vendredi 24 juin 2011

Au moment où est entonné le Psaume 51 (Miserere mei Deus), chacun s'administre sa raclée

On a toujours peur de voir ses idoles écornées. Dans ce bas-monde aux beautés si fragiles, il est si précieux d’être ébloui que lorsque cela se produit, nous avons tendance à sacraliser les soleils iridescents, les nuits d’éternité ou les aubes filigranées qui nous ont saisi la poitrine comme autant d’étaux merveilleux, les chérissant comme des trésors d’enfants, les enfermant dans de petites boîtes mystérieuses aux fermetures en laiton doré dont on manipule le couvercle avec cet intemporel et identique plaisir précautionneux.
Ainsi, si je me suis pris de dévotion pour un artiste, j’éprouve une crainte systématique à l’idée de le redécouvrir au travers d’une autre discipline : que va-t-il surgir de ce nouveau rendez-vous ? Quelle laideur est-elle susceptible d’apparaître sur le front même de mon sanctuaire, quelle vilaine humanité va-t-elle finir par se dévoiler chez un être que je n’ai connu que supérieur, mystique et unique ? Le spectre ricanant de la faiblesse de l’espèce va-t-il, inexorablement, souiller ce que j’avais porté aux nues ?
La tentation reste en même temps si forte que c’est alors un sentiment violent qui m’assaille, crépitant du paradoxe trivial de l’envie inexplicablement libératrice de brûler ses propres divinités, de les conspuer, percutant celle, peut-être plus ancrée, de s’adonner sans retenue à une foi aveugle dans le caractère de perfection que l’on a assigné au créateur.
Ce qui est à nouveau paradoxal, c’est que lorsqu’à l’issue de ces plongées dans l’inconnu de nos connaissances on ressort déçu, la blessure n’en est finalement que passagère ; après tout, quelques anges peuvent être déchus sans que les cieux ne se lézardent, et le spectacle de la chute de l’un d’entre eux reste même peut-être, en soi, une de ces merveilles qui remplissent l’âme de forces nouvelles. C’est quand l’inverse se produit que tout devient plus difficile. Lorsqu’on découvre « Beautiful Losers » de Leonard Cohen, après s’être abreuvé de «Songs Of Love and Hate » pour se saouler comme avant un rendez-vous à quelques minutes duquel on se sait à la recherche éperdue d’un courage venant à manquer. Lorsqu’on découvre « Les Dragons en Sucre » de CharlElie Couture après cette féroce addiction aux « Poèmes Rock ».
Tout cela est terrible.
Lorsque le dieu auquel on s’était soumis se révèle dépasser notre propre foi, lorsqu’il l’annihile, pulvérisant la dimension précaire, hasardeuse et circonscrite dans laquelle on avait cru pouvoir l’enfermer pour jouir petitement de notre dévotion. Oui, ne pas mériter ses idoles est une sensation des plus déroutantes, car au fin fond d’une conscience usée par les incertitudes, comment s’empêcher de se croire soi même partie de son idolâtrie, brin de la corde qui nous lie à nos prescripteurs, récepteur éclairé du message messianique, récepteur Elu…
Comment s’empêcher de se croire distingué de la masse forcément exécrée par cette seule dévotion qui nous distingue, nous élève, nous rapproche inexorablement de cette lumière dont nous sommes secrètement convaincu de briller un peu du même photon ? Nous revoilà renvoyé à nos étroitesses, à nos restrictions, à nos portes et nos fenêtres fermées sur des mondes luminescents dévoilées soudainement par cascades entière, par un simple pan de rideau soulevé dans la crainte… et pire, dans la crainte d’être déçu ?
Nick Cave vient de me renvoyer dans les cordes. Je me fustige de « Mort de Bunny Monro » comme un Flagellant. Puis-je avoir le destin de Pierre Damien.

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