lundi 28 janvier 2013

Voulez-vous errer avec moi ?

Un peu de temps passé loin de la plume, et pour cause : ci-dessous, une belle petite liste à l'intitulé croquant :
Pré-apocalyptique, suivie du Retour à la bougie

On y va ? Commençons par une délicate leçon de savoir-vivre.

« Mon bâtard t’a-t-il jamais raconté comment je l’avais eu ? »
Cela, oui, il le savait, à son soulagement. « Oui, mes… m’sire. Vous avez rencontré sa mère lors d’une chevauchée, et sa beauté vous a ébloui.
-Ebloui ? » Bolton s’esclaffa. « A-t-il employé ce mot-là ? Mais ce garçon a une âme de barde… toutefois, si tu crois à cette chanson-là, tu es sans doute plus abruti que le premier Schlingue. Même cette histoire de chevauchée est fausse. Je chassais le renard sur les bords de la Larmoyante quand je suis arrivé à un moulin, et j’ai vu une jeune femme qui lavait son linge dans le courant. Le vieux meunier s’était déniché une nouvelle épouse, une fille qui n’avait pas la moitié de son âge. C’était une créature grande, souple comme un saule, très saine d’apparence. De longues jambes et de petits seins fermes, comme deux prunes mûres. Jolie, dans un genre assez commun. Au moment où j’ai posé les yeux sur elle, je l’ai voulue. Comme c’était mon dû. Les mestres te raconteront que le roi Jaehaerys a aboli le droit du seigneur sur la première nuit afin d’apaiser sa mégère d’épouse, mais où règnent les anciens dieux, persistent les anciennes coutumes. Les Omble ont préservé la première nuit, eux aussi, même s’ils le nient. Certains clans des montagnes, également, et sur Skagos… ma foi, seuls les arbres-cœur voient jamais la moitié de tout ce qui se pratique sur Skagos.
Ce meunier avait célébré son mariage sans ma permission ni ma connaissance. L’homme m’avait floué. Alors, je l’ai fait pendre et j’ai exercé mes droits sous l’arbre même où il se balançait. A dire vrai, la garce valait à peine le prix de la corde. Le renard s’est échappé, qui plus est, et durant le retour à Fort-Terreur ma cavale favorite s’est mise à boiter, si bien que, l’un dans l’autre, la journée a été une déception. »
Le Trône de Fer / « Les Dragons de Meereen » –George R.R. Martin (traduit par Patrick Marcel)

Enchaînons avec cette petite réflexion sur ce qui pousse les hommes à devenir meilleurs.

"Vous avez déjà entendu parler de “guerre totale” ? Une expression assez commune en histoire. A chaque génération, on trouve un taré gonflé comme une outre qui clame à qui veut l’entendre que son peuple a déclaré la « guerre totale » à un ennemi quelconque… Toute la population, hommes, femmes, enfants, tout le monde voue sa vie entière à la victoire. Des conneries, oui. Et pour deux raisons. Jamais aucun pays ne se prononce à 100% pour la guerre. C’est statistiquement impossible. Un pourcentage très important, OK, des gens qui travaillent dur pendant longtemps, mais tout le monde ? Tout le temps ? Non, certainement pas. Qu’est-ce que vous faites des malades, des vieux, des objecteurs de conscience ? Qu’est-ce que vous faites des blessés, des jeunes ? Vous y pensez, vous, à la guerre, quand vous buvez un coup, quand vous dormez, quand vous prenez une douche, quand vous chiez un coup ? A chaque fois que vous allez aux chiottes, c’est « un pas de plus vers la victoire » ? Premier point. Deuxième point, toute nation a ses limites. Il existera toujours des individus désireux de sacrifier leur vie. Ils peuvent même représenter une proportion non négligeable de la population, mais leur nombre finira toujours par atteindre une limite tant physique que psychologique. Pour les Japonais, il aura fallu deux bombes atomiques. Pareil pour les Vietnamiens si on en avait balancé deux de plus, mais Dieu merci, c’est nous qui avons atteint notre limite avant d’en arriver là. C’est ça, la guerre. Deux camps qui essayent de se pousser l’un l’autre au-delà du supportable. Les experts ont beau adorer parler de guerre totale, cette limite est toujours là… Sauf pour eux. Les morts-vivants.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous affrontions un ennemi qui nous avait déclaré la guerre totale. La vraie. Il n’avait aucune limite. Il ne négocierait jamais. Il ne se rendrait jamais. Jusqu’au dernier. Voilà ce que nous devions combattre. »
“World War Z” - Max Brooks (traduit par Patrick Imbert)

Pénétrons légèrement davantage dans les méandres du sujet zombiesque, si vous le voulez bien :

"Dans les ombres du verger, une silhouette se tortille et gémit auprès d’un arbre. Ligotée avec de la corde et du Gaffer, la prisonnière se débat inutilement. Philip s’approche et lève son arme. Il braque le canon du revolver entre les deux yeux et se répète qu’il faut en finir rapidement : percer l’abcès, enlever le mal, faire le travail.
L’arme tremble dans sa main, son doigt se fige sur la détente et il laisse échapper un soupir douloureux.
- Je ne peux pas, murmure-t-il.
Il baisse son arme et regarde sa fille. A deux mètres de lui, ligotée à l’arbre, Penny hurle avec la férocité avide d’un chien enragé. Son petit visage de poupée de porcelaine s’est fripé et décoloré comme une courge pourrie, ses yeux d’enfants sont devenus de minuscules boutons couleur de plomb et ses petites lèvres innocentes, maintenant noircies, se retroussent sur des dents jaunes. Elle ne reconnaît pas son père.
C’est cela qui arrache le cœur de Philip. Il ne peut s’empêcher de se rappeler le regard de Penny chaque fois qu’il allait la chercher à la crèche ou chez sa tante Nina à la fin d’une longue et rude journée de travail. Son regard qui s’éclairait, rempli d’enthousiasme et d’amour, ses grands yeux bruns lui donnaient la force de continuer. A présent, cette étincelle s’est éteinte pour toujours, enfouie sous une taie grise. Philip sait ce qu’il a à faire. Penny gronde. Les yeux de Philip se remplissent de larmes.
- Je ne peux pas, murmure-t-il de nouveau en baissant la tête.
La voir ainsi le rend fou de douleur et de rage. Il entend la voix : Fends le monde en deux, éventre-le, arrache-lui sa saloperie de cœur. Maintenant.
“The Walking Dead / L’Ascension du gouverneur” – Robert Kirkman & Jay Bonansinga (traduit par Pascal Loubet)

Enchaînons par cette excitante petite virée shopping....

"Il porte sur son gilet bleu un badge de travers et partiellement visible qui annonce WALLMART et ELMER K. L’insigne orné d’un smiley est souillé de sang. Lilly fixe un moment le pauvre Elmer K. décapité avant qu’ils s’enfoncent à l’intérieur du magasin vide.
L’air presque aussi froid qu’au-dehors sent le moisi, la pourriture et le rance comme un compost géant. Des constellations d’impacts de balles couronnent le dessus de l’entrée du salon de coiffure à gauche, tandis que des éclaboussures de sang souillent celle du magasin de lunettes à droite. Les rayonnages sont vides, déjà pillés, ou renversés.
Josh lève une main pour que ses compagnons s’arrêtent un moment, le temps de tendre l’oreille. Il scrute l’immense supermarché, couvert de cadavres sans têtes, de traces de carnage, de chariots renversés et de détritus. Les tapis de caisse sur la droite sont immobiles et souillés de sang. Le rayon pharmacie, cosmétique et beauté est criblé de balles. Plus ils s’enfoncent dans le magasin, plus l’obscurité grandit. Une faible clarté pénètre dans le rayon alimentation au bout à droite, pour éclairer un mélange de déchets, débris de verres et restes humains, tout comme dans les rayons habillement, ameublement et fournitures de bureau, à gauche, où sont éparpillés des vêtements et des mannequins renversés. Les rayons du fond du magasin – jouets, électronique, articles de sport et chaussures- sont plongés dans le noir complet.
Seuls les rayons argentés de l’éclairage de secours, qui fonctionne sur batteries, éclairent les profondeurs des rayons plus éloignés.
Ils trouvent des torches dans le rayon quincaillerie et éclairent les tréfonds du magasin, repérant tout ce qui peut leur être utile. Ils sont de plus en plus optimistes au fur et à mesure de leur inspection. Une fois qu’ils ont fait le tour des mille mètres carrés, n’ayant trouvé que quelques restes humain en état de décomposition, d’innombrables rayonnages renversés et des rats qui s’enfuient à leur approche, ils sont convaincus que l’endroit est sûr. Pillé, certes, mais sans danger.
Du moins pour le moment.
The Walking Dead / “La Route de Woodbury” - Robert Kirkman & Jay Bonansinga (traduit par Pascal Loubet)

Bon, le monde, ce n'est pas que des humains non plus, hein. Y'a les chiens, aussi.

"Son développement physique fut complet et rapide, ses muscles prirent la dureté du fer, il devint insensible à la douleur ; son économie interne et externe se modifia. Il pouvait manger sans inconvénient les choses les plus répugnantes et les plus indigestes. Chez lui, la vue et l’odorat devinrent extrêmement subtils, et l’ouïe acquit une telle finesse que, dans son sommeil, il percevait le moindre bruit et savait en reconnaître la nature spécifique ou dangereuse. Il apprit à arracher la glace avec ses dents quand elle s’attachait à ses pattes ; et quand il avait soif et qu’une croûte épaisse le séparait de l’eau, il savait se dresser pour la casser en retombant avec ses pattes de devant. Sa faculté maîtresse était de sentir le vent, et de le prévoir une nuit à l’avance. Quelle que fût la tranquillité de l’air, le soir, quand il creusait son nid près d’un arbre ou d’un talus, le vent qui survenait ensuite le trouvait chaudement abrité, le dos à la bise.
L’expérience ne fut pas son seul maître, car des instincts endormis se réveillèrent en lui tandis que les générations domestiquées disparaissaient peu à peu.
Il apprit sans peine à se battre comme les loups, que ses aïeux oubliés avaient combattus jadis. Dans les nuits froides et calmes, quand, levant le nez vers les étoiles, il hurlait longuement, c’étaient ses ancêtres, aujourd’hui cendre et poussière, qui à travers les siècles hurlaient en sa personne. Siennes étaient devenues les cadences de leur mélopée monotone, ce chant qui signifiait le calme, le froid, l’obscurité !
C’est ainsi que la vie isolée de l’individu étant peu de chose, en somme, et les modifications de l’espèce laissant intacte la continuité de la race, avec ses traits essentiels, ses racines profondes et ses instincts primordiaux, l’antique chanson surgit soudain en cette âme canine et le passé renaquit en lui.
« L’appel de la forêt » – Jack London (traduit par Mme de Galard)

Et pour finir, même si cela n'a objectivement rien à voir avec le sujet, une petite prière au Bon Dieu. Si si.

« Je ne pense pas qu’en musique, le fait d’avoir raison ait la moindre valeur ; l’important dans ce domaine n’est pas d’avoir raison, d’avoir du goût, de la culture et tout le reste.
- Certes je suis d’accord. Mais alors, qu’est-ce qui compte ?
- C’est de faire de la musique, monsieur Haller ; aussi bien, aussi souvent et aussi intensément que possible ! Voilà ce qui compte, monsieur. Avoir toutes les œuvres de Bach et de Haydn en tête et être capable de tenir des propos extrêmement pertinents sur celles-ci ne profite à personne. Par contre, si je prends mon instrument et si je joue un shimmy endiablé, cela fera plaisir aux gens, que le shimmy soit bon ou mauvais. Ils l’auront dans les jambes et dans le sang. C’est la seule chose qui importe. Observez les visages un jour, dans une salle de bal, à l’instant où la musique reprend après une assez longue interruption. Regardez à quel point les yeux brillent, les jambes tressaillent, les visages se mettent à rire ! C’est pour cela que l’on fait de la musique.
- Parfait, monsieur Pablo. Mais il n’y a pas que la musique sensuelle ; il y a aussi la musique spirituelle. Il n’y a pas que la musique née dans l’instant présent ; il y a aussi la musique éternelle, qui continue de résonner même lorsqu’on n’est pas en train de la jouer. Quelqu’un peut être allongé seul, dans son lit, et se remémorer en pensées une mélodie de La Flûte Enchantée ou de La Passion selon saint Matthieu. La musique se met alors à exister sans que personne ne souffle dans une flûte ou fasse vibrer les cordes de son violon avec un archet.
- Certainement, monsieur Haller, mais chaque nuit, beaucoup de personnes solitaires et rêveuses reprennent également en silence Yearning et Valencia. Même la plus pauvre des dactylographes travaillant dans son bureau a le dernier one-step à la mode en tête et tape sur les touches de sa machine au rythme de cette musique. Tous ces êtres esseulés ont raison. Je me réjouis qu’ils portent en eux cette musique silencieuse ; que ce soit Yearning, La Flûte Enchantée ou Valencia. Mais d’où leur viennent donc ces mélodies solitaires, muettes ? Ils les trouvent auprès de nous, les musiciens. Elles doivent d’abord être jouées et entendues ; il faut les avoir dans le sang pour pouvoir y penser dans sa chambre et en rêver.
- Je suis d’accord, dis-je froidement, néanmoins, il est incongru de mettre sur le même plan Mozart et le dernier fox-trot. En outre, cela ne revient pas au même de jouer devant les gens une musique divine, éternelle, ou une musique éphémère, de piètre qualité. »
Dès que Pablo perçût de l’irritation dans ma voix, il s’empressa de prendre un visage aimable, me caressa tendrement le bras et se mit à parler avec une douceur incroyable.
« Ah, cher monsieur ; c’est vrai, vous avez peut-être raison d’évoquer l’existence d’une hiérarchie. Je ne m’oppose assurément pas à ce que vous placiez Mozart, Haydn et Valencia aux niveaux qui vous conviennent ! Cela m’est absolument égal. Je n’ai pas à établir ces différents niveaux ; c’est une chose que l’on ne me demande pas. Mozart sera peut-être encore joué dans cent ans, alors que Valencia ne le sera probablement plus dans deux ans. Je crois que, dans ce domaine, nous pouvons nous en remettre tranquillement au Bon Dieu. Il est juste et c’est lui qui décide de la durée de toutes les existences, même de celle de chaque valse et de chaque fox-trot. Il fera sûrement ce qu’il faut. »
« Le Loup des steppes » – Herman Hesse (traduction française Alexandra Cade)

Voilà. C'était la liste des dernières lignes lues durant ce tiédasse mois de décembre 2012, et les premières abordées en ce mois de janvier glacial.
A vous les studios.

mardi 15 janvier 2013

Une fesse prudente sur un angle de table

Il aurait fallu que ça accélère. Que ça prenne de l’ampleur, que ça se mette à occuper l’espace d’une façon ou d’une autre. Au lieu de ça, y’avait toujours quelque chose qui coinçait, comme si cette foutue machine refusait obstinément de démarrer. Chaque rouage avait beau avoir été nettoyé jusqu’à reluire, chaque piston méticuleusement huilé, la mayonnaise refusait obstinément de prendre. Un truc foirait quelque part, mais il était un fait que personne n’arrivait à mettre le doigt dessus. Une légère atmosphère de suspicion s’était maintenant emparée des gars, chacun se demandant lequel d’entre les autres avait bâclé son job si bien que même si tous donnaient encore le change, plus personne ne faisait d’effort. Le truc restait désormais au milieu d’eux et on en était au point où personne n’avait plus le courage de le regarder en face. Il fallait faire quelque chose. Il les avait donc tous réunis un même soir dans l’arrière-boutique, un mardi. La journée avait été usante. Il avait passé une bonne partie de l’après-midi à repousser le long des murs tout le bric-à-brac qui encombrait la pièce, alors que la matinée, démarrée à l’aube, avait été consacrée à une révision de l’engrenage tout entier dont il avait pris le soin de compiler méthodiquement tous les éléments en vue du soir. Maintenant ils étaient là tous les sept, assis sur des chaises dépareillées autour de la grande porte bleue de la remise qu’il avait fini par coucher sur deux tréteaux branlants après deux tentatives qui avaient bien failli lui bousiller définitivement le dos, à l’aplomb de l’ampoule qui pendait directement du plafond et qu’il venait de changer au profit d’une cent watts. En dehors de son frère ils étaient tous arrivés à peu près à l’heure, en trois groupes distincts. Ils s’étaient aussi tous mis à fumer nerveusement à peu près en même temps, c'est-à-dire immédiatement, l’atmosphère virant au tripot avant même que qui que ce soit ait officiellement pris la parole. Les choses se passaient comme la plupart du temps lorsqu’ils étaient tous ensemble, des conversations se nouaient dans les coins, des éclats de voix fusaient brièvement, les mêmes prenant leurs aises, les mêmes agitant nerveusement une jambe à l’abri des regards, les mêmes restant circonspects, silencieux ou tout simplement absents. Tout en guettant Allan du coin de l’œil qui allait et venait sans relâche une main rivée à l’oreille soudé à des conversations stériles avec des interlocuteurs interchangeables, il se familiarisa avec l’idée qu’il lui fallait commencer tout en laissant volontairement traîner les choses, restant debout ou posant une fesse prudente sur un angle de table, distribuant des boites de bières tièdes qui n’avaient pas eu le temps d’être correctement rafraîchies. Pourtant, le vrombissement du petit frigo jauni rapatrié depuis le fond garage à l’aide du grand diable aux pneus crevés ne s’interrompait que par intermittences, secouant l’engin sans prévenir avant de l’abandonner dans un râle tuyauteux de mauvais augure auquel un silence poussif succédait avant que la machine têtue ne se remette obstinément en route. Sur ses gardes, il continua d’adresser des sourires de connivence au gré de regards croisés à travers la fumée, puis quand l’air fût devenu vraiment irrespirable il tira une chaise métallique jusqu’à lui et s’y assit à califourchon, les avant-bras croisés sur le dossier. Comme par enchantement un silence curieux tomba immédiatement sur eux tous et il dût se lancer.
- Bon…



Texte de commande rédigé dans le cadre de la promtion du 1er pack K7 Microphone Recording. Avril 2012.

( > Like it ? Share it !)

jeudi 10 janvier 2013

J'l'ai pas.

- Ah ça, j’ai pas.
- C’est dommage…
- Mais j’ai autre chose…
- Autre chose comme quoi ?
- Un peu pareil… En fait, pas vraiment mais dans la même veine. Je pense que ça pourrait le faire.
- Pourrait faire quoi ?
- T’intéresser, je veux dire.
- Ouais… en même temps j’étais venu pour l’autre truc, vraiment. Je m’étais fais à l’idée, tout ça, alors... Je suis pas sûr d’avoir envie de repartir avec autre chose. J’étais vraiment venu pour ça.
- Ouais, je comprends. Mais je l’ai pas.
- C’est vraiment dommage.
- Ouais. Tu l’as déjà dit.
- C’est que je suis vraiment déçu.
- Je comprends.
- Et tu penses que tu vas l’avoir, je veux dire, peut-être plus tard ?
- Ca, j’en sais rien. Faudrait que je voie.
- Que tu voies quoi ?
- Si on peut le commander, tout ça.
- Et… Tu peux pas regarder, là, si on peut le commander ?
- Ben, en même temps si on peut le commander, tu peux le faire sans moi, tu vois le truc ? Directement ?
- Oui, c’est sûr, mais bon…
- Ben ouais…
- C’est juste que c’est compliqué, faut chercher, être sûr, tout ça…
- Etre sûr ?
- Oui, être sûr que c’est le bon truc, le paiement, tout ça…
- Ecoute, moi, je vais pas forcément me faire suer à commander ce truc, je suis pas sûr que ça intéresse vraiment grand monde, enfin, je veux dire, en dehors de toi…
- Oui mais moi, si tu le commandes, je le prends…
- Et si tu reviens pas ? Si moi je le commande ton truc, et que tu remets pas les pieds ici, j’en fais quoi ? Je me le garde sur les bras et personne va en vouloir, tu vois… Ca m’est déjà arrivé plein de fois, si je fonctionne comme ça je m’en sors plus…
- Mais en même temps, moi, c’est sûr que je viens, si tu l’as… Je te laisse mon numéro, tout, tu m’appelles et sûr, je viens !
- Donc en résumé tu viens là, tu cherches un truc que j’ai pas, tu veux rien d’autre de ce que j’ai même si je te dis que ça pourrait être bien, des trucs que tu connais pas, et ensuite toi tu repars, moi, je me tape tout le sale boulot, si je trouve le truc je me fais encore chier à le faire venir et tout ça sans savoir si toi, tu reviens, et puis si je le trouve pas j’aurai passé tout ce temps pour rien, juste parce que tu viens là et que tu veux ce truc, c’est ça ?
- Ben…
- Hey mec, tu crois que c’est quoi exactement mon job ?
- Ben, je sais pas… Commander des trucs et puis les mettre là pour les gens… un peu, non ?
- Non mon gars, non, t’as pas compris… Mon job, c’est pas ça, non. Mon job c’est de commander des trucs que moi, j’aime bien, puis de les mettre là et les gens viennent là parce qu’ils savent qu’ils vont trouver des trucs bien, tu vois, c’est plutôt ça, mon job.
- En même temps, je suis venu là parce que je pensais que je trouverais mon truc... Exactement comme tu le dis…
- Putain, tu me fatigues là, mon gars…
- Je suis désolé…
- Tu comprends pas. Tu piges pas que c’est pas de la commande, ici, tu vois, c’est pas sur commande, y’a des trucs qui sont là, des trucs que j’aime bien, et toi, si tu les aimes, si tu veux bien que je te les fasses découvrir ou si tu les connais déjà, ben, tu les prends. Je vois pas comment te le dire mieux, tu vois…
- Mais si moi, j’aime bien un truc qui est bien et que toi, tu le connais pas, tu peux pas le commander ?
- Ben non.
- C’est juste toi qui trouve les trucs bien et qui les fait découvrir, c’est ça ? Ca peut pas marcher dans l’autre sens…
- Mais c’est pas vraiment ça mais tu vois, tu te ramènes, là, comme ça, avec ton truc, et t’es lourd, tu vois…
- C’est que ce truc est vraiment bien…
- Je sais pas, je connais pas : je l’ai pas.
- Ben ouais, justement.
- Justement quoi ?
- Ben, tu l’as pas.
- Non.
- C’est dommage…
- Et merde…
- …
- Comment tu dis qu’il s’appelle, ton truc, déjà ?



(tu aimes que deux éternels banlieusards dissertent sur la vie ? N'hésite pas à utiliser le libellé de post "egodialogue" ci-dessous pour retrouver sur ce blog d'autres conversations et t'empreindre de sagesse ...)

mardi 8 janvier 2013

Bon sang de merde...

Les rétrospectives de fin d’année, c’est un peu comme se retrouver dans un local lambrissé marron punaisé d’affiches obsolètes et orné de drapeaux flétris à faire un reportage sur une réunion d’anciens combattants pour les pages locales d’un journal en rupture de lectorat… Eux tiennent qu’on se souvienne de quelque chose que tout le monde a voulu oublier à un moment ou à un autre, alors que d’autres mémoires évasives les ont déjà classés d’un regard avec cet automatisme pragmatique du cortex moderne dans le tiroir d’une mémoire de papier quelconque, ignorant dès lors leur supplique amère pour les dépasser en les laissant vibrer seuls, entre eux, au rappel de fantômes n’ayant plus d’autres reliefs que ceux raccrochés à leur propre survivance. Pourtant, il suffirait de ces quelques minutes nécessaires à dépasser la cruelle ironie de leurs tenues ridicules et trop bien repassées, de ces fanions écarlates et de ces corps abandonnés au temps, pour qu’une magie disgracieuse opère. Parce qu’invariablement une vie ancienne en vaut une nouvelle, qu’un souvenir en appelle un autre, rien ne ressemblant plus à un aïeul qu’un autre aïeul, un détail à un autre détail, une journée d’hiver à une autre journée d’hiver. J’ai posté sur ce blog cent-quatre-vingt-dix-huit messages en trois ans, et dix-mille-neuf-cent-soixante-seize êtres humains y sont passés, à un moment ou à un autre, avant d’en oublier le contenu aussi vite. En ma qualité d’ancien combattant de mon conflit personnel, qui fût, soyez-en sûrs, une vraie boucherie, je tente d’évaluer l’ampleur du phénomène et soudainement, me demande si je tiens vraiment à défiler dans ma tenue d’apparat. Après tout, ai-je vraiment quelque chose de significatif à commémorer ? Parmi ces cinquante-deux messages postés en deux-mille-douze, soit deux vidéos, deux liens numériques, trois listes, trois extraits, onze images et trente-et-un textes, tandis que je réalise un peu minablement n’avoir donc posté, si l’on s’en tient à une moyenne mathématique, qu’une seule chose par semaine, que reste-t-il de tangible ? En parcourant ces souvenirs égocentrés à la recherche de quelque chose qui s’en échapperait comme une sorte d’évidence à mettre en avant, quelque chose de fort et d’humble, de gracieux et de puissant, la morosité m’envahit. D’une part, l’exercice est diaboliquement fastidieux (que les dieux maudissent les boutons et les clics de ces machines au moyen desquels il est convenu de pouvoir « tourner des pages» avec une aisance toute virtuelle alors que l’on se retrouve à devoir ferrailler avec une intelligence artificielle dont la logique obtuse finit systématiquement par contrecarrer les impulsions corticales avec lesquelles l’âme humaine compose, et finit par opposer à une navigation plus assez linéaire à son goût des fins de non-recevoir catégoriques se traduisant par une espèce de bouderie infantile insupportable du type « si c’est comme ça je n’irai pas plus loin» ), et de l’autre, je m’enlise comme le ferait un de ces chasseurs américains du dimanche au volant de son Dodge dans la boue trop meuble d’un bord de rivière polluée, un fusil trop neuf, trop gros et trop dangereux enfoncé dans une housse sur la banquette arrière.
Au final, je retombe sur le tout premier message de cette entière année morte dont les ossements gisent encore là sans sépulture, et voilà qu’en guise d’épitaphe, je ne trouve rien à y ajouter : http://lapetitem.blogspot.fr/2012/01/i-survived-my-personal-riots.html