mardi 29 mars 2011

Peut-être est-ce une question de perspective....

Qui est Custer ? Un piètre officier sorti dernier de sa promotion à West Point, suspendu un an pour avoir abandonné son poste après avoir fait fusiller des déserteurs, détesté par ses hommes qui le surnomment "Bouclettes". Un excentrique imbu de lui-même, dont un officier disait qu’il ressemblait "à un écuyer de cirque devenu fou". C’est pourtant lui qui va tester, à la demande du général Shéridan, le principe de la campagne d’hiver. En clair, l’attaque de villages indiens au moment où il fait le plus froid et où ces derniers sont limités dans leurs mouvements par la neige. La bataille de la Washita River, en novembre 1868, fit 103 morts parmi les Cheyennes, dont 92 femmes et enfants. Le 23 janvier 1870, les hommes du général Baker attaquent un campement de Pikunis près de la Marias River: 173 morts, dont 15 guerriers seulement. Le reste, enfants, femmes et vieillards.

Tout est en place pour une réplique indienne de grande envergure. Elle viendra le 25 juin 1876, sur les bords de la Little bighorn. La plus grande victoire indienne de tous les temps. La dernière, aussi, d’un conflit terrifiant qui s’achèvera, en 1890, à Wounded Knee.

La clé du récit de James Welch, c’est sans doute dans les dernières pages du chapitre 4 qu’on la trouve. Décrivant, cent ans plus tard, le site de la bataille (désormais traversé par une autoroute et bordé de propriétés privées), il le montre du point de vue des soldats de Custer. Puis il dit ceci : "peut-être est-ce une question de perspective". Et le voilà qui nous fait descendre la colline et nous place là où se trouvait l’immense regroupement indien, sur les bords verdoyants de la Little bighorn. Ce changement est autant visuel que symbolique. Welch nous dit, maintenant, mettez-vous à la place de ces Indiens, essayez de comprendre comment ils vivaient, ce qu’étaient leurs rêves, leur vision du monde, leur attachement à ce territoire. C’est ce pas de côté, ajouté à la rigueur du récit, qui rend le travail de James Wech si important, ce changement de perspective que l’on retrouve d’ailleurs dans les très grands livres d’histoire, que ce soit celui de Prosper-Olivier Lissagaray, d’Howard Zinn ou plus récemment de Robert Fisk.

Le récit de la bataille proprement dite est bref, relativement sec, sans envolées lyriques ni dimension mythique, occupe 45 pages à peine pour décrire ce qui s’est passé ce jour là, 25 juin 1876, entre midi et 17h25, dont trente-cinq minutes de combat acharné. Mais ce qu’il raconte est édifiant : soldats terrorisés tirant en l’air, se tirant mutuellement dessus, désordre total, poussière envahissante, dépouillement des cadavres. Le chaos absolu, guère différent de celui d’autres champs de bataille à Verdun, en Normandie, au Vietnam ou en Irak.

"C’est un beau jour pour mourir" s’achève, de façon déchirante, par la reddition progressive des Sioux et des Cheyennes quelques mois après la bataille de la Little bighorn et par l’assassinat sordide, dans les réserves, des deux grandes figures de la rébellion, Crazy Horse en septembre 1877 et Sitting Bull en décembre 1890, quelques jours avant Wounded Knee qui marquera la fin des guerres indiennes.


Allez, lis James Welch.


Il est né à Browning dans le Montana, en 1940. Son père est membre de la tribu des Pieds-Noirs tandis que sa mère appartient à la tribu des Gros Ventres. Tous les deux comptent également des Irlandais parmi leurs ancêtres. Dans le cadre d'un Master en beaux-arts, il suit pendant deux ans les ateliers d'écriture créative du romancier Richard Hugo; ce-dernier lui conseille d'écrire sur ce qu'il connaît le mieux, à savoir la terre et les gens du Montana septentrional. Cela se retrouve dans son premier livre et unique recueil de poèmes : "Il y a des légendes silencieuses" (Riding the Earthboy 40), qui paraît en 1971.

"L'hiver dans le sang" (Winter in the Blood), en 1974: le réalisme de la vie dans une réserve indienne du Montana septentrional au cours de la décennie 1960. Ce roman est considéré comme une des œuvres les plus importantes du mouvement littéraire "Renaissance amérindienne". Docteur Honoris Causa de l'Université du Montana, de l'Université d'Etat du Montana, et du Rocky Mountain College, James Welch reçu un prix du Cercle des écrivains amérindiens (Native Writers' Circle of the Americas) pour l'ensemble de son œuvre littéraire. En France, James Welch a été élevé au rang de chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres en 2000.

Il meurt le 4 août 2003 d'un cancer du poumon, à l'âge de 62 ans.

lundi 28 mars 2011

God bless mother nature... it's raining men.

C’est une putain de voie sans issue mec, c’est vrai
C’est une putain de voie sans issue
Tu peux toujours te révolter
Mais rien n’y fait mec
C’est une putain de voie sans issue
Partout où tu vises une sortie mec
Ca bouchonne comme aux heures de pointes
T’es pas le premier à fumer sur l’asphalte mec
Tu poseras ton nez sur le cul d’un type, ouais
C’est une putain de voie sans issue
Toi tu t’en sors avec ton fric mais
Ca tiendra pas jusqu’à la fin
C’est une putain de voie sans issue mec
Et il faut le bouffer son pain sec
Quoi qu’il arrive
Et tu peux enchaîner les verres
Midi euphories, rêves de lendemain
Soir fatigués pour repousser le grand sommeil
C’est une putain de voie sans issue mec, pas vrai
Y’a aucun rêve qui tienne la distance,
Le soleil finit toujours par se lever mec,
A chaque destin sa souffrance
C’est une putain de voie sans issue

mardi 22 mars 2011

Mon trajet de métro est une oeuvre d'art


La répétition.
Est-ce dans la répétition que transite le sens ? Je veux dire, cela a-t-il finalement un sens de réitérer à l’infini quelque chose de beau, et inversement, cela ne rend-il finalement pas beau de répéter quelque chose que l’on pourrait qualifier de fondamentalement inintéressant jusqu’à ce que sa répétition finisse elle-même par lui conférer un sens ? A partir de quelle quantité la répétition finit-elle par tuer, ou au contraire magnifier ? Libérer ou assigner l’objet à sa durée transforme-t-il son essence vitale ? Quand CharlElie Couture ne peut faire autrement, en 2011, que de clôturer un concert avec son « Comme un avion sans ailes » datant de 1981, quelle réelle différence entre ses 30 ans de vie d’artiste et le sort de la caissière de supermarché condamnée à scanner un nombre incalculable de fois le même code barre, ou l’employé du bureau appelé à recommencer, comme un mythe grec, un éternel classement de documents chiffrés chaque lundi matin ? Je me demande ainsi, face à un artiste que je n’ai cessé d’aduler depuis vingt ans pour sa propension à planer au-dessus des courants, ce qui lui permettrait de s’oblitérer d’un titre phare que la masse d’un public venu l’écouter et le voir exige, toute accaparée à guetter, comme une cerise sur un gâteau jauni, l’instant d’apogée durant lequel il lui sera possible de raviver un souvenir naphtaliné teinté d’éphémère jeunesse et d’amours nostalgiques. L’artiste l’avoue lui-même : "Il y en a une, je n’y couperai pas et sans elle, je ne serai probablement pas là ce soir". Une tragédie similaire à l’inutilité crasse de ces centaines de métiers tétanisant que notre amoncellement sociétal a générés doit-elle être lue dans cet aveu ?
Il n’y coupera pas. L’artiste a donc lui aussi sa Fatalité. Combien sont-ils à devoir ainsi renfiler leurs propres chaînes, devoir réveiller ce monstre autrefois créé bienveillant, nouveau-né couperosé vagissant et fragile, qui a inexorablement muté sous l’assaut conjugué du temps, de la perversité de l’adoration et de la puissance sibylline de l’art lui-même sur les foules usées jusqu’à devenir ce joug terrible rejoignant, dans une communion apocalyptique Sartrienne, l’effrayante vacuité existentielle de la caissière ou de l’employé…
Une des révolutions majeures de nos sociétés a semblé être l’établissement officiel d’un statut pour l’artiste, l’intégrant ainsi dans un mécanisme emballé où l’échange devient moteur existentiel, dès lors que le besoin s’est mis, on se sait où ni comment, à supplanter la nécessité. Et si cela semble vraiment très con à dire, intégrer l’artiste à nos sociétés en se refusant à le laisser sur le bas-côté, en s’efforçant de préserver la conviction qu’il est une particule essentielle à l’anoblissement du progrès en même temps qu’un garde-fou inespéré à une dérive annoncée de ses mécanismes n’a finalement d’autre conséquence que de tuer ce qui l’en distingue. Et oui. Si l’art est « ce qui est gratuit », cela fait bien longtemps que le temps est devenu argent. Le public de CharlElie intègre son rapport au temps, accepte sa quête intemporelle d’un ailleurs, mais pour autant, requiert son acquittement de dette sociétale, le paiement de son ticket de péage pour l’implacable autoroute de la reconnaissance.
Il aurait mieux fallu, peut-être, le laisser dans des hardes arpenter les voies de détresse le pouce levé, lié pour toujours aux aléas de la fortune avec pour seul bagage une chanson nouvelle et un rêve de plus. Se vautrer sans réserve, pendant ce temps, dans un monde sans rêve et sans utopie, libérés de nos souffrances, aptes à solliciter, à loisir, la venue du barde pour égayer une soirée de beuverie par quelque nostalgie ou sagesse harmonisée, en échange d’une cuisse de poulet. Ainsi en va-t-il de l’Avion sans Ailes : il roule depuis trente ans vers un horizon radieux comme une merde, fuselé, élégant, racé et inaltérable mais incapable de s’envoler, prisonnier de roues refusant obstinément de quitter le sol d’asphalte de la piste nulle de ses congénères jaloux. Car nous sommes comme ça, nous, les humains : quand nous trouvons l’oiseau beau, nous en capturons la beauté dans une cage pour qu’il ne vole plus et du coup, il ne nous reste plus qu’à rêver tout en le regardant s’enlaidir comme nous, ce qui est très rassurant. CharlElie écrit d’autres chansons quasiment chaque jour depuis, mais il semble qu’il soit rassurant de le circonscrire, quoi qu’il arrive, à ce succès d’autrefois, là, au milieu de sa « cage scénique ». Sa chanson devient-elle alors un code-barre inlassablement scanné dans chaque ville où il se produit ?
Accepte-t-il avec fatalité cette appétence morbide de son public pour les quelques minutes de « Comme un avion sans ailes », accepte-t-il la minoration de toutes les autres minutes composant toutes ses autres chansons par rapport à celle-ci, accepte-t-il même que la totalité de ces autres minutes n’aie enfin plus la moindre valeur si d’aventure il prenait le risque de ne pas la jouer ? Peut-on raisonnablement penser qu’il a conscience que cette chanson seule légitime la présence de son public, comme autorise seule la reconnaissance des autres chansons en tant que « préambules », « mises en bouche », « adjuvants » ?
Enfin, demandons-nous ce qui se passera s’il se révolte et qu’il décide sciemment de ne pas la jouer. Qu’il s’en libère. Qu’il se les recolle, ses putains d’ailes perdues en 81.
Certes, il s’envole, CharlElie.
Mais sans eux. Tout seul.
Sartre a bien raison. L’enfer, c’est les autres.

mercredi 16 mars 2011

On dirait qu'ça t'gène de marcher dans la boue...

«On croit que, lorsqu'une chose finit, une autre recommence tout de suite. Non. Entre les deux, c'est la pagaille.»

Marguerite Duras - "Hiroshima mon amour"

Chronique d'un tournant de page annoncé - FIN.

Agop est beau comme une image. Il sait, d’un regard, noyer de charme l’attitude la plus mesquine, et en ça, sa capacité de séduction est sans limite. Ses racines arméniennes, aussi ténébreuses que veloutées, ostentatoires mais discrètes, le rendent à la fois macho et poète dans un cocktail imparable de romantisme slave et d’énigmatisme oriental. Une guitare autour du cou, l’ancien leader de Nacimiento n’a de cesse de se rêver adulé comme un demi-dieu aux dents blanches, tout en délaissant sans le moindre état d’âme les affres de la création. Agop ne veux pas souffrir, Agop veut sourire en se foutant de la gueule du monde, Agop veut du fric mais du fric aimant, du fric séduit, du fric classieux. Alors il réserve sa tristesse, la vraie, celle qui le fait certainement pleurer quand il est sûr d’être seul, se glisser timidement dans sa musique comme une chatte dans l’embrasure d’une fenêtre de chambre calme. Agop est un je-m’en-foutiste biscornu, un paradoxe gratuit, un doute filigrané. Et si briller lui suffit souvent, espérer l’illumine parfois.

Oh ! Tiger Mountain est grand comme un bouleau blanc que l’on aurait planté dans une forêt de hêtres. Parce qu’en lui quelque chose cloche les autres le regardent en biais, mi-figue mi-raisin, hésitant entre jalousie et enthousiasme, juste parce qu’il est cet extra-terrestre humanoïde longiligne et gentil des dessins animés après lequel les forces du mal aiment à s’acharner, et qui finira par périr pour laisser à un héros banal le panache de la vengeance. Une guitare autour du cou, l’ancien leader des Nation All Dust n’a de cesse de se rêver libéré de la faim ou de la nécessité de chier pour pouvoir définitivement se noyer dans des histoires d’amour aux accents de nouvelle vague, qu’il sabordera avec de longs silences ou de terribles déclarations avant d’en pleurer le souvenir à grands renforts d’apostrophes révoltées jetées à la face de dieux impavides. Oh ! Tiger Mountain voudrait être un sorcier sans éprouver la peur, mais voudrait aussi pouvoir trembler sans inspirer la crainte. Cela rend ses chansons si calmes qu’elles font froid dans le dos, comme la première gorgée d’un thé brûlant à l’odeur familière mais au goût inexplicablement étranger.

usthiax est fier comme un chef de village. Ses mains sont assez puissantes pour ouvrir en deux la terre juste avant que le soleil ne soit levé mais au bout, ses ongles sont ceux d’un horloger, nacrés et lisses. usthiax sait sourire comme un pot de miel mais son front est couvert d’une brume butée et menaçante ; il marche comme un félin noué de muscles durs mais son cœur est tout mou comme celui d’un passereau, et ainsi en va-t-il de son âme comme d’une valse prussienne, violente, martiale et farouchement indépendante sur un temps, lascive, fragile et délicate sur les deux autres, qui pensent mourir à chaque fin de mesure. Une guitare posée sur la cuisse, l’ex-enfant des collines fait pleuvoir depuis d’interminables assiduités musicales des nuées de promesses harmonieuses et légères, comme les pas de la ballerine s’envolent sur la scène depuis des rangées d’orteils en sang. Adossé aux murs d’une forge incandescente aux odeurs de résine, il sait manipuler les pinces aux pattes plates et les longues tiges d’acier, mais sort invariablement des flammes de son fourneau anachorète de doucereux objets de verre, fragiles mais tenaces, laborieux de grâce, mâtinés d’une peine iridescente ressurgie des plus anciennes fables, celles du temps où les hommes avaient encore peur des orages.

Agop, Oh ! Tiger Mountain, usthiax : ma trilogie trinitaire, mon écheveau sacristique, mon ascétique frustration de ne pas savoir quoi faire d’une guitare que je me passerai autour du cou ou poserai sur ma cuisse afin d’en faire jouer les cordes et errer enfin, moi aussi, dans des limbes célestes dépourvues de foi mais dévouées aux mystères. 2008, 2009, 2010, années de côtoiements délicieux, merci merci merci, merci trois fois.

mardi 15 mars 2011

Je voudrais savoir comment respirer mon cynisme comme Michel H.
Je voudrais savoir parler de sexe comme Philippe D.
Je voudrais savoir éclairer la vie d’un néon froid de grande marque comme Bret 2E.
Je voudrais pouvoir célébrer la violence de la vie comme Richard B.
Je voudrais savoir raconter une histoire comme Francis S.F.
Je voudrais que boire soit aussi romantique qu’avec Charles B.
Pour finir, je renifle ma propre odeur de merde, juste comme Kouros K.

mercredi 9 mars 2011

Eros et Thanatos

Chronique d'un tournant de page annoncé (Part 3)

J’ai passé, à partir de 2007, des nuits épaisses à St Just aux côtés de Dimmu Borgir, Tom Mac Rae, the Rakes, Blonde Redhead, de Buck 65, de Femi Kuti, des Gladiators ou de Lee Scratch Perry et de Jeff Lang. Tous mes après-midi résonnaient des balances de kick, bom, bom, bom, bombombom, le mur derrière mon bureau tremblant comme une condamnation à perpétuité sous les coups de boutoirs des pédales de grosse caisse, jour après jour, Archive, Vive la Fête, Domique A, Bloc Party, Saul Williams, Mass Hysteria, Louise Attaque, les Wraygunn, Rubin Steiner… Je buvais de la bière sans interruption, fumais sans intermittence, ne dormais pas, j’étais aussi heureux que ce que ma femme était lasse et rien n’avait d’importance car j’avais bel et bien réussi à ne pas avoir de métier et à vivre pourtant avec un peu d’argent –jamais vraiment beaucoup - au milieu des autres, mais en ayant échappé aux affres de l’absurdité d’une vie dédiée à un travail humiliant et dépourvu de sens.
A force de courir après une hypothétique avant-garde, je me suis mis, dans une forme de dandysme hédoniste, à rechercher la compagnie de personnes atypiques. Pour autant, le socle janséno-chrétien sur lequel je devais appuyer, malgré tout, cette soif d’expérimentation protestataire m’empêchait de me complaire aux côtés des personnages les plus radicaux que comptait cet univers de bruits, de musiques outrancières, de nuits, de drogues, d’alcool, de bagarres et de trous noirs dans lequel je surnageais ; inévitablement, je ne pouvais m’empêcher de les trouver, pour la plupart d’entre eux, idiotement caricaturaux, souvent en retard d’un train. C’est à peu près à ce moment-là que sans que je ne me rappelle vraiment comment ni à quelle occasion, j’ai noué un vrai contact avec Dominique Viger. Depuis « On Connaît la Chanson », je n’avais gardé de lui qu’un double souvenir : celui d’un musicien au talent complexe mais laxiste que j’avais rangé hâtivement dans la catégorie des « enfants de Zappa », et celui d’un provocateur surprenant dont je n’avais pas pris la peine de décortiquer la démarche. Dès lors que nous nouâmes plus de lien, je fus surpris de découvrir un personnage profondément attachant, détenteur d’une frénésie créatrice impressionnante au cœur de laquelle un talent fondamental se disputait à une culture méticuleuse, le tout perturbé par une exploration appliquée de toutes les dépendances, avec une nette préférence pour les pires. Dominique Viger s’est révélé à moi comme le parangon de l’artiste dans ce qu’il a de plus romantique : révolté, dandy, lumineux, violent, illogique, imprévisible, tâtillon, débordant de vie comme de cynisme... Nous aurons eu l’intense plaisir de porter son régalant duo, « Cap’Tain Carnasse et sa Momie », aux frontières des univers « professionnels » pourtant les moins enclins à l’accueillir, poussant le vice jusqu’à obtenir de substantielles subventions du Ministère de la Culture ayant permis de générer davantage d’un matériau proto-artistique jouissivement contre-culturel. Sans trop de surprise, il me fût impossible de construire véritablement quoi que ce soit de durable à ses côtés, mais ce fût là aussi une façon d’autant plus évidente d’entériner l’incapacité intrinsèque – assumée ou inconsciente – de ce plasticien pornocrate (n’est-il pas ça avant tout, finalement ?) à tout ancrage ou prévisibilité.
A l’opposé, je rencontrai Mathias Berthier et me plongeai délicieusement dans usthiax comme on entre dans un lit aux draps propres.
Entre les deux n’allait pas tarder à émerger Mathieu Poulain, le ô combien charismatique leader des Nation All Dust.

jeudi 3 mars 2011

Chronique d'un tournant de page annoncé (part Two)

Le premier souvenir de 2004 qui me vient à l’esprit part de 2006. Oui, je sais, c’est très con.
Pendant deux ans, je m’étais attelé de façon compulsive à trouver des premières parties. C’était devenu mon leitmotiv ; quand je posais les écouteurs dans lesquels je faisais défiler une vingtaine de CD par semaine, c’était pour aller traîner dans les « hôtels de la musique » à la recherche de nouveaux sons. Entre 2002 et 2004, j’ai comme ça succombé à Nacimiento, Militan Band, les Fire Warriors, General Electrics, Quaisoir, Dagoba, Nefesh, Lo, Layne ou encore Dub Akom…
On dit dans les salons de coiffure et les bistrots que les septennats marquent des cycles : force est de constater que 2004 nous ramène bien à 7 ans en arrière. Si je n’avais pas autant aimé les bistrots, peut-être aurais-je passé une autre moitié de ma vie dans les salons de coiffure, qui sait. En tout cas, en 2006 (faut suivre), c’était dans le couloir d’un bâtiment industriel de quatre ou cinq étages massifs, entièrement dressé dans de la brique rouge. Les fenêtres étaient longilignes et froides, les marches d’escalier larges et claires. Dehors, une tempête de neige comme je n’en avais jamais vue s’abattait placidement sur une nuit épaisse et étrangère, et je regardais en bas comme dans un rêve cette cour couverte d’un demi mètre de neige au milieu de laquelle arrivaient des gens à vélo, engoncés dans des vêtements d’alpinistes. On était en mars, je venais d’être papa d’une petite fille et j’étais là, à la fenêtre de cet immeuble dans la banlieue de Turku en plein hiver. Derrière la porte en fer verte à laquelle je tournais le dos, les quatre musiciens français à qui j’avais fait traverser la Baltique grimaçaient en s’efforçant de suivre les instructions de cette chorégraphe finno-hollandaise inclassable qui avait absolument tenu à les faire danser. Nous étions là pour jouer un album fixé à Aix en Provence deux années auparavant, le tout premier que je produisais (un barnum de 17 musiciens répartis dans des salles de classe blanches sans fenêtres éclairées aux néons, qui avaient fini par accoucher d’une sorte d’ethno pop tribale étonnante dont je m’étais retrouvé très fier sans m’y être vraiment attendu). Nous y voilà. C’était AixInki, en 2004 et ce projet était entièrement à moi, je veux dire j’avais été vraiment seul à produire sur ce coup-là, sans l’aide de personne. Je me rappelle donc avec une certaine émotion bizarre ces heures de complicité complexe avec Jean-Philippe, l’ex-batteur d’Opossum et maître d’orchestre attiré, de Nicola l’italien inclassable, de Denis l’afrikaner, de Six le médiateur, d’Eric l’agitateur, et bien sûr de David Lillkivst le surprenant show-man, probablement l’un des musiciens les plus débonnaires qu’il m’ait été donné de croiser, et le plus délicieux des hommes.
Cette même année, quelques mois plus tard, j’étais à la porte des loges du Moulin, la petite rouge à moitié dégondée tout en haut de l’allée. Cette voiture a monté la pente défoncée assez lentement, dans mon souvenir c’était cahoteux et poussiéreux. Les quatre portes se sont ouvertes quasi simultanément, et ils sont descendus. Les Nation All Dust. C’est bizarre mais je crois que c’est ce jour là que j’ai réalisé que les musiciens que j’avais passé ma jeunesse à aduler comme des demi-dieux étaient aussi les voisins de quelqu’un, que des types normaux les croisaient au quotidien, qu’ils étaient là, qu’il pouvait y en avoir partout, jusque sous mes propres fenêtres et que tout ça n’était pas une affaire de distance ou d’univers parallèle. Ces quatre gars là, c’étaient des stars. A l’instant où ils sont descendus de cette Suzuki Swift à la peinture écaillée, ils sont devenus mes stars à moi, comme ça, instantanément. Je ne les avais même pas vu jouer ; après, ça a été pire. Je me suis pris pour Phil Spector et j’ai voulu être directeur de label. Je voulais me droguer et ne plus porter rien d’autre que ces Sonora mexicaines à talons biseautés que je venais de m’acheter.
Je fumais mes trente-trois ans avec une férocité maladive, et je savais plus que jamais que j’étais né en 71, la veille de Noël.

mardi 1 mars 2011

Chronique d'un tournant de page annoncé (Part 1)

1992 : à partir d’une pochette d’album acheté au pas de course dans un megastore culturel, il va me falloir répondre à une commande d’illustration urgente. Délai ? Quelques heures. En une nuit, je dresse donc un portrait violent et biscornu de Pablo Moses à l’encre de Chine, avant de le rendre à mon commanditaire quelques maigres heures de sommeil plus tard, devant les marches de l’Hôtel des Impôts de la rue Borde dans lequel j’exerce la journée, à l’époque, une activité rémunérée aux contours pas très définis pour boucler des fins de mois difficiles. Le lendemain, mon épure s’étale sur les murs de la ville en 80x120, placardée sur un fond noir brillant et agressif. On dirait une affiche de propagande anarchiste du début du siècle, j’ai 20 ans et je suis fier comme Artaban mais ce sentiment glorieux est laminé par un terrible coup du sort : dans quelques semaines, je pars pour la Lorraine effectuer mon service militaire. Alors que pour la première fois depuis des mois je me dis qu’un avenir fait d’autre chose qu’une succession de renoncements à mes velléités juvéniles – alors alimentées tout à la fois par l’explosion du mouvement « rock fusion », la pratique de la batterie en gaucher, une passion pour la beuverie, l’histoire de l’Art et les ordinateurs Mc Intosh, le tout mâtiné de rêves bling-bling opaques – est possible, cette société que j’exècre tant cloue au pilori ce clin d’œil de la chance. Pablo Moses en personne entérine cette torture psychologique le soir même de ce concert à Marseille qu’il m’a été demandé de promouvoir, en exprimant le souhait de récupérer pour lui-même une dizaine de « mes » affiches, tout en prenant le soin de me féliciter pour mon travail sans le moindre sourire ni la moindre empathie mais en me dévisageant avec un mélange d’étonnement et de dédain, ce qui rend son éloge purement orgasmique.
Je ne travaillerai jamais vraiment en tant qu’illustrateur. Toutes mes tentatives dans le domaine se solderont par de pseudo échecs, à mettre probablement sur le compte de mon atavique absence d’ambition comme du caractère laborieux de ce petit talent que je m’étais découvert pour le dessin, mais qui n’a finalement jamais réussi à atteindre l’exubérance nécessaire au succès. Pour autant, je n’ai pas renoncé à mes rêves : 6 ans plus tard, à l’aube de mes 27 ans et face aux promesses moroses d’une carrière dans un fonctionnariat assimilé joyeusement émaillée de vacances scolaires et de treizièmes mois, je me vautre dans une délicieuse prolongation de ma révolte teen-ager en signant un contrat à durée indéterminée au Moulin, salle de concert sulfureuse implantée à la frontière des quartiers virilement populaires de Marseille, loin, très loin des cités banlieusardes endormies dans lesquelles s’était sagement déroulée mon enfance.
Après 5 ans d’apprentissage d’un « métier » dont à l’époque tout le monde ignore plus ou moins les contours et qu’il me fût par conséquent impossible à expliquer à mes parents résignés, tout commence vraiment en 2002 avec ces deux jours de festival que nous avions organisés, « On connaît la chanson ». La fine fleur de la « nouvelle chanson française » d’alors, celle du coin, c’était Oshen, HomoSuperior, Opossum, c’était Rit et puis l’incroyable David Lafore et aussi Pagaille, dont j’ai aujourd’hui définitivement perdu la trace… Ce fût une sorte de déclic.
Après ça, je me suis mis à courir comme Forrest Gump.