jeudi 30 décembre 2010

L'hiver est une saison rajoutée

Je reste abasourdi. C’est comme ça. J’arrive à me déplacer et à faire des choses utiles comme plier le linge et ranger de la vaisselle propre, et puis je dors aussi. J’ai eu froid mais c’est passé maintenant. Je vis avec un lutin bruyant et incroyablement beau et je m’habille de façon décousue en empilant des vêtements dépareillés sur des chaises. Je liste des choses à faire qui s’agencent avec sorcellerie mais je peux aussi m’asseoir sans ne rien faire pendant quelques minutes. Si je bois j’écoute un disque très fort. Si je mange c’est pour atteindre la limite de mon estomac. J’alterne mécaniquement des jeûnes tuyauteux avec des boulimies idiotes. Je m’installe derrière un ordinateur portable sans plus le déplacer, ce qui rend inutile sa fonction principale. J’attends de récupérer une connexion mais en ce moment ça ne marche pas. Je lis de très grands livres qui ne se lisent pas et dont je prends plaisir à décortiquer des extraits pleins de mots qui nécessiteraient de prendre d’autres livres qui ne se lisent pas pour en trouver le sens jusqu’à se retrouver soudainement en plein cœur de ce genre de mise en abîme intellectuelle qui vide toutes les choses de leur sens ; je lis donc d’autres livres qui ne se lisent pas non plus tellement leur bêtise est profonde, dont j’avale les phrases malhabiles les unes après les autres pour tuer le temps. Je regarde des films, même si pour ce faire je dois systématiquement réinitialiser le branchement illogique qui relie tout ce tas d’appareils qui trônent en déséquilibre dans ma chambre. Tout ça ressemble au local technique d’une PME. Parfois il faut que je chausse des lunettes, ce qui me donne des nouvelles raisons de me regarder dans des miroirs. Je regarde aussi mon visage et mon corps sur de nouvelles photos, mais ça ne me fait plus le même effet qu’avant. J’ai souvent froid aux pieds et pour autant je ne prends pas le temps de mettre des chaussettes parce que ce geste m’ennuie. Je m’étonne de moins aimer le café ; inversement, il me vient souvent dans la journée l’envie pressante et inexpliquée de conduire ma voiture. Je suis beaucoup allé marcher dans le centre-ville alors qu’à cette époque de l’année, la densité de la foule et la frénésie avec laquelle elle grouille aux portes des magasins m’épuise généralement très vite. J’ai la sensation très déstabilisante d’avoir acheté énormément de choses alors que les chiffres de mes comptes bancaires restent bizarrement optimistes ; j’aurais préféré une Bérézina financière et la culpabilité qui l’aurait accompagnée. Je construis un temple d’objets hétéroclites comme un meuble en kit à la force titanesque. Je voudrais découvrir de nouvelles pièces dans l’appartement que j’occupe depuis onze ans. J’ai l’impression que ma femme me suit. J’éprouve très souvent le besoin de me brosser les dents, plusieurs fois dans l’après-midi. J’ai peint des animaux en papier mâché à l’aide d’un gel pailleté transparent ; une otarie, et un dauphin. Je les ai mis au pied d’une lampe. Le temps est si gris qu’il est possible que rien n’existe vraiment derrière les fenêtres. Hélas dès que l’on sort tout est là, presque avec des couleurs et la magie s’effondre et il ne reste qu’à marcher vers quelque part comme d’habitude. Il y a trop de licornes dans notre appartement, et moi, j’ai toujours eu peur des chevaux. Je vis avec un lutin bruyant et incroyablement beau et ma femme me suit.
(redémarrage du système)
Je sais que je viens de passer un anniversaire supplémentaire mais comme les autres, il n’a pas marché et le temps continue donc de pouvoir être compté à l’extérieur mais pas dans moi, où il file sans à-coups si bien qu’il faut que je guette des choses sur mon corps pour ne pas être surpris. Ma mère s’est transformée en ma grand-mère qui est morte. Je continue obstinément à fumer des cigarettes sans plus la moindre envie et dans les toilettes, sur un meuble argenté normalement fait pour les salles de bain il y a une méthode pour aider les femmes à arrêter de fumer dont il est dit à l’intérieur qu’il faut la lire d’un trait sans s’arrêter pour qu’elle fonctionne. Le placard est rempli de petits sachets de bonbons mais il n’y en a aucun de ceux que j’aime et qui me font me lever la nuit en ayant froid. Pour des raisons obscures nous avons inter-changé toutes les lampes de la maison si bien que la plupart d’entre elles semblent incongrues à la place qu’elles occupent. Il va bientôt falloir déménager.

mardi 30 novembre 2010

Collier de griffes

J'ai pénétré bien des mystères

Dont les humains sont ébahis

Grimoires de tous les pays

Etres et lois élémentaires.

Les mots morts, les nombres austères

Laissaient mes espoirs engourdis;

L'amour m'ouvrit ses paradis

Et l'étreinte de ses panthères.

Le pouvoir magique à mes mains

Se dérobe encore. Aux jasmins

Les chardons ont mêlé leurs haines.

Je n'en pleure pas; car le Beau

que je rêve, avant le tombeau,

M'aura fait des heures sereines.



Heures Sereines - Charles Cros - Paris - 1888










Mask - Herb Ritts - Hollywood, 1989

mardi 23 novembre 2010

Ca t'intéresse de toucher quelques psychédéliques organiques ?

J'ai ici des documents à analyser. Je veux que vous me disiez dans quelle proportion ils sont truqués. Lorsque vous m'aurez communiqué les résultats, je vous donnerai d'autres instructions. Il y a en dans les six kilos. Vous aurez besoin d'un carton modèle trois.
A scanner darkly / Philip K. Dick

mercredi 17 novembre 2010

Peindre ou faire l'amour

Lire puis dessiner, écouter de la musique, conduire une voiture neuve bon marché, marcher, discuter sans envie, sourire, avoir froid, boire un café, renoncer à allumer une cigarette, hésiter devant un placard, enfiler un pantalon froid, se servir un verre, s'allonger, rincer puis couper un légume en petits carrés, jeter un oeil par la fenêtre, renoncer à se ronger les ongles, rester assis au milieu du salon, se regarder nu debout, manger un aliment sans conviction, regarder un point derrière la télé allumée, observer un animal de compagnie, se moucher, avoir froid, traverser une pièce au pas de charge, ranger des verres propres sur une étagère, épousseter un bibelot du bout du doigt, allumer une cigarette, croiser les jambes, manger un Malabar, renoncer à boire un autre café, compter la monnaie restée au fond d'une poche, réfléchir soigneusement à rien, grimacer à l'idée du lendemain, ne pas répondre au téléphone, sortir en claquant doucement la porte et sans donner de tour de clé, être surpris par la température de l'air, suivre un chemin connu, maugréer, souffrir du dos, se languir, avaler, avoir le cuir chevelu qui gratte, écouter un bruit parasite, faire une photocopie.

mercredi 27 octobre 2010

L'objet de mon affection

Dimitri Sokolov-Mitricht, au-delà d’avoir, pour tout amateur de romantisme russe, un nom qui fait voyager l’imagination, est journaliste à l’Izvestia de Moscou ; il se trouve aussi que «Courrier International nous relate que Dimitri Sokolov-Mitricht a mené une expérience pamphlétaire contemporaine, version slave : à l’opposé du procédé forcément « bigger than life » de l’américain Morgan Spurlock et de son pamphlet « Supersize me », Dimitri Sokolov-Mitricht s’est contenté d’une semaine passée « dans un studio ordinaire de type soviétique », avec pour mot d’ordre un quotidien quasi monacal destiné à éprouver une vie au consumérisme limité à l’extrême.
Résultat ? Là où l’américain s’astreint à trente jours d’expérimentation pour parfaire sa démonstration de la folie nutritionnelle qui s’empare de son pays et livre un film-documentaire témoignant de la menace qu’il a fait peser sur sa propre santé, le russe se contente d’une semaine d’immersion pour délivrer un article, sans avoir altéré aucune de ses facultés. Les deux méthodes fonctionnent pourtant aussi bien l’une que l’autre, chacune finissant par sensibiliser un vaste public. Fond contre forme ? Le russe écrit notre relation passionnelle aux objets au travers d’une privation qu’il s’inflige, l’américain filme notre relation addictive à la nourriture au travers d’une surconsommation qu’il s’inflige. Est-ce là une antépénultième preuve de ce manichéisme hérité des 60’s se complaisant dans l’opposition d’un supposé naturel extraverti de l’Ouest avec un tout aussi supposé pragmatisme introverti de l’Est ? Alors que les deux démarches visent un but quasi-similaire, suis-je plus touché par Dimitri Sokolov-Mitricht que par Morgan Spurlock parce que :
- Je ne mange que peu de junk-food, et que je préfère légitimement un ragoût d’agneau au thym à un menu « super size » (rappel : notre chaîne de restauration rapide nationale vient de lancer sur le marché un tout nouveau sandwich « X-Tra Long »…)
- Je ne suis que moyennement consommateur de cette mode de film-documentaires qui assènent des vérités (souvent catastrophisantes et systématiquement culpabilisantes) sur un monde bizarrement conscrit dont nous chevauchons tous la dérive
- Je préfère sans grande hésitation l’écrit à l’image
- Je préfère Michel Strogoff à Jason Bourne.
(liste non exhaustive).
Bref, voilà cet article intitulé : « Huit jours de bonheur loin de la consommation »

« Vous savez quel a été le plus grand pied que j’ai pris cette année ? Mon réveillon en Autriche ? Non. Mon reportage sur le Baïkal, au frais, pendant que Moscou étouffait dans la canicule et la fumée des incendies ? Non plus. La semaine où je me suis le plus régalé a été celle que j’ai passée tout seul dans un studio ordinaire de type soviétique, avec un canapé-lit, une table, un tabouret, une baignoire, un évier et un frigo. J’avais pris quelques sous-vêtements, un pantalon et une chemise. Je suis arrivé un vendredi et suis allé faire mes courses ; j’ai acheté à manger pour 1000 roubles [environ 24 euros], ce qui m’a suffi jusqu’au vendredi suivant. Autour de moi, rien de superflu.
Oui, messieurs les psychiatres, je veux parler de cette expérience. J’ai l’impression que je suis en train de développer une forme intéressante de paranoïa. Et que je ne suis pas le seul. Je commence à avoir peur du superflu, des papiers, des activités, des informations et même des plaisirs qui nous assaillent. Arrivé à un certain stade de l’existence, on comprend que trop de choses inutiles et absurdes se sont amoncelées autour de nous. Et que tout cela devient agressif. On se met donc à en avoir peur.
On a du mal à contenir son irritation quand on se voit offrir des cadeaux inutiles, ou même utiles, et on insiste auprès de ses amis pour qu’ils viennent à vos soirées d’anniversaire les mains vides. Mais ils n’écoutent pas. On réagit mal lorsque notre épouse nous propose d’aller chez Mega [gigantesque centre commercial] acheter une paire de jeans neufs, parce qu’un homme comme il faut se doit d’avoir cinq ou six pantalons différents. On est horrifié devant la quantité de jouets qui a envahi la chambre des enfants. Et on comprend soudain le bonheur que ça doit représenter de remplir un grand sac d’objets divers et d’aller le balancer à la décharge.
Si vous pensez que je suis en train de déplorer à grands cris la puissance destructrice des objets, vous vous trompez. C’est exactement l’inverse. Je suis consterné de voir à quel point ils ont perdu de leur force. Parce que j’aime les objets, je veux qu’ils fassent partie de la famille au lieu de n’être que des partenaires jetables. Pour moi, pas de brève aventure ; je suis animé des intentions les plus sérieuses vis-à-vis des objets.
Personne n’est absolument détaché du monde matériel. Tout objet valable a un côté pragmatique et esthétique, mais aussi sacré. Et c’est précisément cette fétichisation que la publicité exploite. Lorsque nous contemplons la naissance du nouveau modèle d’une marque automobile mondialement connue, notre inconscient se réveille, prêt à succomber à la grandeur de cette création divine, ou du moins à communier avec cette grandeur en la possédant.
Mais le culte des objets, comme tout autre, se désacralise lorsque les dieux deviennent trop nombreux. A quand remonte la dernière fois où vous avez vraiment “arrêté votre choix” sur un objet ? Et nos enfants disent-ils, émus, à leurs copains : “C’est le parapluie de papa, celui qui les abritait, lui et ma maman, au début de leur vie commune” ? Qui se souvient encore de ce qu’est un patrimoine familial ? Nous avons même cessé de considérer les robes de mariées comme des reliques à conserver précieusement. Aujourd’hui, les articles sont tout de suite hors d’usage, et même s’ils peuvent encore servir ils vieillissent mal, passent de mode, lassent leurs propriétaires. Ils entrent chez nous pour en sortir aussitôt, comme des amants furtifs ou des filles d’un soir, sans que nous ayons le temps de nous y attacher, voire simplement de les apprécier. Du coup, nous perdons aussi le sens de la mesure dans la consommation.
C’est ainsi que les objets se multiplient autour de nous, qu’ils s’entassent, nous submergent. Nous cessons de les comprendre, de les maîtriser. Chacun d’eux nous dit quelque chose, mais quand il y en a trop ils font un tel vacarme qu’ils en arrivent à nous empoisonner la vie et à nous désorienter. Nous sommes perdus dans notre espace existentiel. Les objets finissent par devenir des ennemis. Et ce n’est pas seulement un problème de riches. L’aspect financier ne change rien au caractère hostile du superflu.
Pour l’instant, en Russie, la prise de conscience du fardeau que représente le superflu ne touche pas grand monde. Trop de gens n’ont pas encore atteint la satiété, et, s’ils y sont arrivés, ils restent contraints de suivre la règle du jeu générale, encore édictée par ceux qui n’en ont pas eu assez. Mais mon inconscient collectif pressent que bientôt, très bientôt…"

Le week-end dernier, j'ai sué sang et eau pour participer à un vide-grenier. A l'aube, après un réveil pâteux et un chargement de coffre de voiture ressemblant étrangement à la fatalité du casse-tête d'un départ en vacances, je me suis retrouvé sur un terrain de baskett de quartier à étaler d'innombrables objets nous ayant appartenu, à ma femme, à ma fille et à moi-même, sur un carré délimité que nous avions recouvert de vieille couvertures. Puis, toute la journée, j'ai guetté les badeaux dans l'espoir de faire "de bonnes affaires" avec ces objets soudainement dénués de sens que nous souhaitions abandonner, mais en les monnayant. Puis je suis rentré après 10 heures de station debout pénible, harrassé. J'ai regardé chez moi, et j'ai eu la sensation d'un Tonneau de Danaïde inversé. Ou quelque chose dans le genre.
En même temps, il est un fait : j'ai le vide en horreur, et je suis très mal à l'aise dans les appartements à l'ergonomie minimaliste.
Je me dis que ce n'est peut-être pas la quantité qui tue le sacré, mais la qualité : au milieu du fouillis grotesque des objets que nous amoncellons, certains tranchent comme des idôles dans un champ : le chapeau en feutre gris de ma grand-mère, à la bordure tricotée si laide; le briquet à pierre de mon grand-père en forme de pistolet de pirate qui trône sur son présentoir en faux bois, et qui ne marche plus; l'almanach de Spirou de l'enfance de mon père; le couteau trappu très tranchant de style japonais offert par mon frère; oui, la liste est longue de ces objets emplis du sacre de ma petite vie humaine, prises ridicules sur un mur d'escalade s'élevant vers un ailleurs en forme de néant, qui prennent sagement la poussière à côté d'autres artefacts tout aussi stériles et tout aussi laids, mais dépouvus de dévotion. Et pourtant, pour éviter que l'objet sacré ne s'enferme dans son propre culte, n'est-il pas finalement plus sage d'en estourbir la portée à coups de trompe-l'oeil et d'autres pièges à intérêt superficiels ? Car l'amoncellement devient alors légèreté, connivence, là où l'objet sacré, isolé, unique, flamboyant, pèse du poids terrible de sa valeur dans le vide que l'on crée autour de lui, jusqu'à nous réduire à son silence grave.

vendredi 22 octobre 2010

Le Trône de Dieu (final cut)

Chapter One : Nick & LeeNick Cave est membre d'une société semi-secrète fondée par le réalisateur Jim Jarmusch : au grand dam du véritable et légitime héritier, « The Sons of Lee Marvin » réunit des célébrités dont les traits du visage « pourraient laisser croire » qu'ils sont les fils de Lee Marvin ; elle compte, par exemple, Tom Waits, John Lurie et même Iggy Pop et Neil Young, tandis que John Boorman en est membre honorifique.
Lee Marvin ?
Au départ plombier, il se découvre une vocation lorsqu’un producteur lui demande de lâcher sa tuyauterie pour remplacer au pied levé un comédien tombé malade tandis qu’il est accroupi sous les chiottes d’un théâtre. Après de nombreux seconds rôles et quelques personnages hauts en couleur (comme le motard de L'Équipée sauvage), il devient une figure du film noir ; monstrueusement révélé par Fritz Lang dans Règlement de comptes, il enchaîne d'autres grands films criminels comme le formidable Les Inconnus dans la ville ou Un homme est passé de John Sturges.
John Ford lui offre la consécration avec L'Homme qui tua Liberty Valance, et il devient une star mondiale grâce aux Douze Salopards de Robert Aldrich, en 1966.
Vedette, il tournera deux futurs classiques avec John Boorman : Le Point de non-retour en 67 et Duel dans le Pacifique (1968) ; il deviendra un intime de Boorman au point que 13 ans après sa disparition, le réalisateur lui consacrera un documentaire très émouvant.
Pour l’anecdote, Lee Marvin interprétait lui-même les chansons dans ses films (cf La Kermesse de l'ouest de Joshua Logan en 1969)
La devise des « Sons of Lee Marvin » ? "If you look like you could be a son of Lee Marvin, then you are instantly thought of by the Sons of Lee Marvin to be a Son of Lee Marvin".


Chapter Two : Nick and « kino »On découvre la passion de Nick Cave pour le cinéma dès 1988 avec un rôle dans un film australien indépendant dont il a co-écrit le scénario, Ghosts of the Civil Dead, réalisé par John Hillcoat (grand clipeur vidéo devant l’éternel, à qui l’on doit hélas plus récemment le nullissime « La Route » adapté de Mac Carthy). Il rempile dans Johnny Suede en 1991, aux côtés d’un certain... Brad Pitt. Très attiré par le cinéma, Nick écrit en 2004 le scénario du néo-western The Proposition : poétique et violent, le film est à nouveau réalisé par John Hillcoat, la B.O. atmosphérique étant logiquement signée à 4 mains avec Warren Ellis. Les deux larrons remettent ça en 2007 pour L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (tiens, revoilà Brad).
Nick Cave et John Hillcoat projettent de réaliser un troisième film, une comédie située en Grande-Bretagne, dont le titre provisoire est Death of a Ladies Man (cf Leonard Cohen).

Chapter Three : Nick, words & the ChristLe second roman de Nick Cave, The Lonesome Death Of Bunny Monroe, est sorti en même temps qu'une nouvelle BO composée pour l'occasion ; Nick Cave livre des extraits des Pensées de Blaise Pascal sur le All the Pretty Little Horses du très mystique all-star band « Current 93 » (hum hum… rappel ? l'homme, dans son amas de concupiscence, ne peut trouver la paix intérieure et le véritable bonheur qu'en acceptant que Dieu lui vienne en aide par le biais de la grâce. C'est le pari de Pascal : gager la vie misérable que mène l'homme, certaine mais finie, et parier sur Dieu, incertain, mais infini. Tenté ?) ; Nick Cave a aussi écrit une introduction à l'Évangile selon Marc (une des trois synoptiques, et la plus ancienne de toutes) paru dans la collection Pocket Canon Bible Series.

Chapter Four : Nick & MickDepuis que Blixa Bargeld est retourné au Neubauten en 2003, Mick demeure le seul membre de la composition originelle des Bad Seeds.

Chapter Five(the last) : Nick, his old good piano and the young bitchy guitarFin 2006, Jim Sclavunos, Warren Ellis et Martin Casey amènent Nick a endosser… la guitare. Résultat ? Grinderman, qui est plus ou moins à Nick Cave ce que Tin Machine fût à David Bowie... Heureusement, Nick Cave & The Bad Seeds signent un retour fracassant avec un album s'inspirant librement de la résurrection de… Lazare, l’enterré vivant biblique dont le nom signifie en hébreu : « Dieu a secouru… »

Nick Cave ? The face of Jesus in my soup.

Retraite Urbaine

C’est une ville de siècles indifférents
C’est une ville de pauvreté goguenarde
C’est une ville de mer à ruelles et à grandes allées
C’est une ville à promontoires de plages étouffées
C’est une ville d’aspérités et de pierres salies
C’est une ville nu-pieds pleine de vents
C’est une ville de fumées inertes
C’est une ville de côtoiements suspects et de bruits lointains
Une ville de sirènes et de vitesse
De palmiers murés et de viandes laides
De canicule et de lumières
C’est une ville en pente
C’est une ville de métal incandescent
Une ville d’estaminet
C’est une ville de filles fardées et d’hommes-serpe
C’est une ville de nuit et d’après-midi
C’est une ville de nuage et de poissons
De poivrons et de crachats
D’asphyxie et de libertés illicites
C’est une ville de fratries et de méfiance
C’est une ville d’herbes brûlées et de bateaux à quai
C’est une ville sous ordures

mardi 19 octobre 2010

Grrrr.....

"Un randonneur américain âgé de 63 ans a été tué samedi par un bouc dans la parc national Olympic, dans l'Etat de Washington. Il se trouvait avec sa femme et un ami lorsque le bovidé l'a chargé, lui donnant un coup de corne dans la cuisse. Une attaque qualifiée d'"inhabituelle" par le service des parcs nationaux américains".
Direct Marseille Plus, Page "Monde", rubrique "En Bref" du Mardi 19 Octobre 2010.

"Des sauveteurs tentent de localiser les éventuels rescapés d'un crash sur une île peuplée de babouins mutants"
Résumé de "L'Attaque des Primates", film projeté par NRJ12 à 22h40 le Lundi 18 Octobre 2010

???

samedi 16 octobre 2010

vendredi 15 octobre 2010

Vendredi, dix-sept heure cinquante.

J'ose espérer que vous savez ce que vous faites. Cela va vous coûter un maximum.

("La route sanglante du jardinier Blott" - Tom Sharpe)

jeudi 14 octobre 2010

"...Il me faut raconter les choses que j'ai vues"



Quand on pense à Rodin, on pense à son Penseur. C’est drôle de dire ça comme ça.
Il se trouve que j’aime Rodin d’un amour sans conditions et que pourtant, je n’étais pas spécialement fan de son "Penseur" devenu une sorte de pitoyable référence de bistrotier. Or, un soir de désœuvrement littéraire, voilà que je me décide à attaquer « La Passion du Mouvement » de Dominique Jarrassé, entièrement dédié à Rodin : cet ouvrage est de ceux que l’on range comme des objets de décoration sur une étagère, du genre si imposant qu’on ne saurait jamais y consacrer qu’un œil distancié.


Généralement satisfaite par une œillade snobinarde sur une double page aux reflets glacés, notre curiosité y va avec ce type de livre de sa minute contemplative, avant qu’il ne faille déjà batailler pour le replacer, ahanant pour maintenir d’une main la rangée entière de pavés mitoyen ayant chuté lors de son extraction tandis que de l’autre, l’on doive manœuvrer pour ré-encastrer l’ouvrage à son emplacement initial, l’avant-bras crispé sur sa tranche épaisse comme une brique : et nous voilà à maudire l’idée saugrenue nous ayant saisie tantôt de vouloir l’ouvrir.


« La Passion du Mouvement » de Dominique Jarrassé, c’est donc ce genre de livre frappé d’anathème, que l’on n’achète que pour ne jamais avoir à l’ouvrir.


D’ailleurs, ces livres-là, on ne les achète pas : on vous les offre.


Bref, alors que je me lance, je me retrouve inexorablement face à cette fameuse double page, et le hasard me met face à « La Porte des Enfers ». Quelque chose se déclenche alors en moi qui brise le destin maudit des imposants volumes, et alors que je prends la peine inusuelle de me pencher sur le texte adossé aux photos, voilà que je découvre que « Le Penseur » n’est, initialement, nul autre que la transfiguration de Dante. Merde alors. Dante Alighieri ? Et voilà que tout commence.






Partons donc du début. Quelque part à Paris en 1840, la même année que Tchaïkovski et Emile Zola, naît le petit François-Auguste-René Rodin.

Ironie du sort, il est sacrément myope, ce qui ruinera passablement sa capacité à étudier à l’école et lui vaudra une maîtrise du français toute personnelle qu’il traînera comme un boulet toute son existence. Au-delà de partir myope, le garçon cumule les handicaps avec un échec cuisant lors de sa tentative d’entrée à l'École des Beaux-Arts : si il y réussit l'épreuve de dessin, il échoue trois fois de suite à celle de la sculpture. Rodin. Et oui. La cruauté de l’existence est bel et bien démocratique : les génies y passent aussi, en voilà une preuve supplémentaire, s’il en était besoin.
Par la suite, abattu par le décès de sa sœur, il part s’enterrer au noviciat de la congrégation du Très-Saint-Sacrement, en 1862. On ne peut qu’imaginer le tableau. Là, même s’il quitte quand-même la congrégation l’année suivante, l'anecdote rapporte encore que le buste qu’il réalise à l’effigie de Pierre-Julien Eymard, Révérend Père qui vient de l'encourager vivement à reprendre la voie artistique, n'obtient pas vraiment satisfaction aux yeux de son modèle, et termine… aux greniers. « Vie de Merde » comme on dirait en 2010. Et sitôt sorti, il en est plus ou moins de même avec ses pairs : alors que Rose Beuret, une ouvrière couturière âgée de 20 ans, lui sert de modèle et de maîtresse (et, à la fin de leur vie, d’épouse), son « Homme au nez cassé » est refusé au Salon de Paris.

Un peu aigri, notre Rodin débute alors une collaboration avec Carrier-Belleuse, sculpteur renommé du Second Empire. A cette époque, Carrier-Belleuse porte la sculpture vers la production en série, stimulé par une forte demande de la haute bourgeoisie qui s’engraisse sur le dos du bas-peuple (comme d’hab’, comme quoi y’a des choses immuables) : le jeune Rodin lui sert donc d’ouvrier reproducteur.
En 1870, voilà notre artiste maudit mobilisé comme caporal pour la guerre franco-prussienne ; réformé à cause de sa myopie, il retourne à son anonymat belge qu’il partage avec ce Carrier-Belleuse jusqu'en 1872. La vie y étant relativement morose, Rodin se paye malgré tout, comme un bon proto-prolétaire, un rêve minable pour ses 35 ans : il s’embarque pour l’Italie avec un objectif : « découvrir les secrets » de Donatello, et surtout, de Michel-Ange.

Là, ben, il prend une claque. Une de celles qui marquent les hommes pour une vie entière.
De retour, il renonce déjà à la Belgique et fonce à Paris, où il visite toutes les cathédrales de la capitale et là, dans la foulée, se lance dans une grande œuvre, l'Âge d'Airain : la statue en plâtre représente grandeur nature un jeune soldat belge de 22 ans, Auguste Feyt, qui arrondit ses fins de mois en faisant modèle. Plusieurs exemplaires en sont réalisés par moulage, et Rodin l’inconnu l'expose ainsi au « Cercle artistique et littéraire de Bruxelles » et au « Salon des Artistes français de Paris ».
Là, scandale.
Faut dire, sa statue donne une telle impression de vie qu'on l'accuse tout simplement d'avoir « fait un moulage » sur un modèle vivant.
Mais cette fois, il semblerait que notre homme en ait fini avec sa série noire : des experts se succèdent, puis prouvent unanimement son génie. Ouais, « génie » qu’ils disent, les experts. Et là, comme tout bon scandale, celui-ci, plutôt retentissant pour l’époque, amorce enfin sa gloire et sa fortune. Voilà que les commandes officielles abondent, si bien que François-Auguste-René Rodin devient, tenez-vous bien, « portraitiste mondain ».

Cette histoire de moulage lui colle néanmoins à la peau comme la scène de la piscine à Loana, et ce, jusqu’en 1900 où il soumettra une fois encore à la critique l'Âge d'Airain lors de l'Exposition Universelle de Paris (1900, année où pendant ce temps, à Barcelone, un jeune merdeux prétentieux répondant au nom de Pablo Picasso expose pour la première fois, tandis qu’à Paris, 26 toiles de Monet sont présentées d’un coup, comme un tir de chevrotine impressionniste fraîchement inspiré d’un séjour anglais marqué par la découverte de Tuner. C’est aussi dans le courant de cette année 1900 que décèdent Friedrich Nietzsche et Oscar Wilde, mais bon, ça, c’est pas très gai (même pour Oscar Wilde)).
Le père Rodin, cette histoire de moulage, faut le dire, ça l’agace : dès 1878, il crée un « Saint Jean Baptiste » bien plus grand que nature, presque juste pour prouver que ses trucs, lui, il les sculpte, et qu’'il n'a pas recours au moulage. Et cette fois, son Saint Jean Baptiste qui, il faut le dire aussi, calme tout le monde, porte en lui bien plus que la preuve de son honnêteté : il porte un Style, un style en totale contradiction avec l’académisme d'alors.

Rodin, du coup, on le respecte. Ouais. Ca rend les choses plus simples, ça c’est sûr : voilà qu’il pêcho une sculptrice de génie de vingt-quatre ans sa cadette, Camille Claudel, et il s’installe au 182 rue de l'Université, dans le 7e arrondissement de Paris : c’est là que par l’intermédiaire d’un certain Edmond Turquet, l'État français lui commande alors en août 1880 une « porte » pour un futur (et très hypothétique) « Musée des Arts Décoratifs » devant occuper une aile du Musée du Louvre.

Là où c’est cool, c’est que ce Turquet ne se contente pas d’apporter à ce sculpteur controversé une réelle possibilité de reconnaissance (et la perspective d’un gain de 8000 francs !...), mais lui offre surtout la liberté de choisir le thème de la future « porte ».

Rodin a trop ramé pour rater l’occaze : c’est une commande d’Etat, il se lancera donc dans une composition indomptable.

Il prend prétexte d’un double sujet romantique, « l’univers de Dante », et dans une moindre mesure, « celui de Baudelaire » : en fait, il meurt d’envie de réaliser un tour de force, en matérialisant d’innombrables scènes pour scander à la fois la « descente aux enfers » de l’un, et la « chute des damnés » de l’autre. Pour autant, à 40 ans, Auguste n’a pas vraiment envie de se soumettre à une œuvre quelle qu’elle soit : ses esquisses, tout d’abord très fidèles au texte, restent sur une table tandis que les premières terres et les premiers plâtres ont déjà pris la tangente… Parce qu’en fait, il n’a toujours pas digéré le coup de l’Age d’Airain : faut avouer qu’il est plutôt buté, le gars Rodin. « Je n’avais pas l’idée d’interpréter Dante, j’ai juste été content de prendre « L’Enfer » comme point de départ parce qu’on m’avait accusé d’utiliser des surmoulages : pour prouver complètement que je peux modeler d’après nature aussi bien que les autres, j’ai résolu de faire la sculpture sur la porte plus petite que nature. » Et ouais, c’est comme ça : quand on l’a en travers, on l’a en travers.

Avec Saint Jean Baptiste il avait fait dans le plus grand ; là, il veut donner dans la quantité, et en plus, dans le plus petit. Bon, en même temps, cette obsession de démonstration technique c’est aussi un prétexte : le père Rodin, en fait, c’est quand même un indécrottable romantique, et Dante et Baudelaire, ben, ça l’émeut.

Dès octobre 1880, l’Auguste, il a avancé les travaux au point de recevoir un premier versement de 2.700 francs. C’est la fête. Faut dire qu’en quelques mois, sa « porte » s’est couverte de groupes parmi lesquels, déjà, Paolo et Francesca et Ugolin, qui occupent chaque ventail. Il s’est déjà mis à prendre pas mal de liberté avec Dante, immisçant des figures tirées de sa propre imagination qui prennent des connotations érotiques pas très « dantesques »…

Il a parallèlement pris le parti de bannir tout accessoire de « mise en scène infernale » : il n’y aura pas ni d’animaux fantastiques, ni de serpents ni de diables… peut-être un petit squelette discret par-ci par là au milieu du fourmillement de nus féminins, mais c’est tout. Idem pour « l’Horrible» : pas de corps torturés ou mutilés comme dans la description du poète : le tourment des damnés sera ici traduit uniquement par les positions, et la tension des muscles. L’œuvre devient ainsi petit à petit indifférente à la référence littéraire, à quelques indices près : fasciné par les Centaures que Dante évoque au chant 12, il s’attèle à donner corps à des créatures hybrides finalement inspirées d’Ovide (pornocrate post-Jules César au nez extrêmement proéminent, qui lui valu le surnom de « Naso » et une réputation plutôt « membrée ») dans leur inspiration classique, c’est-à-dire non plus à valeur de symbole semi-cauchemardesque mais en générant plutôt des créatures tiraillées elles-mêmes entre spiritualité (partie humaine) et bestialité de leurs instincts (partie chevaline)…
En bref, il s’emballe, le père Rodin : le voilà à envisager, après seulement deux mois de travail, une extension de la « porte » initiale par le biais de deux figures latérales, Adam et Eve, prévoyant une porte de 4,5 mètres sur 3,5.

Il explique à ses commanditaires que sa porte « comprendra, en dehors de bas-reliefs, beaucoup de figures presque ronde bosse ». L’ampleur du projet fascine l’administration (toujours prompte à la mégalomanie), qui lui promet un crédit de 18.000 francs : les différents inspecteurs qui se succèdent au chevet de l’œuvre sont si scotchés par sa monumentalité que, malgré le fait que son achèvement paraisse de plus en plus improbable, l’Etat finit même par lui allouer la somme de 25.000 francs, puis de 30.000 francs ; bon, en fait, comme toutes les subs, il n’en touchera le solde - et encore, en bataillant - qu’en 1917, l’année où il meurt. L’administration, c’est l’administration.

De 1880 à 84, Rodin travaille donc comme un beau diable (hé hé). En fait, il est foutrement excité par les possibilités de son sujet : passion, violence, désespoir, corps tombant et grouillant, contorsions, déséquilibres, lascivité… Du coup, son « Jugement Dernier » prend des accents de bacchanale : tout dans sa Porte est devenu prétexte à un monde érotique étourdissant. Attention, faut pas croire : les corps tendus dans une souffrance mêlée à la volupté, c’est quand même pas si loin de Dante non plus (on ne parle même plus ici de Baudelaire, spécialiste incontesté du stupre et de la luxure accouplés à la souffrance) : la sensualité présente dans La Divine Comédie s’exprime : celle de la passion de Paolo et Francesca Rimini, mais aussi celle de Dante lui-même qui, porté par Vigile, doit traverser l’enfer et le purgatoire pour aller pêcho sa Béatrice directement au Paradis…

Et nous y voilà : éloigné qu’il est du thème initial, Rodin ne souhaite pas vraiment représenter le poète italien en situation, associé à la figure trop lourde de Virgile. Il le conceptualise plutôt seul, assis sur un rocher, au centre du tympan de sa Porte, comme seul élément fixe et stable dans cet univers tourbillonnant qu’il fabrique tout autour.
Et puis, comme le fameux musée tarde à se construire (un peu comme la L2), et qu’il n’a plus même à se soucier du cadre, son imagination ne connaît plus de limites : la composition se met à proliférer de manière quasi-fantastique jusqu’à ce que plus de 200 figures soient créées, entrelacées dans un espace aux dimensions d’une véritable cathédrale, tandis que l’œuvre toute entière se transforme en réservoir de motifs. Ivre de formes (et un peu de pinard), Rodin la qualifie « d’Arche de Noé ». C’est pas faux : cette Arche s’inscrit finalement comme une mutation de la tradition chrétienne de représentation de l’univers infernal, à cela près qu’elle sert plutôt de prétexte à imaginer un monde érotique qui finit même par étourdir un des maîtres du genre de l’époque, l’inégalé grivois Félicien Rops…

La Porte paraît presque achevée en 84 : des devis de fonderie sont même donnés, même s’ils ne seront suivis d’aucune réalisation. En effet, la construction du Musée est tout bonnement suspendue (tiens, toujours un peu comme la L2 avec ses histoires de voisins pas contents), tandis que de premières voix s’élèvent pour attirer l’attention sur cette œuvre en mutation/perdition : Octave Mirbeau, le pamphlétaire aigri de l’époque, s’esbaudit même en ces termes cette même année 85 : « Ceux qui ont pu admirer dans l’atelier de l’artiste les études achevées, et celles en cours d’exécution, s’accordent à dire que cette porte sera l’œuvre capitale de ce siècle. Il faut remonter à Michel-Ange pour avoir l’idée d’un art aussi noble, aussi beau, aussi sublime », avant de tout bonnement comparer la Porte de Rodin à « celle de Lorenzo Ghiberti, dont Michel-Ange disait qu’elle mériterait d’être la porte du paradis »…

Michel-Ange ?

Le plus célèbre critique littéraire de l’époque vise incroyablement juste, et enfonce le clou à la découverte de la figure centrale : « Le Dante est assis, le torse penché en avant, le bras droit reposant sur la jambe gauche et qui donne au corps nu un inexprimable mouvement tragique. ». Ce que le critique parvient à percevoir, c’est que cette représentation du Dante a déjà laissé place à une dimension bien plus universelle : cet homme nu à la puissance contenue, au torse musculeux, incarne désormais un « Penseur » proche de celui même de … Michel Ange.

Rodin finit par avouer : « Devant cette porte, mais sur un rocher, Dante absorbé dans sa profonde méditation concevait le plan de son poème. Ce projet n’aboutit pas. Maigre, ascétique dans sa robe droite, mon Dante séparé de l’ensemble eût été sans signification. Je conçus un autre « Penseur », un homme nu, accroupi sur un roc où ses pieds se crispent. Les poings aux dents, il songe. Ce n’est point un rêveur. C’est un créateur. » . Tout est dit ; le temps passant, Rodin ne s’est plus guère soucié d’illustrer quoi que ce soit, mais ne s’est plus fixé pour but que de modeler des corps. Des nus. De les combiner dans des compositions qui les mettent en valeur.
Le Dante de sa Porte est devenu Le Penseur, qui est ici le « créateur », soit Rodin lui-même. Pas plus que Michel-Ange, il ne se soucie d’ailleurs de la ressemblance avec le modèle : Le Penseur, c’est lui.
Michel-Ange, lui, est omniprésent dans La Porte. Enchevêtrements des corps, grouillements, rappels des enfers antiques, puissance athlétique et goût des torsions corporelles, foultitudes de traits sont directement empruntés au « maître » (Le Penseur, de parenté désormais flagrante avec le « Pensieroso », mais aussi, par exemple, l’index de l’Adam de Rodin directement issu du plafond de la Sixtine…). Pour autant, jamais Michel-Ange ne se serait permis de telles répétitions, la où Rodin, imprégné du travail de Carrier-Belleuse, l’aura érigé comme principe même de sa modernité. Là où quelques tristes sires de ses contemporains se plaisent à le taxer de paresse, le génie du sculpteur s’exprime dans ce marcottage, clé de composition d’un Rodin qui use de ses figures comme d’un vocabulaire dont « La Porte de l’Enfer » est le lieu des expériences linguistiques les plus variées.
Pourtant, fatigué de patienter après ce musée fantôme, Rodin décide de commencer à détacher des morceaux de son monument : les corps exquis, pleins et désirables des femmes, ceux musculeux et athlétiques des hommes évoquent si peu les figures décharnées de Dante qu’ils n’ont d’ailleurs pas besoin d’être modifiés pour s’intégrer à d’autres compositions sans le moindre caractère « infernal ». La Porte est tout simplement abandonnée au profit de ses éléments détachés, qui se mettent à constituer, indépendamment les uns des autres, l’œuvre de Rodin toute entière.

Parmi elles, La Méditation, figure initialement appuyée au pilier droit des hauts-reliefs du linteau : ma préférence à moi, mon rêve, mon éblouissement depuis toujours. Celle que je peux contempler sans aucune lassitude, jamais, toujours hypnotisé, bouleversé, terrassé par sa sidérante perfection, et dont je viens de découvrir, transi, l’origine : sans voix, je ne peux que saisir quelques mots à « l’Art » de Théophile Gautier, l’inspirateur des Parnassiens :
« Tout passe. L’art robuste / Seul a l’éternité. / Le buste / Survit à la cité. / Et la médaille austère / Que trouve un laboureur / Sous terre / Révèle un empereur. »

Ce ne sera qu’autour de 88 que Rodin se ré-attèle à l’œuvre, avant de s’en désintéresser à nouveau : entretemps, il vide la Porte de la quasi-totalité de son contenu. L’exposition qu’il en fait en 1900 la présente ainsi presque entièrement dépouillée de ses sculptures saillantes. Il se laissera persuader plus tard de revenir à sa conception primitive, et c’est en cet état que sera finalement immobilisée l’œuvre, avec ses 6 mètres de haut et ses 4 mètres de large, sans même les figures latérales d’Adam et Eve abandonnées par la suite pour être converties en trois figures répétitives de l’Adam pour la surplomber.

Poids ? 8 tonnes.

Un plâtre complet en est fait en 1916, tandis que Rodin lui-même n’en découvrira jamais la première fonte, réalisée en 1926 : il meurt à Meudon le 17 novembre 1917, la même année que Buffalo Bill et Mata Hari (et plein d’autres aussi, mais moins drôles).

Merde, Rodin ; toi qui le côtoie, Dieu est-il vraiment un fumeur de Havanes ?

mercredi 13 octobre 2010

Sur le pont...

SUR L'EAU

Je n'entends que le bruit de la rive et de l'eau,
Le chagrin résigné d'une source qui pleure
Ou d'un rocher qui verse une larme par heure,
Et le vague frisson des feuilles de bouleau.

Je ne sens pas le fleuve entraîner le bateau,
Mais c'est le bord fleuri qui passe, et je demeure;
Et dans le flot profond, que de mes yeux j'effleure,
Le ciel bleu renversé tremble comme un rideau.

On dirait que cette onde en sommeillant serpente,
Oscille, et ne sait plus le côté de la pente;
Une fleur qu'on y pose hésite à le choisir.

Et, comme cette fleur, tout ce que l'homme envie
Peut se venir poser sur le flot de ma vie,
Sans désormais m'apprendre où penche mon désir.


Sully Prud'homme

mardi 5 octobre 2010

Le Trône de Dieu (part Two)

Après avoir publié un recueil de textes, de chansons et de pièces de théâtre incluant une partie de son travail avec Lydia Lunch, (muse no-wave auto-proclamée, post-héroïnée, acoquinée à l’inénarrable James Chance, rencontrée à l’époque de Birthday Party), Nick vient péniblement à bout de son roman.
Déboussolé, il quitte Berlin-Ouest mais au lieu de regagner son Australie natale, il décide d’opter pour les côtes brésiliennes, comme un fuyard baudelairien. Le fils qu’il y conçoit avec une styliste porte alors à quatre le nombre de sa progéniture, tandis que la puissance évocatrice des rythmes latins, et plus particulièrement ceux de la Saudade, le happent ; la Saudade ? Pour les romantiques brésiliens, un état d’humeur plus qu’un style de musique; le tempo d’une complainte censée parler aux apatrides qui pleurent avec élégance la nostalgie d’un passé fantasmé ; un cousin proche du "spleen" des auteurs romantiques français, en somme. De cette plongée dans les humeurs brésiliennes, Nick ramène « The Good Son » : il se découvre apaisé, amoureux, presque gai. C’est peut-être aussi le sevrage qu’il a entrepris dans ce pays farouche qui vient trahir avec dandysme son pessimisme viscéral.
Viscéral? Nick ne tarde pas à regagner la Perfide Albion pour donner naissance à « Henry's Dream », le septième album, sorte d’hommage aux poèmes de John Berryman, l’un des papes du Confessionnalisme américain. Alors que les fans déroutés se réjouissent, apparaissent pour la première fois Martyn P. Casey à la basse et Conway Savage aux claviers : tous deux australiens, ils deviendront des « « membres piliers » des Bad Seeds à partir de l’enregistrement de cet étrange concept-album qui fait s'entrecroiser des personnages d'une chanson à l'autre.
Sur sa lancée, le groupe sort « Let Love In » en 1994 : l’un des albums de Nick Cave and the Bad Seeds les plus abordables, qui vaudra notamment au titre "Loverman" d’être successivement repris par Metallica, puis par Martin Gore.

Une année passe : c'est largement assez pour que le groupe s'enfonce inexorablement dans ses noirceurs. « Notre première intention était de réaliser un disque que personne n'aime, de ceux qui servent simplement à faire joli dans une collection, mais que l'on n'a jamais envie d'écouter ». Back to black… Avec "Murder Ballads" le groupe livre un album entièrement dédié au meurtre et aux meurtriers. Sont-ce les trois duos (deux réalisés avec des femmes : PJ Harvey avec laquelle Nick vit une passade, puis la rescapée des 80’s Kylie Minogue avec laquelle il finit par signer un véritable « hit » ; enfin, un troisième avec l’inénarrable Shane McGowan des Pogues), toujours est-il que l’album connaît contre toute attente, et comme un pied de nez à son créateur, un vrai succès public. Si les arrangements y sont doux, et pour une fois très accessibles, les paroles, elles, ne transigent pas : elles sont profondément lugubres. Prémonitoires ?
Dès 1997 on retrouve Nick et ses Bad Seeds empêtrés dans la poudre et l’alcool : "Murder Ballads" finit d'emporter le groupe derrière son cortège funèbre, et telle une voiture-balai fantomatique, "The Boatman's Call", album encensé par les esthètes rock-critic, sort de la brume : bien loin des arrangements grandiloquents jusqu’ici livrés aux mains des Bad Seeds pour théâtraliser des récits noirâtres de personnages dignes de Poe, c'est une plongée introspective dans l’âme de Nick Cave, au cœur de laquelle errent le fantôme de Viviane Carneiro, son amour brésilien, et celui de PJ Harvey. Bizarrement, deux Bad Seeds supplémentaires viennent prêter main forte au line-up pour entourer cette veillée minimaliste déclinée au piano, dans laquelle on discerne l’empreinte du "Blood on the Tracks" de Bob Dylan écrit en 1975 pour évacuer son divorce d’avec Sara Lownds… Jim Sclavunos, vétéran de la scène no wave repêché des Teenage Jesus and the Jerks, le groupe de Lydia Lunch, et le génie multi-instrumentiste Warren Ellis.
Cette même année 97, le monder perd Colonel Parker -l'impayable manager d'Elvis-, Allen Ginsberg, Notorious B.I.G, Jeff Buckley, Barbara et Mickael Hutchence, tandis que toutes les platines CD de la planète résonnent aux notes de deux des plus grands succès de cette fin de siècle : "Homogenic" de Björk, et "OK Computer" de Radiohead.

mardi 28 septembre 2010

Continue, je t'en prie...

Le 28 septembre, Philippe Katerine est invité à rencontrer Bret Easton Ellis dans les locaux de France Culture; provocation géniale ou sincérité bluffante, notre barde national annonce d’entrée n’avoir jamais lu le moindre ouvrage de l’écrivain américain le plus doué de sa génération, avouant simplement trouver chouette la couverture que Grasset a décidé d’imprimer pour son dernier roman, roman que certes on lui a bien remis pour préparer cette rencontre, mais qu’il n’a pas pris le temps de lire, "tout plongé qu’il était dans le dernier Houellebecq".
Parce qu’il est évident, inversement, que Bret Easton Ellis n’aura jamais entendu parler de l’auteur du cultissime « Je vous emmerde ». Ca, ça ne choque à vrai dire personne.
Philippe Blanchard, dit "Katerine", a bien fini par réussir à percer les murailles de la notoriété française avec un album roulé sous les aisselles du mercenaire Gonzales, avoir dans la foulée tenté de surfer sur cette soudaine réussite avec une idiotie médiocre singée aux côtés de l’increvable Arielle Dombasle, et là, revenir avec un album rappelant vaguement ses premières amours « easy listening » scato-provoc, tout ça n’est pas vraiment suffisant pour atteindre les oreilles du géniteur de Sean et Patrick Bateman
Alors on est tenté de se dire que, quitte à se savoir dès le départ empêtré dans ce criant déséquilibre, notre gaulois aura tenté ce que lui seul peut faire : balancer, sourire angélique et regard de lapin, qu’il ne connaît pas plus ce « Ellis » que ce dernier ne le connaît lui-même. Mais ce qui reste drôle, c’est qu’on peut considérer aussi que c’est possible, je veux dire, que Katerine PEUT ne pas avoir lu la moindre ligne d’Ellis.
Finalement, de ces deux hypothèses, laquelle nous rend Katerine le plus sympathique ? Savoir qu’il est assez pisse-froid pour regarder Ellis dans les yeux et sans ciller, lui assener avec ingénuité un désintérêt totalement feint, ou être assez distancié de ce qui fait les carnets mondains pour ne jamais avoir cédé à la tentation (addictive, ô combien addictive) d’ouvrir un roman de l’américain nihiliste ?
En attendant, c’est vrai qu’elle est chouette, la couverture de « Suite(s) Impériale(s) ». Au moins aussi chouette, d’ailleurs, que celle du nouvel album éponyme de Katerine.
Je me remémore cette récente anecdote entre les deux hommes parce que je regarde mon exemplaire de « Suite(s) Impériale(s) » sans vraiment d’allant ; je viens de rentrer chez moi, et j’ai passé un interminable trajet de métro à ausculter ma figure puis mes bottes dans le reflet d’une double-porte de wagon souterrain, le cerveau épais ; je m’étais levé de la banquette plastique que j’occupais juste avant, parce que je venais de finir « Tais toi, je t’en prie ».
Jusqu’ici, je n’ai jamais aimé les Nouvelles. Je suis un amateur de roman. Jusqu’ici, j’ai aussi toujours fait semblant d’avoir lu Raymond Carver, parce qu’à l’inverse de Katerine, je n’ai pas réussi à comprendre que l’ultime snobisme n’est pas de gonfler sa pseudo Aura littéraire, mais bel et bien de bafouer sa propre connaissance, et parfois même, la renier jusqu’à sanctifier son savoir comme un autel secret.
Moi, j’étais juste intimement persuadé d’avoir lu Carver car j’avais à peu près lu tout les auteurs que doivent lire les lecteurs de Carver… Sauf que ce jour où je me suis décidé à acheter (racheter ?) un bouquin de Carver et que j’en ai attaqué les premières pages, l’évidence est tombé : je n’avais effectivement jamais lu Raymond Carver.
Je me suis mis à aimer les Nouvelles.
Enfin, non, je me suis mis à aimer les Nouvelles de Raymond Carver; tout en me disant que j’avais été un bien grand con de m’être persuadé si longtemps de l’avoir lu au point d’avoir oublié de le lire, j’ai dégommé pas moins de vingt allers-retours de métro, jour après jour, Raymond Carver palpitant dans mes doigts au gré de soubresauts pneumatiques.
J’ai très rapidement acquis la certitude que j’allais désormais parler de Raymond Carver à tous ceux que je croiserai, que ce soit pour acheter du pain comme pour couper le sifflet à ma propre femme lorsqu’elle tentait, le soir, de me raconter sa journée entière sans même reprendre son souffle.
J’ai commencé à glisser des tickets de métro au milieu des pages pour marquer les Nouvelles qui venaient de me couper le sifflet, avant de réaliser que j’avais glissé un ticket de métro au début de chacune des Nouvelles de « Tais toi, je t’en prie » et que non seulement ça devenait ridicule, mais qu’en plus, il faudrait que je me décide enfin à prendre un abonnement au lieu d’acheter tous ces tickets les uns après les autres, jour après jour. Ce livre n’avait pas besoin de marque-page. Chaque Nouvelle s’encastrait parfaitement dans l’espace-temps de mes trajets quotidiens, tantôt aller, tantôt retour, et je ne perdis pas le fil d’une seule histoire. Comment perde le fil de l’existence, du quotidien ? Comment se perdre sur le chemin clair-obscur des défaites ordinaires, comment lever la tête de l’oreiller des résignations, tandis que dans le métro lui-même l’œuvre de Carver s’étalait, bien réelle, cabossée d’amours amères aux odeurs corporelles ? Comment empêcher de s’insinuer ces fumets de mégots de cigarettes roulées, ces brouhahas de conversations de bars, ces excitations malingres de gars usés pour des femmes cellulitées et perdues, dans mon cortex sous pression ?
Carver ne m’a pas soumis à l’ivresse pénétrante des romans que j’affectionne, ceux qui emportent tout sur leur passage, amis, amours, enfants, emmerdes, temps qu’il fait, température, obligations, horaires, confort, conventions, réalités, pour vous plonger dans une espèce de dimension comateuse et zombifiante qui vous fait lire d’une main en mangeant des raviolis froid de l’autre tout en répondant des « hmm, hm, mm » à un interlocuteur pas vraiment identifié, non, Carver, les Nouvelles, c’est pas ça du tout. C’est comme une vie qu’on vivrait là, au milieu des personnages qui ne sont très vite pas plus des personnages que vous et moi.
Carver, c’est boire cette bière avec le type trompé qui sait qu’il va revenir auprès de sa femme et continuer de vivre comme si de rien n’était, c’est rouler à côté de cet autre qui a décidé d’aller abandonner le chien de la famille sur un coup de tête, quelque part près de la maison de son enfance, c’est enchaîner les cigarettes avec ce couple qui a décidé de s’installer à la campagne et qui scrute la façade de la maison cernée de buissons avec la certitude de ne jamais être capable d’y habiter. Carver, c’est communier ses propres hontes et la somme additionnée de toutes ses faiblesses avec des quidams lambda dans une messe grise et lente, désespérée, butée, obtuse, comme un train de marchandise rouillé lancé sur une voie de chemin de fer sans gare.
Sauf que le livre, lui, s’arrête, et qu’à cet instant, il ne s’agit plus de communier avec personne mais juste à devenir soi-même le personnage d’une autre Nouvelle.
Dans ma propre Nouvelle, maintenant que j’ai refermé « Tais toi, je t’en prie » dans ce wagon de métro, puis que j’ai passé les deux stations qui me séparaient encore de mon arrêt à m’ausculter comme un inconnu dont je regarderai la photo ratée sans le moindre intérêt, je suis planté devant le nouveau roman de Bret Easton Ellis.
Le mois dernier, j’aurai encore frissonné rien qu’à l’idée de l’ouvrir, mais là, je m’en fous. J’ai même pas envie de le commencer.
Je voudrai bien réussir à m’ennuyer. Oui, c’est à peu près tout ce que j’aimerai faire, à vrai dire.

jeudi 16 septembre 2010

Le trône de Dieu (épisode 1)


Si le petit Nicholas Edward Cave passe son enfance dans l’Australie rurale des années 60, c’est dans un environnement littéraire : en plus des bestiaux, de la poussière et des culottes courtes, son père prof d'anglais et sa mère bibliothécaire, tous deux anglicans, font régner dans la maison une éducation religieuse imposante. Enrôlé dans le chœur de garçons de la cathédrale de sa bourgade, Nicholas développe donc assez rapidement des penchants contestataires qui ne vont pas tarder à circonscrire sa treizième année aux dortoirs d’une pension de Melbourne (la ville, enfin!), avant que ses parents et frères ne déménagent eux-mêmes jusqu’en banlieue et qu’il puisse rejoindre le foyer familial le soir pour y jouer du piano, la chorale de son école le comptant toujours dans ses rangs.

A 15 ans, "Nick" (on a en désormais fini avec le petit Nicholas) est inscrit au lycée, comme un certain Michael John Harvey, un certain Tracy Pew et un certain Phill Calvert. Les quatre joyeux drilles, après les présentations d’usage, se décident à jouer du rock le dimanche, sous le nom particulièrement approprié de « The Boys Next Door ». Ils sont rapidement rejoints par Rowland Stuart Howard, le gars du lycée qui sait incontestablement bien jouer de la guitare. A eux cinq, ils enchaînent les répétitions, les bières australiennes et les joints de cette herbe qui fait un malheur chez les aborigènes, et au final, au bout de quelques années et parce qu'ils ont fini par durcir le ton, ils deviennent le groupe le plus cool du lycée.

A la fin du lycée, au lieu de partir en fac pour assouvir un penchant avéré pour la littérature romantique, Nick entame des études de peinture qu’il ne suit quasiment pas : faut dire que les "Boys Next Door" jouissent maintenant du statut de "tête de proue post-punk" locale. Grâce à ça, ils se balladent dans toute l'Australie, et ça marche plutôt bien pour eux. Alors nos cinq compères, qui arborent maintenant des looks de revenants ambivalents, prennent une grande décision : changer de nom, et gagner l’Europe. On est en 1980, et « The Birthday Party » s’envole donc vers Londres, puis gagne Berlin-Ouest, la Mecque d’un nouveau rock expressionniste arty et violent.

La petite amie de Nick, Anita, les a suivis et bien lui en a pris : le groupe y devient rapidement célèbre, cumulant à la fougue rudoyante de concerts très noisy le charme chamanique et underground de cette Australie lointaine où ils consolident parallèlement une aura grandissante.

En 4 ans, la notoriété du groupe se transforme d'ailleurs en véritable culte.
4 ans, c’est aussi le temps qu’il faut au groupe pour asseoir une consciencieuse consommation de drogues en tous genres assortie à de grandes lampées d’alcools tout aussi divers. Ce régime a tout d’abord raison de Tracy, qui ne repart pas d’une tournée australienne pour entamer dès 1982 une tournée plus personnelle, celle des camps de travails et des établissements pénitentiaires. Le bassiste des Moodists le remplace pour les autres dates australiennes, quant aux tournées londoniennes, c’est parfois le propre frère de Rowland, Howard, qui s’y colle.
Entre Nick et Rowland, ça ne va d’ailleurs plus du tout, au point que le groupe éclate en 1984, non sans avoir ouvert une brèche à une kyrielle de courants post-punks comme le psychobilly, le deathrock ou encore le rock gothique.

Nick forme alors avec Mick « Nick Cave and the Bad Seeds » : libéré de sa pesante identité australienne, le groupe, totalement transfiguré par l'atmosphère berlinoise des 80's, se compose alors de Christian Emmerich, plus connu sous son pseudonyme Blixa Bargeld avec lequel il mène l’expérience industriello-anarchiste berlinoise «Einstürzende Neubauten», Barry Adamson, transfuge de « Magazine », combo post-punk ayant abrité M. Devoto des Buzzcoks et M. McGeoch qui officiera successivement dans les "Banshees" de Siouxsie puis dans le "Public Image Ltd" de John Lydon, et pour finir, d’un autre expatrié du pays des Kangourous, Hugo Race. Anita, toujours là malgré les dérives alcoolisées et hallucinées de Nick, y tient non seulement la basse mais écrit quelques titres.
Un premier album sort l’année même de la séparation du Birthday Party, en 84. Dans « from Her To Eternity», le nouveau ton est immédiatement donné : outre le clin d’œil du titre qui fait directement référence à « Tant qu’il y aura des hommes », (chef d’œuvre cinématographique de noirceur qui transfigure Frank Sinatra aux côté de Burt Lancaster et de Montgomery Clift au coeur des turpitudes d'une garnison de GI’s coincés à Peal Harbor à quelques jours de l’attaque japonaise), on y trouve un savant agencement de noirceurs faites de revisitations de Leonard Cohen, d’Elvis Presley, et de chants traditionnels.

Nick s’installe définitivement à Berlin qu’il affectionne, après s’être séparé d'avec Anita. Il y entame l’écriture d’un premier roman lui-même très sombre sur fond de thèmes bibliques, "And the Ass Saw the Angel".

De 1985 à 1988, les Bads Seeds enregistrent 4 albums : « The First Born is Dead », en 1985, est une plongée dans le blues sudiste américain, dans lequel les australiens se reconnaissent. Le groupe, réduit à 4 depuis le départ d’Hugo et d’Anita, explore, autour de l’évocation quasi-permanente d’Elvis Presley, le répertoire de John Lee Hooker comme celui de Johnny Cash, sans se départir de références systématiques à l’univers biblique si cher à Nick.
« Kicking Against the Pricks » et “Your Funeral... My Trial » sortent tous deux en 1986 : le premier, dont le titre fait une fois de plus référence à un extrait de l’Acte des Apôtres, est un album de reprises qui revisite aussi bien Roy Orbison que le Velvet Underground ; Thomas Wydler y intègre les Bad Seeds à la batterie. Le second, qui sort tout d’abord sous la forme de deux 45 tours « longue version », est particulièrement sombre, probablement empreint de l’impressionnante consommation d’héroïne de Nick. Le côté mystique du groupe y atteint un sommet, qui lui vaut probablement sa participation aux« Ailes du Désir » de Wim Wenders qui sort sur les écrans l’année suivante.
« Tender Prey », qui sort en 1988, est souvent considéré comme le chef-d’œuvre du groupe : Mercy Seat occupera désormais une place systématique dans les concerts de Nick Cave, devenant une sorte d'hymne désespéré et mystique pour une génération écoeurée par le règne massif du consumérisme. Cette même année, Leonard Cohen sort « I’m Your Man », My Bloody Valentine « Isn’t Anything », Jane’s Addiction « Nothing’s Shocking » et Sonic Youth, “Draydream Nation”.

Quelque part vers la Barbade, d’heureux parents accueillent une petite Rihanna.

mardi 14 septembre 2010

Ragnarök


Quand un réalisateur danois connu pour son goût prononcé pour l’ultraviolence abandonne un projet de film sur les Vikings pour cause de difficultés de financement, qu’il les compense en réalisant un film évènement ( « Bronson, le prisonnier le plus dangereux d’Angleterre »), puis qu’il reprend au pied levé son projet initial, tous les fans heroïco-geeks deviennent excités : ça sent bon le nouvel opus-évènement d’un genre couru mêlant bastons adrénaliniques et épopées protobarbues.

Mais ceux-là crieront rapidement au scandale : « Valhala Rising » est un film au sujet duquel le réalisateur avoue ne pas avoir éprouvé l’envie de faire le moindre de ces travaux de recherche qui permettent usuellement au spectateur de flatter sa coulpe cognitive.

Pour autant, pour qui veut bien voir (« Il faut apprendre à désapprendre pour réapprendre à voir » aimait répéter un de mes derniers prof d’histoire de l’art avec un zeste de flagornerie bobo), les champs de références de « Valhalla Rising » sont multiples, brillants et très à propos. Mais voilà, tous les poncifs du genre sont balayés d’un revers de gant : les vérités historiques y sont quelque peu bafouées, tandis que les codes et trames du récit s’éloignent systématiquement du manichéisme de rigueur pour livrer une œuvre naviguant sur des éclairs subconsciencieux déconcertants, caméra à l’épaule.

Il faut dire qu’au départ, Nicolas Winding Refn a juste entendu à son tour à la radio cette histoire de stèle viking découverte au Canada : après étude, d’éminents archéologues et autres historiens très sérieux avaient fini par s’accorder sur le fait qu’il s’agissait là d’une sorte d’avertissement : les Vikings auraient voulu signaler un danger. Cela a suffi à l’auteur de la trilogie « Pusher » pour éprouver l'envie de se lancer dans une nouvelle aventure cinématographique ; avec une telle accroche, le pire était néanmoins probable, le « Pathfinder » du clipeur Marcus Nipsel, aventuré sur le même filon dès 2007 ayant abouti pour sa part à un résultat certes graphiquement jouissif, mais frôlant toutefois le ridicule jusqu’à parvenir à s’y vautrer sans trop de remords et à plusieurs reprises.
Bref.

A l’issue du tournage de « Bronson », N.W Refn rejoint donc son acteur fétiche Mads Mikkelsen (le « Stravinsky » du dernier Jan Kounen) pour un premier jour de tournage, plutôt déprimé : « Je ne savais rien des Vikings et ça ne m’intéressait plus du tout. Mais j’ai décidé de faire confiance à mon instinct, et c’est devenu pour moi aussi un véritable voyage psychédélique vers l’inconnu." Hum hmm… "Voyage psychédélique vers l'inconnu", autant de mots qui commencent à faire grimacer les aficionados du « 13ème Guerrier » et autres Peter-Jacksoneries doublées d'échos néo-Conaniques : le champ lexical du film est donc clairement inscrit ailleurs, bien que fortement imprégné de culture celto-nordique.


A partir de là, et en six chapitres distincts, « Le guerrier silencieux » se déroule comme un lent poème sombre, effrayant et hypnotique, (ultraviolent quand-même, si si, les premières minutes calment assez rapidement et d’un seul bloc l’ardeur guerrière refoulée du mangeur de chips lambda), mais en agaçant très rapidement les sens le long d’un égarement noyé d’incursions métaphysiques. Ha, oui, faut préciser, c'est dans un silence quasi-total : les dialogues sont rares, souvent à peine audibles, si rares qu’ils en deviennent gênants ; quant à la musique, elle est quasi-expérimentale.

(parenthèse : je me rappelle ici d’une soirée de permission pendant mon service militaire : parti aux côtés de camarades d’infortune affectés à la Cellule Vidéo du Quartier Général, et disposant à ce titre d’un vidéoprojecteur et d’un écran pliable, nous voilà dans les rayonnages de l’unique vidéoclub de Toul, bourgade lorraine ô combien sympathique. Sur place, je réussis à leur faire louer, au milieu d’un florilège de réalisations pornos allemandes du meilleur acabit, « Aguirre, la Colère de Dieu » de Verner Herzog, leur promettant un moment de régalade perverse. Je me rappelle encore aujourd’hui de leur cuisante déception, puis de leurs moqueries et du regard qu’ils avaient alors posé sur moi, mélange d’incompréhension, de mépris puis de dédain tandis que je restai seul, garni d’une vingtaine de bières bon marché, hypnotisé face à la stupéfiante dérive amazonienne de Klaus Kinski étalée sur écran géant. Je leur avais dit que ça ressemblait un peu à la fin d’Apocalypse Now. Oui, je leur avais dit ça. De ce jour, ils n’avaient plus cessé de ne m’appeler que « le Marseillais »… - fin de la prenthèse)
Devant « Valhalla Rising » je ne peux m’empêcher d’éprouver ce même sentiment de délice sadique, laminé par ce traitement cinématographique vicié du mythe Viking si populaire.


Sur l’écran, au centre de paysages titanesques, suivi, devancé, guetté, surplombé, sali, menacé, malmené, glorifié, sanctifié par une caméra à l’épaule intrusive, un esclave anti-héros, borgne et muet, commence par devoir lutter à mains nues comme un être-animal pour assurer sa survie avant de parvenir à échapper à ses bourreaux grâce à l’aide d’un garçonnet.

Après avoir assouvi une vengeance filmée « à la coréenne » (son ancien maître est ligoté le dos à un rocher et se fait arracher les viscères à mains nues avant d’être abandonné vivant, dans la plus pure tradition des sacrifices nordiques), le guerrier et le garçon tombent sur un groupuscule de Croisés quinquagénaires perdus dans les highlands d’Ecosse, eux-mêmes menés par un illuminé.

Le combattant borgne (comme Odin… et Snake Pilsken !), qui a accepté laconiquement de s’enticher de l’enfant, l’embarque donc depuis les côtes d’Ecosse aux côtés cette petite unité proto-chrétienne à destination d’une Jérusalem possiblement rédemptrice, sur un drakkar de poche.

Jusque là, bien que le traitement général du film ait déjà livré de lourds indices sur la déviation qui s’observe, le fan de film héroïco-historico-testostéronés se plaît à y croire : après un assaut décoiffant (et très déstabilisant) de violence pure, voilà que se profile une louchée de Croisade, avec au programme, normalement, d’incontournables sièges de forteresses et des maures assoiffés de sang, bref, autant de promesses alléchantes qui viendraient sauver un début de film plutôt biscornu et ma foi, un peu trop... naturaliste.
Que nenni. Le film se met à prendre une direction totalement inattendue, alors que dans un brouillard tout nordique, le borgne muet, l’enfant et ses camarades se retrouvent prisonniers d'une embarcation minable dérivant à l’opposé de son cap, droit vers l’inconnu ; au fil d'une série de visions hallucinées et kaléidoscopiques, le Borgne se met à muter en Passeur Antique le temps d'une traversée interminablement plate, atrocement lente, à l’inertie vicieuse et aux égarements malsains. Face à la peur de l’inconnu et à la langueur putride du périple, les hommes de Foi se remettent à craindre les forces obscures les plus oubliées tandis que les brumes ne cessent d’emprisonner le navire, floutant la réalité jusqu’à gommer les bruits de la navigation, qui disparaissent au profit d’une flottaison impossible à identifier au fur et à mesure que le voyage s’éternise et que le Borgne guette, comme une vigie christique de mauvais augure.

Arrivés enfin sur une côte (au Canada donc), une fois que la troupe - qui se croit désormais maudite- se convainc qu’il ne s’agit pas de la Terre Sainte, une vague de folie s’en empare : les hommes, épuisés par les privations, sont gagnés par un délire jusqu’au-boutiste. Dans un mouvement de caméra à la fois onirique et distordu, le réalisateur fait s’enchaîner des scènes improbables où se mêlent viols collectifs, assassinats et errances métaphysiques ; tandis que le capitaine Croisé dresse un inutile crucifix vers des cieux méfiants, le Borgne entasse les pierres d’un cairn, tout ça avant qu’un massacre anonyme ne commence ; sans que l’on ne puisse identifier l’ennemi, les survivants tombent un par un criblés de flèches dans les flaques putrides d’un marécage qu’ils ne sont pas parvenu à quitter, puis de farouches indigènes à peine vêtus, tout aussi muets que notre antihéros, apparaissent enfin en masse, et contre toute attente, achèvent le Borgne lui-même sans autre tergiversation.
Ainsi, à l’image de la fin particulièrement éprouvante du terrible « The Road » de Mc Carthy, le personnage principal tombe foudroyé dans sa quête d’un ailleurs improbable, laissant un garçonnet embarqué dans cette fuite indéfinissable seul face aux menaces d’un monde fini, dans un climat de perdition et de violence spectrale, arrachant le cœur de tout être normalement constitué.

Et le film s’arrête.

Là, le spectateur, harassé par les longues minutes opressantes du voyage puis terriblement sous pression après d'aussi longues minutes d'images imprenables et déviantes, crie à la merde.

Moi, je compte les jours avant un deuxième, puis probablement un troisième visionnage. « Valhalla rising » est une œuvre et non un film, une oeuvre arythmique, déstabilisante et inconfortable, tour à tour inutile, belle, stupide, grossière, ennuyeuse, fascinante, écœurante, idiote, séduisante, qui, pour finir, laisse assis sur la branche sciée de la circonspection.

Et bon sang, j’aime ça.

Maintenant, pour satisfaire la soif de quelques improbables amateurs d’univers Conanesques - dont je me revendique aussi, hé hé... - qui parcourrait ces lignes, voici un petit contrepied sous forme de rappel de ce qu’est le Valhalla : dans la mythologie nordique, la Valhöll (ou Walhalla, Valhalla, Valhalle), « demeure-des-occis », est le paradis Viking situé au sein même du royaume des Dieux où se situe la fortification d’Odin.

C'est sur les champs de bataille que des vierges guerrières (pour les celtes) ou des Valkyries (pour les germains), cherchent et récupèrent les hommes les plus braves et les plus valeureux afin de les y ramener, pour qu’ils se préparent aux côtés d’Odin, après d’incessantes batailles titanesques au cours desquelles ils mourront puis renaîtront à l’envie, à la bataille finale, le Ragnarök.
Dans la Valhöll (le palais d'Odin qui possède 640 portes, des poutres faites de lances et des tuiles de boucliers), les guerriers sont heureux : le jour, ils combattent, se tuent, renaissent pour encore se pourfendre dans un champ clos. Puis, la nuit, ils boivent le lait (Hydromel) provenant de Heidrun la chèvre, puis mangent la chair de Saehrimnir le sanglier, et s'amusent.

Odin, lui, ne fait que boire, donnant sa nourriture à ses loups (!) tout en surveillant Loki, l'Ennemi, le dieux mauvais condamné à être attaché avec les entrailles d'un de ses fils sous un serpent dont le venin goutte sur son visage (yeah...).

Tous attendent le jour où, sortant des six cent quarante portes de la Valhöll en rangs de huit cents, ils combattront dans la guerre ultime d'où ne sortiront vivants qu'un couple d'humains appelés à repeupler le monde (mais cette fin là est très contestée, ça sent le détournement sauvage de la propagande proto-chrétienne du Vème siècle).

Il faut donc croire, si l’on s’en tient au titre du film de Refn, que le borgne muet atteint son Valhalla sous le tomahawk de rédempteurs canadiens en pagne.
A moins que ce ne soit le garçonnet, dont on ne saura jamais ce qu’il advient.
A moins que ce ne soient ces déroutants guerriers de la Foi tombés au champ d’honneur sur les rives d’un continent inconnu la croix de l’épée à la main, gagnés par la folie.
A moins que le Canada ne soit déjà la représentation du Valhalla lui-même, avec ses paysages brutalement magnifiques, et que le borgne ne soit amené à renaître l’instant d’après.

A moins aussi que rien de tout cela ne puisse être avancé, et qu’il faille s’arrêter de chercher tout ce qui déborderait des seules rives d’une longue traversée de nos peurs, de nos doutes et de nos fantasmagories.

Après tout, à chacun son Valhalla.

"Voyez cela, je vois mon père
Voyez cela, je vois ma mère
Voyez cela, je vois tous mes ancêtres
Qui sont assis et me regardent
Et me demandent de prendre place à leurs côtés
Dans le palais de Walhalla
Là où les braves vivent à jamais"

mercredi 1 septembre 2010

Etre et avoir l'été ?

"L'été se décompose mollement, comme une fleur fanée. Les plages redécouvriront bientôt le vide: n'oublions pas qu'une plage est un désert avec de l'eau salée devant.
L'été a été. C'est avec un pincement mélancolique qu'on le regarde s'envoler; petit à petit, il se transformera en souvenir. On songera bientôt avec nostalgie à ces mois de feinte liberté et de lenteur animale, où l'on panse ses blessures comme un convalescent, allongé dans un hamac, bercé par des rires d'enfants. On sourrira en se remémorant les films incompréhensibles qu'on a vus au cinéma quand il pleuvait. On ruminera ses illusions, ses frustrations et ses gueules de bois estivales.
C'est une saison de rencontres éphémères et d'abandons provisoires.
L'été ne tient jamais ses promesses, l'été est notre rupture préférée, chaque année l'été nous fait souffrir et jouir, mourir et ressusciter comme n'importe quel dieu fait homme.
Détester cette saison n'empêchera pas les autres d'être fades. Aujourd'hui 28 août 2010, je déclare solennellement ceci : je refuse l'automne, j'annule l'hiver, et le printemps est reporté. Je veux être et avoir l'été.
Glander n'est pas seulement agréable mais nécessaire à la survie de l'espèce humaine. Ralentir, faire du monde un été éternel, est notre seule chance de durer sur cette terre. "Démobilisation générale!" L'utopie de Gébé (L'An 01) est réalisable : "On arrête tout mardi, à 15h." Dans le film de Jacques Doillon tiré de la BD, on voyait Gérard Depardieu qui refusait de prendre son train et Philippe Starck qui refusait de faire de la publicité!
Une humanité alanguie, improductive et savoureuse, un peu abrutie, vaguement somnolente, cesserait de s'autodétruire. L'existence deviendrait comme une longue grasse matinée, un perpétuel dimanche d'août.
L'été est une saison d'extrême-gauche!"

Frédéric Beigbeider.
Edito de "Voici" n°1190.

samedi 12 juin 2010

Elévation collective

« Retrouvée vivante sur le toit du métro à Lyon »
« Une jeune femme de 19 ans a été retrouvée inconsciente dans la nuit de samedi à dimanche, sur le toit du métro à Lyon, alors que sa tête avait percuté une caméra de vidéosurveillance. Un voyageur aurait aperçu son bras qui pendait du toit de la rame. Grièvement blessée, elle a été transportée à l’hôpital. Elle avait de l’alcool dans le sang. Selon une source policière, « elle a été scalpée » mais ses jours ne sont pas en danger. Les enquêteurs ignorent comment la jeune fille s’est retrouvée sur le toit ».

Rythmé, stylé, mystérieux, racoleur, glauque, inutile et totalement vide de toute information : exemple parfait du contenu quotidien ce nouvel opium de masse aliénant et individualiste qu’est la nouvelle presse gratuite, laissée en volontaire pâture aux voyageurs dépressifs pour être ingurgitée le temps d’un trajet de métro avant d’être abandonnée sur un siège plastique à l’attention d’un nouveau cancrelat lambda, jusqu’au soir venu où l’exemplaire du jour devra immuablement céder sa place à la nouvelle édition du lendemain, dans la quelle on pourra lire :

« La plus vieille chaussure du monde a 5.500 ans »
« Des archéologues irlandais ont annoncé hier avoir découvert la plus ancienne chaussure du monde dans une grotte en Arménie. Elle remonterait à 5.500 ans. Qualifiée par les scientifiques de « mocassin », cette chaussure en cuir de taille 37 est dans un très bon état de conservation. Les chercheurs ont otutefois avoué ne pas savoir si elle appartenait à un homme ou une femme. »

vendredi 11 juin 2010

Parce qu'un blog sans liste hédoniste ce serait trop chouette...


AEROSMITH - Toys In the Attic


JEAN LUIS MURAT - Lilith


DAVID BOWIE - Hours


BUCK 65 - Honky Tonky Blues


ALAIN BASHUNG - Bleu Pétrole

Mon pathétique quart d'heure "Damien Saez"

Quelle confusion face à ce monde absurde… Si la vie elle-même est un non-sens, qu’il faille de surcroît accepter de livrer à nos propres enfants ce dramatique héritage du nœud gordien d’une quête de sens sans Graal aucun, ce que font les hommes modernes entre eux est encore plus incompréhensible : je regarde, vidé de substance devant mon écran de télé, de petits guerriers pervers, rouages d’une machine infecte, dénoncer leur auto-système à coup de preuves flagrantes aux gens qui ont à le subir.
Bien au-delà des ravages de ces mondes cloisonnés laissés à ceux sur le dos desquels nous avons bâti nos temples, et dont il nous faut désormais nous abreuver par repentir, là, à quelques encablures à peine, le paradoxe de notre propre monde est exponentiel, alimentant sa propre folie : à la table de mon inscription dans cette société déclinante, des choses révoltantes sont mixées devant moi dans la purée qu’il me faut avaler, et je m’en indigne dans une légitimité qui semble soudain m’avoir été soufflée : des dizaines d’émissions se gargarisent de l’extrême servilité de notre soumission : salaires exorbitants d’élus aux fonctions incompréhensibles et cumulées, retraites dorées, dépenses inacceptables et mégalomaniaques, profits immondes, clanismes abrutissants et exclusifs, petits et grands opportunismes, empoisonnements organisés, la liste se déroule devant moi, fracassant tout embryon de morale sans le moindre signe de raison, dans les grandes longueurs, avec force détails, sur les media les plus institutionnels, à des heures où la certitude d’une audience record est acquise…
Réfléchissons : on me donne à visionner, adoubé, avalisé, un mille feuille d’abominations voisines. Qu’attend-on de moi ? Les humains mes compatriotes, responsables de ce machiavélisme, me donnent d’eux-mêmes à voir l’étendue de leur ignominie : pour quelle diable de raison ? Pour que je m’en indigne dans cette humiliation terrible où, secoué par ce monceau d’injustice et sidéré par la dimension du toupet consistant à mettre en œuvre des moyens titanesques pour me révéler au grand jour, dans une mise en scène ignoble, le viol de leurs inavouables secrets, je regarde ébahi, comme tant d’autres, un processus fou dégueulé dans mon salon, qui projette sans plus aucune pudeur l’étendue d’une infinie cruauté.
Je me sens alors étouffé, meurtri, et là où seule la condamnation d’exister m’avait parue jusqu’alors la plus terrible des sentences, voilà qu’une nouvelle peine émerge : il me faut regarder les maîtres d’un jeu dans lequel je me suis jeté se railler de l’effondrement de mon amour-propre au point de me jeter à la face avec détermination la terrible vision de leur impunité.
Nous sommes d’abominables créatures : moi parce que j’ai oublié de quelle façon l’on se révolte, eux parce qu’ils crèvent d'envie que je retrouve la mémoire.
Là où ils exigent une limite à mon acceptation, démultipliant les témoignages de leur démesure dans une folie perverse en quête d'un souffle mutin, moi j’avale mon vomi, écœuré de ma propre léthargie.
Et des milliers de rats déambulent régulièrement dans mes rues en brandissant de ridicules pancartes, branlant la bite turgescente de leurs bourreaux jusqu'à l'éjaculat.

vendredi 21 mai 2010

the Man On The Silver Mountain

Ronald James Padavona est un type né à Portsmouth, dans l'État du New Hampshire, sans frère ni soeur pour l'aider à supporter des parents italiens fervents pratiquants. Pour passer le temps le fils unique va se mettre à la trompette, puis au cor français. Au bout d'un moment, comme tout le monde, avec l'apparition de ses premiers boutons sur le front il rejoint un groupe de rock. The Vegas Kings. Yeah. Là, comme tous les autres proto-rockers, il se met à la basse parce la basse, faut pas trop se fouler pour arriver à faire des trucs avec. Dans la foulée, parce que les boutons sur le front ça rend rebelle, il en profite pour refuser la bourse d’études qui lui permettrait d'intégrer la Juilliard School of Music : le rock, ça se fait au jugé, pas sur les bancs d'une école, fut-ce la plus prestigieuse de New York (en même temps, c'est de là que sortira plus tard Lady Gaga par exemple, comme quoi, y'a pas de quoi s'énerver non plus...).
Le spectre des horaires matinaux et des leçons de solfège rébarbatives éloigné, il s’attribue un pseudonyme. Ce sera : Ronnie James Dio.
Hey, plutôt cool comme pseudo non ?
C'est en hommage à Johnny Dio, mais si, ce membre de la mafia italo-américiane des années 50 aussi dingue que cruel, qui a eu comme marque de fabrique sa passion pour les "attaques à l'acide"... Forcément, avec un nom pareil, il devient le chanteur de The Vegas Kings. Après, ben, normal, il le rebaptise "Ronnie And The Prophets" parce que c'est devenu son groupe, et qu'en plus, il chante sacrément bien, merde.
1967 : comme dans tous les groupes de rock, le chanteur et le guitariste finissent par plaquer les deux autres qui sont pas assez motivés, pour eux, devenir des icônes légendaires : "Dio" et Nick Pantas partent fonder The Electric Elves, dans le local de répèt' d'à côté.
En 1972, c'est finalement sous le nom de "Elf" qu'ils enregistrent un premier disque en studio, et bordel, ça sonne plutôt pas mal. Là, il se trouve que Ian Paice et Roger Glover, deux types terribles qui tiennent respectivement la batterie et la basse dans Deep Purple, un groupe en train d'inventer un nouveau genre de musique où il faut jouer très fort, traînent par là. Et voilà que bam, ils décident de produire leur disque. Hé ouais.
Puis, comme tout le monde est cool, Elf part sur la route assurer la première partie de la tournée de Deep Purple.
L’année suivante, Ronnie se décide à abandonner la basse : pour devenir une idôle, faut pas s'encombrer plus que nécessaire.
Elf et Deep Purple rempilent donc le même truc (disque, et tournée) l'année d'après, et comme tout le monde est toujours aussi cool, Dio participe dans la foulée à l’album solo de Roger Glover, et là, ça y est : il y chante un titre qui s'appelle "Love Is All", et c'est le carton.
En quelques mois, Dio est devenu presque une vraie star.
Du coup, pendant que Elf enregistre son 3ème album, Ritchie Blackmore, le guitariste de Deep Purple qui lui, est déjà un vrai piège à fille et à mecs cool parce qu'il fait des trucs pas possibles sur sa six-cordes et qu'en plus il a les cheveux longs, propose à Elf de devenir "autre chose".
Parce que lui, Ritchie, il en a marre de Deep Purple qu'il trouve plus vraiment cool.
Hey gars, si Ritchie te demande un truc, tu acceptes, tu vois le truc ?
Alors Elf se dissout et devient Rainbow, tandis que Deep Purple devient un groupe pas cool qui fait un genre de funk mec, ouais, tu réalises ? Du funk !

Rainbow, ça devient très vite un groupe aussi cool que Deep Purple quand Deep Purple était cool.
Faut dire que Ronnie assure sacrément, et que Ritchie assure aussi.
S'ensuivent trois albums terribles, et des tas de concerts où se retrouvent tous les mecs cool et toutes les filles cool; eux, ils portent des fringues du genre avec des franges et tout ça, et Rainbow est LE putain de groupe mec, ça ouais.
Le seul problème, c'est que Ritchie et Ronnie veulent tous les deux être le plus cool (et décider de tout aussi, faut dire, sans que les autres types cool de Elf aient leur mots à dire, faut pas déconner non plus, c'est qui le plus cool, merde...) .
Alors du coup, au bout d'un moment, Dio en a plein la patate de pas pouvoir être tout seul le plus cool des cools, et il prend la tengeante.
Après tout, il a pas besoin de Ritchie. Merde.
Il se trouve qu'à ce moment-là, vers 1979, y'a un autre groupe mega wild dont le chanteur, qui est un mec terrible qui s'appelle Ozzy, vient justement de se faire la malle pour se reposer un peu vu qu'il a tendance à beaucoup, beaucoup aimer mélanger les acides et le whisky, ce qui est, faut le dire, assez fatiguant...
Ce groupe, il a un nom qui pète sévère : Black Sabbath. L'affaire est rondement menée : Dio rejoint ces mecs terribles, et le groupe sort deux albums. Le problème, c'est qu'en fait, dans Black Sabbath tout le monde n'est pas vraiment non plus d'accord sur la façon d'être wild. Alors cette fois, c'est avec le batteur, un certain Vinny Appice - un type genre latinos avec des moustaches terribles- que Dio se fait la malle.
Comme il devenu un mec super cool, et super wild, Ronnie invente même un truc mortel qui a botté tout le monde tout de suite, un truc qi se fait avec les doigts de la main et que tous les mecs cools se mettent à faire en balançant leur cheveux longs : les " cornes ».
En fait, c'est un truc qu'il a piqué à sa grand-mère, un truc d'italiens superstitieux pour éloigner les mauvais esprits, un truc pour les sorcières, quoi. Mais ça marche tout de suite, et Ronnie, il est super fier d'avoir inventé ça.
Le hic, c'est qui y'a d'autres types qui disent que c'est pas lui qu'à inventé le truc des cornes, que c'est un autre mec qui est dans un autre groupe super glitter qui s'appelle Kiss et dans lequel les mecs se maquillent genre comme Alice Cooper. Ce mec, Gene Simmons, il fait genre deux mètres mais il met quand même des bottes en cuir avec des talons énormes, puis il s'habille avec des clous et passe son temps à tirer la langue et il a une chauve-souris peinte sur la figure, bref, il est vraiment très glitter. Et on dit qu'il l'aurait trouvé en premier, le truc des "cornes": la preuve, en 1977, on le voit bien les faire sur la pochette de « Love Gun ».
Bref.
En tout cas, en 1982, inventeur de cornes ou pas, Ronnie monte son groupe, et cette fois, pas la peine de s'emmerder : le groupe s'appelle directement Dio, comme ça, dès le départ, y'a pas d'histoires. Il a réuni une bande de types qui sont à la fois cool, wild, et glitter : Vivan Campbell, Jimmy Bain et Vinny Appice, et ça fait un sacré putain de groupe, tout ça.
Du coup, l'année d'après, ils sortent "Holy Diver": sur la pochette, y'a un Diable qui fait les cornes avec les deux mains en noyant un curé au bout d'une chaîne, ça apprendra à Gene Simmons qui est le patron, voilà. En plus, Gene, il est super grand et ça, ça énerve aussi beaucoup Ronnie, qui lui, est plutôt du genre petit.
Et là, ben, c'est un carton.
Du coup, les deux années suivantes ils en font deux autres, et Dio devient un groupe hard. Ni cool, ni wild, ni glitter : hard.
En sept ans, ça bouge pas mal dans Dio : Vivian Campbell quitte le groupe pour rejoindre WhiteSnake, il est remplacé par Craig Goldy qui lui même est remplacé par Rowan Robertson qui n'a que 16 ans.
Tout ça est drôle, mais bon, Ronnie, il en a marre.

Alors Ronnie, il rejoint une deuxième fois Black Sab', et décide de mettre Dio en sommeil. Bon, dans Black Sab' y'a plus Tony, à la place y'a Tracy G. C'est un peu (beaucoup) moins bien, mais c'est wild quand même, et le groupe sort trois albums.
Mais bon, comme c'est moins wild qu'avant, Ronnie, il reforme Dio en 2000, et signe deux albums studio et un album live.
Puis en 2007, comme dans Dio on s'emmerde quand même un peu comme avant, Black Sabbath se reforme, cette fois avec Tony, Geezer et Vinny, bref, que des gars super wild : mais du coup, ils s'appeleront plus Black Sabbath mais Heaven & Hell, du nom du premier album enregistré par Black Sabbath avec Ronnie, pour se distinguer du Black Sabbath d'Ozzy.
Bref, pour Ronnie, Black Sabbath c'est une grande histoire.
Ronnie, il est rentré dans la légende, et voilà tout ce qui compte pour le fils unique de la famille d'italiens.
D'ailleurs, il participe au film « Tenacious D and the Pick of Destiny » dans lequel il joue son propre rôle, en dictant à Jack Black où aller pour suivre la route du Rock, apparaît également dans le documentaire « Metal : a headbanger's journey » de Samuel Dunn puis dans un épisode de South Park, avant de donner son nom au principal méchant du manga "JoJo's Bizarre Adventure".
Un mec vraiment cool, ce Ronnie.

Puis Ronnie décede le 16 Mai 2010 à 7h45, d'un cancer de l'estomac à Houston, Texas.
Merde.
Pas cool...