèlement de grosse caisse.

Le décor bascule tout aussi promptement : des enfants gavés d’excitation remontent le boulevard au pas de course, rejoignant la foule maigrelette qui s’est pressée en arc de cercle dans le virage. En quelques minutes, on n’aperçoit quasiment plus personne mais le tonnerre pétaradant semble gagner en puissance, galvanisé par ce flux de curieux grossissant : des païens bigarrés surgis d’on ne sait où se pressent autour des fidèles, les scouts virevoltent, et dans un incroyable retour rougeaud vers le passé s’agglutinent vieillards ahuris, poussettes claudicantes, clochards édentés, idiots de village, rombières, costauds rougeauds en débardeur, maîtres d’école, petites filles en rubans pastels, garnements hurleurs jetant des cailloux à la dérobée, chiens errants, agents de police blasés, élus locaux ventripotents et tout ce petit monde, dans un élan de fraternité stérile, communie dans cette dissonance paillarde et débraillée. Et la fête s’installe, adoubée par un soleil claironnant. De grandes ovations se mettent à ponctuer les pauses, tandis que des kyrielles d’enfants ont installé une ronde frénétique au gré des marches d’escalier qui surplombent la scène et que les clients du bar se sont levés, une main en visière. Essoufflés, empourprés, suants, les instrumentistes se sont scindés en trois rangs : les septuagénaires d’en haut, qui tiennent les cors, menacent de s’effondrer sous l’effet des exhortations du meneur entre deux époumonements que l’on ne perçoit presque plus ; au milieu, fiers et gras, les cuivres sexagénaires emmenés par un soliste rutilant crachent à perdre haleine dans les embouchures de leurs trompettes; enfin, en bas, face à la foule, le premier rang à l’âge canonique tangue sous l’effet d’un rythme apoplexique maintenu par miracle par une triplette de tambours équipés de sonotones et d’un duo réjouissant composé d’un joueur de caisse très en retard mais très motivé, et d’un joueur de cymbales aux yeux exorbités dont la machine personnelle semble s’être emballée.

Immuable, défiant le temps comme un sphinx de naphtaline, le porteur de drapeau clôture le rang, le menton tremblant pointé vers le nord dans un salut indéfinissable. Dos à la foule, le meneur, trompette à la bouche, le cou épais roide de sueur, bat irréparablement la mesure de sa main gauche potelée en lançant des regards noirs à qui veut bien les prendre, et l’ensemble, dans une grâce éléphantesque, tambourine un corpus de rythmes martiaux dégénérés dans une liesse universelle et jouissivement stupide.

Le bus prend un virage serré dans l’indifférence générale tout en crachant un apocalyptique nuage de diésel, les scouts se mettent à vendre des calendriers, et comme de petites rivières, des flux de passants se font et se défont en travers de la foule dans la bousculade. Enfin, une sorcière paillarde à la teinture mourante se met à danser avec la grâce d’une ballerine hallucinée, sourire cabossé de chicots offert à une foule goguenarde.

Il est bientôt midi.

« Une nation s’éteint quand elle ne réagit plus aux fanfares ; la décadence est la mort de la trompette. »

Michel Cioran.

« Number nine… number nine… number nine… » (Revolution 9 / John Lennon) (9/20)

Voici le neuvième poème de cette série de 20 poèmes.
Le belge Henri Michaux, né en 1899, contemporain des surréalistes mais si solitaire qu’il ne les côtoiera quasiment pas, est pour autant, comme la plupart d’entre eux, un chantre du voyage ; qu’ils soient réels ou imaginaires, les siens se déroulent le long d’une écriture unique qui explore les domaines inconnus où le mènent les drogues. Pour cet amoureux de Lautréamont, passionné par Tolstoï et Dostoïevski, cette exploration restera cependant lucide, précise, presque scientifique : sous la surveillance d’un médecin, il s’adonne à la mescaline à l’âge de 55 ans, avant d’approfondir sa curiosité en matière de psychotropes avec le LSD, puis la psilocybine, toujours dans le cadre d’expériences annotées visant à déclencher de nouvelles formes de créations artistiques. Très attiré par les arts graphiques qu’il pratiquera quasiment sans interruption, parfois au détriment de l’écrit, féru de psychiatrie, cet artiste prolifique s’éteint à Paris en 1984.
Ci-dessous « Paix égale », poème extrêmement moderne, que l’on imagine entrer sans grande difficulté dans un répertoire de Bashung aux côtés de textes de Jean Fauque…

Paix des nerfs au cœur malade.
Paix égale mûrir sa loi,
sucée à la vie,
A la vie nébuleuse, à la vie…
Mais lourd le char, lourd, lourd.

Les apaiser,
Leur envoyer du vent,
Le vent chaud des bouches suaves,
Le vent chaud du désert souverain.

« Et maintenant… FERMEZ vos corolles d’angoisse ! »

samedi 1 octobre 2011

La danse est une excellente parenthèse à la poésie...

Nouvelles attributions obligent, me voilà à tenter de rattraper un considérable retard dans la connaissance dont je dispose concernant l'univers de la danse. Plongée dans un ouvrage pharaonique mais littéralement somptueux, assez bêtement intitulé "Histoire de la danse en Occident", écrit par un certain Paul Bourcier (éminent personnage enseignant à Paris VII).
Au-delà de venir échaffauder avec une terrible exactitude mes futures connaissances dans le domaine de la danse, cet ouvrage a la particularité géniale de dresser cette "histoire" par le biais d'une "invitation à réfléchir sur l'évolution des sociétés humaines, dont la danse, que les historiens commencent tout juste à prendre en compte, est l'un des indicateurs les plus précis et les plus subtils."

Sachons-le, la première représentation d'un être humain en train de danser remonte à 14.000 ans avant notre ère. (On peut la voir sur la page FaceBook de "Cabriole Centre de Danse")...

Voilà donc un premier partage de cet ouvrage fabuleux, concernant "La Ronde d'Addaura":

"Datée de -8.000 ans, donc du Mésolithique, où les représentations de groupe commencent à être fréquentes, cette scène gravée dans la grotte d'Addaura présente sept personnages dansant une ronde autour de deux personnages centraux. Ceux-ci se livrent, à terre, à des contorsions - l'un semble faire le pont. Ils sont ithyphalliques*, alors que les autres ne le sont pas. Tous sont nus; mais ils portent un masque au museau pointu qu'on trouve couramment dans les figures pariétales - même celles qui n'indiquent pas de mouvement - et qui n'est pas celui d'un animal nettement déterminé.
Le mouvement va de la droite vers la gauche, soit celui de la marche apprente des grands astres, le soleil et la lune. Faut-il y voir une danse cosmique? La réponse n'est pas du domaine de la constatation. Sans se lancer dans des hypothèses gratuites, on se contentera de remarquer que toutes les rondes spontanées, même celles des enfants, de nos jours, tournent dans ce même sens."
* adjectif qui désigne "celui qui a un phallus en érection"

Avis à tous les parents : faites-en l'expérience troublante...
(Je sens que je vais me régaler.)

Huit est bel et bien le deuxième nombre magique (mais en physique nucléaire)… (8/20)

Voici le huitième de cette série de 20 poèmes.


Que dire sur Paul Verlaine ? Consacré à la Vierge Marie par sa mère, il restera habillé tout en bleu jusqu’à l’âge de sept ans, et que bien que cela ne suffise évidemment pas à expliquer son goût vertigineux et précoce pour l’alcool ni les désastres occasionnés par ce que l’on appellera alors ses « amitiés particulières », force est de reconnaître qu’en terme de départ dans la vie, celui-ci ne fût pas très bénéfique… De son mariage bienséant avec Mathilde, ruiné par cette rencontre funeste avec Rimbaud, il ne lui restera pas même le droit de voir son fils : échoué auprès de sa propre mère devant laquelle il jure puis abjure cent fois sa terrible consécration, c’est à ses amis et admirateurs qui se cotisent qu’il doit un semblant de vie misérable, passée d’hôpitaux en cabarets. Le Prince des Poètes n’aura finalement été qu’un clochard rongé par l’absinthe, dont la misérable vie s’achèvera dans un taudis un soir de 1896.
Malgré ce tableau affreux, voilà par exemple comment le « pauvre Lélian » n'aura eu de cesse, de quelques vers, se rapprocher de ces dieux qui l’ont si tristement ignoré : place à « Les Ingénus », poème tout « Sophia Coppolien » empreint d’un délicieux libertinage sophistiqué tout en alexandrins pleins d’élégance et de légèreté, tout entier dédié à la confusion de cette recherche de la femme idéale qu’il ne trouvera jamais.

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.


Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.


Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.