lundi 17 décembre 2018

Lettre à Bernard

Cher Bernard
Je viens de lire ce matin, dans un article de Marianne, que tu es passé, en 2017, de la 11ème à la 4ème place du classement des hommes les plus riches de la planète. Bon, autant l’avouer : en substance, cette information est à peu près aussi intéressante que le chiffre auquel la bourse de Paris a clôturé hier soir ou, au choix, le poids du dernier-né de la Duchesse de Cambridge, le nom latin du nouvel extrait végétal de la gamme Global Therapy de Frank Provost, ou la preuve formelle que le glyphosate est bien responsable de la disparition des bras des enfants qui naissent dans les zones rurales de Rhône Alpes : à franchement parler, les fluctuations qui égayent l’ordre de grandeur des portefeuilles des empereurs contemporains n’est pas le genre de suspense auquel qui que ce soit d’à peu près sain d’esprit se retrouve à goûter.
Et pourtant. S’il n’est question d’aucun suspense face auquel frissonner, il reste un mystère que je te trouve parfaitement symboliser à la lecture des chiffres qui émaillent cet article (aussi putassier que racoleur, ceci dit), et que dieu sait ô combien j’aime les mystères.

jeudi 6 décembre 2018

La Chanson du Mauvais Parti

Le piano, l’harmonica,
J’apprendrai pas, j’apprendrai pas
Le violon, le Farfisa
Le tuba, la clé de Fa,
Les grilles d’accords, la Règle de Trois
Le solfège la programmation, le secret de la brillance du son
J’apprendrai rien

samedi 1 décembre 2018

I've Got The Power

Et si on s’arrêtait deux minutes sur l’omniprésence du terme « pouvoir d’achat », de quoi se mettrait-on à parler ? Les gens aspirent-ils vraiment à cette collusion lexicale, à savoir détenir un pouvoir, ce pouvoir étant défini par la capacité d’achat qu’il procure ? Dans la notion « d’être en mesure de dépenser » (qui n’est pas forcément acquérir), réside intrinsèquement  la double notion de subvenir à des besoins et de pouvoir répondre à certaines pulsions (induites, pour la plupart) : or, l’achat doit-il être compris comme source de bonheur, dans le sens de celui qui donne un sens à l’existence ?
Etre « en capacité d’acheter », est-ce l’accomplissement  actuel de la quête du bonheur ? La clé de lecture contemporaine ? L’objectif visé ? La capacité d’achat conditionne-t-elle la qualité de vie ?

vendredi 23 novembre 2018

Hallelujah !

On entend souvent bien davantage les voix de Martha Wash et d’Isora Rhodes que celle – au demeurant incroyable – de feu Sylvester, légèrement sous-mixée à la fois sur scène et sur disque,dans les incroyables productions que Patrick Cowley va bidouiller pour l’ultra-icône Drag du San Francisco des 80’s : les deux divas, choisies pour trois raisons,  y bombardent leur gospel-funk dans un quasi-anonymat. 
La première de ces raisons c’est leur voix, évidemment. Mais leur physique comptera aussi pour beaucoup : la nouvelle manager cherche à gommer l’étiquette ouvertement « queen » de la pop-star gay (dont le Bowie ultra-androgyne de la fin des 70’s aura fini par dire, vaguement écœuré : « San Francisco n’a pas besoin de moi : ils ont Sylvester »).

mercredi 21 novembre 2018

Le petit coin (de page)

Tous les mardis j’écris une chronique dans un célèbre magazine. Généralement je m’y attèle le lundi matin, au moment où le fleuve de voitures redémarrées après le week-end se déverse par à-coups dans la rue d’en bas, au rythme du feu de circulation et du nombre de camionnettes garées en double file : si je veux saisir une chance de rendre quelque chose d’à peu près viable pour la fin de journée (dernier délai : 16h00) je dois m’y mettre tôt, j’ai rarement quelque chose d’intelligent à dire sur commande. Au mieux, je rebondis sur un sujet quelconque (j’ai quasi carte blanche), au pire, je  m’en tire avec une moue et quelques tours de passe-passe littéraires.

vendredi 9 novembre 2018

InBox

Le mail avait remplacé la lettre aussi facilement que s’il s’était agi d’une évidence. Un darwinisme épistolaire, en quelque sorte. Le facteur passait toujours (un facteur syndiqué systématiquement jeune, à l’uniforme optimisé, vidé des derniers atours qui lui donnaient encore, deux décennies plus tôt, quelque poésie comme cette très officielle casquette anguleuse désintégrée au profit d’un chariot complexe à quatre roues et d’un gilet multi-poches) mais c’était uniquement, et définitivement, pour ne plus déverser, dans l’agacement d’une tournée dictée par les quotas et l’optimisation horaire, que les quelques feuillets survivant pour de derniers instants à la lente (mais inexorable) numérisation des administrations : factures, rappels, relances et avis d’échéance.

dimanche 22 avril 2018

Variété dévolutionnaire

J’ai quarante-six ans. Autant dire que je suis plutôt largement passé de l’autre côté du cadran, si l’on s’en tient aux statistiques et aux signaux merdiques envoyés par mon organisme. Je viens de ressortir « All Eyez On Me » de 2Pac à ma fille ébahie, qui peine encore à croire que « je connais » : son pote de 5èmeB vient de lui affirmer que c’était « le roi des rappeurs ». Alors, que son père sache de qui il s’agit, et qu’il ait des disques de 2Pac dans son meuble marron, ça ressemble à une blague. Cela servirait-il à quelque chose que je lui parle de l’escalade EastCoast/West Coast des 90’s, que je lui cherche, tiens, dans la foulée, un album de Biggie ? Que je tente un topo Snoop/Dré v.s Puff/Mobb Deep? Tu parles. Faudrait que j’arrive à me retenir d’alimenter frénétiquement le plateau de ma Denon comme un chargeur de AK à coups de Jungle Brothers, d’ATCQ, de NWA, de Fat Joe, puis de De La Soul, etc, etc…

lundi 5 février 2018

Coup de pied au Q.

La première nait blonde en 1989 en Pennsylvanie d’un père conseiller financier héritier de trois générations de présidents de banque et d’une directrice de marketing de fonds mutuels. Elle  passe son enfance dans une ferme de onze hectares, ses vacances d'été dans une maison secondaire du New Jersey, et se passionne pour l’équitation (papa possède plusieurs chevaux) et les comédies musicales (maman lui paie des cours de chant et de comédie à Broadway).
Le second naît noir en 1933 à Chicago, d’une maman qui va pas tarder à être internée pour maladie mentale. Y’a pas l’ombre d’un dollar dans le foyer : Papa le ballade de ville en ville à la recherche de petits jobs puis finit par s’installer dans la banlieue de Seattle.
New York l’ingrate se refusant au talent de la petite blonde, elle se rabat sur la musique Country : à 11 ans, forte d’un prix à une compétition locale, maman la fait déménager à Nashville, ce qui ne lui réussit pas plus : elle est rejetée par les labels. A 12 ans, elle se dit qu’apprendre à jouer de la guitare pourrait aider : elle apprend 3 accords avec un réparateur informatique pseudo-guitariste et s’en sert illico pour écrire sa première chanson, avant que papa et maman, ébahis par tant de ténacité, ne déménagent eux aussi pour Nashville (papa change de banque) en faisant un « sacrifice incroyable » dont elle dit elle-même, je cite : « Mes parents ont été jetés là-dedans (la musique country) : nous n'avions aucune idée de ce que nous faisions. Mes parents m'ont acheté un livre sur l'industrie de la musique ». Un livre magique. Par lui, tout arrive.

dimanche 28 janvier 2018

Clef à molette

D’un côté, l’Oxfam –mais ça pourrait être n’importe quelle autre Agence, organisme ou média : qui ose encore faire croire qu’il se soucie des sources ? - fait tomber une nouvelle série de chiffres exposant une fois de plus le chaos préprogrammé vers lequel nous fonçons en ordre de bataille : 82% des richesses du monde de 2016 n’auraient bénéficié qu’à 1% de la population, tandis que la moitié la pus pauvre de la planète (3,7 milliards de gens) n’aurait pas bénéficié du moindre dollar issu de cette manne.
De l’autre, la démultiplication des postulats « philosophico-sociologiques » encourageant – ou constatant – les tendances à la décroissance ou au refus de la compétition consumériste : du « Désobéir » de Frédéric Gros (qui pointe le syndrome de « l’enfant sage » à travers ce qui serait un désir inconscient de « sur-obéissance » pour faire rempart au vertige existentiel, citant Thoreau, La Boétie et Epicure pour encourager à une désobéissance sociale qui passerait par « l’amitié » et à « désobéir par soi-même, pas à travers quelqu’un d’autre ») au carton Netflix du documentaire « Less Is Now Tour » (deux prosélytes américains donnant des conférences à travers leur pays pour prêcher le minimalisme), du « Project 333 » (un « challenge mode » invitant à ne s’habiller qu’avec 33 vêtements pendant 3 mois) aux articles de « Elle » intitulés « Fuck Ambition ! », de la démultiplication des expressions kleenex désignant le désintérêt pour le travail et la vie en général (partant du vieillot « burn-out » pour transiter à travers le récent mais déjà démodé « bore-out » pour en arriver au très chic « brown-out » (le manque de motivation pour son travail)), de la démultiplication des tendances à l’ultra-cocooning (au choix, exportées de l’Europe du Nord ou du Japon) à la démultiplication des tendances à plaquer un job anciennement auréolé du marqueur de la réussite pour revenir à l’authentique d’un « artisanat de proximité » (aux produits ultra-scénarisés et aux tarifs prohibitifs), la liste est interminable.