jeudi 26 mai 2022

Apulée 2022

"Nous vivions alors dans une époque étrange, comme celles qui d'ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes. Ce n'était plus la galanterie héroïque comme sous la Fronde, le vice élégant et paré comme sous la Régence, le scepticisme et les folles orgies du Directoire; c'était un mélange d'activité, d'hésitation et de paresse, d'utopies brillantes, d'aspirations philosophiques ou religieuses, d'enthousiasmes vagues, mêlés de certains instincts de renaissance; d'ennui des discordes passées, d'espoirs incertains, - quelque chose comme l'époque de Pérégrinus et d'Apulée. (...) L'ambition n'était cependant pas de notre âge, et l'avide curée qui se faisait alors des positions et des honneurs nous éloignait des sphères d'activité possibles. Il ne nous restait pour asile que cette tour d'ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler de la foule. A ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous respirions enfin l'air pur des solitudes, nous buvions l'oubli dans la coupe d'or des légendes, nous étions ivres de poésie et d'amour. Amour, hélas! des formes vagues, des teintes roses et bleues, des fantômes métaphysiques. (...) Quelques uns d'entre nous néanmoins prisaient peu ces paradoxes platoniques, et à travers nos rêves renouvelés d'Alexandre agitaient parfois la torches des dieux souterrains, qui éclaire l'ombre un instant de ses traînées d'étincelles."

Sylvie, Gérard de Narval - 1853.

jeudi 5 mai 2022

Et la Lumière Tue...

Parmi les ravages concomitants à l’avalement numérique de notre planète, la liste d’effets pervers plaqués sur le monde de la musique s'allonge avec la même constante. Le mouvement digital reproduit sa loi dysfonctionnelle: ultra-démocratisation des techniques, matériaux, outils et savoirs partant de la même promesse de donner tout à tous en cassant les chaînes de l’élitisme social, moral et économique, et livrer des technologies de plus en plus sophistiquées, de plus en plus efficaces, de plus en plus compactes, de plus en plus puissantes, de plus en plus souples, à des usagers de plus en plus autodidactes, de plus en plus autonomes, de plus en plus perspicaces, de plus en plus affirmés, de plus en plus affranchis, et de plus en plus puissants. On assiste ensuite au paradoxe systémique faisant émerger de très forts sentiments d’unicité d’un mécanisme de généralisation: en résumé, le numérique livrant massivement tout à tous génère chez chacun l’absurde sensation de son unicité. 

dimanche 24 avril 2022

En anticipation, on a constamment six mois de retard

Et puis il y a ce jeune type de 35 qui prévoit la fin du capitalisme dans deux siècles tout en déplorant que la mode post-apocalyptique qui inonde nos fictions s’obstine à vouloir raconter un « après » sempiternellement tourné autour de survivants « après la fin du monde », alors qu’il n’y a déjà plus d’autre option que d’évoquer le « pendant » que nous traversons, ne serait-ce que pour montrer que tout ce qui était bien, va rester: le collectif, et la beauté des paysages.

jeudi 14 avril 2022

Dallas : rififi au pays de la badiane

:::: Episode 1

Stetson 1 - Henri-Louis est un rude suisse (oui c’est possible) vivant à Pontarlier, Franche-Comté, fin XVIIIème: on est en plein Jura, dans la 2ème ville la plus haute de France après Briançon. Autant dire en montagne, quoi. Indépendamment du fait que son père exerce la bien noble profession de bouilleur de cru, on a tendance un peu partout dans le pays à se réchauffer le gosier à grands coups d’absinthe en famille, comme le montre cette photo prise au hasard à Oraison (qui est située bien plus bas, ce qui ne constitue pas pour autant une raison valable pour ne pas s’endimancher la glotte) où l'on pose fier de se déchirer la cafetière en écartant les jambes façon « manspreading », décontracté du gland (comme disait Gégé avant qu’il ne s’auto-caricature via de risibles amours contrariées avec son ami Vladimir). 

mercredi 6 avril 2022

Attendre 2 ans, puis revenir à cause d'un Petit Frère

Le rêve américain, par ici, on n’y a jamais rien compris: la France rock ne s’est jamais remise de son syndrome 60’s post-G.I si bien résumé par Lucien, le débonnaire héros banané de Margerin, quand seul Kebra, l’antihéros cradingue ultraviolent de Tramber et Jano reflétait, lui, vraiment, ce qu’était la réalité de « notre Amérique à nous », celle (déjà) des banlieues merdiques, des allumeuses camées en mini-jupes et des squats jonchés de mégots ; et voilà qu’entre deux hordes de fans obsessionnels du Dieu-homme-loup récemment décédé qui paradent sur les Champs-Elysées cramponnés aux franges d’un guidon de Harley achetée en concessionnaire Yamaha comme si l’Equipée Sauvage était née à Marvejols, on se re-tarte nos vieux pastiches rock’n roll, le trublion Julien Doré réhabilitant Dick Rivers en tête d’une escouade bobo avide de (faux) loosers tandis que la désespérante cohorte d’affreux chanteurs de l’écurie TF1 fait la queue pour pousser la chansonnette avec papy Schmoll avant que celui-là n’arrive plus à se teindre la rouflaquette tout seul.

lundi 25 novembre 2019

Souliers vernis, pieds sucrés.

         
Le petit Jonathan reste assis derrière son papa et tape du pied avec ses frères et sœurs à chaque fois que passe un disque dans le salon, ce qui arrive souvent. Jonathan il aime le kung-Fu, et de façon générale, taper sur tout ce qui lui tombe sous la main, de façon spectaculaire de préférence.
                Bien que ce qu’il préfère, quand passent les albums de Stevie Wonder, de Billy Cobham ou de James Brown, ce sont ces lignes de basse machiavéliques qui lui font tout chaud au dedans, et qu’il singe en se déhanchant comme un beau diable, tout transporté d’infra-ondes au point d’avoir du mal à se retenir d’envoyer au passage quelques terribles high-kicks imaginaires à de grands méchants blancs moustachus, son papa, lui, voit en lui un potentiel drummer de légende : ce petit, il va vite et précis comme un moine Shaolin, et le groove coule dans ses veines comme le whisky dans celles de Robert Mitchum.