vendredi 2 avril 2010

Révérence...

3 pages.
Voilà en tout et pour tout ce qu'il me reste entre les mains pour dire adieu au "Colosse de Maroussi", que j'ai lu en le plus d'étapes possibles pour reculer dès les premiers chapitres cette échéance.
J'avais vécu à de multiples reprises l'expérience de ces livres dont la force d'attraction, la raisonnance immédiate qu'ils trouvent en notre coeur, poussent à être dévorés d'une seule traite, le quotidien s'en trouvant relégué à une dimension subalterne: on dîne, veille, discute, défèque ou plie le linge le livre à la main, on boit, dort, marche l'âme engloutie dans l'ouvrage comme si notre sort en dépendait, jusqu'au round final d'où l'on sort inévitablement groggy, comme un rescapé après un crash ou un kick-boxer après une défaite, les sens tuméfiés d'hébétude.
Cette fois j'ai, au contraire, dès le départ senti qu'il me faudrait engloutir cet ouvrage pas à pas, par saccades, un muscle étrange me reliant à lui pour écarter sans effort le spectre d'une lecture décousue. Ainsi, chaque fois que j'ai réouvert la page à l'endroit temporisé par le même vieux ticket de métro écorné, le muscle a fait son office et j'ai replongé sans la moindre peine dans l'univers foetal et sucré du récit comme si je l'avais quitté l'heure d'avant.
Tout au long de cette mécanique de rétractations / étirements le voyage en a été délicieux, lent, calme et attentif, et insidieusement, j'ai été happé avec une force supplémentaire vers le fin fond de l'âme du livre, si bien que maintenant que sonne l'heure des adieux, le sentiment de la séparation n'en est que plus aigu. Je me sens comme un écolier en internat à quelques heures de la fin du week-end, jeune soldat sur les marches d'un wagon agitant sa main à l'adresse d'une fiancée venue le rejoindre le temps d'une permission, je me sens déjà horriblement orphelin, désespérement seul, affreusement rattrapé par la réalité d'une rupture.
Alors, le coeur déjà empli d'une mélancolie ravageuse, je m'applique comme un cataplasme sur une foulure douloureuse cette phrase de la page 312 :
"Il y a des hommes qui sont si pleins, si riches, qui se donnent si complètement , que chaque fois que l'on prend congé d'eux, on sent que peu importe, absolument, que ce soit pour un jour ou à jamais. Ils viennent à vous, tout débordants, et vous remplissent jusqu'à ce que vous débordiez aussi. Ils n'exigent rien de vous, que votre participation à leur joie surabondante de vivre. Ils ne vous demandent jamais de quel côté de la barrière vous êtes, parce que le monde qu'ils habitent n'a pas de barrière. "
Henri Miller, malgré tout ce plaisir que vous venez de me procurer, malgré toute cette joie que vous m'avez fait partager, je crains hélas de ne pouvoir compter sur cette force placide, et bien que votre plénitude, pas plus que votre richesse ni votre capacité à vous donner ne puisse être remise en cause, je ne vais pas pouvoir dire "peu importe, absolument".
Je vais, au contraire, errer dans mon coeur comme un automate.
Dans 3 pages.

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