Le petit Jonathan reste assis derrière son papa et
tape du pied avec ses frères et sœurs à chaque fois que passe un disque dans le
salon, ce qui arrive souvent. Jonathan il aime le kung-Fu, et de façon
générale, taper sur tout ce qui lui tombe sous la main, de façon spectaculaire
de préférence.
Bien
que ce qu’il préfère, quand passent les albums de Stevie Wonder, de Billy
Cobham ou de James Brown, ce sont ces lignes de basse machiavéliques qui lui
font tout chaud au dedans, et qu’il singe en se déhanchant comme un beau
diable, tout transporté d’infra-ondes au point d’avoir du mal à se retenir d’envoyer
au passage quelques terribles high-kicks imaginaires à de grands méchants
blancs moustachus, son papa, lui, voit en lui un potentiel drummer de légende :
ce petit, il va vite et précis comme un moine Shaolin, et le groove coule dans
ses veines comme le whisky dans celles de Robert Mitchum.
Comme
Jonathan n’a pas non plus d’idée très arrêtée - basse et batterie le rendent
pareillement fiévreux -, il écoute sagement son papa qui met toutes ces
super-musiques dans le salon et se met donc derrière une série de fûts sans
prendre la peine d’essayer d’apprendre à en jouer avec un professeur : ça
lui vient tout seul ce truc-là, et il aime tellement ça qu’il y passe des
journées entières. Il veut jouer aussi sauvage que Billy Cobham, aussi vite que
Buddy Rich, aussi précis que Louis Bellson et aussi funky que Zigaboo Modeliste
alors il travaille sans réfléchir, surtout son pied, celui du bout duquel il tapotait
le plancher en rafale : il veut en faire une mitrailleuse à groove, comme
s’il jouait des lignes de basse avec. Comme ça, en fait, il peut faire les deux
sans avoir à choisir.
Ca
ne prend pas un an avant qu’il n’écume les bars du coin avec tout ce que la
région compte de groupes chevronnés, sans parler des concours, dont il devient
une vedette locale avec ce truc qu’il a inventé : frapper une cymbale
positionnée dans son dos - puis finalement deux cymbales - exactement comme le
ferait Bruce Lee, avec une méchanceté précise et fatale, les deux mains en même
temps, comme ça, sans prévenir, tellement vite que t’as rien vu venir. Un kata
de nunchaku plus vrai que nature, mais version funky. Ca devient sa signature,
on vient le voir de loin pour ça. Pour ça, et pour cette grosse-caisse complètement
folle qui aligne des soixante-quatrièmes notes comme si c’était naturel pour un
pied humain de titiller une pédale à cette vitesse d’ordinateur cocaïné...le
tout en mocassins vernis, classe New Orleans oblige.
Dans
la foule, un soir, il y a James, le directeur musical de ces cinq frangins aux
coupes afros du tonnerre qui cassent la baraque sur les ondes et font danser la
planète entière à coups de hits funky imparables : comme il trouve le tout
jeune Jonathan sensass avec son mawashi de cymbale en arrière et son kick-drum
fulgurant, il le fait auditionner et bim, Jonathan, il en revient pas, il est
embauché en tant que batteur dans ce groupe supra-cool qu’on écoutait en boucle
dans le salon familial, sans avoir jamais pris le moindre cours de batterie - oui
mais les chansons, elles, il les connaît déjà toutes sur le bout de la bottine
vernie.
Il
part donc sur la route avec les cinq frangins, et pendant cette incroyable année
qui relie 1979 à 1980, il se lie d’amitié avec le plus jeune, Michael, qui a la
danse dans le sang comme lui a le drumming : ensemble, ils élaborent des
gimmicks pour la scène, Jonathan plaçant ses spectaculaires coups de cymbale
imprévisibles pile-poil sur les pas lockés de Michael, tandis que son pied à
soulier vernis, derrière sa grosse caisse, syncope comme un jumeau le pied à
soulier vernis de son pote qui fait crier les filles sur le devant de la scène.
Jonathan et Michael, mec, ça colle grave. Hors de question que les cinq
frangins se passent de « sugarfoot », leur nouveau batteur. Même si
cette ancienne danseuse blonde pas farouche, remplie de quolifichets et de
croix qui s’entrechoquent sur son soutif apparent,qui vient de faire un hit
interplanétaire avec ses cheveux crêpés et ses Ray-Ban coquines, l’embauche pour
sa propre tournée, le « Virgin Tour » : il revient avec les
frangins, d’autant que Michael, entre temps, a sorti un album solo funkadelistic
au possible, et qu’ils en jouent beaucoup de morceaux sur scène, de plus en
plus, même. Michael, c’est devenu la star des frangins, au point que de plus en
plus de gens viennent le voir lui, et plus vraiment les autres.
C’est
même le célèbre Don, avec son aura sulfureuse, sa dégaine de Pimp et ses
millions douteux, qui organise les tournées de Michael, maintenant. Faut dire
que Michael, il vient d’enchaîner avec un autre album solo comosé avec son
super pote Quincy, qui s’est fixé comme objectif de faire un disque « every
song is a killer », qui décolle tout sur son passage. Michael, il fait des
tournées tout seul, maintenant. Avec Jonathan. Avec un certain Eddie aussi, ce
guitariste blanc phénoménal qui joue de la six cordes au moins aussi vite que
lui de la grosse caisse. En bref, tout le monde le veut, maintenant, Jonathan.
Il
y a Elton le dingue, qui joue du piano en boa orange, qu’il ne va plus quitter ;
il y a George, le super beau gosse, qui vient de troquer ses shorts fluos
contre une barbe de trois jours soigneusement travaillée, un perfecto et une Gretsch,
et qui s’enthousiasme pour ce son imparable qu’il vient coller sur ses chansons ;
Janet aussi, la sœur de Michael, qui marche fort et qui veut le même niveau de
groove que son frère ; et il y a Louise bien sûr, sa copine blonde
délurée, qui est devenue une méga-star : elle ne jure plus que par « sugarfoot ».
Faut dire qu’il s’est fait fabriquer cette batterie terrible, dorée, pailletée,
avec des fûts partout et ses fameuses cymbales dans le dos, et que Louise, qui
joue à fond la provocation, ça lui va à merveille, ce Jonathan teigneux comme
un boxeur, précis comme une machine et groovy comme une paire de lunettes en forme
d’étoile. Il enregistre même tous ses
disques désormais, à la Ciccone.
Même
le petit dandy génial qui sent la lavande, qui ne peut décemment pas piquer Jonathan
à Michael parce qu’ils sont, tous les deux, un peu les meilleurs ennemis du
monde et puis qu’en plus, il a déjà Sheila, lui, à la batterie - ce qui n’est pas
rien - vient quand même lui dire des trucs cool et drôle à la fin des concerts du
genre « That was bad, you’re bad » ce qui, dans sa bouche, vaut
son pesant de fleurs de lotus mauves.
Mais
Jonathan « sugarfoot », définitivement, viscéralement,
instinctivement, son artiste, c’est Michael. D’ailleurs, pour lui, c’est juste « foot ».
Le pied.
C’est
Jonathan qui s’apercevra que les cheveux de Michael crament pendant ce tournage
du spot de pub Pepsi, et qui sautera comme un diable de derrière ses fûts pour
lui porter secours ; il sera de toutes ses tournées, même lorsqu’il est
engagé avec d’autres. Il appelle Katherine, la maman de Michael, « sa deuxième
maman ». Ils font des concours de dessin dans le tour bus ; ils s’envoient
des cartes d’anniversaires s’ils ne sont pas ensemble ; ils passent leur
temps chez l’un chez l’autre, dès qu’ils le peuvent. C’est avec lui que Michael
passera cette dernière longue nuit, la toute dernière, juste avant de mourir le
lendemain.
Jonathan
« sugarfoot », c’est tout le groove de Michael : c’est une
empreinte indélébile sur une liste de tubes longue comme le bras, une touche,
un son et un phrasé uniques qui auront changé à tout jamais l’histoire de la
pop à l’aide d’une technique instinctive, innée, puissante et racée, et d’un
sens du rythme phénoménal magnifié d’une attitude inimitable. Le tout en
souliers vernis. Classe New Orleans oblige.
J'adore j'adore
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Merci Jonatan on t'aime
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