lundi 17 mai 2010

Joli mois de mai...

Week-end de l’ascension : période de quatre jours successifs ordinairement dédiés à l’oisiveté, communément appelé « pont du jeudi férié », le « pont » restant une spécificité dont les européens ont le secret, et le goût.


Ascension : 40 jours après sa mort et sa résurrection (déjà, c’est pas mal, faut avouer), Jésus de Nazareth finit être « élevé au ciel » (le truc de l’ascension, c’est un vieux gimmick chouravé aux grecs et aux romains, qui adoraient faire monter dans les nuages divins leurs Will Smith ou leurs Bruce Willis de l’époque, genre Hercule ou Romulus, pour les récompenser d’avoir été si terribles sur terre en leur permettant de se beurrer la gueule dans les nuages, où, s’est connu, on peut coucher avec n’importe qui sans se poser de question). Il semblerait alors que les croyant soient nantis d’une sorte de mission d’intérim en l’absence du patron, jusqu’à ce qu’il revienne.
Mais attention : il n’abandonne par les hommes, non, il va leur envoyer son « Esprit Saint » pour la Pentecôte… (cet autre truc-là, la « descente de l’Esprit Saint », ça a été piquée aux juifs qui avaient une histoire drôlement chouette de Moïse qui redescendait du Mont Sinaï avec des feuilles en pierre gravées sur lesquelles Dieu lui avait noté ce qu’il ne faut pas faire pour qu’il s’en rappelle bien). Bref : ceux qui ont cru qu’ils allaient pouvoir se récupérer le bébé tranquillos en balançant l’eau du bain vont en être pour leur frais, avec cet Esprit Saint dans les pattes.


Après, à peu près tout le monde s’en fout du moment qu’on n’est pas obligé d’aller bosser et qu’on sera payé quand-même… D’ailleurs, en France, les jours fériés c’est géré par le code du travail, avec lequel Jésus de Nazareth, faut le dire, n’a pas grand chose à voir (Ni Moïse, ni même Hercule, d’ailleurs).


Moi, voilà à quoi j’ai passé mon week-end de pont.
En matière de littérature, j’ai expédié le dernier Philippe Djian, « Incidences », en deux jours. J’ai été bizarrement décontenancé par l’angle du récit, même si le style de cet auteur que j’adule reste reconnaissable en à peine quelques lignes. Peut-être l’un des romans les plus noirs qu’il ait écrit : il y viole avec un humour dérangeant deux ou trois lois morales dans les grandes largeurs (inceste, meurtre, alcoolémie au volant, relations sexuelles prof/élève, pour ne citer que les plus offensives) le long d’un scénario particulièrement jouissif, qui, évidemment, descend lentement le long d’une colline douce amère jusqu’au drame final, sans laisser le moindre échappatoire, et sans avoir l’air d’y toucher.
Dans la foulée, en même temps mais pas vraiment, je me suis payé pour le goûter le classique « Pourquoi j’ai mangé mon père » de Roy Lewis, qui m’a tenu la bouche pleine à l’heure des tartines de Nutella sans parvenir à me séduire tout à fait ; lecture plaisante, histoire brillante et cocasse, mais qui n’a pas pourtant réussi à générer chez moi ces fameux « éclats de rire » promis à grands renforts d’adjectifs dithyrambiques par les incroyables Théodore Monod et Vercors-Jean Bruller réunis … Soit je suis trop con (ce qui reste la meilleure piste), soit l’humour anglais m’est définitivement hermétique (ce qui est aussi une bonne piste).


Pour l’anecdote, (et ça n'a vraiment rien à voir avec le reste), à la suite d’un repas de gastronomie provinciale avalé en plein cagnard sur la placette de St Michel l’Observatoire, je me suis endormi en pente dans un petit champ recouvert d’une pelouse râpeuse en plein cœur des Alpes de Haute Provence, samedi après-midi . Sous un vent terrible et face à un soleil hargneux - cependant pas assez mûr pour me menacer la côtelette-, casquette encastrée sur l’arête du nez, protégé des assauts du mistral par un petit muret de pierre plates, j’ai donc écouté d’une oreille cotonneuse les vrombissements de dizaines de coléoptères après avoir dégluti de grandes lampées d’un rosé très carrossé et très tiède : j’avais en effet cru avoir réchappé à une tentative d’assassinat au Calva perpétrée par cette serveuse abominablement marseillaise, avant de comprendre avoir été blessé si ce n’était mortellement, tout au moins assez fâcheusement. Et bien, au lieu d’un moment pénible et halluciné ordinairement prévisible, j’ai redécouvert l’insondable plaisir des siestes champêtres, et malgré cette compilation de handicaps constituée par le vent, l’alcool, la rugosité du sol et la fausse férocité du soleil, j’ai passé une heure purement délicieuse, jusqu’à mon réveil qui s’est avéré un peu pâteux, certes, échevelé aussi, mais totalement affranchi de toute trace de cette détestable humeur soupe-au-lait qui, d’ordinaire m’enjoint à fuir résolument toute tentation d’assoupissement post-dînatoire.
Du coup, le soir même, je me suis surpris à céder à l’envie iconoclaste d’aller écouter une troupe de chanteurs médiévaux se produisant de nuit dans l’enceinte de l’émouvant Prieuré de Salagon : hélas, cette autre tentative c’est, elle, soldée par un échec cuisant : pour cause de gratuité et de rareté évènementielle, nous nous sommes retrouvés mêlés à un insupportable troupeau d’octogénaires en bermuda aux bras desquels des septuagénaires permanentées prenaient des airs inspirés, le mollet musclé tanqué dans le renfort de chaussures de randonnées Intersport. Dans une atmosphère pesante de messe dominicale trop concentrée, dans une salle de voûte trop intimidante, une vieille poétesse célibataire coiffée d’un béret en velours déclamait des lais ennuyeux d’une voix empruntée, tandis qu’un de ses compagnons post-soixante-huitard en pantoufles à bouts retournés jouait du flutiau en déambulant entre les colonnes de style baroque. Nous nous sommes échappés comme des ladres, goguenards et cyniques.



Sinon, j’ai stupidement passé le week-end à fredonner le « Ain’t no sunshine» de Bill Withers : ce morceau, outre le fait d’avoir le bon goût d’avoir été composé l’année de ma naissance, possède deux anecdotes qui, à elles seules, me régalent : 1/son auteur l’a pondu alors qu’il gagnait sa vie en fabriquant des lunettes de chiottes pour Boeing ; 2/ Si les musiciens n’avaient pas été là, Bill aurait volontiers répété bien plus de 26 fois son fameux « I know… »… Je sais, tout cela n’apporte pas vraiment d’éclairage sur le goût discutable que j’ai pour ce Hit, mais moi, je trouve ça rigolo. Des fois, ça suffit.
Plus sérieusement (ha bon ?), j’ai aussi passé 15 jours avec les études en mi majeur de Chopin dans l’autoradio de ma voiture, sans pouvoir m’empêcher de rejouer stupidement 45 fois l’étude n°3, opus 10 en massacrant les paroles de « Lemon Incest » par-dessus, ce qui prouve à la fois ma bêtise, mon obscurantisme crasse en matière de grande musique, ma passion pour Gainsbourg, ma passion pour Charlotte Gainsbourg, et la magie de la pop music qui conduit les gueux de mon espèce à mettre du Chopin dans leur autoradio.



Enfin, de retour dans mon appartement rabougri après avoir miraculeusement échappé au déferlement des milliers d’andouilles venus crier sous les fenêtre de Jean-Claude Gaudin à la gloire du pain et des jeux, j’ai vu « Danny The Dog » à la télé en croyant que c’était un bon film, jusqu’à ce que je me fasse très rapidement rattraper par l’ignoble style de Besson, qui parvient toujours à saccager avec méthode ce qui pourrait être grand, et s’en réjouit avec une étonnante évidence.

Finissons ce post avec un mot emprunté à Suzan Ertz :
"Des millions d'êtres humains rêvent d'une vie éternelle, et s'il pleut le dimanche après-midi, ils ne savent pas quoi faire..."


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