mercredi 13 novembre 2013

Le jour donc où il n’y aura plus que de la lumière et des chambres d’échos...

Il est rare que je me contente, dans les post de La Petite M, de reprendre pour presque totalité les termes d’un article que je me suis trouvé à parcourir. C’est pourtant ce que je vais faire ici, parce que ce faisant, je respecte malgré tout un des fondamentaux de ce blog : donner envie, partager des émotions et des enthousiasmes.

jeudi 7 novembre 2013

Le sale des autres

- Tu fais le ménage, toi ?
- Ben oui, ça m’arrive. Comme tout le monde.
- Bon sang qu’est-ce que c’est fatiguant !
- Fatiguant ?
- Ah ouais, quand t’as fini, t’es claqué ! Et si tu y réfléchis bien, personne le dit. On le dit pas assez, en fait.
- Que faire le ménage, c’est fatiguant ?
- Ouais !
- En même temps, tout le monde le sait, non ?

mardi 5 novembre 2013

Salut à toi, ô, Barbouze

Le soir d’halloween, tandis que quelques milliers de petits français se ridiculisent en parodiant avec l’aval sirupeux de leurs parents déboussolés et une méconnaissance crasse une tradition anglo-écossaise controversée mâchée et réduite en bouillie par la carnivore Amérique, Gérard de Villiers meurt.

Cet orphelin de père, faux aristo mais terrible réac, commence en premier lieu à barouder pour alimenter les balbutiements de la presse people au sortir de la guerre : il s’illustre déjà par son goût pour les femmes, le fric, l’opulence et les coups tordus, avec quelques pépites d’investigations journalo-trash (on lui doit la célèbre rumeur savamment orchestrée « Sheila est un homme ! » ) mais c’est finalement une carrière de reporter international plutôt brillante qui lui vaut une petite renommée dans les milieux casse-cou avant que la mort de l’auteur de James Bond ne le pousse sur la voie de la littérature d’espionnage : son propre 007 voit le jour, il est hongrois, improbable, caricatural et jouissif ; c’est Malko Linge, Son Altesse Sérénissime.
Naissance d’un mythe qui va durer 200 épisodes.

samedi 2 novembre 2013

mardi 15 octobre 2013

Le goût des autres

Ils avaient tous l’air un peu gauche. En fait, surtout lui. C’est l’impression qu’il avait désormais de la situation, au travers des sept ou huit coupes de ce sempiternel infâme Champagne qu’il avait ingurgitées à trop grande vitesse : incapable de respecter le temps socialement imparti à la consommation de ce breuvage ridiculement précieux qu’il fallait commencer par tenir dans ces verres inconfortables avant de pouvoir y trempotter la lèvre au-dessus d’une forêt de petites bulles agaçantes, il partait du principe qu’ouvrir légèrement la bouche avant d’y basculer tout le contenu de la coupe d’un trait rapide et décidé restait la meilleure façon d’ingérer ce vin vicelard, au lieu de se cogner bêtement plusieurs fois le nez contre le col trop étroit de son contenant effilé.

vendredi 11 octobre 2013

Exploration Longue (et) Litigieusement Excessive

Le magazine « Elle » n° 3535 contient 233 pages, dont 167 pages de publicité. Ca fait presque 1 page sur 4 (ou 72% de la pagination, pour les statisticiens en herbe). Des pages de publicité pour Chanel (double page), Dolce & Gabbana (double page), Dior (double page), Céline (double page), Saint-Laurent (double page), Georgio Armani (double page), Louis Vuitton. Des pages de publicité pour Rolex (double page) et Venetta. Des pages de publicité pour Cartier (triple page). Des pages de publicité pour Ralph Lauren et Bulgari (4 pages). Des pages de publicité pour Prada. Des pages de publicité pour Yves Saint Laurent (double page avec échantillon). Des pages de publicité pour Hogan. Des pages de publicité pour Kenzo. Des pages de publicité pour Clarins et Lancel (double page). Des pages de publicité pour Lolita Lempicka. Des pages de publicité pour Moschino. Des pages de publicité pour Sisley et Hugo Boss. Des pages de publicité pour Anne Fontaine. Des pages de publicité pour Forte Forte, DSQUARRED2 (double page), Boucheron. Des pages de publicité pour Santoni et Estée Lauder (double page).

mardi 8 octobre 2013

Fatalitas

- Je n’aurai pas aimé m’appeler Frédéric. Tout le monde t’appelle Fred.
- Bah, y’a des tas de gens qui t’appellent (…).
- Ouais, mais c’est pas pareil. Les gens qui m’appellent (…), ils t’appellent Tom.
- Et alors ?
- Et alors, ton prénom, c’est Thomas.
- Et t’aurais préféré t’appeler Thomas ?
- Pour qu’on m’appelle Tom ? Non merci.
- C’est pas si mal, Tom. Après tout.
- Je dis pas que c’est nul de s’appeler Tom, ou Fred, ou Bob, je dis juste que si tu t’appelles Frédéric, on t’appellera toujours Fred et ça, ben, c’est chiant. En tout cas, si je m’appelais Frédéric, ça me ferait chier.
- Tu voudrais qu’on t’appelle « Frédéric ». En entier.
- Voilà.
- Mais là, on t’appelle (…).
- Ouais, des fois.
- Souvent.
- J’y peux pas grand-chose…
- Les Frédéric qu’on appelle Fred, ils y peuvent pas grand-chose non plus…
- Mais ça doit les faire chier.
- Bah, moi, ça me fait pas chier qu’on m’appelle Tom. Même toi tu m’appelles comme ça.
- C’est vrai. Je le ferai plus. A partir de maintenant, je t’appellerai tout le temps Thomas.
- Ouais, sauf que moi je m’en fous qu’on m’appelle Tom.
- Ca te fait pas chier de t’appeler Thomas, et qu’on t’appelle toujours Tom ?
- Non…
- Ah…
- Je crois pas vraiment non plus que les mecs qui s’appellent Frédéric soient dégoutés qu’on les appelle Fred, si tu veux mon avis.
- Non, ça, mec, c’est pas possible. Si tu t’appelles Frédéric, ça te fait forcément chier que tout le monde t’appelle Fred.
- Qu’est-ce que t’en sais, après tout ? T’en as discuté avec des mecs qui s’appellent Frédéric ?
- Non… Pas vraiment. Enfin, je crois pas.
- Ben alors ?
- Alors, c’est juste du bon sens.
- Pour les mecs qui s’appellent Frédéric.
- Ouais.
- Plus particulièrement pour eux.
- Ouais. Parce que Frédéric tu vois, c’est pas pareil.
- Et pourquoi ?
- Mais parce qu’on t’appelle tout le temps Fred, mec !

dimanche 29 septembre 2013

"La barbarie plutôt que l'ennui."


Je ne veux plus être cultivé. Tout m’emmerde. Je veux pouvoir continuer à lire des livres après avoir déambulé au milieu de rayonnages minables au lieu de me retrouver à compiler en catimini des listes d’incontournables livres à lire prescrits par d’incontournables écrivains de beaux livres que j’ai lu, que je ne parviens jamais ni à honorer, ni à aimer. Je n’éprouve aucun plaisir à discuter littérature avec un libraire et je bénis ce temps moribond des temples culturels décriés où les livres sont en libre service sur des linéaires interminables rangés par ordre alphabétique. Libre service. N’aller solliciter un interlocuteur que pour situer la bonne rangée, au bon étage. Le remercier et le regarder repartir et attendre qu’il ait tourné dans un autre rayonnage pour prendre le livre qu’il nous a indiqué, parce que c’est dérangeant de choisir un livre qui a été recommandé par un fantôme cafardeux.

vendredi 27 septembre 2013

"Et encore merci d'être passé..."

"Y a plus personne, la nappe en papier est toute déchirée

Des couteaux en plastique sur des assiettes en carton.
La meringue s’enfonce dans la glace à la fraise,
Qui fond comme un château de sable sur la plage.

samedi 21 septembre 2013

Champomy fury.

La Petite M a quatre ans ce soir. C'est la fête.

Profiter de l'argument facile de l'été pour glisser une doléance...

Des jeunes filles passent à cheval sur une place pavée dans un vacarme de fer, revêtues de pantalons sales et de t-shirt délavés, avant de repasser dans l’autre sens quelques heures plus tard pédalant en sandales sur une bicyclette véloce vers une quelconque bâtisse de bord de route. D’indésirables étrangers prennent pour toujours la même photo du clocher local après avoir débouché de la même volée d’escalier, avant de déambuler en famille dans les ruelles à la recherche du même unique café qui permettra de tuer un temps suspendu sans mettre à mal leurs réserves financières rangées dans l’inesthétique sacoche d’un été trop prévisible. De vieux hippies aux airs d’habitués croisent d’un pas alerte de jeunes hippies farouches assis à même le sol qui ne voudront pas les saluer.

Appel surtaxé

En 2009, l’Amérique a eu son 11 septembre, La Petite M son 21.
Ce Samedi 21 septembre, la Petite M aura 4 ans. J’ai jeté moi-même sur mon édifice tant d’avions de ligne détournés remplis de femmes, d’enfants et de types qui n’avaient rien demandé que je ne parviens plus davantage à comptabiliser le nom des victimes . Ce que cela représente. J’imagine loin en bas le sol de la Petite M jonché de gravas et de cendres parmi lesquelles il n’est plus davantage possible de distinguer un ossement d’un bout de ferraille tordu. Je suis le Ben Laden de mon propre building mais aussi le parent proche de toutes mes victimes.

jeudi 19 septembre 2013

Loser à rabats avec élastique.

Il a pris la peine de s’asseoir parce qu’avec le sommeil qui continuait à l’engourdir comme s’il ne s’était même pas levé, il aurait été à peu près sûr d’en foutre partout. C’est comme ça le matin avec cette érection stupide, faut faire gaffe. Sauf qu’à peine installé, voilà qu’est survenue cette quinte de toux terrible et que sa bite s’est mise à tressauter en rythme à l’intérieur de la cuvette si bien qu’il s’est retrouvé, malgré sa précaution initiale, avec le mollet gauche et le dos de son slip remplis de pisse. Ca l’a mis dans une colère roide, il s’est épongé comme il a pu avec des gestes empêtrés dans l’espace exigu des toilettes dans lequel rien n’est vraiment possible, avant de devoir filer directement sous la douche alors qu’il comptait bien se faire couler un café avant, histoire d’essayer de balayer cet engourdissement têtu qui semblait bien décidé à ne pas se laisser chasser comme ça. L’eau chaude n’a pas réussi à le réveiller si bien qu’il est sorti de la salle de bain certes propre, mais le visage encore rudement marqué par un sommeil trop court. Ses yeux continuaient obstinément à ressembler à deux figues tombées d’une branche et sa peau refusait de se détendre, elle restait raide comme les feuilles de papier sulfurisé qui entourent les rouleaux de pâte à tarte industriels. Impossible de s’endormir, hier soir, à l’heure qu’il s’était fixé. Les habitudes ne se chamboulent pas comme ça du jour au lendemain, même si l’on doit exceptionnellement se lever tôt. C’est donc maintenant qu’il paye, et la note est salée. Le café a du mal à passer parce que tout son être réclame d’être ailleurs, de ne rien avoir à ingurgiter, de n’avoir aucun effort particulier à fournir. Etre ailleurs, et y être allongé. Il a du regarder l’heure au moins six fois depuis qu’il est sorti de la douche. Il se sent mal dans ce jean propre, le survêtement est quand même bien plus confortable, quoi qu’on dise de son côté négligé. Pourquoi ne pourrait-on pas aller à des rendez-vous à la con en survêt, après tout ? Sur le coup il était d’accord avec elle, il se sentait confiant, décidé, positif, mais maintenant qu’il est debout, il regrette. Il laisse son petit-déjeuner à moitié consommé sur la table de la cuisine, récupère les deux feuillets imprimés dans un tiroir à moitié ouvert et les glisse à l’intérieur de la pochette à rabats orange qu’elle lui a laissé en évidence, non sans avoir bataillé à deux reprises pour que les coins ne se retournent pas sur eux-mêmes. Putain de saloperie de papelards. Tout ça va servir à rien en plus, c’est toujours comme ça. Il repasse devant le lavabo de la salle de bain, se rase trop vite pour que le résultat soit probant mais l’heure avance, le goût du dentifrice par-dessus celui du café fait un mélange déguelasse, il s’asperge d’eau de toilette de marque, un peu trop, et part vers le placard à chaussures. Après une brève hésitation il enfile sa paire de baskets, après tout elles sont encore assez propres et il doit marcher un peu pour y aller, autant être à l’aise. Finalement, c’est avec la veste de son survêt qu’il sort sur le trottoir, le visage récalcitrant. En quelques mètres à peine, la pochette orange a déjà changé de main trois fois, et autant de sens. Il se sent embarrassé, c’est con c’est juste une pochette de merde, mais on sait pas comment tenir ce truc. Il réalise qu’il oublié de prendre un stylo et une feuille comme elle le lui avait conseillé. Elle lui avait proposé de les lui préparer et de les mettre à côté de la pochette mais il l’avait rembarrée en lui disant que c’était plus un mioche non plus, et voilà le résultat. Des fois, il se trouvait vraiment merdique; le matin lui sautait à la figure comme une chose, sa lumière, ses odeurs, cette énergie mauvaise qui flottait dans l’air et tout autour de lui, tous ces gens qui allaient vite, qui avaient l’air bien réveillés, comme si tout était normal. Il se sentait comme un étranger dans une ville étrangère, trop de regards pesaient sur lui. Il faudrait parler, en plus. Essayer d’avoir l’air en forme, dire des choses intelligentes, trouver les bons mots, sourire. S’en tirer avec un peu de charme, pourquoi pas. Pas se faire baiser, en tout cas, avec un truc de stage ou une espèce de formation à la con. Il fallait qu’il reparte tranquille, sans emmerde, et que le fric continue à tomber. Merde, c’est pas pour ce qu’ils lui donnaient…  Tandis que la pochette continuait à lui poser des problèmes, il a remarqué qu’ils avaient tous des sacs. Il était le seul con à trimballer sa pochette à la main, comme ça.  Pourtant, ceux qui bossent, ils en ont tout le temps de ce genre de pochettes, mais eux, ils les foutent dans un sac. Forcément, ils ont l’air moins con. En tout cas, on voit pas qu’ils sont au chômdu. Avec sa pochette orange sur les genoux, assis là sur sa banquette de métro avec la gueule frippée, c’est comme s’il s’était foutu lui-même une pancarte sur le front avec écrit : j’ai une putain de convocation à Pôle Emploi. Il a soudain regretté de ne pas avoir mis son blouson, il aurait eu l’air moins naze. Putain, cette pochette avec ses deux élastiques à la con en travers, c’est une vraie pancarte à loser.
Ca a été pire quand il s’est approché de l’entrée de l’immeuble et que soudain, il s’est retrouvé à presser le pas en même temps que d’autres types qui avaient tous une pochette dans la main exactement comme lui, avec rien d’autre, sans sac en bandoulière pour la foutre dedans ; et on voyait bien l’espèce d’effort minable qu’ils avaient fait pour pas venir habillés comme d’hab, et ils avaient tous l’air terriblement merdeux, y’en avaient même qui s’étaient pas rasés alors il a passé brièvement l’intérieur de sa main sur ses joues. C’était rêche et tous ces types avaient des gueules de déterrés alors il a encore davantage détesté être là. Sur sa pochette qu’il a encore changée de main une marque de doigts était maintenant visible, une sorte de tâche en creux plus sombre et quand il s’est retrouvé sur sa chaise avec son ticket numéro cent soixante trois, la pochette pendue entre ses jambes tanguant contre sa cuisse qui s’était mise compulsivement à battre une mesure frénétique, il a su qu’il allait écoper d’un stage.

mardi 3 septembre 2013

Tortilla Flat.

La plupart d’entre nous profite de l’été pour lire.
C’est les vacances.
L’esprit est reposé, le temps s’écoule autrement, on peut tourner des pages dans la chaleur du début des après-midi.
Moi, je n’ai pas ouvert un livre de tout l’été. Je ne sais pas si c’est une coïncidence, mais ma femme s’est plaint de ce que nous n’avions pas fait une seule photo non plus.
Forcément, quand j’ai fini par en ouvrir un sitôt que les vacances ont été déclarées achevées, j’ai fondu aussi sûrement qu’un carré de beurre jeté au fond d’une cocotte. Il faut dire que je venais d’ouvrir quelque chose.

lundi 2 septembre 2013

L'étymologie ? Le casier judiciaire des mots... (R. Topor)

- Tu le savais toi, que le mot « travail », ça vient d’un d’instrument romain fabriqué avec trois pieux attachés en triangle, qui servait à mater les esclaves ?
- C’est pas ce truc avec trois trous là, où tu rentres les mains de chaque côté et la tête au milieu et après tu refermes, et le type il reste là avec les mains et la tête qui dépasse ?
- Non, c’est le Pilori, ça. C’est vachement plus tard…
- Ah ouais, le Pilori : le type, ils le baladent partout comme ça en ville, et tout le monde lui crache dessus…
- Non, ça c’est le Carcan. Le Pilori, ça reste sur place, c’est monté sur un châssis. Bon, le principe reste pareil, le but c’est de mettre le type là en plein milieu de la place du village et tout le monde vient se foutre de sa gueule, l’insulter, lui cracher dessus ou lui tirer des trucs pourris, je crois même qu’ils lui tapaient sur les mains pour lui faire bien mal… Du coup, le Carcan, je crois que ça date d’il y a longtemps aussi, en fait… Ce qui est drôle, c’est que c’est comme pour ce truc dont je te parle, le Tripalium.

mercredi 28 août 2013

Si à vingt ans on est incendiaire, à quarante on est plutôt pompier...

Pompier. Sorte de mâle sportif en uniforme symbolisant l’abnégation, le sacrifice, l’humanisme et le courage héroïque.
Ou alors, qualificatif, en Art, pour ce qui relève de l’emphase, du solennel ampoulé, bref, de descendances immodestes d’un romantisme qui se serait débarrassé de son drame existentialiste pour ne conserver de la tragédie qu’une extravagance théâtrale de mauvais goût.
Et bien, curieusement, je n’ai jamais pu blairer les premiers (les costauds rudes mais sympas dans leur camion rouge) et j’ai une certaine faiblesse pour les seconds, tout au moins en peinture.

jeudi 25 juillet 2013

On the Beach...


A la plage, on trouve de tout.
Quoi qu’il en soit, tout le monde reste à peu près logé à la même enseigne, si bien qu’à travers 25 photos postées ce 25 juillet, vont sans grand effort se distinguer trois catégories assez binaires que l’on pourrait s’amuser à séquencer ainsi, avant d’aller soi-même tenter de garder la tête haute et le poitrail arrogant quelque part au bord de l’eau :

les Grands Bidochons Magnifiques, où quand ceux qui font et défont l’Histoire au gré de leur époque se mettent le ventre à l’air…


Le Grand Jacques, où l'élégance du slip de bain à la française...


dimanche 14 juillet 2013

La Prise de la Pastille

La demie de dix heures venait de sonner, alors il sortit le six-coups Smith & Wesson de l’étui dans lequel il le tenait rangé le reste du temps et entreprit de remplir lentement une après l’autre les alvéoles parfaitement huilées du barillet au moyen de cartouches brunes et oblongues qu’il trouva soigneusement alignées les unes à côté des autres dans le petit fourreau cartonné jouxtant l’étui principal ; lorsqu’il eut réenclenché le barillet dans le corps de l’arme, sans se presser il arma le chien en direction de la foultitude bruyante assise en désordre dans le dénivelé de la colline d’ordinaire si calme, un peu plus haut. Il cala son coude sur le cadre de la fenêtre, balaya du bout du canon l’horizon bleuté sur lequel la nuit tombait sans plus de retenue puis se contenta d’aligner une tête au hasard dans la mire (probablement un homme, qui portait une sorte de chapeau, un bob peut-être) et dès lors, respirant avec le flegme d’un touriste, attendit la première salve. Quand une première auréole verte scintillante explosa dans le ciel avec un fracas de tonnerre, il pressa sur la détente. Loin devant, la tête disparût. Ensuite, il ne s’appliqua plus autant, se contentant d’actionner la gâchette à chaque fois qu’une nouvelle explosion lumineuse venait emplir le ciel de sa forme majestueusement ridicule, et répéta le même geste ainsi jusqu’à ce que le chargeur soit vide. Dans la pénombre, quelques deux cent mètres plus loin, des ombres s’agitaient désormais d’une façon qui contrastait avec les reste de la foule noyée dans un fracas de détonations festives tandis qu’il s’efforçait de détacher des silhouettes de cette frénésie à peine perceptible au travers des capricieux éclats lumineux qui trouaient le soir par intermittences. Ce n’est que lorsque le son d’une sirène stridente se fraya un chemin dans la nuit tombée jusqu’à la fenêtre qu’il se recula d’un pas, pour se mettre à l’abri de l’ombre qui avait envahi sa cuisine, l’arme toujours à la main.

mardi 9 juillet 2013

La prière de l’heure bénie de l’anis étoilé…

« … Sois pur, Soir pacifique et tendre,
Fraîcheur des champs brûlés, repos des membres lourds,
Oh, ne te hâte point, Soir béni, de descendre
Vers les grands pays d’ombre où doit finir ton cours !
Laisse-nous savourer ton délice éphémère,
Passant sacré, porteur de l’urne balsamaire
D’où s’épand sur le monde un miel immense et doux.
Nos fronts que le soleil a brunis de son hâle
Déjà penchent… Du moins, prolonge un peu sur nous
Le mystique frisson de l’heure occidentale.
Et nous t’adorerons, ô Soir, à deux genoux. »

Anatole Le Braz

Anatole est un être foisonnant ayant évolué aux frontières des mythes celtiques tout en assumant un patriotisme républicain aigu, paradoxe composant un personnage controversé dans une époque de mutations à la fois progressistes et morbides.
Né en 1860 dans les Côtes d’Armor, il est le pionnier de ce qui s’est réduit à un « mouvement régionaliste breton » tout en ayant ouvertement revendiqué une relation à la Bretagne qui n'exclura jamais une allégeance sincère à la France.
Elevé sous la menace/protection de la remarquable (mais impressionnante) statue de l’Ankou de l’église de Ploumilliau (Dieu-père de la mythologie celtique proche du dieu gaulois Sucellos ou du Dagda irlandais, détenteur du « mell benniget », le marteau béni - petit à petit remplacé dans l’imagerie collective par la faux - initialement en charge de la perpétuation du cycle de la vie (jour/nuit, naissance/mort) avant que sa fonction ne soit réduite à la seule Mort -. Les statues d’Ankou, en Bretagne, sont sujettes à beaucoup de rites : alors qu’on raconte qu’au soir de Noël, ceux qui auront frôlé, durant la messe de minuit, la cape ou l’arête d’un Ankou ne passeront pas l’année, on place aussi ces statues morbides par paire autour du cercueil des morts, qu’on veillera dès lors jusqu’à … ce qu’un enfant de chœur s’évanouisse), il en gardera une fascination pour le lien si spécifique unissant le monde celtique à l’idée de la mort, fascination qu’il concrétise à 30 ans dans un étonnant ouvrage intitulé « La Légende de la Mort chez les Bretons armoricains ».
La même année, il demande et obtient de l'administration l'autorisation de donner un cours de breton facultatif aux lycéens, le premier du genre en Bretagne.
Sept ans plus tard, en 1897, il hérite du titre de Chevalier de la Légion d’Honneur tandis qu’il prend parallèlement la présidence de l'Union Régionaliste, dont il dirige une délégation de 21 bretons jusqu’à l'Eisteddvod de Cardiff (sous sa forme moderne, festival gallois de littérature, musique et théâtre où des compétitions suivies de remises de prix ont lieu dans diverses disciplines, et principalement en poésie. A l’origine de la tradition bardique, l’eisteddfod est une assemblée religieuse validant collectivement thèmes, idiomes, symboles, rites et outils de la transmission culturelle galloise.): il y recevra une investiture de barde, sous le nom de Skreo ar Mor (La mouette).
Il ne participera cependant pas aux activités de la branche bretonne du Gorsedd, créée 3 mois plus tard. (« Fraternité des druides, bardes et ovates de Bretagne », créée puis placée sous l'autorité de la Gorsedd galloise : le premier Grand Druide breton dut prêter allégeance à l'archidruide de Galles, le Grand Hwfa Môn. La même autorisation de constitution a été donnée au Gorseth de Cornouailles britannique plus tard, en 1928.
Distinguons cependant ici le druidisme celte protohistorique d’avec ce néodruidisme contemporain créé au XVIIIe siècle, qui crée bien des polémiques. Si pour certains éminents spécialistes il n'y a pas de « filiation traditionnelle remontant aux druides de l'antiquité », certains bardes ont estimé le contraire, notamment le cinquième grand druide Gwenc'hlan Le Scouëzec. La transmission continue n'est au demeurant pas démontrée historiquement, ni étayée par des travaux scientifiques. Per Vari Kerloc'h, sixième et actuel Grand Druide sous le nom de Morgan, considère le problème d’une filiation traditionnelle remontant aux druides de l'antiquité comme un critère avant tout inspiré par des considérations de « théologie catholique »…)
En effet, il s’éloigne très rapidement de l'Union régionaliste bretonne, celle-ci lui apparaissant comme refuge aux réactions antirépublicaines. Il rompt ainsi avec le mouvement régionaliste, qu’il estime tombé sous une influence aristocratique et cléricale, sans pour autant renoncer à son amour de la Bretagne mais sans non plus jamais cesser de célébrer la pensée française et les grands écrivains français : cette dualité s’exprimera à travers sa nomination en qualité de professeur à la faculté des Lettres de Rennes, durant laquelle ses travaux porteront tous sur « la Bretagne, le romantisme et le théâtre celtique ».
En 1901 cependant, avant même qu’il ne soit nommé maître de conférence, il perd son père, sa belle-mère et ses quatre sœurs dans le naufrage d'un bateau dans l’un des plus beaux « abers » (estuaire) de Bretagne, celui de la rivière de Tréguier. Il se remarie, mais perd sa seconde femme en 1906 ; en nécessité « d’ailleurs », il obtient d'être chargé de mission d'enseignement en Suisse et aux États-Unis.
De retour en 1911, il vient participer à Rennes aux cérémonies pour l'inauguration du monument symbolisant l'union de la Bretagne à la France, placé sur la façade de l'hôtel de ville : s’il prononce alors, contre l’avis des autorités, une partie de son discours en breton, c’est à sa demande que le Ministère accepte la même année que les cours d'études celtiques donnés à l'université de Rennes puissent être sanctionnés par deux diplômes, le Certificat Supérieur d'Etudes Celtiques, et le Doctorat ès Lettres Celtiques.
Il est à nouveau expatrié aux USA pendant la guerre de 1914-1918, durant laquelle il a la douleur de perdre son seul fils au front, avant de devoir affronter le décès de sa troisième épouse en 1919.
De retour à Rennes très malade en 1920, il y prend sa retraite et se remarie en 4èmes noces en 1921 ; il meurt peu après, en 1926, d'une congestion cérébrale.

Pour couronner le mythe du « barde républicain », notons enfin qu’au-delà de rédiger des Odes à l’heure de l’apéro, Anatole n’est autre que l'arrière grand-père de… Tina Weymouth, bassiste du célèbre groupe américain Talking Heads.

jeudi 4 juillet 2013

Le Roi Lion

Stephan Bibrowski naquit en 1891 quatrième garçon d’une fratrie de six enfants dans une bourgade de Pologne proche de Varsovie, atteint d’une forme exceptionnelle de dérèglement hormonal ayant pour conséquence de lui valoir, comme aux très rares infortunés ayant partagé son impressionnante singularité, l’apparition d’une épaisse pilosité sur tout le corps et plus particulièrement sur le visage, tandis que son faciès et ses mains se retrouvaient victimes d’un épaississement progressif. Sa maladie se majorant au fil de l’enfance, (dans la plupart des cas, les deux premières décennies étant celles de l’aggravation du phénomène), il ne lui fallut guère dépasser l’âge de quatre ans avant qu’un de ces obscurs personnages écumant les campagnes reculées à la recherche de « freaks » pour alimenter les très populaires cirques ambulants de l’époque ne vienne toquer à la porte de sa mère.

mercredi 3 juillet 2013

I was born in Clinique Bouchard un soir de Noël

Je sais tenir une maison. Je suis né la même année qu’une reine du hip-hop. Je sais me lever le matin, ouvrir les volets, mettre du café en passe et préparer un petit déjeuner souriant alors que je ne déjeune que de trois fruits secs. Je suis né la même année qu’une grande actrice subtilement désintéressée. Je sais emmener un enfant à l’école à l’heure, lavé, coiffé, les dents propres, le ventre plein, le cartable fait et dans une tenue intelligente, adaptée au temps qu’il fait. Je suis né la même année qu’une bimbo pure souche USA.

mardi 2 juillet 2013

Goldfingers

Je veux fumer ça c’est mon vice

Je veux sécher par les trous de nez
L'air putréfié de mon Egypte
Tel un Aménophis Premier
Nicotinant les plaines polliniques
Qui dans mes bronches vibrent et vrombissent
Tétant vingt courts Premium calices
La nuit tombée
Je nargue les platanes lisses
De la cour pavée du curé
Qui exsudent vers mon Sloop
Amarré rue de la Guadeloupe
Leurs méphitiques alizées
Entre deux fix de Ventoline
Qui m'ouvrent aux vents de la fumée
Deux grands poumons terrorisés
J’avale mes rouge guillotines
Qui tombent – clac – dans ma poitrine
Une par une avec Papa
Nicotinées dans l’alpaga
De l’étui bleu de ses Gitane
Transformé spécialement pour moi
En Or Benson sous cellophane

vendredi 7 juin 2013

(Asser)vice public

Nous viendrons d’abord avec des peintures puissantes marquer des signes kabbalistiques sur les sols, sans prendre la peine de saluer les silhouettes stupides que nous croiserons. Un peu plus tard, nous enverrons un premier attelage grondant déposer des barrières de fer peintes en rouge en tas superposés, devant les parvis des maisons pour signifier que le moment de notre avènement approche. Puis nous déchaînerons enfin notre colère de métal et de fureur, sans prévenir, dès l’aube venue.

vendredi 17 mai 2013

May i do a list ?

Voilà. C'est une liste de mai 2013. Parce que, pour paraphraser un confrère blogueur émérite (http://www.apreslapub.fr), "ici, c'est mon blog, je fais ce que je veux". Dont acte.

Rayon littérature :

- Les 3 volets de la trilogie de Laurent Genefort, parce qu'en France aussi, on sait faire de belles choses en matière de saga mediévo-fantastique...


- Le délicieux "Boneshaker" de Cherie Priest, parce que les filles aussi, elles peuvent écrire des histoires abracadabrantes mêlant guerre de secession, dirigeables de guerre, machine à forer souterraines, gaz mortels et zombies... Jouissif.


- Un James Salter culte, parce qu'il faut pas abuser non plus.


- Un Tome 3 du "Roi des Mouches", et ça, c'est toujours un évènement... La trilogie la plus littéraire du 9ème art s'achève comme elle se doit, en cases stéréotypées au dessin chirurgical au service d'un scénario glacial. Glauque, rauque et acide, mais magistral.


Niveau musique, on fera Mai avec ces deux vieux trucs (entre autres hein, mais ces deux-là, quand même...) parce qu'il semblerait que même le mois de Mai d'avant, avec ses fleurs et ses apéros de printemps, soit devenu un vieux souvenir...



Et hop !
Salut, à vous les studios...

lundi 13 mai 2013

S'il en est ainsi, je vous jette mon gant.

D’après Montesquieu (à qui l’on doit, entre beaucoup d’autres choses, le premier découpage historique en grandes périodes, notamment la césure Antiquité/Moyen Âge), la naissance du duel « à la française » prend initialement racine chez les Germains : ces peuplades considérées comme « barbares » (qualificatif attribué par les macaroni de l’époque à tous les types qui ne parlaient pas le macaroni), n’ayant que très rarement rencontrés d’ennemis leur ayant fait courber l’échine, avaient en effet fini par développer un fort sentiment d’impunité, de liberté et de fierté les rendant, il faut l’avouer, un peu soupe-au-lait. Leur habitude, par exemple, de régler leurs désaccords à grands coups de scramasaxe sur la place de leur village fait donc naturellement son entrée en Gaule sitôt qu’ils l’envahissent, et curieusement, elle y est adoptée avec un naturel déconcertant.

mardi 7 mai 2013

Courage, fuyons !

Le voilà le piège de l’été. Il se referme en toute discrétion, enrobé d’une fine couche de nuages opalescents et d’averses frauduleuses, de faux dilettantismes et d’occasions ratées au coucher du jour. Mais que personne ne s’y trompe, ses crocs brûlants plantent leur toute première pointe dans l’anesthésie biaiseuse de nos chairs blanchâtres, aussi sûrement que le même soleil brûlera sans coup férir nos abdomen souffreteux, le moment venu.
Déjà, les anges déchus bannis hier d’un horrible royaume s’enhardissent, exhibant leurs tongs délétères au cœur de la foule des week-ends, osant quitter les recoins d’estaminets putrides ; d’autres infernales harpies sortent de leurs chausses humides ces effrayantes grappes d’orteils recroquevillés peinturlurées de couleurs criardes, annonçant d’un hurlement affreux mais encore silencieux la bacchanale à venir. Les doubles verres plastiques noirs masquant les pupilles dilatées au kérosène de créatures maudites fleurissent sur les arrêtes de davantage de nez sans plus aucune retenue, les démons les plus féroces glissant déjà, eux, d’immondes pattes velues et horriblement laiteuses hors de shorts égrillards, tandis que de leurs chariotes rutilantes s’échappent à plein volume les sons hideux de tambours apocalyptiques accompagnés d’infernales harmonies clinquantes et de chants hypnotiques.
De toute part la visqueuse humeur des marais s’approche, le souffle moite de dunes lointaines rongées de chaleur guettant au faîte de vagues bleues mutilées l’instant de saisir un dimanche propice pour s’abattre enfin d’un seul vent désoxygéné sur une foule exsangue, aveugle et ébahie, regroupée dans un parc à l’herbe morte, toute heureuse de sa sentence.
Et l’été règnera alors une fois de plus dans toute sa desquamation, ramenant le peu de beauté accumulée sous l’aile ouateuse de l’hiver dans un creuset éminemment fragile, cerné par la danse arrogante et ininterrompue des bêtes et des sots aux fronts cernés de palmes.

vendredi 3 mai 2013

Vers de Terre

Tu es Amour on ne te touche pas
Tu appartiens aux dieux
Tu es le Manimal
Je suis un ancien feu
Et voilà c'est ton nom et il est mystique
Comme celui d’un cheval
Et le mien est Runique
Et guttural
Mais voilà dans la plaine
C'est moi qui caracole
Car le monde appartient
A l’herbe et aux licols
Mais jamais au cheval

samedi 27 avril 2013

"La pièce de pierre la plus triste et émouvante du monde..."

Je n’ai jamais mis les pieds en suisse. Je n’aime pas assez le chocolat et je n’ai pas suffisamment de liquidités pour songer aller en mettre à gauche alors que j’en manque déjà au milieu ; mais j’aime bien la Suisse, va savoir pourquoi. A cause de sa tradition historique de neutralité politique et miliaire, succédant à sa fondation par le plus celte des peuples celtes, les Helvètes ; à cause de son image stéréotypée de lenteur ; à cause de son caractère multilingue ; à cause du choix d’avoir fait de ce territoire une Confédération (étymologiquement, un « serment devant dieu de compagnons de même rang ») plutôt que de proroger les liens de dépendance féodaux en vigueur sur tout le reste du continent ; à cause de la propension de ce pays à livrer des prix Nobel ; à cause de Guillaume Tell, de la viande des Grisons et du fromage à Raclette, du fait que le Tir y soit un sport national, à cause de Blaise Cendrars, de ses soldats mercenaires émérites… et de la sculpture du Lion de Lucerne.

vendredi 12 avril 2013

L'harmonie foireuse

Nous n’avons aucune idée de ce dont nous parlons
C’est juste des mots dans notre Livret
Impossible de savoir si l’ensemble de nos « stretto » ne va pas
finir en un épouvantable vacarme
Nous avons quitté la terre et flottons au-dessus de cette ville qui n’a jamais pu s’améliorer
Noyés dans une mer d’amour, il est certain qu’on va transpirer
Nous sommes une espèce d’harmonie foireuse
Deux trois prétendants qui ne savent pas ce qu'ils font
Une bonne bande arpentant les routes pour sa ruine
J’espère qu’on finira par en tirer quelque chose



samedi 30 mars 2013

La chair est triste, hélas, et j'ai lu tous les livres...

   Un matin, ou plutôt généralement un soir, on découvre qu’on est devenu un père. Généralement ça ne date pas d’hier et ça n’a rien à voir avec le syndrome post-traumatique de se retrouver à devoir, sans réelle transition, passer d’être capable d’avaler des pintes de Leffe cul-sec à changer des couches, rabattre des sièges de voiture, plier des poussettes ou recevoir sa belle-mère pour l’apéritif, non, ça se passe beaucoup plus tard, une petite série d’années plus tard. Ca n’a rien à voir non plus avec les enfants eux-mêmes, que l’on aura finalement à peu près appris à comprendre, aimer, écouter et découvrir entre temps : non, c’est plutôt au niveau des autres adultes que tout ça se joue. Il est ici question de ce lent processus de désertification sociale que l’on pensait jusqu’alors combattre, et qu’on découvre soudainement ne même plus subir mais juste traverser, sans réelle possibilité de retour en arrière.

samedi 23 mars 2013

L'Histoire de France en Bandes Décimées

Ce mois ci :

"LA LAIDE HISTOIRE DE LUDO, FILS DU CAROLUS MAGNUS"

Ludovic, c’est le fils d’un type plutôt encombrant ; contrairement à ce père dont il faut bien qu’il se démarque, il se passionne pour les curés et les bondieuseries et donc à force, on l’appellera plutôt Louis que Ludwig alors qu’à l’origine, son prénom c’est plutôt du teuton farouche, directement issu de son aïeul Chlodowig (Clovis pour les intimes). Il se trouve qu’à cause d’une unique allusion malheureuse de son biographe attitré – dont le nom n’a, lui, jamais gagné la postérité et qu’il a donc fallu se résoudre à appeler « l’Astronome », du fait qu’il est quand même resté de lui qu’il regardait beaucoup en l’air et que du coup, il a très bien vu passer une comète dont il a aussi beaucoup parlé –, il va aussi, sans trop qu’on sache pourquoi, se retrouver affublé du surnom « Le Débonnaire » qui lui collera aux basque, ce qui, faut l’avouer, n’est pas en soi terrible-terrible niveau surnom. Bref.
Ludo, c’est juste un troisième fils et encore, celui d’une seconde noce et encore, il aurait dû avoir un jumeau mais bon il est mort donc finalement il est tout seul à être troisième.
Au moment où il naît, son père est parti faire un peu de sport en Espagne ; mais dès qu’il revient, il le nomme roi de quelque chose comme ses deux frères : y’a moyen, encore une fois, papa, il est un peu comme Christian Audigier, il a bien réussi dans les Affaires. Ce qui fait qu’à 3 ans, Ludo devient Roi d’Aquitaine :

jeudi 21 mars 2013

"Avoir un bon copain..."

- T’as des amis, toi ?
- Bof.
- Moi j’en ai eu. J’en ai même eu pas mal. En y réfléchissant, avant ces derniers temps y’a pas eu une période de ma vie où je n’ai pas eu d’amis, mais j’ai toujours foiré. Tu vois le truc ? J’ai toujours tout foiré.
- Des amies… tu veux dire des filles ?
- Non non. Je parle d’Amis là, d’amis-i, des gars, des potes, appelle ça comme tu veux… un ami quoi.
- Ha. Bon.
- Quoi ?
- Rien.
- Ben si, j’vois bien.

samedi 16 mars 2013

Jesuisvivantetvousêtestousmorts (A weird Quaisoir tribute)

Le très divertissant/réjouissant/instructif/poétique/éclairé/délicieusement inutile Blog « Après la Pub » - outre de très réguliers articles traitant de sujets dont la variance se dispute à un délicieux éclectisme (poésie, art contemporain, sociologie, geek-culture, cinéma, ravissantes créatures des deux sexes et autres réjouissances) - livre avec une louable constance, tous les vendredi, un « bordel » fait de portfolios sans queue ni tête prenant invariablement fin sur des « messages à caractère informatif ». Il se trouve qu’à l’occasion du 150ème de ces « bordel », l’auteur a compilé une série d’images chacune extraite des 150 épisodes précédents. Bon, jusqu’ici, nous voilà cantonnés à une sorte d’apologie virtuello-confraternelle d’un travail auquel, comme beaucoup d’autres internautes, je suis plutôt sensible. Mais voilà qu’une image, ou plus exactement, un de ces fameux « messages à caractère informatif » extrait du Bordel n° 32 me saute soudain au visage avec la virulence d’un alien tout droit sorti de son œuf.

jeudi 14 mars 2013

ASO, ASI, ASA.

Les choses que l'on peut dire à propos de Jean-Pierre Gilson c'est qu'il est né en 1948 dans l'Oise, qu'il s’est spécialisé dans la photographie de paysages, qu'il expose pour la première fois en 1977 et qu'il n'est pas mort. Après, ce que l'on peut rajouter, c'est que loin du fouillis inextricable d’images vides, laides et muettes dont nous inondent les aficionados de couteaux-suisses numériques, des photographes rappellent discrètement tout ce qu’une image peut nous dire.  Une image. Dire qu’à force, on a presque réussi à oublier ce que c’était, alors que des génies de l’image comme Ingres (celui du violon, oui oui, non seulement il a peint le cultissime « Bain turc », ou encore la saisissante « Odalisque à l’Esclave », mais il se trouve qu’il jouait magnifiquement du violon…), dès la fin du XVIII ème, s’extasient de la sorte :  « La photographie, c’est mieux qu’un dessin, mais il ne faut pas le dire… ». Merci, M. Gilson.

samedi 9 mars 2013

"Le début de l'hygiène, c'est haïr les microbes des voisins..."

Par un étrange concours de circonstances, plusieurs des siphons de la maison que j’habite ont décidé de se boucher quasi simultanément. Puis ça a été au tour de ceux des locaux dans lesquels il m’arrive d’aller travailler, quand j’ai objectivement épuisé ma capacité à la paresse. Alors, je me suis accroupi, à plusieurs reprises.

jeudi 7 mars 2013

Sourbrodt, dernier arrêt.

   Dieter est né en 1942 dans un village frontalier. A n’importe quelle autre époque, cela n’aura rien changé de particulier, en soi. Mais il se trouve qu’au moment où Dieter naît, Sourbrodt, son village, a déjà changé 4 fois de camp en un peu plus d’un siècle ( « canton rédimé » devenu rouge après un Congrès de 1815, passé en 1919 sous administration bleue après la défaite rouge au titre de dommages de guerre, intégré définitivement aux bleus en 1925, puis à nouveau rouge pendant l’Occupation, pour être réintégré aux bleus à partir de 1945). Cela donne une bourgade bizarroïde dans laquelle, d’un quartier à l’autre, on parle pas le même patois.
Le papa de Dieter, lui, s’est fait enrôler de force par les rouges pour aller taper sur la gueule des alliés des bleus, que ça lui plaise ou non ; dans la famille de Dieter, de toutes façons, on parle indifféremment bleu, rouge, et même vert, alors…

mardi 5 mars 2013

Never post on monday what you wrote a monday.

Après avoir abandonné les rues désertes jonchées de grands vides durant vingt-quatre interminables heures durant lesquelles tout s’est entendu de loin, la machine foireuse s’est, sans surprise, remise en route dès la nuit chassée. Les premiers, les bruits se sont mis à vrombir. Des bras prolongés d’outils, des mains repliées sur des commandes se sont mises à percuter des croûtes de sols agglomérés, tapant partout obstinément des parois dès l’arrivée de l’aube pour ne plus devoir s’arrêter de marteler leur imbécilité barbare jusqu’au retour du soir, réveillant des conglomérats de poussière dissous la veille qui se ré-amalgament pour entamer leur exode au hasard des vents du petit matin : car voilà qu’au signal d’un mécanisme à la fonction ancienne, des milliers d’organismes se meuvent ensemble pour se télescoper à vitesse moyenne sous des antennes, des paraboles maculées et des tôles aveugles qui vibrent aussi de consort sur des ondes et des axes, au-dessus de câbles souterrains distendus, à côté ou au milieu de frottements enterrés dont les crissements émergent jusqu’à l’air libre qui se sature ; de partout des liquides transitent, avalés, recrachés, pressurisés, chuintant, sifflant, des monnaies lasses s’échangent, des cris raclent des parois et s’élancent dans des artères rectilignes au milieu de pas qui s’affrontent et se superposent pour s’enchâsser dans un même labour insensé. Et enfin lentement, très lentement, la langueur commune d’un effort douloureux s’extirpe comme un nuage empêtré de cette marée éperdue et noueuse livrée à sa propre houle. Tandis que fatalement, chaque rouage claque métalliquement contre son clapet dans cette peine immanente, cette fois-ci, par chance, les rayons d’un soleil étincelant sous l’arc bleuté d’un jour naissant plus haut frappent le remugle d’un sabre inutile, et à plusieurs reprises, à plusieurs endroits, quelqu’un aura levé la tête. Et je me dis quand viendra-t-elle cette génération qui apportera enfin le renouveau à toutes ces choses usées mais clinquantes qui refusent de céder leur place, comme ces vieux-beaux en jean's agressifs prêts à faire le coup de poing pour un mot malmené, une liasse épaisse de pouvoir pliée en deux dans la poche arrière ? Quand sentira-t-on les premiers signes, les premières oscillations del’air, quand ces nouvelles rencontres de jeunes gens et de jeunes filles se mettront à arpenter les trottoirs et à invectiver les passants, non plus avec cette morgue menaçante et teigneuse ni ces vêtements aux mélanges soigneusement stéréotypés ni avec ces allures sacrifiées sur l’autel de l’arrogance et du confort contrefait, mais cette fois avec une insolence heureuse, une excentricité neuve, tout à l’étonnante conductivité de leur mue ? Pas entourés d’emballages de ces détritus absorbés sans envie ni plaisir puis jetés à bas de leurs propres pantalons, ni la fesse engluée sur le côté d’une machine bruyante et laide carénée à l’identique dans ces horribles matériaux poisseux et mou, volontairement stationnée comme une crotte de chien en travers d’un passage emprunté par ces binômes d’adultes-robots effrayés et anxieux qui trottinent derrière leurs ratées… mais debout, iridescents, probablement narquois du haut d’un objectif émergeant, évident, totalitaire ! Après la Beat Generation des baby-boomers puis le cynisme de l'opposition mort-née business-culture/contre-culture de la Génération X, cette pseudo-Génération Y évidé de son propre contenu sitôt son couronnement autoproclamé par quelques digital-natives aux yeux cernés de mauvais sommeil puis cette actuelle Génération Z qui fait étrangement écho à la Génération Silencieuse de l’entre-deux guerres, face à face avec son ridicule ultime ennemi qui se met stupidement à fasciner par d’intenses reproductions/déclinaisons sur tous les modes et supports possibles (les « soi-même » revenus de la mort, débarrassés de leur âme et de ses tourments inutiles pour s’adonner enfin à la turpitude du chaos total sans plus une once ni de remords ni de sadisme), je me dis, oui, ce matin, je me dis sera-ce donc la Guerre qui seule offrira à nos envies ratatinées, élimées, remixées à l’infini et parfaitement trop laquées de nouvelles peaux ? Fatalement, ici, chaque rouage claque métalliquement contre son clapet dans cette peine immanente ; cette fois-ci, par chance, les rayons d’un soleil étincelant sous l’arc bleuté d’un jour naissant bien plus haut frappent ce remugle d’un sabre inutile, et à plusieurs reprises, à plusieurs endroits, quelqu’un lève la tête.

jeudi 28 février 2013

Ca non.

Ce n’est pas une chanson d’amour

Je suis heureux de posséder
Pas si je ne possède pas
Faire de grosses affaires c’est
Etre particulièrement avisé
Je m’immerge au cœur de
L’entreprise
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Je suis adaptable
Et j’aime ce que j’ai à faire
Je ne cesse de m’améliorer
Et j’ai de nouveaux objectifs
Je modifie mes préférences
En fonction de là où l’argent coule :
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Je passe sur l’autre rive
Je suis heureux de posséder
Pas si je ne possède pas
Faire de grosses affaires c’est
Etre particulièrement avisé
Je suis moi-même à l’affût de la liberté
D’entreprendre
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas de la télévision
Derrière les rideaux
Sitôt passée la porte
Tu sautes dans le premier train
En direction du vaste monde
Es-tu prêt à saisir ta chance
Ce n’est pas de la télévision
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour
Ce n’est pas une chanson d’amour



vendredi 15 février 2013

Ta mère !

Hier soir dans la nuit j'ai regardé un reportage réalisé par Arielle Dombasle pour Arte. Comme nous l'avons tous fait avec de micro-caméras, des amis et des questions qui, en elles-mêmes, ne revêtaient pas grande importance, nous les avons interviewé tour à tour, puis, pour donner de la matière et du coffre au tout, nous avons élargi l'expérience à toutes nos connaissances et le tour était joué : les réponses prenaient la place du sujet, la question s'effaçait, et, nous l'espérions, les réactions des humains que nous affectionions à cet instant là de notre vie révélaient quelque chose de troublant.
Sauf que nous ne sommes pas Arielle Dombasle, et que donc, ces expériences socio-anthropologiques confinées sont restées sur des mini-cassettes vhs dans nos tiroirs de commode.
Mais voilà, arielle, c'est Arielle.
Comme nous, elle filme comme un pied. C'est flou, c'est tordu, le son est pourri, les enchaînements hasardeux, l'image est verte ou marron, bref, c'est esthétiquement ignoble. Mais ça passe à la télé. Le résultat est bien le même : à la place de notre pote de comptoir c'est plutôt Lenny Kravitz ou Pierre & Gilles qui s'y collent, mais l'intérêt est le même : à question à prioiri inutile ou embarassante, qui fera preuve de sel, d'imagination, de poésie, de surprise, de révélation, de tristesse, d'émotion, de bêtise ? Qui nous renverra à nous-même, qui nous hérissera, qui nous séduira, qui nous émoeuvra ?
Mais voilà que la question d'Arielle elle-même vient prendre toute son importance quand, soudain saisi de stupeur, je me surprends à y répondre du tac-au-tac, sans même réfléchir une seule seconde, et que ce que je viens de répondre à voix haute, comme ça, me cloue le bec. A la question "Quel a été votre premier désir", j'ai répondu sans coup férir : "- ma mère".
Je frissonne, je me glace, je me conchie, je me terrorise, je me justifie avec rien, je cherche autre chose en vain, puis en soufflant je réalise que c'est là une réponse d'une étonnante banalité, même pour plein de stars. Et je me dis alors que chaque fois que je l'oublie, le hasard me rappelle pourquoi j'aime l'homme de cette façon si bizarre.

mardi 12 février 2013

Je suis contre.

Je crée ce jour un ensemble pétionnaire dont je me déclare Président à vie.
Cet ensemble se caractérise par la création des groupuscules suivants :

- Contre les 4x4 noirs ou blancs qui restent sur la file de gauche de l'autoroute en affichant leur volonté inconditionnelle de rouler au-delà de la vitesse autorisée en pensant qu'ils sont assimilables à un Panzer participant à une Blietzkrieg.

- Contre les dimanche après-midi et les dimanche soirs, tant qu'ils seront inexorablement suivis d'un lundi.

- Contre la nécessité de pianoter bêtement sur la touche du son de sa télécommande pour compenser compulsivement soit l'augmentation du volume des scènes trépidantes, soit sa diminution lors des dialogues, des grands films de cinéma que l'on tente de les regarder chez soi en catimini, mais tranquile, tandis que sa compagne/son compagnon/son animal domestique dort paisiblement.

- Contre les petites motos de cross et de trial à moteur 2 temps qui remontent les très longues avenues, de préférence la nuit.

- Contre le rugissement du camion-poubelle les matins d'été où l'on s'est couché ivre de mauvais rosé il y a une demi-heure à peine.

- Contre le temps froid qui finit par faire très mal autour et dans les oreilles, ce qui, en soi, est tout aussi considérablement douloureux que stupide (et en plus, ça fait aussi mal quand enfin on revient se mettre au chaud, mais dans l'autre sens).

- Contre le temps chaud qui finit par empêcher de dormir, empêcher de marcher, empêcher de sourire, empêcher de baiser, empêcher de faire la sieste, empêcher de tout sauf de boire, ce qui serait en soi plutôt sympathique si la chaleur elle-même ne rendait le fait de boire terriblement dangereux.

- Contre les piétons qui se mettent à zigzaguer quand ils vous sentent arriver dans leur dos plus vite qu'eux, mais exactement à contretemps de la direction par laquelle vous avez décidé de les doubler, ce qu'il fait que vous vous retrouvez à trépigner derrière eux comme un con, un coup à droite, un coup à gauche, tandis qu'eux se sentent terriblement gêné de ne pas arriver à vous laisser passer.

- Contre les clients qui souhaitent payer exactement l'appoint en fouillant dans de petits porte-monnaie impraticable, qui étalent des pièces inutiles en en choisissant la face sur le comptoir avant de se rendre à l'évidence qu'ils ne parviendront pas à la somme voulue, et qui, ensuite, cherchent un billet sur eux dans un endroit compliqué qui prend du temps.

- Contre les feux qui passent au vert dès lors qu'on souhaite traverser.

- Contre les feux qui passent au rouge dès lors qu'on veut tourner à gauche (ou à droite, c'est toi qui choisit, ça marche des deux côtés).

- Contre le vent qui souffle toujours bien plus fort dès lors qu'on attaque une grande côte de face.

- Contre les blogs (ça, c'est juste par coquetterie)

- De façon générale, contre les autres.

- Tiens, de façon encore plus générale, disons que je suis pour tout ce qui est contre. C'est par principe, ne cherchez pas.

lundi 4 février 2013

Un homme extraordinaire...

J’ai jamais pu blairer Shakespeare. Rien que son nom à écrire, on dirait qu’il l’a fait exprès pour faire chier. Alors quand on découvre dans les journaux du soir qu’on vient, tout près de Leicester, de retrouver la dépouille de Richard III sous les combles d’un vieux parking en démolition, et qu’on rappelle immédiatement, comme un lien de cause à effet, la teneur empoisonneuse du drame de cet auteur ankylosé de snobisme élitiste pouilleux qui a fait passer, pour le compte des Tudor dont il léchait allègrement la banane, cet incroyable Roi pour une saloperie de bossu sanguinaire, comment faire autrement que de s’insurger ?
A ce stade, tout cela mériterait enquête. Et j’ai toujours voulu faire preuve de probité. Oui, j’y ai toujours tenu. Ca a tout le temps été stérile, tout le monde s’en fout royalement, mais tout le temps, chaque fois que j’ai souhaité, ici-même, dans ces pages, évoquer quelque penchant pour « l’histoire », j’ai passé des heures entières à me documenter comme un rat sur la question que je souhaitais aborder, de peur de manquer de jugement, de sources, et évidemment, de probité. Mais là, je m’en fous. Va savoir pourquoi ? Les choses parfois ne doivent pas êtres expliquées (et puis ce Gewurztraminer de 2011 était vraiment foutrement gouleyant, ça, c’est un fait avéré). Il se trouve néanmoins que j’éprouve l’envie, là, en ce moment, d’être le huron qui laisse son canoë couler le long de la rivière, sans autre velléité que de regarder les dieux péter en l’air. Et donc moi, là, j’ai envie de dire comme ça, sans aucune preuve, sans aucune documentation, sans aucun argumentaire, que Richard III, et bien, je l’aime bien ; il a fait assassiner ses deux neveux, donc c’est un salaud ? Je défie quiconque d’aller mettre le nez dans l’histoire royale anglaise, principalement celle qui émaille cette « guerre des deux roses » du XVe siècle anglo-saxon, et parvenir à y faire le tri tant tous ces rois, neveux, nièces, frères, alliés et autres ennemis d’un soir tournent casaque à la vitesse de l’éclair sous la houlette biaiseuse d’historiens antagonistes. On disait Richard III bossu ? En fait, une sévère scoliose déformante lui faisait porter une épaule bien plus haute que l’autre. Et alors (comme dirait la nubile - et néanmoins putrescente – Shym’) ? : Berthe, la tendre mère de Charlemagne himself, était bien appelée « aux grands pieds » alors qu’elle n’avait, en réalité, une difformité d’un seul de ses deux pieds, ce qui la rend tout de suite plus énigmatique… Peyin le bref, son Gentilhomme (et que tous les « gentlemen » de l’histoire aillent se faire enculer, le « gentlemen » anglais Sean Conneryesque n’ étant autre qu’une traduction merdique du Gentilhomme à la française, les anglais n’étant, à l’époque de la naissance de l’expression, qu’une peuplade de trayeurs de vaches) devait, semble-t-il, son surnom, si l‘on s’en tient aux livres mielleusement minimalistes d’histoire de France de nos jeunes années… à sa petite taille, alors qu’il le devait en réalité à la rapidité et la « brièveté » avec laquelle il était capable d’occire ses ennemis au combat à l’aide du fléau d’arme hérité de son père, l’ignoblement récupéré Charles Martel (qui se servait donc d’un « marteau d’arme », outil ô combien sympathique)))… Bref (et je déteste « Bref », soit dit en passant, cet espèce d’enculé bobo mal rasé à l’humour pisseux pour conasses en mal d’autodérision), Charles III n’était pas bossu, il avait juste une épaule en l’air.
Après, bon, on a dit qu’il était couard. Bon, il se trouve que sur le squelette que l’on vient de retrouver sous le béton de ce parking de seconde zone dans une banlieue moisie d’Angleterre, près du site de la bataille de Bosworth, les fractures et traumatismes recensés sur la dépouille proviennent toutes de l’arrière : en l’occurrence, il ne suffirait pas de grand-chose de plus à un de nos vieux gaulois (un franc salique, je veux dire) pour en déterminer la couardise avérée du bonhomme ( rappelons que ceux-là de nos ancêtre germains (des boches, ni plus ni moins, on va pas se voiler la face) se rasaient la nuque exprès, leur semblant de casque se résumant à une coupelle frontale ridicule mais très brillante, et ce, pour symboliser leur réticence à se retourner lors d’un affrontement : le cas échéant, ils ne présenteraient plus alors à l’ennemi qu’une nuque tondue, toute prête à accueillir la lame de la hache, du glaive ou du pilum, pour les achever comme des merdes de fuyards qu’il seraient devenus ) : il a pris ce qui ressemble à un coup de hallebarde dans le bas de la nuque, là, bien dans les vertèbres - mais déjà d’autres historiens (vous savez, cette race d’onanistes qui veulent tous avoir raison sur des faits sur lesquels personne ne peut plus trancher, ce qui rend leurs théories respectives toutes aussi inutiles les unes que les autres) parlent juste d’un trait de flèche - et un autre qui créé déjà moins de polémique, en plein à l’arrière de la tête, de la part « d’un outil plus « acéré »…
Là, d’autres savants de l’histoire relisent les vers de ce péteux amidonné de Shakespeare, « My Kingdom for a Horse », comme la supplique d’une fiotte voulant se carapater à vitesse grand V d’un champ de bataille tournant vinaigre et qui chercherait par tous les moyens à filer « à l’anglaise » ; mais il se trouve qu’il a été déterré dans des écrits du XVIe des témoignages faisant état d’une rage de la part de Richard III à l’encontre de Henri Tudor qui se serait traduite par une volonté farouche d’en découdre personnellement avec le type lui-même sur le champ de bataille, rage qui aurait poussé le Richard à se jeter en plein cœur de la mêlée bien que le pugilat tournât ostensiblement en la défaveur de ses troupes, juste pour pouvoir se colleter de près avec son rival dans l’espoir de lui foutre une branlée des familles (parce que, par contre, il est de notoriété publique, et ça personne ne semble le contester, que le gars Henri III, fallait pas le chercher beaucoup pour qu’il choppe les boulasses et qu’il vous en balance un de derrière les fagots en pleine poire, et ce, depuis son plus jeune âge, l’enculé): de là, « My Kingdom for a horse » redeviendrait le cri de haine farouche d’une bête ensanglantée à l’adresse de son ennemi juré en train de remporter une bataille décisive, ce qui, avouons-le, change quand-même passablement l’image du bonhomme à l’épaule plus haute que l’autre.
Toujours est-il qu’on le retrouve avec des blessures plein le dos, ce qui prouve que : soit on l’a escarbillé comme une hyène par derrière alors qu’il se ruait vers le Tudor la bave aux lèvres / soit effectivement qu’au contraire, il tentait de foutre le camp comme une mangouste chiasseuse et qu’un quelconque soudard du camp adverse a en profité pour lui flanquer une bonne trempe derrière le paletot, coup qu’un autre type avant lui aurait déjà tenté avec moins de résultat en lui fendillant juste le crâne de la pointe de sa rapière.
On notera aussi qu’il avait toutes les molaires pourries, ce qui le rend un peu moins glamour mais un peu plus rock’n’roll aussi. Une haleine de bouc et des dents gâtées, pour un Roi, ça la fout mal, mais pour un hargneux têtu, c’est toujours plus convaincant.
Toujours est-il que nous voilà dans la plus grande expectative devant ce cadavre du XVe siècle retrouvé dans les soubassements d’une construction Vinci à l’anglaise, et que personne ne sera vraiment foutu de dire ce qu’il en a été de ce type, mais qu’une chose est sûre : Shakespeare et les Tudor sont une belle brochette d’enculés, moi, je vous le dis. Parce qu’on a beau ergoter dans le sens qu’on veut, résister pendant 5 siècles et presque un demi de plus sous une place de parking au fin fond du trou du cul de la province anglaise, juste pour faire blablater les historiens lunetteux du moment pendant encore deux bons siècles, ma foi, on a beau dire, ça force le respect.
A King is dead. Long live the King.

lundi 28 janvier 2013

Voulez-vous errer avec moi ?

Un peu de temps passé loin de la plume, et pour cause : ci-dessous, une belle petite liste à l'intitulé croquant :
Pré-apocalyptique, suivie du Retour à la bougie

On y va ? Commençons par une délicate leçon de savoir-vivre.

« Mon bâtard t’a-t-il jamais raconté comment je l’avais eu ? »
Cela, oui, il le savait, à son soulagement. « Oui, mes… m’sire. Vous avez rencontré sa mère lors d’une chevauchée, et sa beauté vous a ébloui.
-Ebloui ? » Bolton s’esclaffa. « A-t-il employé ce mot-là ? Mais ce garçon a une âme de barde… toutefois, si tu crois à cette chanson-là, tu es sans doute plus abruti que le premier Schlingue. Même cette histoire de chevauchée est fausse. Je chassais le renard sur les bords de la Larmoyante quand je suis arrivé à un moulin, et j’ai vu une jeune femme qui lavait son linge dans le courant. Le vieux meunier s’était déniché une nouvelle épouse, une fille qui n’avait pas la moitié de son âge. C’était une créature grande, souple comme un saule, très saine d’apparence. De longues jambes et de petits seins fermes, comme deux prunes mûres. Jolie, dans un genre assez commun. Au moment où j’ai posé les yeux sur elle, je l’ai voulue. Comme c’était mon dû. Les mestres te raconteront que le roi Jaehaerys a aboli le droit du seigneur sur la première nuit afin d’apaiser sa mégère d’épouse, mais où règnent les anciens dieux, persistent les anciennes coutumes. Les Omble ont préservé la première nuit, eux aussi, même s’ils le nient. Certains clans des montagnes, également, et sur Skagos… ma foi, seuls les arbres-cœur voient jamais la moitié de tout ce qui se pratique sur Skagos.
Ce meunier avait célébré son mariage sans ma permission ni ma connaissance. L’homme m’avait floué. Alors, je l’ai fait pendre et j’ai exercé mes droits sous l’arbre même où il se balançait. A dire vrai, la garce valait à peine le prix de la corde. Le renard s’est échappé, qui plus est, et durant le retour à Fort-Terreur ma cavale favorite s’est mise à boiter, si bien que, l’un dans l’autre, la journée a été une déception. »
Le Trône de Fer / « Les Dragons de Meereen » –George R.R. Martin (traduit par Patrick Marcel)

Enchaînons avec cette petite réflexion sur ce qui pousse les hommes à devenir meilleurs.

"Vous avez déjà entendu parler de “guerre totale” ? Une expression assez commune en histoire. A chaque génération, on trouve un taré gonflé comme une outre qui clame à qui veut l’entendre que son peuple a déclaré la « guerre totale » à un ennemi quelconque… Toute la population, hommes, femmes, enfants, tout le monde voue sa vie entière à la victoire. Des conneries, oui. Et pour deux raisons. Jamais aucun pays ne se prononce à 100% pour la guerre. C’est statistiquement impossible. Un pourcentage très important, OK, des gens qui travaillent dur pendant longtemps, mais tout le monde ? Tout le temps ? Non, certainement pas. Qu’est-ce que vous faites des malades, des vieux, des objecteurs de conscience ? Qu’est-ce que vous faites des blessés, des jeunes ? Vous y pensez, vous, à la guerre, quand vous buvez un coup, quand vous dormez, quand vous prenez une douche, quand vous chiez un coup ? A chaque fois que vous allez aux chiottes, c’est « un pas de plus vers la victoire » ? Premier point. Deuxième point, toute nation a ses limites. Il existera toujours des individus désireux de sacrifier leur vie. Ils peuvent même représenter une proportion non négligeable de la population, mais leur nombre finira toujours par atteindre une limite tant physique que psychologique. Pour les Japonais, il aura fallu deux bombes atomiques. Pareil pour les Vietnamiens si on en avait balancé deux de plus, mais Dieu merci, c’est nous qui avons atteint notre limite avant d’en arriver là. C’est ça, la guerre. Deux camps qui essayent de se pousser l’un l’autre au-delà du supportable. Les experts ont beau adorer parler de guerre totale, cette limite est toujours là… Sauf pour eux. Les morts-vivants.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous affrontions un ennemi qui nous avait déclaré la guerre totale. La vraie. Il n’avait aucune limite. Il ne négocierait jamais. Il ne se rendrait jamais. Jusqu’au dernier. Voilà ce que nous devions combattre. »
“World War Z” - Max Brooks (traduit par Patrick Imbert)

Pénétrons légèrement davantage dans les méandres du sujet zombiesque, si vous le voulez bien :

"Dans les ombres du verger, une silhouette se tortille et gémit auprès d’un arbre. Ligotée avec de la corde et du Gaffer, la prisonnière se débat inutilement. Philip s’approche et lève son arme. Il braque le canon du revolver entre les deux yeux et se répète qu’il faut en finir rapidement : percer l’abcès, enlever le mal, faire le travail.
L’arme tremble dans sa main, son doigt se fige sur la détente et il laisse échapper un soupir douloureux.
- Je ne peux pas, murmure-t-il.
Il baisse son arme et regarde sa fille. A deux mètres de lui, ligotée à l’arbre, Penny hurle avec la férocité avide d’un chien enragé. Son petit visage de poupée de porcelaine s’est fripé et décoloré comme une courge pourrie, ses yeux d’enfants sont devenus de minuscules boutons couleur de plomb et ses petites lèvres innocentes, maintenant noircies, se retroussent sur des dents jaunes. Elle ne reconnaît pas son père.
C’est cela qui arrache le cœur de Philip. Il ne peut s’empêcher de se rappeler le regard de Penny chaque fois qu’il allait la chercher à la crèche ou chez sa tante Nina à la fin d’une longue et rude journée de travail. Son regard qui s’éclairait, rempli d’enthousiasme et d’amour, ses grands yeux bruns lui donnaient la force de continuer. A présent, cette étincelle s’est éteinte pour toujours, enfouie sous une taie grise. Philip sait ce qu’il a à faire. Penny gronde. Les yeux de Philip se remplissent de larmes.
- Je ne peux pas, murmure-t-il de nouveau en baissant la tête.
La voir ainsi le rend fou de douleur et de rage. Il entend la voix : Fends le monde en deux, éventre-le, arrache-lui sa saloperie de cœur. Maintenant.
“The Walking Dead / L’Ascension du gouverneur” – Robert Kirkman & Jay Bonansinga (traduit par Pascal Loubet)

Enchaînons par cette excitante petite virée shopping....

"Il porte sur son gilet bleu un badge de travers et partiellement visible qui annonce WALLMART et ELMER K. L’insigne orné d’un smiley est souillé de sang. Lilly fixe un moment le pauvre Elmer K. décapité avant qu’ils s’enfoncent à l’intérieur du magasin vide.
L’air presque aussi froid qu’au-dehors sent le moisi, la pourriture et le rance comme un compost géant. Des constellations d’impacts de balles couronnent le dessus de l’entrée du salon de coiffure à gauche, tandis que des éclaboussures de sang souillent celle du magasin de lunettes à droite. Les rayonnages sont vides, déjà pillés, ou renversés.
Josh lève une main pour que ses compagnons s’arrêtent un moment, le temps de tendre l’oreille. Il scrute l’immense supermarché, couvert de cadavres sans têtes, de traces de carnage, de chariots renversés et de détritus. Les tapis de caisse sur la droite sont immobiles et souillés de sang. Le rayon pharmacie, cosmétique et beauté est criblé de balles. Plus ils s’enfoncent dans le magasin, plus l’obscurité grandit. Une faible clarté pénètre dans le rayon alimentation au bout à droite, pour éclairer un mélange de déchets, débris de verres et restes humains, tout comme dans les rayons habillement, ameublement et fournitures de bureau, à gauche, où sont éparpillés des vêtements et des mannequins renversés. Les rayons du fond du magasin – jouets, électronique, articles de sport et chaussures- sont plongés dans le noir complet.
Seuls les rayons argentés de l’éclairage de secours, qui fonctionne sur batteries, éclairent les profondeurs des rayons plus éloignés.
Ils trouvent des torches dans le rayon quincaillerie et éclairent les tréfonds du magasin, repérant tout ce qui peut leur être utile. Ils sont de plus en plus optimistes au fur et à mesure de leur inspection. Une fois qu’ils ont fait le tour des mille mètres carrés, n’ayant trouvé que quelques restes humain en état de décomposition, d’innombrables rayonnages renversés et des rats qui s’enfuient à leur approche, ils sont convaincus que l’endroit est sûr. Pillé, certes, mais sans danger.
Du moins pour le moment.
The Walking Dead / “La Route de Woodbury” - Robert Kirkman & Jay Bonansinga (traduit par Pascal Loubet)

Bon, le monde, ce n'est pas que des humains non plus, hein. Y'a les chiens, aussi.

"Son développement physique fut complet et rapide, ses muscles prirent la dureté du fer, il devint insensible à la douleur ; son économie interne et externe se modifia. Il pouvait manger sans inconvénient les choses les plus répugnantes et les plus indigestes. Chez lui, la vue et l’odorat devinrent extrêmement subtils, et l’ouïe acquit une telle finesse que, dans son sommeil, il percevait le moindre bruit et savait en reconnaître la nature spécifique ou dangereuse. Il apprit à arracher la glace avec ses dents quand elle s’attachait à ses pattes ; et quand il avait soif et qu’une croûte épaisse le séparait de l’eau, il savait se dresser pour la casser en retombant avec ses pattes de devant. Sa faculté maîtresse était de sentir le vent, et de le prévoir une nuit à l’avance. Quelle que fût la tranquillité de l’air, le soir, quand il creusait son nid près d’un arbre ou d’un talus, le vent qui survenait ensuite le trouvait chaudement abrité, le dos à la bise.
L’expérience ne fut pas son seul maître, car des instincts endormis se réveillèrent en lui tandis que les générations domestiquées disparaissaient peu à peu.
Il apprit sans peine à se battre comme les loups, que ses aïeux oubliés avaient combattus jadis. Dans les nuits froides et calmes, quand, levant le nez vers les étoiles, il hurlait longuement, c’étaient ses ancêtres, aujourd’hui cendre et poussière, qui à travers les siècles hurlaient en sa personne. Siennes étaient devenues les cadences de leur mélopée monotone, ce chant qui signifiait le calme, le froid, l’obscurité !
C’est ainsi que la vie isolée de l’individu étant peu de chose, en somme, et les modifications de l’espèce laissant intacte la continuité de la race, avec ses traits essentiels, ses racines profondes et ses instincts primordiaux, l’antique chanson surgit soudain en cette âme canine et le passé renaquit en lui.
« L’appel de la forêt » – Jack London (traduit par Mme de Galard)

Et pour finir, même si cela n'a objectivement rien à voir avec le sujet, une petite prière au Bon Dieu. Si si.

« Je ne pense pas qu’en musique, le fait d’avoir raison ait la moindre valeur ; l’important dans ce domaine n’est pas d’avoir raison, d’avoir du goût, de la culture et tout le reste.
- Certes je suis d’accord. Mais alors, qu’est-ce qui compte ?
- C’est de faire de la musique, monsieur Haller ; aussi bien, aussi souvent et aussi intensément que possible ! Voilà ce qui compte, monsieur. Avoir toutes les œuvres de Bach et de Haydn en tête et être capable de tenir des propos extrêmement pertinents sur celles-ci ne profite à personne. Par contre, si je prends mon instrument et si je joue un shimmy endiablé, cela fera plaisir aux gens, que le shimmy soit bon ou mauvais. Ils l’auront dans les jambes et dans le sang. C’est la seule chose qui importe. Observez les visages un jour, dans une salle de bal, à l’instant où la musique reprend après une assez longue interruption. Regardez à quel point les yeux brillent, les jambes tressaillent, les visages se mettent à rire ! C’est pour cela que l’on fait de la musique.
- Parfait, monsieur Pablo. Mais il n’y a pas que la musique sensuelle ; il y a aussi la musique spirituelle. Il n’y a pas que la musique née dans l’instant présent ; il y a aussi la musique éternelle, qui continue de résonner même lorsqu’on n’est pas en train de la jouer. Quelqu’un peut être allongé seul, dans son lit, et se remémorer en pensées une mélodie de La Flûte Enchantée ou de La Passion selon saint Matthieu. La musique se met alors à exister sans que personne ne souffle dans une flûte ou fasse vibrer les cordes de son violon avec un archet.
- Certainement, monsieur Haller, mais chaque nuit, beaucoup de personnes solitaires et rêveuses reprennent également en silence Yearning et Valencia. Même la plus pauvre des dactylographes travaillant dans son bureau a le dernier one-step à la mode en tête et tape sur les touches de sa machine au rythme de cette musique. Tous ces êtres esseulés ont raison. Je me réjouis qu’ils portent en eux cette musique silencieuse ; que ce soit Yearning, La Flûte Enchantée ou Valencia. Mais d’où leur viennent donc ces mélodies solitaires, muettes ? Ils les trouvent auprès de nous, les musiciens. Elles doivent d’abord être jouées et entendues ; il faut les avoir dans le sang pour pouvoir y penser dans sa chambre et en rêver.
- Je suis d’accord, dis-je froidement, néanmoins, il est incongru de mettre sur le même plan Mozart et le dernier fox-trot. En outre, cela ne revient pas au même de jouer devant les gens une musique divine, éternelle, ou une musique éphémère, de piètre qualité. »
Dès que Pablo perçût de l’irritation dans ma voix, il s’empressa de prendre un visage aimable, me caressa tendrement le bras et se mit à parler avec une douceur incroyable.
« Ah, cher monsieur ; c’est vrai, vous avez peut-être raison d’évoquer l’existence d’une hiérarchie. Je ne m’oppose assurément pas à ce que vous placiez Mozart, Haydn et Valencia aux niveaux qui vous conviennent ! Cela m’est absolument égal. Je n’ai pas à établir ces différents niveaux ; c’est une chose que l’on ne me demande pas. Mozart sera peut-être encore joué dans cent ans, alors que Valencia ne le sera probablement plus dans deux ans. Je crois que, dans ce domaine, nous pouvons nous en remettre tranquillement au Bon Dieu. Il est juste et c’est lui qui décide de la durée de toutes les existences, même de celle de chaque valse et de chaque fox-trot. Il fera sûrement ce qu’il faut. »
« Le Loup des steppes » – Herman Hesse (traduction française Alexandra Cade)

Voilà. C'était la liste des dernières lignes lues durant ce tiédasse mois de décembre 2012, et les premières abordées en ce mois de janvier glacial.
A vous les studios.