jeudi 19 avril 2012

Le grand cycle de la vie...

- C’est quand même un peu flippant tous ces bourdons qui zigzaguent au-dessus de ces mottes de fleurs roses, tu trouves pas ?
- J’aime pas les insectes de toutes façons. J’ai jamais aimé ça. Toutes ces bestioles.
- C’est vachement important pour l’écosystème les insectes pourtant, ils font un boulot capital pour les plantes et tout ça…
- Ouais, mais moi, c’est à cause de mes allergies aux pollens. Quand je les vois comme ça se gaver, enfiler leur espèce de trompe dans le cul des fleurs en battant des ailes comme des dingues, ça me dégoutte. Ils se battent entre eux pour faire ce truc carrément obscène, pomper tout ce pollen pourri. Et moi, chaque printemps, je me retrouve à m’étouffer la nuit comme si j’avalais des mottes de petits cheveux tous secs qui se collent partout dans ma gorge, et le jour, j’ai l’impression de passer à travers une tempête de sable invisible, j’en ai des grains pleins le nez, c’est vraiment la merde. Et j’ai beau me gaver de ces petits cachets bleus microscopiques, ça change rien. Tu sais, ces petits cachets en plaquettes qui ressemblent à des pilules contraceptives…
- Faudrait voir à pas te gourer, parce que ça doit faire un drôle d’effet d’avaler une pilule contraceptive, pour un gars…
- Ouais. Tu crois que ça ferait quoi ?
- J’en sais rien. Peut-être pousser les seins, ou un truc comme ça.
- N’importe quoi. Tu dis vraiment n’importe quoi. Je suis même fasciné par ta capacité à sortir des imbécilités pareilles. Tu es unique, en ton genre. Uniquement con.
- Ouais.
- Et ça te fait marrer.
- Tu sais quoi, ma mère me répétait ça tout le temps, quand j’étais petit. Pas vraiment de la même façon, mais en gros, c’était ça.
- Ta mère a toujours été perspicace. Quand ton oncle a perdu sa main, c’est la seule qui lui a dit quelque chose de rassurant.
- Elle lui avait dit quoi déjà ?
- Je m’rappelle plus vraiment. En tout cas, je me rappelle que tout le monde y allait de sa connerie, genre « y’a plein de types qui vivent très bien avec une seule main, tu verras… » ou encore pire, je me rappelle un type de son travail qui était venu le voir à l’hôpital et qui lui avait dit qu’il allait devoir changer de main pour se branler, et que ça lui donnerait l’impression super d’être tripoté par quelqu’un d’autre, tout ça en lui faisant des clins d’œil débiles...
- Ha oui je m’en rappelle de celui-là. Lambert. Un brave type.
- Un brave con, ouais.
- Peut-être, mais c’est un brave type.
- Si tu veux. Mais faut vraiment être le dernier des derniers pour faire ce genre d’humour avec un type qui vient de perdre sa main.
- En même temps, y’a pas grand’ chose à dire d’intelligent à un type qui vient de perdre sa main, faut dire.
- Ta mère y arrivait.
- Ma mère, elle a dit des tas de trucs nuls à chier aussi.
- Peut-être, mais j’étais pas là. Moi, ta mère, je l’ai toujours vue dire des trucs intelligents aux gens. Des trucs qui leur faisaient du bien.
- Ouais, ben elle a dû garder ses trucs les plus miteux pour nous alors, si tu vois ce que je veux dire. Faut pas en faire une sainte non plus, c’est gonflant à la fin.
- Tu as vu le gros, là ? Merde, il fait la taille de mon pouce. C’est pas un bourdon, ça.
- Ben si ! Qu’est-ce que tu veux que ce soit ? Quand on partait dans les montagnes avec mes frères, des fois, on en voyait de plus gros que ça, des machins que tu peux même pas imaginer.
- En tout cas il a viré tous les autres. En plus d’être gros, il est teigneux. Saloperie…
- Bah, c’est dans l’ordre des choses. Il doit abattre plus de boulot que les autres.
- Ouais, c’est ça le problème.
- Quel problème ?
- C’est souvent comme ça, si tu remarques bien. Même chez nous. Les balèzes, les pleins de fric, quand ils débarquent, faudrait que tu disparaisses, que tu te mettes sur le côté pour leur céder la place, jusque parce qu’ils sont des « gros » quelque chose. Ca me rend dingue. Les mecs avec ces énormes bagnoles, tout ça. Je pourrai les flinguer, des fois, tellement ils me tapent sur les nerfs.
- Tu dis ça parce que t’es fatigué. C’est ces allergies, ça te rend soupe-au-lait.
- Soupe-au-lait ? Mais bordel, d’où tu sors ce genre d’expression ? Soupe-au-lait. Bon sang de merde.
- Ca se dit, soupe-au-lait. Tout le monde dit ça.
- Non mec, tout le monde ne dit pas « soupe-au-lait », je suis désolé. C’est encore un de tes trucs à la con.
- Ok, okay, n’empêche, t’es bien sur les nerfs.
- Tout le monde le serait, à ma place. Respirer est devenu une corvée, t’imagines ? Toi t’es là tranquille, tu te poses pas la question, tu fais marcher tes narines comme une grosse vache en humant l’air à plein poumons, et moi, pendant ce temps, je serre les dents en laissant passer de petits filets d’air tout frustrants et à chaque respiration, ça me fait siffler les bronches comme ces types qui hantent les sanatoriums en attendant de crever.
- Faut toujours que t’exagères.
- Merde mon gars, on voit bien que toi, t’as la vie facile. Tout doit être comme ça, hein, comme pour toi, du genre, cool, on se prend pas la tête, hein ? Bordel de merde, des fois, tu me tapes sur le système…
- C’est les pollens.
- Non, c’est pas les pollens, c’est ta connerie mec, juste ta putain de connerie. Et ces putains de bourdon de merde qui s’enfilent devant ma fenêtre.
- Moi ça me dérange pas. Et j’adore le miel.
- Ha ouais. T’adores le miel.
- Ben oui, quoi, qu’est-ce qu’il y a de mal à aimer le miel ?
- Rien. Y’a rien de mal. C’est juste que des fois, c’est vraiment abyssal à quel point t’es con.
- Ouais, je sais. Je le sais suffisamment. Je te l’ai dit, ma mère n’arrêtait pas de ma le répéter.
- Ouais. Ta mère a toujours été perspicace.

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