jeudi 29 septembre 2011

Sept est le nombre des pétales de la rose; c’est aussi celui des pêchés capitaux. (7/20)

Voici le septième de cette série de 20 poèmes, et on le doit à Emile Verhaeren ; né dans les Flandres en 1855, ce poète atypique restera à tout jamais marqué par l’éducation qu’il reçut chez les Jésuites de Gand : frappé de crises mystiques suicidaires, il ne devra son salut qu’à la femme qu’il épousera, et avec laquelle il trouvera refuge dans une vieille maison du Hainaut.
Sa vision épique de la révolution industrielle et son amour du prolétariat le rapprochent inexorablement de Hugo, mais aussi de Walt Whitman.
Il quittera ce bas-monde en 1916 de façon tragiquement romanesque, écrasé par un train près de Rouen.
Voici le sublime « Pauvres vieilles cités » :




Pauvres vieilles cités par les plaines perdues.
Dites de quel grand plan de gloire,
Vers la vie humble et dérisoire,
Toutes, vous voilà descendues


Vous ne comprenez plus vos hauts beffrois en deuil
Ni ce que disent aux nuées
Tant de pierres destituées
De leur ancien et bel orgueil


Vos carrefours, vos grand'places et votre port,
Tout est muet et léthargique;
Tout semble aller à pas logiques
Vers l'horizon, où luit la mort.


Seule, quand le marché aligne au jour levé,
Sur le trottoir, ses éventaires,
Un peu de vie hebdomadaire
Se cabre aux joints de vos pavés.


Ou bien, quand la kermesse et ses cortèges d'or
Mènent leur ronde autour des rues,
L'émoi des foules accourues
Vous fait revivre une heure encor.


Vos moeurs sont pareilles à vos petits jardins;
Buissons corrects, calmes verdures,
Mais une odeur de moisissure
Séjourne en leurs recoins malsains.


Vos gestes sont prudents, mesquins et routiniers,
Vous ne penchez sur vos négoces
Que des yeux mornes ou féroces,
Qui ne comptent que par deniers.


Vos cerveaux sans révolte et vos coeurs sans fierté
Se complaisent aux moindres choses,
Et de pauvres apothéoses
Font tressaillir vos vanités.


Vous ne produisez plus ni communiers ni gueux
Et vivez à la dérobée
Des miettes d'ombre et d'or tombées
Du festin rouge des aïeux.


Pourtant, si triste et long que soit votre déclin,
Notre rêve ne veut pas croire
Que plus jamais la belle gloire
Ne bondira de vos tremplins.

Vous vous armez encore de trop d'entêtement,
Damme, Courtrai, Ypres, Termonde,
Pour n'être plus au vent du monde
Que des tombeaux d'orgueil flamand


Et n'avoir plus aucun remords, aucun sursaut
En ces heures de somnolence
Où le visage du silence
Se mire seul dans vos canaux.

mardi 27 septembre 2011

Six est la profondeur, en pieds, à laquelle un cercueil est traditionnellement placé. (6/20)

Voici le sixième d’une série de 20 poèmes, qui (devraient, théoriquement, mais des fois, je n'ai pas le temps) seront postés durant 20 jours.

Comment la Reine Margot échoit-elle dans une liste de poèmes ? Et bien assez naturellement finalement, car il se trouve que Marguerite de Valois, septième fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, est un personnage saisissant, sorte de Mme de Sévigné avant l’heure…
Mais observons tout d’abord, -il serait bien difficile de ne pas céder à la tentation-, un léger détour du côté de son père : nous sommes en 1559 et l’histoire rapporte ce fait à la fois romantique, cruel et terrifiant à propos de ce fils du légendaire François 1er. A 40 ans, Henri II est, à l’image de son auguste père, un véritable homme de la Renaissance sachant tout aussi bien s’adonner aux Arts qu’à l’épée ; c’est ainsi qu’il se retrouve à disputer un tournoi organisé en l’honneur du mariage d’une de ses filles, au cours duquel il affronte le capitaine de sa propre garde écossaise : son destin bascule quand cet adversaire lui plante sa lance dans l’œil. C’est à Ambroise Paré, alors à la tête des meilleurs chirurgiens de la cour, qu’est confié le sort du monarque. C’est ici que l’Histoire rapporte alors un fait coutumier de l’époque : Ambroise Paré demande l’autorisation de « reproduire la blessure sur des condamnés pour mieux la soigner ». Laissons donc ici vagabonder notre imagination quelques secondes et planter un décor de la Renaissance, longue période transitoire aux contours plutôt mal définis, traversée de révolutions culturelles, géographiques, scientifiques, intellectuelles et artistiques, mais néanmoins marquée de façon très vivace par le sceau d’un Moyen-âge brutal et féroce… Henri ne survivra pas, et comme ce nombre inconnu d’infortunés qui se seront fait sciemment, mais en vain, planter une lance dans l’œil par les assistants d’Ambroise, il mourra dans d’atroces souffrances.

Quant à Marguerite de Valois, dont l’existence démarre dans un siècle où les rumeurs, les ragots et les outrages sont monnaie courante tant les tensions sont vivaces, on lui prête très tôt des relations incestueuses non pas avec un, mais avec ses trois frères ; sa légendaire beauté, que Brantôme, l’abbé soldat du Périgord figurant parmi les plus illustres chroniqueurs de son époque, décrira en ces termes : « S’il y en eust jamais une au monde parfaicte en beauté, c’est la royne de Navarre ! » fera qu’on lui prêtera aussi un grand nombre d’amants plus ou moins fantasmés. Mariée à Henri de Navarre dans le but de mettre un terme à une troisième guerre de religion - le général des jésuites qualifiera le mariage « d’union exécrable »- , le mythe d’une « femme lubrique née dans une famille maudite » la poursuivra longtemps, avant que le souvenir de cette femme exceptionnelle, remarquable latiniste très cultivée possédant à la fois beauté, santé, intelligence et énergie, soit réhabilité. Il reste néanmoins que si le nombre d’amants qu’on lui a prêté reste démesuré, le couple royal a affiché sans grand mystère ses infidélités mutuelles, tout en accomplissant un devoir conjugal minutieux et protocolaire.
Ce poème délicieux de romantisme, d’éperdu et de passion, adressé par Marguerite à son amant Champvallon, traduit remarquablement le goût de la reine pour les formes poétiques anciennes. Il s’intitule : « Nos deux corps sont en toi… »

Nos deux corps sont en toi,
Je le sais plus que d’ombre.
Nos amis sont à toi
Je ne sais que de nombre.
Et puisque tu es tout
Et que je ne suis rien,
Je n’ai rien ne t’ayant
Ou j’ai tout, au contraire,
Avoir et tout et tien,
Comment se peut-il faire ?...
C’est que j’ai tous les maux
Et je n’ai point de biens.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Le soleil de mes yeux,
Si je n’ai ta lumière,
Une aveugle nuée
Ennuie ma paupière.
Comme une pluie de pleurs
Découle de mes yeux,
Les éclairs de l’amour,
Les éclats de la foudre
Entrefendent mes nuits
Et m’écrasent en poudre.
Quand j’entonne les cris,
Lors, j’étonne les cieux.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Nous n’aurons qu’une vie
Et n’aurons qu’un trépas.
Je ne veux pas ta mort
Je désire la mienne.
Mais ma mort est ta mort
Et ma vie est la tienne.
Ainsi, je veux mourir
Et je ne le veux pas.

vendredi 23 septembre 2011

En accord avec la mythologie Maya, nous sommes en train de vivre dans le cinquième monde (5/20)

Voici le cinquième d’une série de 20 poèmes, qui seront postés durant 20 jours.

Je confessais ma tardive découverte de Théophile Gautier - en tant que poète- à l’occasion du troisième post de cette série : retrouvons-le ici par le biais de Catulle Mendès.

Catulle n’est déjà pas un prénom ordinaire, convenons-en. Après quelques (rapides) recherches infructueuses, je trouve Catulle comme issu du portugais « casto », qui signifierai « pur », mais cette origine me semble bien peu fiable.

Peu importe, le fait que ce prénom reste mystérieux s’inscrit sans défaut dans cette démarche des « 20 poèmes », après tout.
Pour en revenir à Catulle Mendès et à Théophile Gautier, il se trouve que le premier séduit la fille du second, qui, tout de rage de laisser partir la chair de sa chair avec ce Parnassien connu du Tout-Paris pour son aisance exprimée tantôt dans le roman ou dans la poésie - mais aussi (voire surtout, en ce qui concerne les mondains fréquentant les Salons de l’époque) pour ce talent grivois répandu tout au long de « contes roses » particulièrement osés -, refusera d’assister aux noces. Théophile tirera finalement sa vengeance de l’échec relativement rapide de ce mariage, que d’aucuns attribueront, outre de récurrentes tromperies, au caractère complexe de Catulle, dont Maupassant confessera lui-même le trouver « compliqué comme personne ».

Délectons-nous maintenant de ce « Conseil » empreint d’une noirceur cynique toute impersonnelle :

Reste morne. Dérobe-leur
L’ivresse où ton âme se noie,
Et sache imposer à ta joie
La gravité de la douleur.

Que ton rêve, lent, se balance,
Doux et lent comme un encensoir,
Parmi la profondeur du soir
Mélancolique et du silence.

Que sans désirs et sans effrois
Tes grands yeux où rien ne s’étonne
Soient semblables aux jours d’automne ;
Profonds, placides, ternes, froids ;

Et déplore les courtes fièvres
Des amants ivres de chansons
Qu’Avril revoit dans les buissons,
La flamme aux yeux, le rire aux lèvres ;

Car l’ombre est le cachot prudent
Du bonheur si vite infidèle,
Et le rire, c’est le bruit de l’aile
Que fait la joie en s’évadant !

jeudi 22 septembre 2011

Nous ne sommes ni japonais, ni chinois : le chiffre quatre n’aura pas à être prononcé comme le mot « mort ». (4/20)




Voici le quatrième d’une série de 20 poèmes, qui seront postés durant 20 jours.


Au-delà d’avoir un effroyablement triste homonyme en ce début de XXIème siècle, François Coppée ne mérite définitivement pas le peu de notoriété dont il jouit ; si son amitié d’avec le grandiloquent José Maia De Heredia et le somptueux Verlaine, sa reconnaissance par Leconte de Lisle, fondateur des Parnassiens, et enfin son accession à l’Académie Française transcendèrent ses origines modestes, le plaçant à l’abri du besoin, rien ne parvînt à museler cette soif d’exotisme qui lui fera résumer d’un si beau vers sa nostalgie prolétaire : « J’ai le regret des rêveurs qui n’ont pas voyagé »…




RUINES DU CŒUR

Mon cœur était jadis comme un palais romain,
Tout construit de granits choisis, de marbres rares.
Bientôt les passions, comme un flot de barbares,
L’envahirent, la hache ou la torche à la main.

Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.
Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares.
Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ;
Et les ronces avaient effacé le chemin.

Je suis resté longtemps seul, devant mon désastre.
Des midis sans soleil, des minuits sans un astre,
Passèrent, et j’ai, là, vécu d’horribles jours ;

Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière,
Et, bravement, afin de loger nos amours,
Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière.


mercredi 21 septembre 2011

l'instant trismégiste (3/20)

Voici le troisième d’une série de 20 poèmes, qui seront postés durant 20 jours.




Lorsqu’en pleine crise adolescente j’ai découvert que Charles Baudelaire dédiait mon nouveau livre de chevet, ses Fleurs Du Mal, à Théophile Gautier, j’en ai été à la fois abasourdi, puis incroyablement offusqué et enfin déçu : comment cet auteur de mon enfance, qui m’avait certes fait adorer la lecture, à qui je devais, certes, d’avoir tant joué dans les cours de récréation ou entre les murs de la chambre que je partageais avec mon frère, les scènes épiques du Capitaine Fracasse ou du Roman de la Momie, mais que je venais de conspuer - au même titre que Walter Scott et Enid Blyton- au rang des « auteurs pour merdeux », se retrouvait-il cité à l’ouverture du noir ouvrage romantique qui marquait si bien, et avec tant de force, ma récente – et intraitable - rupture d’avec mes lectures passées ?


Pourquoi venait-il donc s’étaler en travers de mes nouvelles amours littéraires ô combien plus nobles et les souiller ainsi de son spectre infantile? Pire, pour quelle incompréhensible raison Charles Baudelaire dédiait-il donc son œuvre si romantiquement sulfureuse au père de Tahoser ?


Confus, agacé, inquiété par une possible remise en cause de l’intégrité de mon nouveau héros, je me résignai à passer outre cette provocation, reniant son intérêt et sa raison, et me plongeai dans Les Fleurs du Mal, puis dans tout Baudelaire comme dans un bain brûlant aux essences délétères, déjà ivre d’odeurs, de sexe opaque, de drogues et de rimes divines…


De nombreuses années plus tard, le hasard me remit face à Théophile Gautier, au détour d’une page de cette vieille Anthologie des Poètes Français de Jacques Imbert, magnifique ouvrage de cinq cent soixante neuf pages acquis sur ordonnance d’un professeur de français éclairé lors de mes années de lycée, et dont je ne m’étais plus jamais séparé depuis.
Là, comme la mer rouge s’ouvrant sur ordre de Moïse, l’étendue vertigineuse du talent de Théophile Gautier m’engloutit enfin, et dans une délicieuse noyade au scintillement mystique tout baudelairien, je compris enfin la clé du mystère m’ayant autrefois tant contrarié : non content d’être un incroyable romancier, Théophile Gautier était un poète fondamental.


Aujourd’hui, je ne sais, entre ces deux figures tutélaires contemporaines l’une de l’autre, laquelle me fascine le plus : d’un côté, Charles, l’orphelin d’un père peintre prêtre défroqué qui se rêve « tantôt pape, tantôt comédien » : échappant d’un exil forcé aux Indes décrété par un beau-père militaire en réaction à ses velléités artistiques, il revient réclamer son héritage qu’il dilapide en deux ans avant d’être soumis à un conseil judiciaire par sa propre mère écœurée de ses excentricités ; il passera dès lors sa vie à fuir les créanciers, rongé par la syphilis et sa fascination pour Edgard Allan Poe, finissant ses jours hémiplégique, abruti des brouillards morbides de l’éther et de l’opium en 1867, à 46 ans.


De l’autre, Théophile, de dix ans son aîné, inversement encouragé par sa famille à suivre la voie de la peinture, dont une seule rencontre avec Hugo le conduira finalement à la poésie ; le « bon Théo », connu pour son penchant pour la bagarre – en véritable dandy, il fait le coup de poing en gilet de satin rouge -, épousera une danseuse italienne qui le condamne au journalisme pour subvenir aux besoins de leurs filles avant de finir sa vie à Neuilly de la façon la plus paisible qu’il soit, entouré d’une troupe d’admirateurs en 1872, à 61 ans.


Ainsi, en excuse à Théophile Gautier – et espérant peut-être lever le voile sur un tel talent à quelque infortuné comme je le fus - , voici le sublime « A une robe rose » :




Que tu me plais dans cette robe
Qui te déshabille si bien
Faisant jaillir ta gorge en globe,
Montrant tout nu ton bras païen !

Frêle comme une aile d’abeille
Frais comme un cœur de rose thé,
Son tissu, caresse vermeille,
Voltige autour de ta beauté.

De l’épiderme sur la soie
Glissent des frissons argentés
Et l’étoffe à la chair renvoie
Ses éclairs roses reflétés.

D’où te vient cette robe étrange
Qui semble faite de ta chair,
Trame vivante qui mélange
Avec ta peau son rose clair ?

Est-ce la rougeur de l’aurore,
A la coquille de Vénus,
Au bouton de sein près d’éclore,
Que sont pris ces tons inconnus ?

Ou bien l’étoffe est-elle teinte
Dans les roses de ta pudeur ?
Non ; vingt fois modelée et peinte,
Ta forme connaît sa splendeur.

Jetant le voile qui te pèse,
Réalité que l’art rêva,
Comme la princesse Borghèse
Tu poserais pour Canova.

Et ces plis roses sont les lèvres
De mes désirs inapaisés,
Mettant au corps dont tu les sèvres
Une tunique de baisers.

mardi 20 septembre 2011

Deux sur vingt

Voici le second d’une série de 20 poèmes, qui seront postés durant 20 jours.


Gaston Puel, après un bref passage parmi les surréalistes des années guerre, veut rester en équilibre « entre deux astres et deux miroirs », avançant « abandonné à sa faille profonde » ; ce balancement confie au rêve l’espoir d’une révélation : celle du territoire où les contraintes seront enfin complices.




J’habitais un corps lézardé. Il dut se fendre d’un coup : je reçus l’aube comme un baquet d’eau fraîche.

Quand la nuit n’est qu’une lie et que le regard n’ausculte que l’abîme, quel bonheur (je suis sûr de ce mot) de se hisser hors de la margelle ! Les mains meurtries touchent l’huile du jour ; le visage s’élance, plus léger que les jambes.

Est-ce l’innocence du matin ? La grâce d’un fruit cueilli ? Je ne sais, je ne saurai jamais. Mon cœur bat dans un homme étonné de se savoir en vie. Cela ressemble à un secret.



"Le Cinquième Château"

lundi 19 septembre 2011

La graphie "vingt", intervenue après le moyen-âgeux "vint", est donc bien une fausse régression...

Voici le premier d’une série de 20 poèmes, qui seront postés durant 20 jours.
Pourquoi 20 ?
Pas de raison réelle.
Notons peut-être deux choses.
Que le nombre 20 est un « nombre Harshad », ce qui signifie
1 -en mathématiques, qu’il s’agit d’un entier divisible par la somme de ses chiffres dans une base de données - mais ça, à vrai dire, je m’en moque
2 -beaucoup plus joliment, que ce nom lui a été donné par le mathématicien Dattatreya Ramachandra Kaprekar - dont le patronyme fait lui-même rêver -, et signifie, en sanskrit, "grande joie".
Que les Celtes, qui comptaient – comme le reste de l’humanité – avec leurs doigts, inventèrent la numérotation vigésimale (donc à partir d’une base de 20 ) parce qu’au lieu de s’arrêter aux seuls doigts des mains, ils décidèrent de continuer avec leurs orteils, et que ça, c’est le genre d’anecdote que j’affectionne particulièrement - bien que tombée dans l’oubli, on doit malgré tout à cette base de 20 notre « quatre-vingt », qui supplante toujours le « huitante » ou « octante » traditionnel… -

Finissons cette courte introduction en citant Eugène Guillevic, l’un des derniers poète-druide de notre époque, pour lequel, en poésie, tout consiste à « choisir le mot juste pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas ». Et laissons-le ouvrir cette série.


(A Sylvie)

Ils sont beaucoup
Pour dire qu’il y a eu
Des jours meilleurs
Et pleurer.

Comme pleure le temps
A travers les saules.

Nous ne sommes
Ni le temps ni les saules.

Nous fêtons
Ce maintenant qui s’agrandit.

Eugène Guillevic, dit « Guillevic », 1907 - 1997

mardi 13 septembre 2011

The Indian Summer's list




ONEIDA - Secret Wars - 2004






ECHO & THE BUNNYMEN - Crocodiles - 1980






STEPHAN EICHER - Carcassonne - 1993






KEITH JARRET - The Köln Concert - 1975






PETER MURPHY - Love Hysteria - 1988

mardi 6 septembre 2011

entomologie erratique

C’est parce que j’habite à quelques mètres de l’école. Le trottoir d’en face. Après le virage à angle droit d’où les berlines, les breaks, les scooters, les motos, les bus, les camionnettes, et parfois même, les joggers, débouchent inlassablement de l’interminable côte qui part du port, pied au plancher. Quelle que soit l’heure. Le matin, si je fume à la fenêtre comme j’aime bien le faire, je peux voir défiler la même fourmilière préoccupée qui presse le pas derrière des binômes d’enfants aux cartables disproportionnés, grossie à la loupe. Jour après jour. Film super 8 sursaturé, avec les mêmes rayons de soleil gris qui tombent comme des flèches inertes depuis le front de mer en déformant les perspectives. Tout scintille de poussière dans le vacarme, et tout le monde semble avoir un destin. Et moi, je reste debout dans l’encadrement de ma fenêtre. Et je fume.

jeudi 1 septembre 2011

Des truites qui en savent long...

Je n’ai pas eu à attendre, finalement. Ou si peu.

Richard Brautigan est plutôt grand, relativement filiforme, avec un ventre mou. Il n’a rien de l’athlète, mais on sent cependant l’homme habitué, à une certaine époque de sa vie, à parcourir les bois et à courir les routes avec son sac à la manière des hippies. Il semble avoir eu moins de succès avec le camion-stop que Jack Kerouac. C’est que Kerouac était visiblement le fils à sa maman. Brautigan, jusqu’à ce que par pure bonté d’âme il se colle sur le dos femme et enfant, c’est plutôt le chat qui s’en va tout seul. Il porte le cheveu long et clairsemé, une moustache gauloise et de petites lunettes à monture de fer, qui font penser à celles des musiciens allemands du XIXe siècle. Celles de Schubert, par exemple. Ils ont un autre point commun : la passion des truites.
Pour ce qui est du costume, Brautigan se vêt d’une chemise sans cravate et souvent sans col, le genre de chemise de travail comme en portent les gens de la campagne, dans les westerns de John Ford, et également dans le Massif Central, un gilet assez vieillot, avec une chaîne de montre, un Levi’s qui n’a jamais dû connaître de jours meilleurs, confortablement poché aux genoux, et des bottes d’officier sudiste. Quand le temps est mauvais, il ajoute à sa panoplie un caban et un chapeau informe mais dont, si l’on en juge par son état, l’utilité est manifeste.
Il est souvent accompagné d’une dame, sans doute parce qu’il plaît aux dames, par son indépendance d’esprit et ses bonnes manières, et une malice certaine dans le regard.
C’est finalement un modéré. Il ne parle pas de la bombe atomique, ni de la guerre au Vietnam, ni des pauvres ni des riches, il se fout de la couleur des gens, il laisse tout le monde tranquille, même les femmes – encore qu’elles semblent tout de même chargées de la plupart des travaux domestiques. Elles les font d’ailleurs avec un certain plaisir. Il pratique une contraception fort bourgeoise, ce qui évite à ses compagnes les ennuis qu’entraînent l’avortement et les grossesses non souhaitées. Ce n’est pas non plus tellement le genre à fumer des trucs vraiment dangereux.
Il ne bâtit pas de cabane au fond des bois, il a plutôt tendance à s’installer dans celles qu’il trouve toutes faites, en dur sous le nom de résidences secondaires, abandonnées par leur propriétaire, ce qui est très américain.
Le personnage n’a rien de remarquable. Gentil. Il faudra donc le lire, pas moyen de faire autrement, pour découvrir ce qu’il a d’assez unique. S’occuper de ce que les professeurs appellent noblement « le style ». Celui de Brautigan fait tout son charme.
Il procède par anecdotes, historiettes, notes que l’on imagine prises sur de petits bouts de papiers retrouvés au fond des poches, et qui finissent par faire un livre, un livre avec beaucoup de blancs, des blancs qui donnent de l’air et relient ces chapitres entre eux, livre à lire en marchant, ou même en voiture aux feux rouges.
Plus, un sens très précis du cocasse, qui serait chez lui, davantage que simple humour verbal à découvrir au fil des pages, métaphysique. La vertu de ces rapprochements inattendus sera de tout rendre possible.


Préface de « In Water Melon Sugar » par Michel Doury, traducteur français / 1973