mardi 28 septembre 2010

Continue, je t'en prie...

Le 28 septembre, Philippe Katerine est invité à rencontrer Bret Easton Ellis dans les locaux de France Culture; provocation géniale ou sincérité bluffante, notre barde national annonce d’entrée n’avoir jamais lu le moindre ouvrage de l’écrivain américain le plus doué de sa génération, avouant simplement trouver chouette la couverture que Grasset a décidé d’imprimer pour son dernier roman, roman que certes on lui a bien remis pour préparer cette rencontre, mais qu’il n’a pas pris le temps de lire, "tout plongé qu’il était dans le dernier Houellebecq".
Parce qu’il est évident, inversement, que Bret Easton Ellis n’aura jamais entendu parler de l’auteur du cultissime « Je vous emmerde ». Ca, ça ne choque à vrai dire personne.
Philippe Blanchard, dit "Katerine", a bien fini par réussir à percer les murailles de la notoriété française avec un album roulé sous les aisselles du mercenaire Gonzales, avoir dans la foulée tenté de surfer sur cette soudaine réussite avec une idiotie médiocre singée aux côtés de l’increvable Arielle Dombasle, et là, revenir avec un album rappelant vaguement ses premières amours « easy listening » scato-provoc, tout ça n’est pas vraiment suffisant pour atteindre les oreilles du géniteur de Sean et Patrick Bateman
Alors on est tenté de se dire que, quitte à se savoir dès le départ empêtré dans ce criant déséquilibre, notre gaulois aura tenté ce que lui seul peut faire : balancer, sourire angélique et regard de lapin, qu’il ne connaît pas plus ce « Ellis » que ce dernier ne le connaît lui-même. Mais ce qui reste drôle, c’est qu’on peut considérer aussi que c’est possible, je veux dire, que Katerine PEUT ne pas avoir lu la moindre ligne d’Ellis.
Finalement, de ces deux hypothèses, laquelle nous rend Katerine le plus sympathique ? Savoir qu’il est assez pisse-froid pour regarder Ellis dans les yeux et sans ciller, lui assener avec ingénuité un désintérêt totalement feint, ou être assez distancié de ce qui fait les carnets mondains pour ne jamais avoir cédé à la tentation (addictive, ô combien addictive) d’ouvrir un roman de l’américain nihiliste ?
En attendant, c’est vrai qu’elle est chouette, la couverture de « Suite(s) Impériale(s) ». Au moins aussi chouette, d’ailleurs, que celle du nouvel album éponyme de Katerine.
Je me remémore cette récente anecdote entre les deux hommes parce que je regarde mon exemplaire de « Suite(s) Impériale(s) » sans vraiment d’allant ; je viens de rentrer chez moi, et j’ai passé un interminable trajet de métro à ausculter ma figure puis mes bottes dans le reflet d’une double-porte de wagon souterrain, le cerveau épais ; je m’étais levé de la banquette plastique que j’occupais juste avant, parce que je venais de finir « Tais toi, je t’en prie ».
Jusqu’ici, je n’ai jamais aimé les Nouvelles. Je suis un amateur de roman. Jusqu’ici, j’ai aussi toujours fait semblant d’avoir lu Raymond Carver, parce qu’à l’inverse de Katerine, je n’ai pas réussi à comprendre que l’ultime snobisme n’est pas de gonfler sa pseudo Aura littéraire, mais bel et bien de bafouer sa propre connaissance, et parfois même, la renier jusqu’à sanctifier son savoir comme un autel secret.
Moi, j’étais juste intimement persuadé d’avoir lu Carver car j’avais à peu près lu tout les auteurs que doivent lire les lecteurs de Carver… Sauf que ce jour où je me suis décidé à acheter (racheter ?) un bouquin de Carver et que j’en ai attaqué les premières pages, l’évidence est tombé : je n’avais effectivement jamais lu Raymond Carver.
Je me suis mis à aimer les Nouvelles.
Enfin, non, je me suis mis à aimer les Nouvelles de Raymond Carver; tout en me disant que j’avais été un bien grand con de m’être persuadé si longtemps de l’avoir lu au point d’avoir oublié de le lire, j’ai dégommé pas moins de vingt allers-retours de métro, jour après jour, Raymond Carver palpitant dans mes doigts au gré de soubresauts pneumatiques.
J’ai très rapidement acquis la certitude que j’allais désormais parler de Raymond Carver à tous ceux que je croiserai, que ce soit pour acheter du pain comme pour couper le sifflet à ma propre femme lorsqu’elle tentait, le soir, de me raconter sa journée entière sans même reprendre son souffle.
J’ai commencé à glisser des tickets de métro au milieu des pages pour marquer les Nouvelles qui venaient de me couper le sifflet, avant de réaliser que j’avais glissé un ticket de métro au début de chacune des Nouvelles de « Tais toi, je t’en prie » et que non seulement ça devenait ridicule, mais qu’en plus, il faudrait que je me décide enfin à prendre un abonnement au lieu d’acheter tous ces tickets les uns après les autres, jour après jour. Ce livre n’avait pas besoin de marque-page. Chaque Nouvelle s’encastrait parfaitement dans l’espace-temps de mes trajets quotidiens, tantôt aller, tantôt retour, et je ne perdis pas le fil d’une seule histoire. Comment perde le fil de l’existence, du quotidien ? Comment se perdre sur le chemin clair-obscur des défaites ordinaires, comment lever la tête de l’oreiller des résignations, tandis que dans le métro lui-même l’œuvre de Carver s’étalait, bien réelle, cabossée d’amours amères aux odeurs corporelles ? Comment empêcher de s’insinuer ces fumets de mégots de cigarettes roulées, ces brouhahas de conversations de bars, ces excitations malingres de gars usés pour des femmes cellulitées et perdues, dans mon cortex sous pression ?
Carver ne m’a pas soumis à l’ivresse pénétrante des romans que j’affectionne, ceux qui emportent tout sur leur passage, amis, amours, enfants, emmerdes, temps qu’il fait, température, obligations, horaires, confort, conventions, réalités, pour vous plonger dans une espèce de dimension comateuse et zombifiante qui vous fait lire d’une main en mangeant des raviolis froid de l’autre tout en répondant des « hmm, hm, mm » à un interlocuteur pas vraiment identifié, non, Carver, les Nouvelles, c’est pas ça du tout. C’est comme une vie qu’on vivrait là, au milieu des personnages qui ne sont très vite pas plus des personnages que vous et moi.
Carver, c’est boire cette bière avec le type trompé qui sait qu’il va revenir auprès de sa femme et continuer de vivre comme si de rien n’était, c’est rouler à côté de cet autre qui a décidé d’aller abandonner le chien de la famille sur un coup de tête, quelque part près de la maison de son enfance, c’est enchaîner les cigarettes avec ce couple qui a décidé de s’installer à la campagne et qui scrute la façade de la maison cernée de buissons avec la certitude de ne jamais être capable d’y habiter. Carver, c’est communier ses propres hontes et la somme additionnée de toutes ses faiblesses avec des quidams lambda dans une messe grise et lente, désespérée, butée, obtuse, comme un train de marchandise rouillé lancé sur une voie de chemin de fer sans gare.
Sauf que le livre, lui, s’arrête, et qu’à cet instant, il ne s’agit plus de communier avec personne mais juste à devenir soi-même le personnage d’une autre Nouvelle.
Dans ma propre Nouvelle, maintenant que j’ai refermé « Tais toi, je t’en prie » dans ce wagon de métro, puis que j’ai passé les deux stations qui me séparaient encore de mon arrêt à m’ausculter comme un inconnu dont je regarderai la photo ratée sans le moindre intérêt, je suis planté devant le nouveau roman de Bret Easton Ellis.
Le mois dernier, j’aurai encore frissonné rien qu’à l’idée de l’ouvrir, mais là, je m’en fous. J’ai même pas envie de le commencer.
Je voudrai bien réussir à m’ennuyer. Oui, c’est à peu près tout ce que j’aimerai faire, à vrai dire.

1 commentaire:

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