mercredi 16 mai 2012

Rencontre avec le 3ème type

John est arrivé très tôt, en premier. Comme tous les aînés il a tout de suite été brillant, très charismatique, et très fat. Séduisant autant qu’horriblement égocentrique. Charmeur et infect quoi, tout à la fois. Les filles en étaient folles les premiers jours, parfois même juste les premières heures mais John était aussi con que ce qu’il était brillant, et le temps jouait systématiquement contre lui. L’entrelacs complexe des lézardes qu’il tenait à merveille loin de ce personnage narcissique qu’il s’était forgé avec aisance surgissait à travers le quotidien, laissant invariablement s’exprimer des jugements hâtifs, des affirmations idiotes, des bouffonnades ridicules et des fanfaronnades vite desservies par une gaucherie qui ne parvenait guère à susciter autre chose que de la déception. Pour autant, sa vanité ne supportant pas la moindre remise en cause de sa superbe, il se cabrait face aux reproches comme un voleur haineux et dès lors, on le découvrait terriblement colérique, et finalement très seul. Le pire, c’est que cela parvenait à le rendre plus séduisant encore.

Antoine est arrivé longtemps plus tard. A priori, on ne lui prêtait rien de spécial à cause de cette fâcheuse tendance à s’effacer au profit des flagorneurs du genre de John, qu’il aimait plus que tout et dont il recherchait la compagnie avec une avidité qu’il ne s’expliquait probablement pas lui-même. Antoine passait donc son temps à se faire rabrouer, parfois jusqu’à l’humiliation, par de splendides andouilles auxquelles il servait consciencieusement la soupe bien qu’il se sache évidemment plus fin, plus prompt, plus perspicace, bref, en tout point plus noble. Il en souffrait terriblement, incapable de saisir sa chance, tout empêtré de contradictions, de mésestime de soi et de timidité. Quoi qu’il en soit, parmi ses nombreux atouts, un sens aigu de la pédagogie lui permettait par on-ne-sait quels brillants stratagèmes de ne jamais faire peser sa supériorité sur ses prescripteurs, si bien qu’il a probablement été l’un des seconds couteaux les plus remarquables qui fussent. Servile, dévoué, visionnaire, il mettait en valeur mieux que personne les caractères les plus putassiers par une succession impalpable de retouches travaillées dans l’ombre, faisant davantage bomber la poitrine aux idiots les plus scintillants, les plus m’as-tu-vu, les plus offensifs. Ce qu’il ne savait pas, c’est que sa propre ambivalence se retournait contre lui de la façon la plus terrible : pour la plupart, les gens n’étaient pas dupes. Quelque chose émanait de lui sans qu’il ne s’en rende compte qui révélait sa grandeur bonhomme, sa délicieuse malice, si bien qu’on aurait pu aisément passer outre ses tenues ridicules ou ses rougeurs intempestives pour leur préférer son humanisme débordant, et son évidente intelligence, ouverte et magnanime. Mais de ce fait même, les gens pensaient que son choix se s’acoquiner avec tel ou tel gent-foutre était, au contraire, un signe qu’il leur fallait témoigner à leur tour, pour des raisons qui, à priori, leur échappaient, un certain attachement à ces incapables dont il s’entourait au lieu de lui reconnaître le mérite de leur apparat.

Tristan a surgi sans que personne ne l’attende, à la suite des deux autres, presque en se surprenant lui-même. Il aimât autant John qu’Antoine avant de les détester pareillement, avec une acuité qui lui fût souvent douloureuse. Il se tînt dès lors soigneusement en marge de tout ce qui pouvait alimenter l’un ou l’autre dans ce qu’ils avaient de débordant, d’entropique, abordant les choses de la vie avec suspicion, se regardant lui-même dans chaque acte avec la sévérité d’un entomologiste, se refusant ainsi à toute possibilité de débordement avec l’objectif stupide d’atteindre une forme de sagesse qui se révélât bien vite une couardise mâtinée d’orgueil, dont il ne tirait finalement que peu de satisfaction. Secrètement, il enviait ses deux prédécesseurs, à peu près pour les mêmes raisons : leur incapacité à affronter leurs contradictions , leur idiotie jouissive, leurs peurs instinctives de ne pas être aimés et leur tendance à l’autodestruction. Tristan était finalement aussi hypocondriaque qu’Antoine était mystique, et aussi imbu de lui-même que John était menteur. Pour finir, Tristan, en secret, aurait donné n’importe quoi pour ressembler à un mélange de John et d’Antoine, là où il ne se découvrait qu’ennuyeux, obséquieux, rétif et misanthrope.

Comme quoi, habiter un même corps à vingt-cinq ans d’intervalle restait une gageure, que les trois frères ennemis continuaient de regarder circonspects, se sentant chacun plus inutile que l’autre à mesure que le cerveau commun s’efforçait de maintenir un Tout improbable, tandis que déjà, quelque part, un quatrième frère était en gestation.

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